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Livres en revue

Melina Balcazar Moreno, Sarah-Anaïs Crevier Goulet (éds.), Pensées du corps. La matérialité et l’organique vus par les sciences humaines

Jean Constance
p. 107-109
Bibliographical reference

Melina Balcazar Moreno, Sarah-Anaïs Crevier Goulet (éds.), Pensées du corps. La matérialité et l’organique vus par les sciences humaines

Presse Sorbonne Nouvelle, Paris, 2011

Full text

1Introduire des Pensées du corps en abordant la notion « d’anomal » relève autant d’une pertinence intellectuelle que d’un parti pris. Cette notion, analysée dans l’œuvre de Claude Ollier, mais traversant également celle de Canguilhem ou de Deleuze et Guattari, permet d’offrir une amorce solide et critique à cet ouvrage collectif dont l’ampleur constitue un sérieux rappel théorique des approches du corps en sciences humaines.

2Alors qu’elle renvoie à un fait, au seul constat d’une irrégularité sur le corps, la notion d’anomal interroge celle d’anormal. Elle rappelle ainsi le glissement sémantique vers lequel s’est orientée la médecine et, de là, toute une conception contemporaine de la santé, en désignant le corps non pas dans une approche descriptive (l’anomalie), mais appréciative et normative (l’anormalité), c’est-à-dire relativement à un système de valeurs par rapport auquel l’individu finit par être appréhendé. Le parti pris de ces Pensées du corps se trouverait donc dans un éloignement critique vis-à-vis d’un langage qui oblige à évaluer le corps relativement à une norme, tandis que le défi résiderait dans l’élaboration d’une épistémologie et d’un langage propres à le re-penser.

3Or, l’analyse sémantique sur laquelle s’appuie les différents contributeurs renvoie à une complexité qui s’inscrit dans le regard même qui se pose sur le corps. Les implications psychiques et culturelles qui s’y jouent obligent ainsi tout chercheur en sciences humaines non pas à évincer les aspects subjectifs d’une appréhension du corps, mais à les intégrer comme données à part entière de sa recherche. Ce sur quoi Devereux avait déjà fort bien insisté. Le langage, cependant, constitue le piège même duquel le chercheur ne parvient que difficilement à se défaire. Il est ce par quoi il nomme ce qu’il observe. Et, s’il n’y prête attention, ce par quoi il risque de normaliser ce dont il souhaite rendre compte.

4C’est par de multiples objets que les auteurs de cet ouvrage tentent alors de rappeler les concepts qui ont façonné l’écriture du corps, chez Derrida, Levinas, Merleau-Ponty ou Quignard par exemple. Ils passent ainsi en revue des aspects complexes de l’approche du corps, dans la compréhension des sexualités, du monstrueux, de l’appareillage ou de la danse, le plus souvent au travers d’œuvres littéraires, artistiques ou philosophiques.

5Ainsi cette réflexion de Daniela Carpissasi sur « les figures du corps féminin riant », où, décidant de se dégager des dichotomies ancrées dans la pensée occidentale (masculin / féminin par exemple), elle analyse, au travers de récits mythologiques, le corps féminin dans ce clivage, dans cette zone de (dis)continuité située entre rire et sourire.

6Autre approche des genres, plus anthropologique cette fois, celle de Chantal Zabus, qui décrit une « corporéité transnationale en mouvement » dans laquelle les corps occidentaux, au travers de pratiques qualifiées de « néo-tribales », se ré-approprient de manière sélective les modifications corporelles des mondes colonisées par l’Occident. Elle analyse alors le « métrosexuel » contemporain comme celui qui emprunte aux prostituées transgenres brésiliennes, mexicaines ou étasuniennes les techniques aidant à « une transition harmonieuse vers le sexe féminin. » À la différence que « la métrosexualité européenne n’est ni à louer ni à vendre. » Ainsi Chantal Zabus souligne-t-elle les inégalités dans cette circulation mondiale de la chair. Objet de marchandisation, cette chair modifiable à merci fait l’objet de greffes en Occident, pendant qu’elle disparaît du fait de la malnutrition, du sida ou d’autres maladies qui ravagent le monde extra-occidental.

7Ces Pensées du corps, exigeantes dans leur réflexion, constituent un apport important de la recherche contemporaine sur le corps en sciences humaines. Le sous-titre cependant, « La matérialité et l’organique vus par les sciences humaines », pourra en décevoir certains qui attendent d’une telle annonce davantage de terrains originaux. En effet, les études proposées ici portent pour beaucoup sur une littérature déjà existante, qui, certes, repose parfois aussi sur une clinique (celle de Freud dans le texte de François Villa, « La chair du psychique, le corps du moi »), mais sans véritablement apporter un nouveau matériau vivant. Ainsi la monstruosité est-elle abordée au travers des quinze planches dessinées par Jean Boulet dans ses Métamorphoses (Hervé Sanson, « Jean Boulet : du corps fantasmé au corps monstrueux »), ou encore au travers de l’écriture romanesque dans Moby Dick de Herman Melville et Respiracion artificial de Ricardo Piglia (Anne Bourse, « Le corps appareillé : figure littéraire de “l’immachination” »). Sans diminuer tout l’intérêt et toute la qualité de ces articles, plusieurs des questions abordées ici auraient mérité une approche plus ethnographique, rendant compte et interrogeant par exemple les problématiques du corps auxquelles certaines professions sont aujourd’hui confrontées. Telles quelles, ces Pensées du corps sont plus proches d’une sociologie de l’imaginaire et de la philosophie. Ce qui, en soit, est loin d’être rédhibitoire.

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References

Bibliographical reference

Jean Constance, “Melina Balcazar Moreno, Sarah-Anaïs Crevier Goulet (éds.), Pensées du corps. La matérialité et l’organique vus par les sciences humaines Quaderni, 84 | 2014, 107-109.

Electronic reference

Jean Constance, “Melina Balcazar Moreno, Sarah-Anaïs Crevier Goulet (éds.), Pensées du corps. La matérialité et l’organique vus par les sciences humaines Quaderni [Online], 84 | Printemps 2014, Online since 05 May 2016, connection on 17 March 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/quaderni/812; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/quaderni.812

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