Philippe Gottraux, Cécile Péchu, Militants de l’UDC. La diversité sociale et politique des engagés
Philippe Gottraux, Cécile Péchu, Militants de l’UDC. La diversité sociale et politique des engagés, Lausanne, éditions Antipodes, 2011.
Texte intégral
- 1 Cette fascination n’est pas sans rappeler celle qu’ont pu exercer les « révolutions arabes » qui ou (...)
1Les publications portant sur les « populismes » ou les « extrêmes » qui saturent les univers médiatique et académique traduisent une fascination chez nombre d’observateurs et de chercheurs pour un objet aux contours pourtant flous1. Néanmoins, peu d’ouvrages scientifiques se penchent précisément sur celles et ceux qui sont membres de ces entreprises politiques.
- 2 UDC en Suisse romande et SVP (Schweizerische Volkspartei - parti du peuple suisse) en Suisse aléman (...)
- 3 Avec Michaël Girod à Zurich.
2C’est ce que tentent de faire Philippe Gottraux et Cécile Péchu en s’intéressant aux membres de l’Union démocratique du centre (UDC)2 actifs à Genève et à Zurich. Ces enseignants-chercheurs de l’université de Lausanne ont mené3 une recherche approfondie – entretiens biographiques, demandes de réactions à des stimuli photographiques et observations de réunions partisanes – en 2005 et 2006 auprès de quarante militants lato sensu de l’UDC (simples membres, actifs, leaders, élus). Cette recherche visait à déterminer nettement les ressorts de leur engagement et à appréhender ainsi la diversité des membres de ce parti de droite « populiste », le premier parti suisse en termes de suffrages exprimés. Leur démarche suit une optique « internaliste », qui insiste sur l’importance de l’offre partisane dans l’explication des comportements politiques. Elle cherche en outre au cas par cas à comprendre le « contexte » de l’engagement. C’est un travail faisant preuve d’une rigueur et d’une prudence épistémologique sans faille, refusant les explications mécanistes du succès de l’UDC qui s’apparentent parfois à une stigmatisation voilée des milieux populaires (par exemple, les analyses en termes de coalition de gagnants et de perdants, la combinaison des deux constituant la « formule gagnante » des partis populistes selon Herbert Kitschelt, ou les hypothèses axées sur l’autoritarisme ou la frustration supposés des dominés, schèmes d’explication psychosociaux omniprésents et souvent réductionnistes, reprenant parfois les raccourcis qui ont pu prévaloir dans l’historiographie des fascismes).
3Ce voyage dans l’univers militant de l’UDC qui se présente comme une série de portraits détaillés se lit comme un passage en revue des matrices de l’engagement. Une telle déambulation permet aux auteurs de construire une typologie fine à partir des propriétés sociales et des trajectoires personnelles des individus composant leur échantillon. Six grands profils type sont décryptés : les populaires marqués par un rapport au politique peu compétent (subdivisés en trois sous-types, les ouvriers issus soit de la « matrice autoritaire » de droite soit de la gauche et des individus davantage définis par leur marginalité) ; les déclassés, pour lesquels on distingue entre ceux pour qui la carrière politique joue un rôle de compensation symbolique et ceux pour qui elle permet une intégration sociale évitant la marginalité ; les jeunes antieuropéens, engagés précoces contre le rapprochement avec l’Union européenne en rupture partielle ou non avec leur tradition familiale ; les méritants dont le ressort principal de l’engagement est une forte valorisation anti-étatiste du mérite justifiant leur position sociale – divisés en trois sous-catégories : agents en ascension sociale accédant au statut d’indépendant, connaissant une progression comme salarié, ou luttant contre le déclassement par l’effort ; les libéraux, issus des classes supérieures à fort capital économique et en reproduction, qui sont principalement des patrons de petites entreprises héritées mais également des individus proches de l’univers bourgeois « classique » ; enfin, les idéologues et moralistes issus des classes supérieures à fort capital culturel hérité (les premiers manifestant un rapport idéologique et compétent à la politique, la Weltanschauung et l’engagement des seconds étant davantage le produit d’une matrice religieuse).
4Ce tableau a le mérite de ne pas faire fi des idiosyncrasies, même si cette catégorisation en quatorze sous-types peut paraître traduire une « diversité » qui n’est peut-être pas supérieure à celle de la plupart des autres associations partisanes « non populistes » ni à celle d’autres groupements labellisés « populistes de droite » dans les autres états européens. De surcroît, si les auteurs montrent très bien ce qu’on pourrait nommer une « diversité trajectorielle » des militants de l’UDC, la diversité « idéologique » apparaît quant à elle comparativement faible. En effet, le discours militant, voire l’engagement, apparaissent surdéterminés par ce que les auteurs nomment la « suspicion envers les étrangers » (et dans une moindre mesure, par l’homophobie), un des seuls dénominateurs communs des membres, qui unifie d’autant plus leur univers symbolique que leurs univers sociaux quotidiens sont différenciés. Les auteurs soulignent ainsi que l’attribution principale de la xénophobie aux milieux populaires est très contestable. L’habitus nationaliste des militants de l’UDC semble attester par conséquent la perpétuation de « sous-cultures politiques » dans des sous-univers ethnoculturels conservateurs dont la diversité (sociale, géographique, linguistique) apparente n’estompe pas une forte « cohérence » interne.
Notes
1 Cette fascination n’est pas sans rappeler celle qu’ont pu exercer les « révolutions arabes » qui ouvriraient, par exemple pour Alain Badiou, un « temps des émeutes, par lequel se signale et se constitue un réveil de l’Histoire ». Alain Badiou, Le réveil de l’Histoire, Circonstances, 6, Paris, Lignes, 2011, p. 101.
2 UDC en Suisse romande et SVP (Schweizerische Volkspartei - parti du peuple suisse) en Suisse alémanique.
3 Avec Michaël Girod à Zurich.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Laurent Godmer, « Philippe Gottraux, Cécile Péchu, Militants de l’UDC. La diversité sociale et politique des engagés », Quaderni, 78 | 2012, 125-127.
Référence électronique
Laurent Godmer, « Philippe Gottraux, Cécile Péchu, Militants de l’UDC. La diversité sociale et politique des engagés », Quaderni [En ligne], 78 | Printemps 2012, mis en ligne le 13 décembre 2012, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/quaderni/598 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/quaderni.598
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