Gérard Monnier, Évelyne Cohen, dirs, La République et ses symboles. Un territoire de signes
Gérard Monnier, Évelyne Cohen, dirs, La République et ses symboles. Un territoire de signes, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013, 431 pages
Full text
1Cet ouvrage reprend les actes d’un colloque qui s’est tenu du 1er au 3 octobre 2008 à l’Institut national d’histoire de l’art (inha) sous le titre Un territoire de signes. Les manifestations de la symbolique républicaine de la Révolution à nos jours. Il est dédié à Maurice Agulhon, disparu en 2014, qui a particulièrement étudié les symboles républicains et notamment la figure de Marianne. La plupart des 37 contributions sont le fait d’amis ou de disciples et se réfèrent à son œuvre. Toutes sont synthétisées dans une excellente introduction des deux directeurs de l’ouvrage (pp. 19-30). Poursuivant l’analyse des représentations de la République et de la France, elles offrent des enseignements originaux, abordant des thèmes inédits par rapport aux travaux de Maurice Agulhon comme aux études des Lieux de mémoire dirigés par Pierre Nora (Paris, Gallimard, 1984, 1986, 1992).
2La ve République, comme les précédentes, a choisi de représenter la France par trois seuls symboles officiels : le drapeau, l’hymne et la devise, cités dans l’article 2 de la constitution. D’autres symboles dépourvus de valeur officielle ont pourtant été amplement répandus, pour certains dès la Révolution, à commencer par l’allégorie féminine de la République. Nous revenons d’abord sur une série de contributions portant sur l’inscription de ces symboles républicains dans les objets du quotidien (pièces de monnaie, documents officiels), le décor de la mairie ou le paysage urbain.
3Michel Vovelle (pp. 31-40) montre comment, de 1792 à 1800, s’impose progressivement la représentation de la République. La vignette de 1792 qui accompagne les actes publics de l’an I présente une femme appuyée sur un faisceau. Elle figure en réalité la Liberté dont elle porte le bonnet (le bonnet dit phrygien tire sa symbolique de liberté par sa ressemblance avec celui accordé aux esclaves affranchis de la Rome antique. Des bonnets de ce type ont aussi été portés par les Bonnets rouges bretons de 1675 puis par les premiers groupes révolutionnaires). La représentation de la République se construit en se distinguant graduellement de celle de la Liberté. Ceci s’opère par adjonction d’autres symboles, faisceau d’armes sur le tableau d’Antoine Jean-Gros de 1794, casque de Minerve, glaive et putti sur le sceau de 1798 par Jean-Guillaume Moitte. L’allégorie de la République supplante aussi d’autres images concurrentes, celle de la Fraternité ou du peuple en Hercule. En 1800, Lucien Bonaparte fait remplacer la statue vieillie de la Liberté place de la Révolution par une statue de femme debout, couronnée de lauriers, porteuse d’une pique et d’une gerbe d’épis, et qui figure donc la République. De manière paradoxale, celle-ci voit ses traits fixés au moment où le Consulat puis l’Empire vont y mettre fin.
4Tout au long du xixe siècle, dans l’allégorie de la République, le bonnet phrygien qui rappelle la Révolution revêt une connotation de gauche, quand le casque ou les lauriers sont associés à une République plus conservatrice. Maurice Agulhon (pp. 41-48) analyse l’allégorie de la Semeuse. Créée en 1895 par le sculpteur Oscar Roty pour une pièce de monnaie, cette image connut un succès immédiat et durable. Elle fut choisie comme effigie de timbre-poste en 1902. Modernisée, elle apparaît encore sur les pièces françaises de niveau intermédiaire (10, 20 et 50 centimes). Commande des ministères radicaux, la Semeuse porte un bonnet phrygien. Il ne s’agit nullement d’un symbole ruraliste. À l’époque, l’acte de semer était de fait réservé à l’homme, et l’allégorie féminine de l’agriculture était toujours la moissonneuse. Ce que sème la Semeuse c’est bien l’avenir et l’idéal que symbolise le soleil levant à droite, et cette figure fut du reste tout de suite comprise comme telle.
5Aucune règle ne rend obligatoire dans les mairies l’installation d’un buste de Marianne ni l’accrochage du portrait du président de la République. Yvan Boude (pp. 237-246) étudie la façon dont se sont mis en place ces éléments du décor municipal, désormais présents dans la quasi-totalité des mairies. Sous le Second Empire, les bustes et portraits de Napoléon iii avaient été largement diffusés par l’administration impériale. Après 1871, l’introduction du buste de Marianne se heurte aux résistances de la droite. Plusieurs sous-préfets interdisent le modèle à bonnet phrygien et Adolphe Thiers en personne intervient pour faire retirer celui de Montpellier. Un tournant s’opère après les municipales de 1874, gagnées par les républicains. L’installation du buste marque alors souvent leur victoire électorale. En 1884, une loi rend obligatoire la création d’une salle de délibérations, ce qui amplifie la diffusion des bustes qui y sont alors installés. Le portrait du président renvoie aux débats politiques du moment, aussi la tradition de l’accrocher s’est imposée plus difficilement. Vincent Flauraud (pp. 247-262) note que le buste et le portrait peuvent se lire comme un recyclage de la théorie des deux « corps du roi » avec l’effigie de la République, corps permanent, et le portrait du président, dépositaire temporaire de l’autorité.
6Le sigle rf est un autre symbole officieux de la République. Il a été abondamment répandu sur les bâtiments publics entre 1880 et 1914. Analysant un corpus de dessins d’architecture et de commandes publiques, Isabelle Loutrel (pp. 289-304) n’en trouve pas trace dans les prescriptions des concours. Gérard Monnier (pp. 305-322) montre que ce sigle, lorsqu’il est de grande dimension, impose le bâtiment dans l’espace ou s’intègre à d’autres éléments décoratifs. À Paris, il apparaît par exemple encadré par des statues de forgerons riveteurs sur l’ancien viaduc de Passy, désormais pont de Bir-Hakeim, dont une photo illustre la couverture de l’ouvrage. En revanche, Guy Lambert (pp. 323-338) constate que le sigle rf est plus rare et souvent réduit à des dimensions mineures sur les édifices de l’administration des Postes, pourtant construits à la même époque. Sur les bureaux de poste, les inscriptions principales énumèrent plutôt les fonctions du bâtiment (pas forcément évidentes pour le public de l’époque) et les commanditaires cherchaient peut-être à éviter les critiques sur la tutelle étatique des postes. Le sigle rf sera bien moins distribué sur les bâtiments publics construits à partir des années 20, sans doute par volonté de renouveau de la part des nouvelles générations d’architectes.
7À travers l’histoire des symboles républicains au ministère des Affaires étrangères, Anne Georgeon-Liskenne (pp. 389-400) reconstitue l’origine du rf entouré de symboles qui figure aujourd’hui sur le passeport français, sur de nombreuses représentations diplomatiques à l’étranger, ainsi que sur la tribune présidentielle et le portail internet de la présidence de la République. Les armoiries de la France ont été abolies en 1790. D’autres n’ont été autorisées à nouveau que pour les villes et autres collectivités locales en 1809. Pourtant, le besoin d’un dessin qui puisse être monocolore s’est imposé, notamment pour sceller les traités. Plusieurs figures se succédèrent sur les sceaux, fers de reliure et autres emblèmes utilisés aux Affaires étrangères. En 1912, le ministre Raymond Poincaré proposa au garde des sceaux de reprendre ce dessin composé par le graveur Jules-Clément Chaplain. Ce modèle fut ensuite repris dans les années 50 par Robert Louis (artiste héraldiste qui dessina également la quasi-totalité des blasons des villes et des provinces de France aujourd’hui en usage). Le décor se réfère à l’antiquité, chère à la première République. Il intègre faisceau de licteur, bouclier en forme de pelta, deux têtes de félin et deux branches passées en sautoir, l’olivier symbole de paix et le chêne symbole de pérennité. Il encadre les initiales rf quand les lettres sont en principe proscrites sur les blasons.
8Cloé Fontaine-Pitiot (pp. 373-380) retrace la création de la charte graphique commune à tous les ministères. En 1998, le gouvernement de Lionel Jospin, sous la présidence de Jacques Chirac, lance une réflexion sur la création d’une telle charte. L’objectif est d’afficher l’action cohérente de l’État dans un contexte où la plupart des collectivités locales et l’Union européenne ont désormais des logotypes bien identifiés. Pour la première fois, l’État externalise la production d’une de ses représentations visuelles. Un appel d’offres est lancé auprès d’agences de communication et différents logos sont testés auprès des services et du grand public. La charte choisie associe une profusion de symboles : Marianne de profil, regardant vers la droite, signe d’avenir, devant le drapeau, avec la devise et l’inscription République Française. Notons que l’article ne commente pas la majuscule de l’épithète qui, sans doute par souci de majesté et en rappel du sigle rf, enfreint la règle grammaticale.
9Plusieurs auteurs relèvent la récurrence d’initiatives parlementaires pour rendre obligatoire et encadrer la diffusion de ces symboles républicains dépourvus de valeur légale. Des élus ont fait des propositions pour obliger les municipalités à installer le portrait du président, d’autres pour écarter les Marianne autres qu’allégoriques. En juillet 2013, peu après la tenue de ce colloque, l’Assemblée nationale et le Sénat ont voté une loi sur l’école dont un article rend obligatoire l’apposition du drapeau français, du drapeau européen et de la devise républicaine à l’entrée des écoles, collèges et lycées.
10Trois contributions portent sur la Seconde République et éclairent des évocations qu’en a faites Gustave Flaubert dans son roman L’éducation sentimentale publié en 1869. Dans son traitement ironique des illusions lyriques de 1848, Gustave Flaubert mentionne un tableau représentant « la République, ou le Progrès, ou la Civilisation, sous la figure de Jésus-Christ conduisant une locomotive » (disponible sur Wikisource, p. 366 de l’édition de 1891). Isabelle Saint-Martin (pp. 143-162) a retrouvé d’étonnantes images de Christ républicain des années 1837 et 1848 produites par des peintres et graveurs de l’entourage du socialiste chrétien Philippe Buchez ou proches de la revue L’Européen. On peut y voir l’influence de peintures romantiques, comme le Christ consolateur d’Ary Scheffer. Emmanuel Fureix (pp. 49-58) analyse l’effacement des signes républicains de l’espace public sous le Consulat, la Restauration, puis dès 1849 suite au virage autoritaire de la Seconde République. Il montre que l’effacement des signes prépare le basculement de souveraineté. Rémi Dalisson (pp. 59-74) étudie la succession des fêtes entre 1848 et 1852. La Révolution de février donne lieu à d’innombrables fêtes locales à Paris comme en province, avec la plantation d’arbres de la liberté bénis par le clergé et le retour parallèle de la symbolique république. Après la répression des chômeurs lors des journées de juin, le pouvoir organise un Te Deum à Paris et, lors des commémorations suivantes, les autorités accentuent encore la dimension religieuse. Toutefois, y compris après le coup d’État, les codes républicains, notamment la présence du maire et des trois couleurs, continueront d’imprégner les fêtes municipales.
11Plusieurs contributions analysent les changements des symboles des partis politiques. Frédéric Cépède et Gilles Morin (pp. 97-110) commentent la succession de ceux du parti socialiste. Au début du xxe siècle, l’imagerie socialiste associe la symbolique républicaine au soleil levant. Dans les années 30, la sfio adopte les trois flèches inventées par Serge Tchakhotine (microbiologiste et sociologue, il est l’auteur du fameux ouvrage Le Viol des foules par la propagande politique [Paris, Gallimard, 1939]) pour stopper et écraser les croix gammées. En 1971, suite au congrès d’Épinay, le parti construit sa nouvelle image autour du poing tenant la rose et du slogan « Changer la vie ». Christian Beuvain (pp. 87-96) montre que, à la différence des socialistes, le parti communiste s’est d’abord défié des symboles républicains, opposant l’image du prolétaire à celle de Marianne associée à une république conservatrice et répressive. En revanche, à partir de 1935, les communistes s’approprient les symboles républicains dans le contexte du Front Populaire, puis ceux de la Résistance, de la Libération et de la guerre froide.
12Jean-Louis Crémieux-Brilhac (résistant et historien de la Résistance, il est disparu en 2015) retrace l’usage des symboles de la France Libre (pp. 111-126). Jusqu’en septembre 1941, Charles de Gaulle présente la France Libre comme un mouvement essentiellement militaire et patriotique. Les symboles de la République, associée au désastre, sont éclipsés par la croix de Lorraine et sa devise par celle de la Légion d’Honneur « Honneur et patrie ». En 1941, la France Libre prend une dimension bien plus politique avec la création d’un Comité national apte à faire contre-pouvoir à Vichy. La symbolique et la devise républicaines sont alors réintroduites, et le mouvement appelle par exemple les Français à manifester et à pavoiser le 14 juillet 1942. En juin 1943, après la création à Alger du Comité français de libération nationale, les symboles républicains font leur retour dans la vie politique et administrative de l’Algérie. L’assemblée consultative provisoire, qui siège à partir de novembre 1943, reproduit ainsi le cérémonial et le fonctionnement des assemblées de la iiie République. Jean-Louis Crémieux-Brilhac note que le gaullisme a toujours conservé sa propre symbolique, avec la croix de Lorraine, l’ordre de la Libération ou la commémoration du 18 juin. À partir de mai 1943, Charles de Gaulle salue les foules en écartant les bras en forme de V, rappel de la croix de Lorraine, du victory britannique popularisé par la bbc et tracé sur les murs par les résistants, puis plus tard du chiffre de la cinquième République. La présentation de la constitution, mise en scène par André Malraux, place de la République, mêle en miroir les deux registres. Charles de Gaulle parle sous la statue, derrière laquelle est placée une grande structure en V tricolore. La tribune est ornée de grands sigles rf, derrière une haie de gardes républicains déployés en V.
References
Bibliographical reference
Vincent Hecquet, “Gérard Monnier, Évelyne Cohen, dirs, La République et ses symboles. Un territoire de signes”, Questions de communication, 30 | 2016, 419-421.
Electronic reference
Vincent Hecquet, “Gérard Monnier, Évelyne Cohen, dirs, La République et ses symboles. Un territoire de signes”, Questions de communication [Online], 30 | 2016, Online since 13 March 2017, connection on 10 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/10902; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.10902
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