Vers une réception politique des dystopies destinées aux jeunes :le cas des séries de films Hunger Games, Divergente et Le Labyrinthe
Résumés
Ce texte interroge la persistance de la dimension politique des dystopies dans le cadre de leur réappropriation par l’industrie hollywoodienne dans des films à destination de la jeunesse au cours des années 2010. À travers l’étude de la réception des trois séries de films dystopiques à succès Hunger Games, Divergente et Le Labyrinthe, il cherche à mettre en avant des conditions et processus d’appropriation politique de ces objets culturels par un public de jeunes français. Les résultats permettent de décrire certains des mécanismes sur lesquels pourrait s’appuyer une réception politique à savoir : le repérage d’une intentionnalité communicationnelle, l’attribution d’une dimension didactique à ces films ou encore, la discussion de leur réalisme.
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- 1 George Miller.
- 2 Charlie Brooker, William Bridges, Jesse Armstrong.
- 3 Bruce Miller.
- 4 Le premier film a été réalisé par Gary Ross en 2012. Il a été suivi de trois séquelles réalisées (...)
- 5 N. Burger, Divergente, 2014 et R. Schwentke, Divergente 2 : L’Insurrection, 2015 et Divergente 3 (...)
- 6 W. Ball, Le Labyrinthe, 2014 ; Le Labyrinthe : La Terre brûlée, 2015 et Le Labyrinthe : Le Remède (...)
- 7 Phillip Noyce.
- 8 J Blakeson.
- 9 Jason Rothenberg.
1Les années 2010 ont connu un regain d’objets culturels médiatiques post-apocalyptiques plus fréquemment désignés sous le terme de dystopies dans la recherche académique et dans la presse. Si ce phénomène touche un large public avec des films et séries destinés aux adultes, à l’instar de la dernière séquelle de Mad Max : Fury Road1 sortie en 2015 ou encore de séries telles que Black Mirror2 et The Handmaid’s Tale3 (diffusées respectivement depuis 2011 et 2017), il représente également une part non négligeable des productions culturelles à succès destinées aux jeunes. De ce point de vue, la tétralogie cinématographique à succès Hunger Games4 ayant débuté en 2012 apparaît chronologiquement comme étant l’initiatrice de cette « vague dystopique » jeunesse avec près de trois milliards de dollars de recettes au box-office mondial. Elle semble avoir engendré un phénomène de suivisme de la part des industries culturelles à travers d’autres films tels que les trilogies Divergente5 (2014-2016) et Le Labyrinthe6 (2014-2018) ou encore The Giver7 (2014) et The 5th Wave8 (2016). De ce point de vue, les séries télévisées ne sont pas en reste. À titre d’exemple, la série The 1009 (2014), qui dépeint la réintroduction de jeunes humains sur terre après une catastrophe nucléaire compte actuellement sept saisons. La dystopie constitue donc un moment de la culture jeune dont les significations culturelles, notamment celles qu’elles revêtent pour leurs publics, restent à mettre au jour.
- 10 G. Orwell, 1984, Paris, Folio, 2019 [1949].
- 11 W. Golding, Sa Majesté des mouches, Paris, Folio, 1989 [1954].
- 12 L. Bazin, La dystopie, Clermont-Ferrand, PU Blaise Pascal, 2019, p. 36.
- 13 Ibid., p. 59.
- 14 C. Driscoll, The Hunger Games : Spectacle, Risk and the Girl Action Hero, Londres, Routledge, 201 (...)
- 15 T. Henthorne, Approaching the Hunger Games Trilogy : A Literary and Cultural Analysis, Jefferson, (...)
- 16 S. Vartian, « Guerrières, chasseresses et corps éprouvé dans la science-fiction adolescente actue (...)
- 17 J. Butler, C. Kraus trad., Trouble dans le genre, Paris, La Découverte, 2019 [1990].
- 18 Jules Sandeau, « Rébellions post-féministes », Genre, sexualité & société [En ligne], Hors-série (...)
2Plus précisément, cet article propose de questionner l’existence du politique dans des films dont la visée semble avant tout commerciale à travers l’étude de leur discours et de leur réception par un public de jeunes Français. Les séries de films Hunger Games, Divergente et Le Labyrinthe, qui seront analysées, sont celles qui ont connu le plus de succès à leur sortie au cinéma entre 2012 et 2018. Pour autant, toute dimension politique n’est pas absente de ces superproductions. Leurs schémas narratifs sont très similaires et s’inscrivent dans la filiation de 1984 de George Orwell10 en représentant des états totalitaires dans Divergente et Hunger Games ou encore, dans celle de Sa Majesté des Mouches de William Golding11 à travers la constitution de microcosmes adolescents et leur affrontement violent, parfois à mort dans les trois séries de films. Selon Laurent Bazin, les dystopies, y compris celles destinées aux jeunes, correspondent à une phase de remise en cause sociétale. Elles deviennent alors le « mode de questionnement privilégié12 » d’une époque. Il est cependant nécessaire de ne pas les réduire à leur dimension pessimiste et de rappeler le lien qui les unit aux utopies. En effet, le processus de structuration des sociétés a toujours nécessité la cohabitation d’un « optimisme enthousiaste et de pessimisme lucide13. » De ce fait, la dystopie aurait pour fonction le rappel de la nécessaire vigilance à opposer aux idéaux utopiques. En ce qui concerne notre corpus, le personnage de guerrière de Katniss Everdeen dans la série de films Hunger Games est sans doute celui qui a le plus retenu l’attention des chercheurs, suscitant de nombreux questionnements quant à sa dimension féministe. Pour Catherine Driscoll14, le personnage semble déborder le cadre du postféminisme et constituer un tournant dans les représentations genrées. Qui plus est, Tom Henthorne15 postule que l’héroïne incarne une dimension postgenre lorsqu’elle devient « le geai moqueur », symbole de révolte contre le gouvernement totalitaire de Panem. Selon Sylvie Vartian16, le progressisme d’Hunger Games repose également sur l’exposition de la facticité du genre, entendue au sens de Judith Butler17. En effet, Katniss est contrainte de participer à un jeu de téléréalité mortel où elle doit se conformer à une performance de genre correspondant aux attendus patriarcaux afin de séduire le public. Néanmoins, l’auteure et d’autres travaux à l’instar de celui de Jules Sandeau18 relativisent ce constat en soulignant l’importance des ambivalences discursives de ces films.
- 19 Si le terme de problème public se référant à Habermas est majoritairement utilisé dans cet articl (...)
- 20 Nous utilisons le terme de « dramaturgie » tel qu’il a été travaillé par Daniel Cefaï : D. Cefaï, (...)
- 21 J-P. Esquenazi, « Quand un produit culturel industriel est-il une « œuvre politique » ? », Réseau (...)
- 22 R. D. Putnam, Bowling Alone : The Collapse and Revival of American Community, New York, Simon & S (...)
- 23 Cette méthode a notamment été pratiquée par Janice Radway dans le cadre de l’étude de la réceptio (...)
- 24 S. Hall, « Codage/Décodage », in S. Hall, M. Cervulle dir., Identités et cultures. Politiques de (...)
- 25 M. Cervulle, N. Quemener, Cultural Studies. Théories et méthodes, Armand Colin, Paris, 2015.
3Il convient ainsi d’interroger la manière dont le genre dystopique, traditionnellement considéré comme politique et critique, est actualisé par de nouvelles significations en ce début de XXe siècle alors qu’il se voit réapproprié par l’industrie hollywoodienne dans des films jeunesse. La question de la persistance du politique dans ces films et de ses possibles manifestations devient alors cruciale. Nous interrogerons ce paradoxe à l’aide des théories de l’espace public19 en définissant le politique comme un processus communicationnel dépendant à la fois de la « dramaturgie20 » de problèmes publics dans ces objets culturels et de leur réception par leur public cible, la jeunesse. Nous postulerons ainsi que le succès des films Hunger Games, Divergente et Le Labyrinthe chez les jeunes repose à la fois sur leur potentiel d’évasion, de divertissement et sur leur capacité à représenter des problèmes publics actuels que les jeunes tendent à s’approprier lors du processus de réception dès lors qu’ils font écho à leur expérience de vie. Dans son article « Quand un produit culturel industriel est-il une “œuvre politique” ?21 », Jean-Pierre Esquenazi propose un certain de nombre de conditions permettant d’établir le caractère politique d’un objet culturel. Parmi elles, la mise en scène effective de problèmes publics, en ce qui concerne les textes médiatiques, mais également la formation de communautés d’interprétation en réaction à ceux-ci, effectuant des rapprochements avec des conditions sociopolitiques avérées. Ces communautés d’interprétation doivent par la suite jouer le rôle d’agents de re-publicisation des problèmes publics. Cette condition a l’avantage de rendre le politique plus observable car concrétisé par une action au sein de l’espace public. Les questions soulevées ici sont celles de l’existence de réceptions politiques plus discrètes et de la manière dont elles pourraient se traduire dans le cadre d’entretiens de recherche, si l’on part du constat que les pratiques culturelles connaissent un fort mouvement d’individualisation dans les pays occidentaux22. Ainsi, une analyse de représentations, au croisement de la sociologie et de la sémiotique, a été réalisée au préalable afin de dégager une lecture préférentielle et de pouvoir constater l’écart de sens existant entre les textes et leur réception23. En outre, l’accent a été mis sur la nécessaire contextualisation et historicisation de ces films qui doivent être replacés dans une conjoncture discursive plus large. Les outils proposés par les cultural studies et notamment Stuart Hall24, se sont de ce point de vue avérés pertinents dans la mesure où ils permettent de s’intéresser à la dimension idéologique des discours notamment à travers le concept d’« hégémonie ». Celui-ci permet de prendre en charge les effets d’unité idéologique dans un cadre conjoncturel25. Suivant ces éléments de cadrage théorique, la méthodologie des entretiens sera tout d’abord explicitée. Elle sera suivie d’une présentation succincte des résultats de l’analyse de discours. Enfin, l’accent sera mis sur l’exposition des cas de réceptions politiques parmi les individus interrogés.
- 26 A. Muxel, « Les contours de l’expérience politique des jeunes. À partir d’enquêtes récentes sur l (...)
- 27 D. Marsh, T. O’Toole, S. Jones, Young People and Politics in the UK. Apathy or Alienation ?, Lond (...)
- 28 D. Buckingham, La mort de l’enfance : Grandir à l’âge des médias, Paris, Armand Colin, 2010.
- 29 S. Painbéni, « Les collections ‘‘jeunes adultes’’ : un véritable segment de marché et non une fan (...)
- 30 A. Furlong, Youth Studies. An introduction, Oxon, Routledge, 2013.
- 31 B. G. Glaser, A. L. Strauss, La découverte de la théorie ancrée : Stratégies pour la recherche qu (...)
- 32 Nous nous sommes notamment servis de l’adaptation de cette méthode par Pierre Paillé intitulée an (...)
- 33 C. Geertz, « Du point de vue de l’indigène : sur la nature de la compréhension anthropologique », (...)
Encadré méthodologique
Notre corpus contient 24 entretiens qualitatifs semi-dirigés réalisés auprès d’un public de jeunes au cours des années 2018 et 2019. Cette population a été choisie en raison du fait que les jeunes sont le public cible de ces films. Cependant, cette étude a également souhaité questionner l’idée reçue selon laquelle les jeunes seraient totalement dépolitisés et n’auraient aucun intérêt pour les problèmes de sociétés. De nombreuses enquêtes ont démontré que, loin d’être dépolitisés, les jeunes se tournent d’avantage vers « de nouvelles formes d’expression politiques, notamment protestataires26. » D’autres travaux, en Grande-Bretagne notamment, mettent en avant le fait que les jeunes sont très peu inclus dans les discours tenus par la classe politique27. La question qui se pose ensuite est celle de la définition de bornes temporelles marquant le début et la fin de la jeunesse dans le cadre de la sélection des informateurs. En effet, la majorité des travaux portant sur la jeunesse s’accordent aujourd’hui pour considérer celle-ci comme une construction socio-historique28. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés à l’appellation « young adult » (ou « jeune adulte »), épithète actuellement utilisée dans le cinéma, l’édition et la recherche pour qualifier ces objets culturels. Celle-ci a été élaborée en marketing pour étendre le lectorat des collections habituellement destinées aux adolescents29. Entre outre, le renouvellement des thématiques abordées dans la littérature et le cinéma young adult permettent d’accentuer cet élargissement du public. Ainsi, la catégorie jeune adulte, réinscrite dans le contexte de la dystopie, correspond à deux sous-populations de la jeunesse : les adolescents et les jeunes adultes dont l’âge est généralement fixé entre 11 et 30 ans30. L’enquête a ainsi été réalisée auprès de 13 jeunes adultes et 11 adolescents dont 15 individus de sexe féminin et 9 de sexe masculin. La catégorie socioprofessionnelle des parents a été relevée. Une majorité d’individus appartient à des foyers relevant de professions intermédiaires et de cadres et professions intellectuelles supérieures. Cependant, certains des jeunes adultes interrogés sont au chômage ou dans une situation d’emploi précaire. Les enquêtés devaient avoir vu au moins une des séries de films du corpus étant donné qu’elles ont été jugées représentatives du phénomène dystopique dans la culture jeune des années 2010. Cela nous a également permis d’observer et d’analyser des digressions portant sur d’autres films ou livres dystopiques. L’analyse des données s’est appuyée sur la méthode de la « théorie ancrée », proposée par Anselm Strauss et Barney Glaser31, consistant à générer de la théorie à partir du terrain, par induction32. Cette sociologie est complétée par une anthropologie interprétative, telle qu’elle a été proposée par Clifford Geertz33, permettant d’analyser les modes d’expression « indigène » des enquêtés. Le recours aux cultural studies a permis de repérer plus aisément les potentielles formes de résistance et d’appropriation des publics.
La réflexivité dystopique : dramaturgie de problèmes publics dans le cadre d’une « modernité seconde »
- 34 A. Giddens, Modernity and self-Identity. Self and Society in The Late Modern Age, Cambridge, Poli (...)
- 35 C. Griffin, “‘What time is now ?’ : Researching Youth and Culture beyond the Birmingham school”, (...)
- 36 E. Macé, « Le conformisme provisoire de la programmation », Hermès, en ligne, 2003/3, n° 37, p. 1 (...)
- 37 E. Morin, L’esprit du temps, Paris, Grasset, 1962.
4Deux principaux niveaux de significations ressortent de l’analyse de discours. Le premier est lié à la nature générique de ces films qui restent avant tout des films jeunesse portant sur la difficile construction identitaire des personnages en régime d’individualisation réflexive34. Le second niveau de lecture tient à la représentation de problèmes publics globaux dans ces films, s’inscrivant dans une conjoncture discursive plus large. À titre d’exemple, la fragmentation sociale, ou division en districts dans Hunger Games et factions dans Divergente, renvoie au système de classement par maison selon le caractère des personnages dans la série des Harry Potter. Le discours hégémonique surplombant cette représentation est celui de l’authenticité, de l’injonction à être soi-même et de la souffrance qu’il peut aussi générer. En effet, contrairement aux autres films jeunesses, ce système génère de la violence dans les dystopies. Plus largement, et comme le souligne Christine Griffin35, ce discours d’authenticité implique que si les jeunes ont aujourd’hui le pouvoir de construire leur propre biographie, ils sont également totalement responsables de leurs échecs. Le revers de l’anti-déterminisme ainsi poussé à l’extrême est le sentiment de culpabilité qu’il peut provoquer chez ces derniers. Ces deux axes principaux laissent entrapercevoir les dynamiques de « conformisme provisoire » décrites par Éric Macé36 et propres aux industries culturelles. En effet, ces dernières, dans leur quête d’un « grand public37 » en réalité très hétérogène et dont les goûts évoluent en fonction du changement social, tentent de s’adapter en mêlant recettes éprouvées et prises de risques. Dans le cas des dystopies destinées aux jeunes, si la convention générique de la construction identitaire apparaît être un élément standardisé, la représentation de problèmes publics globaux constitue une innovation.
- 38 La performativité est ici entendue au sens de John Austin. J. L. Austin, Quand dire c’est faire, (...)
- 39 U. Beck, La société du risque : Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Flammarion, 2008 (1986)
- 40 A. Giddens, Les conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan, 1990.
- 41 A. Furlong, F. Cartmel, Young People and Social Change : Individualization and Risk in Late Moder (...)
5Étant donné que le retour du discours dystopique dans les années 2010 au sein de la culture jeune paraît conjoncturel, il convient de mettre en avant des éléments concernant son mode de fonctionnement et son contexte. Tout d’abord, la forme dystopique en tant que configuration dramatique, emphatise les problèmes publics qu’elle représente. C’est sur ce ressort dramaturgique que repose la performativité du discours dystopique38. En effet, représenter la fin du monde a pour objectif de faire, si ce n’est agir, tout du moins réfléchir aux conséquences probables de nos comportements. Ce discours semble également corrélé à la montée d’une « seconde modernité » ou « modernité tardive » théorisée par Ulrich Beck39 et Anthony Giddens40, caractérisée par la prise de conscience des risques engendrés par l’homme et l’impossibilité de les imputer à une cause externe comme cela était le cas auparavant. En outre, Ulrich Beck souligne que la mondialisation joue le rôle de facteur accélérateur et aggravant dans le cadre d’une propagation globale du risque. En revanche, à la suite d’Andy Furlong et Fred Cartmel41, nous postulons que la modernité tardive ne se caractérise point par un affaiblissement des structures mais plutôt par une invisibilisation de ces dernières. De ce point de vue, la division des sociétés dystopiques susmentionnée prend un sens supplémentaire en ce qu’elle permet de revisibiliser les inégalités socio-économique. De ce fait, ces films semblent également contenir en eux la trace de la crise économique mondiale de 2008 étant donné que les problèmes publics économiques sont les plus représentés comme nous allons maintenant le montrer.
- 42 Y. Tasker, Spectacular Bodies. Gender, genre and the action cinema, New York, Routledge, 1993.
- 43 P. Verhoeven, 1998.
- 44 Selon Noël Burch, Starship Troopers peut être interprété à la fois comme une critique des États-U (...)
- 45 Étonnamment, ce sujet n’a pas été soulevé de manière récurrente par les enquêtés même si des lect (...)
6Les résultats de l’analyse de représentations ont permis de mettre en avant quatre grandes catégories de problèmes publics dans ces films. La première concerne les problèmes publics économiques comprenant les inégalités sociales et notamment la précarité des jeunes sur le marché du travail. En effet, la mise en concurrence des jeunes dans ces fictions et la violence des combats y sont la métaphore d’un rapport de pouvoir caractéristique du marché du travail néolibéral actuel. La deuxième catégorie met en jeu des controverses d’ordre environnemental : ainsi le second film de la série Le Labyrinthe s’intitule La terre brûlée et les personnages principaux évoluent dans des paysages désertiques se référant au réchauffement climatique. Les dystopies intègrent également une critique de la société du spectacle et de la culture de masse dont elles font elles-mêmes partie. L’ambiguïté de cette critique est à réinscrire dans le cadre de l’autoréférentialité propre au cinéma postmoderne42. Elle se rapproche de celle soulevée par Noël Burch à propos de Starship Troopers43, se référant aux « code usés44 » du cinéma populaire. Cela explique la représentation d’une émission de téléréalité mortelle dans Hunger Games ou encore la présence de la thématique de l’illusion dans Divergente et Le Labyrinthe où les jeunes protagonistes se rendent compte que leur société est le résultat d’une expérimentation scientifique visant à créer des individus plus performants. Aussi, ces problèmes publics semblent se recouper entre eux puisque la problématique de la performance ne peut être séparée de celle de la concurrence sur le marché du travail. Plus généralement, les différentes catégories de problèmes publics citées semblent être subordonnées au problème public économique principal. Enfin, la dernière catégorie de problèmes publics est relative à une politique des identités et inclut des représentations relatives au féminisme, aux questions raciales et de genre, entendues au sens de constructions sociales, dans une dynamique intersectionnelle45. Ainsi, les personnages principaux d’Hunger Games et Divergente sont des femmes et la « race » et le « genre » sont déterminantes dans la capacité ou non des personnages à survivre dans ces univers hostiles et, par transposition symbolique, sur le marché du travail. Le discours dystopique semble ainsi caractéristique d’un moment où la société s’accuse elle-même à travers la culture y compris celle destinée aux jeunes. La question de la réception devient alors cruciale : les films dystopiques destinés aux jeunes parviennent-ils à les conscientiser sur les risques représentés à l’écran ?
Le repérage d’une intentionnalité communicationnelle : « le message »
- 46 S. Hall, op. cit.
7L’un des enjeux de cette étude est d’identifier d’éventuels cas de réception « politique », au sens où des problèmes publics seraient identifiés par les individus. À ce titre, il convient d’emblée de souligner le faible nombre de ces réceptions directement politiques et de les mettre en balance avec les autres types d’interprétations rencontrés. En effet, seule une petite majorité d’enquêtés a établi des liens entres les films dystopiques et la société actuelle (14 sur 24). De plus, les problèmes publics, lorsqu’ils sont perçus comme tels, sont le résultat de processus de négociation46 et d’appropriation individuels. Enfin, les enquêtés déclarent tous majoritairement aimer ces fictions car ils y retrouvent les caractéristiques propres aux films d’action et de science-fiction. Le terme relevé le plus souvent est celui de « l’évasion ». Les films dystopiques destinés aux jeunes leur permettent donc de s’échapper du quotidien notamment à travers le plaisir visuel procuré par les effets spéciaux. Le suspense, également souvent cité, est un second ressort de cette évasion en ce qu’il permet aux spectateurs de se concentrer sur l’intrigue et de « se changer les idées ». Cependant, un certain nombre d’indices lexicaux, issus de catégories de pensée propres aux enquêtés, ont permis de mettre en avant l’hypothèse d’une réception politique effective.
- 47 Les prénoms des enquêtés ont été modifiés.
- 48 Terme notamment utilisé par Olivia, étudiante en CAP esthétique de 24 ans, citée plus bas.
- 49 T. Liebes, E. Katz, The Export of Meaning : Cross–Cultural Readings of Dallas, New York, Oxford (...)
8Cette dernière a tout d’abord pu être observée à travers le repérage, récurrent chez les enquêtés, d’une intentionnalité communicationnelle dans les dystopies. Ainsi, ces derniers tendent à considérer que ces films ont « un sens profond » (Vanessa47, 25 ans, assistante administrative), qu’ils constituent des « métaphores » (Lola, étudiante en classe préparatoire littéraire de 20 ans), ou encore qu’ils développent des idées (Romain, étudiant de 20 ans en licence de LLCE). Emma, lycéenne de 16 ans et fan de Jennifer Lawrence, actrice interprétant le rôle-titre d’Hunger Games, dit de ces films que : » si on y réfléchit, ça dénonce le totalitarisme. » Phénomène rare dans les entretiens, l’enquêtée va jusqu’à emprunter au champ lexical du politique en utilisant le verbe « dénoncer » ce qui signifie qu’elle perçoit la série de films comme étant engagée. Ces nombreuses références à la présence d’un message dans ces films impliquent, d’une part, que les enquêtés ne perçoivent pas les dystopies comme de purs divertissements comme il était possible de le présumer. D’autre part, le repérage d’une intentionnalité communicationnelle renvoie également aux possibilités de résistance des publics. En effet, la reconnaissance de la présence d’un « message48 » par l’individu permet de prendre position pour ou contre. Ces capacités de résistance sont d’ailleurs rendues visibles par la manière dont le message évoqué est caractérisé, variable selon les individus. Les jeunes adultes disposant d’une certaine expertise en analyse textuelle (les étudiants en classes préparatoires ou en langue) ou encore dans le cinéma de science-fiction, considèrent que l’intention des producteurs est très explicite. Pour Hugo, 28 ans, opérateur animateur d’attractions en cours de formation, les dystopies « font réfléchir la conscience collective, quoi. Mais, je pense que même l’amateur peut s’en rendre compte, quoi. » L’amateur est ici entendu au sens de néophyte au sein du sous-genre dystopique et l’usage du terme de « conscience collective » renvoie à une perception positive de la dystopie comme promotrice de l’intérêt général. Lola, affirme quant à elle que « les ficelles sont un peu grosses en général » et que « c’est assez caricatural. » Elle exprime ainsi le fait qu’elle apprécie ces fictions tout en étant consciente de leurs mécanismes rhétoriques. Cette interprétation se rapproche fortement du concept de lecture critique proposé par Tamar Liebes et Elihu Katz49. Celle-ci se distingue des lectures référentielles en ce qu’elle intègre et verbalise le caractère construit de la fiction. Ainsi, la notion de « message » semble être la base d’une réception politique. Cependant, la nature de ce message et la capacité à l’expliciter varient selon les enquêtés.
L’attribution d’une dimension didactique à l’objet : « ça fait réfléchir »
- 50 Cet extrait constitue une réponse à la question « Est-ce que tu as un personnage préféré ? ». Plu (...)
- 51 Dans ce type de lectures, le spectateur entre dans le jeu de la fiction. Elle se caractérise, ent (...)
9Si le repérage d’une intentionnalité communicationnelle constitue la base d’une potentielle réception politique, il ne peut, pris isolément, être considéré comme un critère suffisant. En effet, de nombreux enquêtés tendent à interpréter ces films en établissant des hypothèses sur les intentions des instances de production sans particulièrement s’intéresser aux problèmes publics présents dans ces films. À titre d’exemple, Alice, 18 ans, titulaire d’un baccalauréat Vignes et vin, évoque le courage de Thomas, personnage principal du Labyrinthe : » Toi tu le fais, parce que toi, tu es toi-même. Pas parce que lui ne l’a pas fait. Et je crois qu’en fait c’est ça qu’ils ont voulu un peu faire. Et j’ai bien aimé en fait50. » Le « ils » utilisé par Alice désigne une instance de production assez floue mais porteuse, encore une fois d’une intentionnalité communicationnelle. Alice apprécie également le fait que le héros, Thomas, soit lui-même et se situe de ce fait dans une lecture à caractère référentiel51. De plus, elle paraît se situer dans le niveau de signification auquel nous faisions référence au stade de l’analyse de discours, sur le processus de construction identitaire des jeunes. Elle relie par la suite ce discours aux difficultés qu’elle a rencontrées dans le milieu scolaire et notamment à sa souffrance vis-à-vis du conformisme que l’on retrouve à l’âge de l’adolescence : » Et je me rendais compte que quand j’étais au collège, même au lycée, c’est qu’il faut toujours suivre les autres et faire comme les autres parce que si t’es pas comme les autres et bah pour eux t’es pas normal, t’es différent. T’es en dessous pour eux. » Il semblerait ainsi que ce qui retienne davantage l’attention des enquêtés dans ces films est ce qui touche à leur expérience personnelle. Cette hypothèse sera développée de nouveau un peu plus bas, lors de l’explicitation des problèmes publics retenus pas les individus interrogés.
10Cependant, bien souvent, le repérage d’une intentionnalité communicationnelle est couplé à un autre indice intéressant : l’usage récurrent de la locution « ça fait réfléchir ». Cette dernière semble paradoxale lorsqu’elle s’applique à un objet de divertissement dont la réflexion n’est pas l’usage attendu a priori. À titre d’exemple, Emma, la lycéenne fan de Jennifer Lawrence, avance que son goût pour les dystopies est lié à leur potentiel d’évasion. La série des Hunger Games lui est également particulièrement chère puisqu’il s’agit des premiers films qu’elle a vus. Elle évoque donc leur dimension « symbolique ». Lorsqu’il lui a été demandé d’expliciter la raison pour laquelle elle aimait s’évader dans des univers souvent jugés violents, elle a précisé : » Oui, dans le sens, pas forcément s’évader de la même manière. Par exemple, pas du tout dans le monde des bisounours ou quoi que ce soit. Mais ça mène à réfléchir je trouve. Et on se dit qu’on veut pas du tout vivre dans un monde comme ça. » Les propos de l’enquêtée mènent à penser que, pour elle, le processus d’évasion qui se joue dans Hunger Games repose au moins en partie sur la réflexion. Vanessa discute de la représentation pessimiste des sociétés dans les dystopies : » Mais on peut peut-être apprendre à moitié ou un quart de ce qui peut se passer. Donc, est-ce que c’est ce dont on a envie ou pas ? Ça permet de réfléchir un petit peu à ça. » Encore une fois, le verbe « réfléchir » est présent dans les propos de cette enquêtée. Il est cette fois associé au verbe « apprendre » qui laisse sous-entendre, tout comme le verbe réfléchir, que les dystopies comprennent une dimension didactique. Enfin, Romain explique : » je trouve que c’est ce qui les démarque des autres films d’action, qui sont sympas aussi mais qui… Enfin j’aime bien l’idée qu’on puisse conjuguer à la fois une forme de plaisir, avec des explosions, des combats. Et en même temps pousser, enfin au moins montrer, une forme de réflexion même si elle est pas forcément poussée à l’extrême. » Cette dimension réflexive s’inscrit dans les propos de Romain, comme une plus-value aux plaisirs traditionnels du film d’action. L’ensemble de ces discours tenus par les enquêtés met en avant le fait que les dystopies provoquent un processus de réception complexe et hybride où les plaisirs de l’action et de la réflexion seraient concomitants et complémentaires.
Le mode de l’hypothèse : » ça pourrait nous arriver »
- 52 J-P. Esquenazi, op. cit., 2011.
- 53 M. Barker, « Taking the extreme case : Understanding a fascist fan of Judge Dredd », in D. Cartme (...)
- 54 “So technically we do talk things in that sense, like you know, hypotheticals and so forth, as we (...)
11De ce point de vue, un autre type de discours fréquemment utilisé par les enquêtés s’appuie sur des expressions telles que « ça pourrait nous arriver ». Ainsi, Paul, collégien de 14 ans résume le discours dystopique de la manière suivante : » C’est un peu de la réalité mais du futur. Du coup ça prévoit en quelque sorte ça, et ça dit : ‘Faites attention ! Il y a peut-être ça qui va arriver !’« Si Paul n’utilise à aucun moment le mot « message », l’expression « ça dit » et le passage au discours direct s’y réfèrent implicitement. Le recours à l’expression « ça peut nous arriver » figure le premier pas vers une réception politique, telle que la définit Jean-Pierre Esquenazi52. Il sous-entend en effet des liens entre les sociétés imaginaires dystopiques et la société actuelle. Martin Barker53 a déjà relevé ce type d’interprétation sur le mode de l’hypothèse dans le cadre d’une étude de la réception du comic post-apocalyptique britannique 2000AD. Un de ses enquêtés évoquait ainsi son plaisir à établir des hypothèses sociologiques sur la base de sa bande-dessinée préférée et plus particulièrement du personnage du Juge Dredd54. Nous pouvons donc formuler l’hypothèse selon laquelle le genre dystopique, quand bien même il s’inscrirait dans le cadre de la culture de masse, serait tendanciellement propice à des réceptions politiques fondées sur des conjectures et des effets de transposition entre la société représentée et le monde réel. Cette catégorie de discours se retrouve chez la majorité des jeunes interrogés. Elle est également le mode de référence à la société actuelle le plus utilisé par la population adolescente de cette enquête.
Le rapprochement à un contexte sociopolitique particulier : « c’est réaliste »
12Plus troublant que le mode de l’hypothèse précédemment décrit, les enquêtés, surtout les jeunes adultes, tendent à utiliser l’adjectif « réaliste » pour qualifier ces films de science-fiction. La plupart du temps, ceux-ci s’aperçoivent du caractère antithétique de cette assertion et tentent de la relativiser à l’instar de Vanessa : » Il y a une vraie histoire derrière, de fond, de voir justement comment un système peut être mis en place, évoluer, de quelle manière etc. Donc, c’est important de dire que… On va pas forcément dire que c’est réaliste ou quoi que ce soit. Mais en tout cas on explore un peu toutes les possibilités. » L’hésitation d’Élisa, retranscrite par le biais des points de suspension, permet de supposer que le terme « réaliste » lui est venu à l’esprit en premier lieu, même si elle le rejette par la suite. Cette hésitation est également perceptible chez Olivia, étudiante en CAP esthétique de 24 ans, alors qu’elle réfléchit à la raison pour laquelle elle apprécie les dystopies : » Qu’est-ce que j’aime encore dans les films ? Ça montre un peu une autre réalité en fait de la vie. Parce que c’est pas censé être la réalité. Mais des fois sous certaines… Ils font passer des messages et des fois c’est plutôt pas mal. » L’importance du repérage d’une intentionnalité communicationnelle comme base d’une réception politique se vérifie ici de nouveau. Pour Olivia, il existe un lien de corrélation direct entre message et réalisme. En d’autres termes, ce sont les messages qui confèrent à ces films une dimension réaliste.
13La discussion du réalisme de ces films diffère du mode de l’hypothèse en s’inscrivant dans l’affirmation. Le degré de référence à la réalité est plus élevé. Subséquemment, le rapprochement à des conditions sociopolitiques particulières est également raffermi. Dans le cadre d’une réception politique, ce réalisme de la fiction semble ainsi constituer un degré supérieur à l’hypothèse. Suivant cette logique, deux types de rapprochements avec la société actuelle ont pu être constatés. Chez les adolescents, il s’agit principalement de références à l’histoire. Les propos d’Emma, cités plus haut, renvoient Hunger Games à une « dénonciation du totalitarisme » que l’enquêté situe aux alentours des années « 1930 ». Paul est du même avis en ce qui concerne la série de films et considère que : » Ça reprend un peu les anciennes… L’inégalité par exemple, ça reprend un peu le communisme ». Il est possible de postuler que ces interprétations reposent sur le cadre scolaire dans lequel évoluent actuellement ces enquêtés. En effet, les totalitarismes sont au programme du collège et du lycée et sont donc des clés d’interprétation plus accessibles pour Paul et Emma. Les jeunes adultes quant à eux, partent de ce constat de réalisme pour entamer une discussion sur les problèmes publics repérés dans les films. Ainsi, pour Romain, les dystopies permettent de : » pointer du doigt ce qui ne va pas. » Pour Hugo, elles évoquent : » les conséquences des causes actuelles. » Les dystopies sont ici envisagées comme des miroirs de la société. Les problèmes publics et controverses sont clairement évoquées à travers les locutions : » ce qui ne va pas », et « causes actuelles. » En conséquence, le second type de références à la société s’ancre dans le présent et il est surtout le fait de la population de jeunes adultes.
14Les discours récurrents reproduits ci-dessus semblent ainsi constituer autant de catégories indigènes aptes à retranscrire un rapport ordinaire au politique chez les jeunes interrogés à travers la fiction. C’est sur la somme et la complémentarité de ces catégories que peut reposer l’appropriation politique. Il semble important d’ajouter que le plus souvent, les modes d’expression de ces appropriations politiques varient suivant les enquêtés. Aussi, certaines peuvent être littéralement absentes d’un entretien mais identifiables par le biais des implicites.
Une réception sélective des problèmes publics
- 55 S. Hall, « Codage/Décodage », in S. Hall, M. Cervulle dir., op. cit., 2007.
- 56 “The liberal and libertarian model of the autonomous hero” in D. Baker, E. Schak, “The Hunger Gam (...)
- 57 J. Butler, Le récit de soi, Paris, Presses Universitaires de France, 2007. Théorie retravaillée p (...)
- 58 Plus précisément, cela signifie que le public doit le considérer comme un élément de réflexion à (...)
15La réception de problèmes publics contemporains a pu être constatée chez la majorité de la population de jeunes adultes. De ce point de vue, un phénomène d’appropriation prenant la forme d’une sélection s’opère dans tous les cas. Ainsi, le problème public le plus fréquemment cité concerne les inégalités socio-économiques vécues par les personnages. Ainsi, Thibault, documentaliste de 28 ans, considère que de nombreux personnages secondaires de dystopies » ont les mêmes vices que des gars qui sont dans une société archi-capitaliste. » Marie, assistante administrative de 25 ans, remarque qu’il y a : » toujours une lutte des classes. Les privilégiés et les plus pauvres, c’est toujours ce système-là. Il y a toujours… la lutte pour la justice sociale, financière dans ces films. » Cette sélectivité des problèmes publics entre en correspondance avec l’encodage textuel déjà mis en exergue. En effet, l’intégralité des problèmes publics mis en scène dans les dystopies sont liés et viennent en renfort au problème public économique principal. Cependant, cette appropriation est également fonction de l’expérience des individus. À titre d’exemple, Hugo a été interrogé sur la raison pour laquelle le combat entre les personnages de dirigeants les plus riches et les héros l’avait particulièrement touché. Pour répondre, il a recouru à des éléments biographiques : » C’est surtout le fait qu’on nous impose trop de trucs dans notre société. Et des fois… ça me marque, c’est dans le RER par exemple, les gens sont des robots, on leur dit ça, ça, ça. Au boulot, on leur dit ça, ça, ça. Et des fois, on s’interroge pas sur ce qu’ils pensent ou comment ils veulent le faire tu vois. C’est le fait d’imposer, moi ça m’énerve en fait. » Deux principaux sujets semblent se dégager de cet extrait. D’une part, une certaine souffrance liée à l’individualisme contemporain et d’autre part, des récriminations vis-à-vis d’une déshumanisation dans le cadre du travail. Ses propos font écho à l’analyse du modèle d’héroïsme représenté dans Hunger Games proposé par David Baker et Elena Schak. Les auteurs ont souligné que celui-ci peut être considéré comme contre-hégémonique55 dans la mesure où les héros collaborent pour trouver une solution aux problèmes qu’ils affrontent, s’opposant ainsi au modèle « libéral et libertaire du héros autonome56 » traditionnel dans le film d’action. Dans Le Labyrinthe et Divergente, les héros s’appuient également sur un système de groupe pour lutter contre les injustices auxquelles ils sont confrontés. L’hypothèse d’une appropriation sélective des problèmes publics en fonction du vécu personnel et des affects va dans le sens de la théorie de l’interpellation-réponse proposée par Judith Butler57. Effectivement, il semblerait que les individus s’approprient les dystopies en procédant à un « déplacement virtuel58 » leur permettant d’articuler leur expérience aux problèmes publics proposés par les dystopies. Cependant, d’autres éléments sont à prendre en compte tels que le stade de l’existence où se situent les jeunes adultes impliquant une certaine anxiété vis-à-vis du marché du travail (travail précaire, premiers emplois etc.). Aussi, le fait que cette génération ait vécu la crise économique mondiale de 2008 paraît être une piste intéressante.
- 59 Voir les interviews suivantes de Suzanne Collins : H. Trierweiler Hudson, “Q&A ; with Hunger Game (...)
- 60 T. Henthorne, op. cit., 2012.
- 61 K. Mallan, “Everything You Do : Young Adult Fiction and Surveillance in an Age of Security.”, Int (...)
- 62 D. Considine, « Conclusion », in T. Shary, Generation Multiplex, the Image of Youth in American C (...)
- 63 D. Buckingham, « Selling Youth : The Paradoxical Empowerment of the Young Consumer », in D. Bucki (...)
- 64 D. Baker, E. Schak, op. cit., 2019, p. 201-215. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1080/10304312.2019.1569390.
- 65 Le « transmedia storytelling » peut-être défini un récit dont la narration se déroule sur plusieu (...)
- 66 R. E. Dubrovksy, E. D. Ryalls, “The Hunger Games : Performing Not-Performing to Authenticate Femi (...)
16Ces hypothèses nécessitent cependant d’être mises en parallèle avec les conditions de production de ces films et les propos revendiqués par leurs créateurs. Suzanne Collins, l’auteure des romans Hunger Games, a déclaré avoir eu l’idée de ses livres en regardant à la télévision un reportage sur la guerre en Irak et une émission de téléréalité. Ses romans constituent selon elle, une interrogation sur ce que pourraient être les conditions d’une guerre juste mais également une critique acerbe du caractère manipulatoire des médias et de la manière dont les gouvernements peuvent se servir de la faim comme d’un moyen de pression sur la population59. Le premier tome de sa série a été publié en octobre 2008, à l’amorce des crises financière et économique. Aussi, il y a peu de chance pour que ces crises aient eu un impact sur la narration. Cependant, les adaptations cinématographiques des romans de Suzanne Collins, produites à partir de 2011, peuvent en contenir la trace, comme l’explique Tom Henthorne60. D’ailleurs, l’une des interprétations dominantes dans la littérature consiste à appréhender Hunger Games comme une métaphore de l’économie globale. L’État totalitaire de Panem représentant symboliquement le monde, sa capitale, le Capitole, les États-Unis, et les districts les plus pauvres, les pays en voie de développement dont profiteraient les États-Unis61. En outre, David Considine a constaté une tendance, à partir des années 1980, à la représentation à un niveau métaphorique de problèmes concernant les jeunes au sein du genre de la science-fiction. Au-delà des problèmes liés à la sexualité, à la drogue et à la spiritualité, l’oppression sociale et la révolte contre l’injustice sont des sujets abordés de manière croissante et récurrente dans ce genre cinématographique. Les jeunes dans ces films sont aussi dépeints comme étant de plus en plus intelligents et perspicaces62. Les travaux de David Buckingham portant sur la manière dont est actuellement construite la catégorie jeune dans les études de marketing vont en ce sens. En effet, il constate que les jeunes sont globalement définis comme un public exigeant, sophistiqué, en recherche d’évasion mais également sensible aux problématiques politiques et sociales63. C’est sans doute sur ce type de définition de la jeunesse que se sont appuyés les concepteurs de dystopies. Cependant, selon David Baker et Elena Schak64, le potentiel subversif des romans se diluerait à leur entrée dans le domaine de la propriété transmédiatique65 et ce pour des impératifs commerciaux. À titre d’exemple, les produits dérivés d’Hunger Games, poupées et lignes de maquillage et de vêtements, relèvent de l’assignation de genre en faisant le pari d’un public correspondant à une acception patriarcale du féminin. Aussi, si un effort de diversité genré et ethnoracial a été réalisé par la production, ceux-ci sont minorés, entre autres et comme le mettent en avant Rachel Dubrofski et Emily Ryalls66, par le développement d’un éthos postracial représentant la « race » comme un critère qui ne serait plus pertinent et niant par la même occasion les inégalités actuellement vécues par ces groupes.
- 67 “Social approaches to film seek an understanding of cinematic images of groups and individuals un (...)
17Dans le cadre d’une analyse sociologique du corpus, nous avons appréhendé les films comme des objets à la fois « esthétiques et culturels produits par une industrie dont le but est d’attirer des populations qui trouveront ces films dignes d’intérêt67. » Cette conception implique que les créateurs de films pour jeunes doivent s’adapter au changement social et prendre des risques pour plaire aux publics ciblés. Aussi, la mobilisation d’un genre traditionnellement considéré comme politique suppose la construction d’un public imaginé avide d’intégration à la sphère publique. Cela semble être le cas chez un certain nombre des individus que nous avons interrogés.
Conclusion
18Les résultats de notre enquête de réception suggèrent que les dystopies destinées aux jeunes peuvent être considérées comme politiques à partir du moment où elles mettent en scène un certain nombre de problèmes publics et que ces derniers sont reçus comme tels, même partiellement, par des publics jeunes. Dans le processus de réception, les formes d’appropriation que cette étude a tenté de mettre en relief sont également politiques en ce qu’elles constituent autant de stratégies de résistance des publics. Cependant, ces films demeurent avant tout des divertissements et ce pour l’intégralité des enquêtés. La réception de ces films semble hybride. Le fait que les plaisirs traditionnels de l’action et de la science-fiction se mêlent à celui de la réflexion semble caractériser l’affinité du public interrogé à cette réactualisation hollywoodienne du genre dystopique. Lorsqu’une réception politique se produit, comme chez la majorité des enquêtés, elle résulte de processus d’appropriations liés à l’histoire et à l’identité des enquêtés. Les résultats de cette étude n’ont pas vocation à être représentatifs de l’intégralité des deux sous-populations jeunes interrogées. Ils visent plutôt à comprendre d’une part si une appropriation politique est possible auprès de certains publics jeunes, ce qui semble être le cas, et à relever certains des ressorts sur lesquels cette dernière s’appuie, à savoir : le repérage d’une intentionnalité communicationnelle, l’attribution d’une dimension didactique à l’objet et l’établissement de liens entre les sociétés dystopiques et la société actuelle (sur le mode de l’hypothèse ou par le biais d’une discussion du réalisme de ces films).
Notes
1 George Miller.
2 Charlie Brooker, William Bridges, Jesse Armstrong.
3 Bruce Miller.
4 Le premier film a été réalisé par Gary Ross en 2012. Il a été suivi de trois séquelles réalisées par Francis Lawrence en 2013 (Hunger Games : L’embrasement), 2014 (Hunger Games : La Révolte, partie 1) et 2015 (Hunger Games : La Révolte, partie 2). Dans cette série de films, la société est divisée en douze districts pauvres correspondants à des secteurs économiques et dirigés par l’État totalitaire de Panem. Chaque année les Hunger Games, jeu de téléréalité mortel, sont organisés par l’état pour empêcher les différents districts de se révolter. Deux enfants de 12 à 18 ans, appelés tributs, sont sélectionnés dans chaque district pour s’affronter dans une arène. Le vainqueur, seul survivant de l’émission, sera nourri à vie par l’état. L’héroïne, Katniss Everdeen, déclenche une révolte en montrant sa colère face aux caméras suite à la mort d’une enfant de 11 ans et en faisant mine de se suicider pour que l’émission autorise deux vainqueurs.
5 N. Burger, Divergente, 2014 et R. Schwentke, Divergente 2 : L’Insurrection, 2015 et Divergente 3 : Au-delà du mur, 2016. La société de Divergente est divisée en 5 factions : Audacieux, Altruistes (gouvernement), Érudits, Sincères et Fraternels. À 16 ans, les adolescents sont soumis à des tests et doivent choisir la faction à laquelle ils souhaitent appartenir. L’héroïne, Béatrice Prior, échoue aux tests car elle dispose de qualités propres à toutes les factions : elle est divergente. Elle choisit finalement les Audacieux et se voit contrainte de déjouer un putsch organisé par la faction des Érudits souhaitant dérober le pouvoir aux Altruistes. À l’issue de cette première victoire, Béatrice découvre que cette société était le fruit d’une expérimentation scientifique visant à créer des individus meilleurs (les divergents qui étaient alors stigmatisés).
6 W. Ball, Le Labyrinthe, 2014 ; Le Labyrinthe : La Terre brûlée, 2015 et Le Labyrinthe : Le Remède mortel, 2018. Dans Le Labyrinthe, des adolescents ayant perdu la mémoire sont enfermés dans un espace clos appelé « le bloc ». Le seul moyen de s’évader du bloc est de s’échapper du labyrinthe, rempli de monstres, qui y est attenant. Le héros, Thomas, réussit à mener ses amis hors du labyrinthe après de nombreux morts. Ces derniers découvrent alors que le labyrinthe n’était qu’une expérience scientifique mise en place par un organisme appelé WICKED. Ils se retrouvent sur une planète désertique où un mystérieux virus a transformé une partie de l’humanité en zombies. Certains enfants du labyrinthe semblent être immunisés et se mettent à la recherche d’un remède.
7 Phillip Noyce.
8 J Blakeson.
9 Jason Rothenberg.
10 G. Orwell, 1984, Paris, Folio, 2019 [1949].
11 W. Golding, Sa Majesté des mouches, Paris, Folio, 1989 [1954].
12 L. Bazin, La dystopie, Clermont-Ferrand, PU Blaise Pascal, 2019, p. 36.
13 Ibid., p. 59.
14 C. Driscoll, The Hunger Games : Spectacle, Risk and the Girl Action Hero, Londres, Routledge, 2018.
15 T. Henthorne, Approaching the Hunger Games Trilogy : A Literary and Cultural Analysis, Jefferson, McFarland, 2012.
16 S. Vartian, « Guerrières, chasseresses et corps éprouvé dans la science-fiction adolescente actuelle : le cas des Hunger Games de Suzanne Collins », Recherches féministes , vol. 27, n° 1, en ligne, 2014, p. 113-128. http://id.erudit.org/iderudit/1025418ar
17 J. Butler, C. Kraus trad., Trouble dans le genre, Paris, La Découverte, 2019 [1990].
18 Jules Sandeau, « Rébellions post-féministes », Genre, sexualité & société [En ligne], Hors-série n° 3, 2018, mis en ligne le 1er novembre 2018, consulté le 29 avril 2019. URL : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gss/4442 ; DOI : 10.4000/gss.4442.
19 Si le terme de problème public se référant à Habermas est majoritairement utilisé dans cet article, nous y intégrons sa critique et son retravail par Nancy Fraser à l’aide d’une approche conflictualiste. Voir J. Habermas, L’espace public : Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1988 ; et N. Fraser, M. Valenta, « Repenser la sphère publique : une contribution à la critique de la démocratie telle qu’elle existe réellement », Extrait de Habermas and the Public Sphere, sous la direction de Craig Calhoun, Cambridge, MIT Press, 1992, p. 109-142, Hermès, n° 31, 2001/3, p. 125-156, traduction française publiée dans Hermès de la contribution de Nancy Fraser à l’ouvrage collectif dirigé par Craig Calhoun, Habermas and the Public Sphere.
20 Nous utilisons le terme de « dramaturgie » tel qu’il a été travaillé par Daniel Cefaï : D. Cefaï, « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques », Réseaux, vol. 14, n° 75, en ligne, 1996, p. 43-66. https://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1996_num_14_75_3684
21 J-P. Esquenazi, « Quand un produit culturel industriel est-il une « œuvre politique » ? », Réseaux, n° 167, en ligne, 2011/3, p. 189-208. https://www.cairn.info/revue-reseaux-2011-3-page-189.htm#
22 R. D. Putnam, Bowling Alone : The Collapse and Revival of American Community, New York, Simon & Schuster, 2000.
23 Cette méthode a notamment été pratiquée par Janice Radway dans le cadre de l’étude de la réception de romans à l’eau de rose. J. Radway, Reading the Romance : Women, Patriarchy, and Popular Literature, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1991.
24 S. Hall, « Codage/Décodage », in S. Hall, M. Cervulle dir., Identités et cultures. Politiques des cultural studies, Paris, Éditions Amsterdam, 2007.
25 M. Cervulle, N. Quemener, Cultural Studies. Théories et méthodes, Armand Colin, Paris, 2015.
26 A. Muxel, « Les contours de l’expérience politique des jeunes. À partir d’enquêtes récentes sur les 18-25 ans », Informations sociales, n° 136, en ligne, 2006/8, p. 70-81. https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2006-8-page-70.htm
27 D. Marsh, T. O’Toole, S. Jones, Young People and Politics in the UK. Apathy or Alienation ?, Londres, Palgrave Macmillan, 2007.
28 D. Buckingham, La mort de l’enfance : Grandir à l’âge des médias, Paris, Armand Colin, 2010.
29 S. Painbéni, « Les collections ‘‘jeunes adultes’’ : un véritable segment de marché et non une fantaisie d’éditeurs », Lecture Jeune, n° 137, mars 2011, p. 18-24.
30 A. Furlong, Youth Studies. An introduction, Oxon, Routledge, 2013.
31 B. G. Glaser, A. L. Strauss, La découverte de la théorie ancrée : Stratégies pour la recherche qualitative, Paris, Armand Colin, 2017 [1967].
32 Nous nous sommes notamment servis de l’adaptation de cette méthode par Pierre Paillé intitulée analyse par catégories conceptualisantes. La grille d’analyse développée se compose de différentes étapes. La codification, proche de l’analyse de contenu, la catégorisation, la mise en relation des catégories entre elles et avec d’autres théories, l’intégration argumentative et enfin la modélisation. L’outil que constitue la catégorie conceptualisante vise à la fois à résumer et à formuler une hypothèse sur un phénomène « sous la forme d’une brève expression ». P. Paillé, A. Mucchielli, L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, 2012, p. 316.
33 C. Geertz, « Du point de vue de l’indigène : sur la nature de la compréhension anthropologique », in Savoir local, savoir global, Paris, Presses Universitaires de France, 1986. Voir aussi : C. Geertz, « La description dense. Vers une théorie de la culture », in Cefaï, Daniel, L’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 2003 (1973).
34 A. Giddens, Modernity and self-Identity. Self and Society in The Late Modern Age, Cambridge, Polity Press, 1991.
35 C. Griffin, “‘What time is now ?’ : Researching Youth and Culture beyond the Birmingham school”, in D. Buckingham, S. Bragg, M. J. Kehily dir., Youth Cultures in the Age of Global Media, Londres, New-York, Palgrave Macmillan, 2014.
36 E. Macé, « Le conformisme provisoire de la programmation », Hermès, en ligne, 2003/3, n° 37, p. 127-135. https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-hermes-la-revue-2003-3-page-127.htm
37 E. Morin, L’esprit du temps, Paris, Grasset, 1962.
38 La performativité est ici entendue au sens de John Austin. J. L. Austin, Quand dire c’est faire, Paris, Seuil, 1991 (1962). La performativité des discours apocalyptiques a notamment été mise en avant par Michael Fœssel : Après la fin du monde. Critique de la raison apocalyptique, Paris, Seuil, 2012.
39 U. Beck, La société du risque : Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Flammarion, 2008 (1986).
40 A. Giddens, Les conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan, 1990.
41 A. Furlong, F. Cartmel, Young People and Social Change : Individualization and Risk in Late Modernity, Open University Press, Buckingham, 1997.
42 Y. Tasker, Spectacular Bodies. Gender, genre and the action cinema, New York, Routledge, 1993.
43 P. Verhoeven, 1998.
44 Selon Noël Burch, Starship Troopers peut être interprété à la fois comme une critique des États-Unis adressée aux élites libérales notamment européennes et comme une critique parodique, quelque peu cynique, de la télévision et du cinéma « populaire ». N. Burch, « Double speak. De l’ambiguïté tendancielle du cinéma hollywoodien. », Réseaux, vol. 18, n° 99, en ligne, 2000. Dossier « Cinéma et réception », p. 99-130, https://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_2000_num_18_99_2197
45 Étonnamment, ce sujet n’a pas été soulevé de manière récurrente par les enquêtés même si des lectures différenciées apparaissent suivant leur genre. À titre d’exemple, genre cinématographique et gender tendent à se mêler dans une lecture propre aux adolescents de genre masculin. En effet, ces derniers effectuent souvent des rapprochements entre la dystopie et le genre du film d’horreur. À ces rapprochements s’additionne une volonté de vivre l’apocalypse. Mohammad, élève de collège de 14 ans que nous avons interrogé, affirme ainsi : » Je pense aussi que j’aimerais bien vivre ça au moins une fois. ». Rhona Berenstein a souligné l’importance du visionnage de film d’horreur en tant que pratique sociale de groupe. Cette pratique de groupe serait le lieu de performances de genre au sens théâtral du terme. Participants masculins et féminins auraient à jouer des rôles différents. Brigid Cherry a ainsi expliqué que les jeunes femmes devraient se montrer plus effrayées qu’elles ne le seraient en réalité. Les adolescents semblent donc se servir des dystopies du corpus comme d’un support, parmi d’autres, de construction des identités de genre. Voir. R. J. Berenstein, B J., Attack of the Leading Ladies : Gender, Sexuality and Spectatorship in Classic Horror Cinema., New York, Columbia University Press, 1996 et B. Cherry, “Refusing to Refuse to Look : Female Viewers of the Horror Film”, in M. Stokes, R. Maltby dir., Identifying Hollywood’s Audiences., 1999 et D. Pasquier, « “Chère Hélène” . Les usages sociaux des séries collège. », Réseaux, vol. 13, n° 70, 1995. « Médias, identité, culture des sentiments », p. 9-39 ; K. W. Crenshaw, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur », O. Bonis trad., Cahiers du Genre, n° 39, 2005, p. 51-82. https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-cahiers-du-genre-2005-2-page-51.htm
46 S. Hall, op. cit.
47 Les prénoms des enquêtés ont été modifiés.
48 Terme notamment utilisé par Olivia, étudiante en CAP esthétique de 24 ans, citée plus bas.
49 T. Liebes, E. Katz, The Export of Meaning : Cross–Cultural Readings of Dallas, New York, Oxford University Press 1990.
50 Cet extrait constitue une réponse à la question « Est-ce que tu as un personnage préféré ? ». Plus précisément, l’enquêtée évoque ici son admiration pour le héros qui prendrait des initiatives courageuses pour régler les problèmes par opposition aux personnages secondaires qui ne feraient que suivre les ordres qu’on leur donne. Ces initiatives courageuses découlent, selon elle, de la capacité du personnage à « être lui-même ».
51 Dans ce type de lectures, le spectateur entre dans le jeu de la fiction. Elle se caractérise, entre autres, par des modes de référence aux personnages et à leur expérience comme s’ils existaient réellement. Dans le cadre des lectures référentielles, des ponts sont également régulièrement établis entre l’expérience des personnages et la vie quotidienne des enquêtés. Il est important de préciser que lectures référentielles et lectures critiques peuvent être concomitantes, même si l’analyse laisse souvent entrevoir une dominante. T. Liebes, E. Katz, op. cit.
52 J-P. Esquenazi, op. cit., 2011.
53 M. Barker, « Taking the extreme case : Understanding a fascist fan of Judge Dredd », in D. Cartmell, I. Q. Hunter, H. Kaye, I. Whelehan dir., Trash Aesthetics. Popular Culture and its Audience, Londres, Pluto Press, 1997, p. 14-30.
54 “So technically we do talk things in that sense, like you know, hypotheticals and so forth, as well as talking on a sociological basis”, Ibid. p. 24.
55 S. Hall, « Codage/Décodage », in S. Hall, M. Cervulle dir., op. cit., 2007.
56 “The liberal and libertarian model of the autonomous hero” in D. Baker, E. Schak, “The Hunger Games : transmedia, gender and possibility”, Continuum : Journal of Media & Cultural Studies, vol. 33, n° 2, p. 210. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1080/10304312.2019.1569390.
57 J. Butler, Le récit de soi, Paris, Presses Universitaires de France, 2007. Théorie retravaillée par Jean-Pierre Esquenazi. J-P. Esquenazi, op. cit., 2011.
58 Plus précisément, cela signifie que le public doit le considérer comme un élément de réflexion à part entière et légitime d’un point de vue sociopolitique. Ibid., p. 196.
59 Voir les interviews suivantes de Suzanne Collins : H. Trierweiler Hudson, “Q&A ; with Hunger Games Author Suzanne Collins, Scholastic Instructor”, 2009, en ligne : https://www.scholastic.com/teachers/articles/teaching-content/qa-hunger-games-author-suzanne-collins/ Pocket Jeunesse [en ligne], « Suzanne Collins : l’interview du 10ème anniversaire », Lisez, 15 avril 2020. https://www.lisez.com/actualites/suzanne-collins-linterview-du-10eme-anniversaire/1624
60 T. Henthorne, op. cit., 2012.
61 K. Mallan, “Everything You Do : Young Adult Fiction and Surveillance in an Age of Security.”, International Research in Children’s Literature, 2014, p. 1–17 doi :10.3366/ircl.2014.0110. Voir aussi A. Sullivan, “‘Working for the Few :’ Fashion, Class and Our Imagined Future” in The Hunger Games, Film, Fashion and Consumption, 2014, p. 181–194. doi :10.1386/ffc.3.3.181_1.
62 D. Considine, « Conclusion », in T. Shary, Generation Multiplex, the Image of Youth in American Cinema since 1980, Austin, University of Texas Press, 2014, p. 299-300.
63 D. Buckingham, « Selling Youth : The Paradoxical Empowerment of the Young Consumer », in D. Buckingham, S. Bragg, M. J. Kehily, Dir., op. cit., 2014, p. 203-204.
64 D. Baker, E. Schak, op. cit., 2019, p. 201-215. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1080/10304312.2019.1569390.
65 Le « transmedia storytelling » peut-être défini un récit dont la narration se déroule sur plusieurs plateformes médiatiques à la fois (livres, internet, films etc.). Voir H. Jenkins, « Transmedia Storytelling and Entertainment : An Annotated Syllabus. », Continuum, vol. 6, 2010, pp. 943–958, doi :10.1080/10304312.2010.510599.
66 R. E. Dubrovksy, E. D. Ryalls, “The Hunger Games : Performing Not-Performing to Authenticate Femininity and Whiteness.”, Critical Studies in Media Communication, n° 31, 2014, p. 395- 409. doi :10.1080/15295036.2013.874038
67 “Social approaches to film seek an understanding of cinematic images of groups and individuals under the tacit assumption that films are both aesthetic and cultural documents produced by an industry whose aim is to appeal to populations that will find the films worth seeing.” in T. Shary, op. cit., 2014, p. 13.
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Référence papier
Sandra Hamiche, « Vers une réception politique des dystopies destinées aux jeunes :le cas des séries de films Hunger Games, Divergente et Le Labyrinthe », Quaderni, 102 | 2021, 87-104.
Référence électronique
Sandra Hamiche, « Vers une réception politique des dystopies destinées aux jeunes :le cas des séries de films Hunger Games, Divergente et Le Labyrinthe », Quaderni [En ligne], 102 | Hiver 2020-2021, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/quaderni/1885 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/quaderni.1885
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