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Dossier

La communication et l’entreprise, d’un siècle à l’autre

De l’entreprise post-marshallienne à l’entreprise plateforme.Le point de vue d’un économiste
Communication and firms, from one century to the next one.
From the post-marshallian firm to the platform firm. An economic approach.
Bernard Paulré
p. 39-67

Résumés

L’introduction de la communication dans l’étude économique de l’entreprise pose à l’économiste un problème intéressant même s’il n’est pas nouveau : celui de la nature et du degré d’abstraction requis pour que les conclusions de son analyse de l’entreprise aient une certaine portée générale et permettent de répondre aux problèmes qu’il se pose, en tant qu’économiste.
Nous allons nous intéresser d’abord à la façon dont la théorie microéconomique commence par évincer, puis réintroduit la communication et l’information. Les limites de ce cadre d’interprétation conduiront, dans le prolongement des travaux des économistes behavioristes notamment (H. Simon, R. M. Cyert et J. G. March), à privilégier l’organisation et non plus l’entreprise comme cadre et objet d’analyse. Nous rendrons compte des diverses façons dont la commu­nication et l’information sont alors introduites comme éléments de l’organisation.
Mais le dépassement de cette perspective devient à son tour nécessaire à partir du moment où la diffusion et la pénétration massive du numérique et des réseaux sociaux changent la nature et la logique de fonctionne­ment de ce qu’on appelle les entreprises plateformes. Une nouvelle forme d’entreprise émerge, que certains considèrent déjà comme la forme emblématique de la société de l’information. Ses caractéristiques sont telles que ni le cadre d’analyse microéconomique, ni le cadre d’analyse organisationnel ne sont adaptés à sa nature. Plus particulièrement, l’idée d’un fonctionnement « intérieur » produisant un comportement global en interaction avec un environnement ne semble plus une façon pertinente d’aborder cette nouvelle structure. Un nouveau type de représentations’impose.

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Texte intégral

Je remercie Christine Barats (Université Paris Descartes) pour ses conseils et suggestions toujours utiles. La présente version de cet article lui doit beau­coup. Bien entendu, je garde l’entière responsabilité de toutes les erreurs, incohérences ou insuffisances qui pourraient subsister. 

Introduction et position des problèmes

  • 1 Ce principe fut ainsi formulé par Guillaume d’Oc­kham : « Les multiples ne doivent pas être utilisé (...)
  • 2 Le réalisme immédiat correspond au premier des quatre modes de perception selon Spinoza : « une per (...)
  • 3 Le débat sur le réalisme des hypothèses mobilisa une bonne partie des économistes les plus réputés (...)

1L’introduction de la communication dans l’étude de l’entreprise pose à l’économiste un problème intéressant même s’il n’est pas nouveau : celui de la nature et du degré d’abstraction requis pour que les conclusions de son analyse de l’entreprise aient une certaine portée générale et permettent de répondre aux problèmes qu’il se pose, en tant qu’économiste. Comme les chercheurs d’autres disciplines, celui-ci doit épistémologiquement composer avec plusieurs contraintes dont celle, bien connue du rasoir d’Ockham également désigné comme un principe de parcimonie1. Ce qui revient aussi à reconnaître que le réalisme immédiat, c’est-à-dire la perception ordinaire, ne saurait être un guide dans l’élaboration de modèles ou de théories2. Dit autrement : le réalisme primaire ne peut servir de critère à ce que l’on doit ou non intégrer dans un modèle3.

  • 4 Nous pensons qu’il faut prendre en considération ces deux notions dont nous verrons plus loin qu’el (...)
  • 5 Sur le pouvoir et sur sa place dans la théorie éco­nomique, cf. F. Perroux, 1973, Pouvoir et économ (...)
  • 6 Présente de façon indirecte au travers de formes simplifiées comme la notion de fonction de product (...)
  • 7 Par exemple : souligner le rôle informationnel du prix. Ou encore mesurer le pouvoir de marché par (...)

2Considérant essentiellement l’entreprise comme un centre de décision soumis aux contraintes et aux opportunités du marché, le microécono­miste « standard » a pris l’habitude de sacrifier un certain nombre de variables et de relations dans un souci d’efficacité dont la teneur, c’est-à-dire la nature de l’exigence qu’il induit, en fait, est elle-même discutable. L’information et la communication4 font partie de ces variables longtemps négligées par la théorie microécono­mique, tout comme le pouvoir5 et la technique6. Sauf, bien sûr, à convenir qu’elles sont présentes mais sous des formes triviales, donc inintéres­santes7.

  • 8 G. Bateson, 1979, Mind and Nature, Fontana/Col­lins. On peut aussi se référer à McKay
  • 9 J’insiste sur la distinction entre information et don­nées : ce qui fait l’objet d’une transmission (...)
  • 10 À strictement parler, dans le prolongement de la note 9, on ne peut définir la communication comme (...)

3Suivant principalement, G. Bateson8, j’appelle ici information tout message et/ou toute perception qui produit un effet sur le comportement ou sur l’état cognitif d’un individu9. Selon la même philosophie, j’appelle communication une séquence de messages entre des individus, ces messages pouvant prendre des formes variées10.

  • 11 Principalement, J. Piaget, 1967, Biologie et connaissance, Gallimard.

4Enfin, suivant J. Piaget11, j’appelle connaissance ce qui est assimilé et incorporé, en des schémas moteurs ou intellectuels, par l’individu à partir de ses expériences ou de ses informations et en fonction de structures déjà existantes qui peuvent être éventuellement modifiées.

  • 12 L’introduction ici de la notion de paradigme per­mettrait d’éclairer le propos, mais nous ne souhai (...)
  • 13 Pour paraphraser F. Perroux, la question n’est pas de savoir si un modèle est une simplification ou (...)

5L’introduction en microéconomie, sous des formes riches et non triviales, de ces notions soulève des questions théoriques qui peuvent déboucher sur l’extension de l’objet d’étude, au besoin en remettant en cause le cadre existant et en plaidant pour son renouvellement sinon son dépassement12. L’opération est d’autant plus délicate que, comme nous l’avons observé, on ne saurait justifier (voire exiger) l’introduction de ces variables et de ces relations dans la théorie microéconomique de l’entreprise uniquement sur la base de la perception ordinaire qu’on peut en avoir13.

6C’est pour cette raison que, dans le processus de recherche, nombreux et inévitables sont les allers-retours du chercheur entre le cadre théorique ou conceptuel existant (qui met l’esprit au repos, comme disait Shackle), les analyses empiriques (qui ont tendance, dans une démarche explora­toire compréhensible, à multiplier les hypothèses et les variables), et les efforts de modélisation ou de théorisation qui souvent, faute de pouvoir faire mieux, ne saisissent que certains aspects ou ne sont valables que dans certaines conditions.

7Dans cet article nous proposons une interprétation du type de cheminement qui enveloppe l’intro­duction de la communication et de l’information dans la théorie économique de l’entreprise. Ce processus comprend selon nous trois orientations apparues successivement :

    • 14 Exemple de « compromis » : la démarche consis­tant à considérer l’information comme un bien et une (...)

    La première orientation est celle qui consiste en l’introduction de l’information et de la commu­nication dans le cadre microéconomique tradi­tionnel, éventuellement modifié mais sans que le cadre conceptuel de base soit remis en cause. On imagine les compromis analytiques qui doivent accompagner cette introduction compte tenu du contexte conceptuel et théorique dans laquelle elle doit s’inscrire, et le caractère éventuellement partiel des théories qui sont proposées14.

  • La seconde orientation marque une rupture théorique et épistémologique avec l’approche économique de l’entreprise habituellement qualifiée de néoclassique en substituant au concept d’entreprise, tel que les économistes le conçoivent, celui d’organisation, ce qui ouvre la voie à une analyse en principe plus riche du fonctionnement interne et des buts poursuivis.

    • 15 Les plateformes numériques sont des dispositifs d’intermédiation mettant en relation sur internet d (...)
    • 16 Un réseau social numérique est une plateforme numérique qui permet de se mettre en relation avec d’ (...)

    Le troisième axe, dont on ignore encore si l’on peut parler à son propos d’une orientation nou­velle, consiste à s’intéresser à de nouvelles formes d’entreprises dont l’apparition s’explique par une numérisation à la fois intensive et extensive. La nouvelle forme qui retient ici notre attention est ce qu’on appelle l’entreprise plateforme : une entreprise dont l’activité est en totalité centrée sur la gestion et l’exploitation, sous des formes variées, de la plateforme15 qu’elle a installée et à laquelle elle est identifiée, des données sur les usagers recueillies de cette façon, et des services payants offerts aux différentes catégories d’usagers (individus : espace de stockage p. e. ; entreprises : publicité diffusée via la plate­forme…). Cette forme est particulière parce que la distinction entre l’intérieur et l’extérieur de la firme a désormais un caractère secondaire sinon problématique. Au travers, notamment, de la gestion de réseaux sociaux16, ce type d’entreprise capte les contributions d’acteurs extérieurs (qui ne lui sont pas subordonnés) qu’elle mobilise et utilise à son profit. De plus elle contribue à organiser et structurer leurs interactions.

  • 17 L’espace de temps qui sépare la publication en 1964 de l’ouvrage de R. Marris (The Economic Theory (...)
  • 18 « Légitime » : aux yeux de ceux qui adhèrent à cette conception de l’économie.

8Ce qui nous semble ici le plus important, c’est moins le cheminement lui-même que l’écart entre ses deux extrémités. Autrement dit, ce qui nous interpelle, c’est le passage, en une quarantaine d’années17, du recours banal et considéré comme légitime18 à une conception de l’entreprise privilégiant les activités productives et conçue en termes d’équilibre et de marché, à un nouveau type d’entreprise, que nous appelons l’entreprise plateforme, manifestation emblématique du pas­sage à la société numérique et dont la principale caractéristique est de créer et gérer des réseaux sociaux. Le passage au numérique et aux réseaux sociaux est, selon nous, une mutation historique plus significative que celle, plus méthodologique, de la transition de la théorie microéconomique à la théorie des organisations. D’où le titre de notre article.

9Cette activité économique nouvelle (la gestion des réseaux sociaux) associée à une forme nouvelle d’entreprise (la plateforme) interpelle inévitablement l’économiste. Pour analyser cette évolution nous nous appuierons en partie sur l’approche d’Alfred Chandler, spécialiste de l’étude des transformations historiques des structures d’entreprise.

10Nous pourrions insister sur le décalage inévi­table entre les changements d’organisation de la société ou de certains de ses sous-ensembles et les représentations rationnelles que sont conduits à en proposer les spécialistes pour leur usage. Mais cela importe peu, car ce sont bien désormais les manifestations nouvelles de l’économie et de la société numérique que les chercheurs doivent affronter. Tout laisse à penser qu’une mutation historique est en cours et que nous ne pouvons, au plan conceptuel ou théorique, l’ignorer.

  • 19 Une seule illustration de ces performances : en 2019, selon le classement annuel de Fortune, Micro­ (...)

11Entendons-nous bien : nous ne prétendons pas que les entreprises plateformes sont le modèle de toutes les entreprises du futur et qu’elles préfigurent une mutation complète et radicale. Nous pensons plutôt que ce type d’entreprise tendra à occuper une place dominante. Et nous ne visons pas ici ses performances économiques et financières19.

12Il nous semble indiscutable qu’il arrive un moment, dans une discipline ou une thématique, où la question du réaménagement du cadre théo­rique existant ne peut même plus se poser, tant les phénomènes dont on cherche à rendre compte sont d’une nature radicalement et essentiellement différente de ceux qu’on analysait jusque-là. Le degré d’abstraction n’est plus en cause. C’est sa nature qui importe. Si l’essence de l’objet d’étude change, nous devons changer de représentation sinon de paradigme.

13C’est dans cet esprit que nous posons la question de l’introduction et de la place de la communi­cation dans l’économie d’entreprise et les orga­nisations. Nous allons nous intéresser d’abord à la façon dont la théorie microéconomique évince d’abord, et introduit ensuite, la communication et l’information (deuxième partie). Les limites de ce cadre d’interprétation amèneront, dans le pro­longement des travaux fondateurs de H. Simon notamment, à privilégier l’organisation et non plus l’entreprise comme cadre et objet d’analyse. Nous rendrons compte des diverses façons dont la communication et l’information sont alors introduits comme éléments de l’organisation (troisième partie). Mais le dépassement de cette perspective nous semble devenu nécessaire à partir du moment où la diffusion et la pénétration massive du numérique et des réseaux sociaux change la nature et la logique de fonctionnement de ce qu’on appelle les entreprises plateformes. Une nouvelle forme d’entreprise émerge, que certains considèrent déjà comme la forme emblématique de la société de l’information. Ses caractéristiques sont telles que ni le cadre d’analyse microéconomique, ni le cadre d’ana­lyse organisationnel ne sont adaptés à sa nature. Plus particulièrement, l’idée d’un fonctionnement « intérieur » produisant un comportement global en interaction avec un environnement ne semble plus une façon pertinente d’aborder cette nouvelle structure. Un nouveau type de représentation s’impose. C’est ce point qui sera développé dans la quatrième et ultime section.

14Bien entendu, nous ne pouvons, dans les limites de cet article, développer pleinement tous les arguments et toutes les illustrations qu’appelle notre propos. Convenons que notre ambition se limite à suggérer et à esquisser la mise en perspective d’une évolution dont les manifes­tations contemporaines nous semblent déjà prégnantes.

Communication, information et théorie microéconomique de l’entreprise

  • 20 En fait, la question de savoir ce que recouvre exac­tement « la » théorie microéconomique de l’entr (...)

15Partons d’une conception précise du domaine que nous visons ici : nous appelons théorie micro-économique de l’entreprise une théorie destinée à rendre compte du comportement économique global de l’entreprise, c’est-à-dire des décisions relatives au niveau de sa production, à l’usage de ses ressources, à ses investissements et à sa stratégie concurrentielle. Ce type de théorie a le plus souvent pour caractéristique de privilégier le principe d’un équilibre de marché comme l’un des facteurs de détermination du comportement de l’entreprise. Cet équilibre peut être concurren­tiel ou de concurrence imparfaite. Ainsi présentée on peut baptiser cette théorie de l’entreprise de post-marshallienne dans la mesure où elle s’est constituée, à partir des années 1920, à la fois dans le prolongement et comme dépassement des analyses de A. Marshall. Ceci par opposition à la conception walrasienne qui traite essentiellement d’un équilibre général20.

16Dans la théorie microéconomique la plus traditionnelle, c’est-à-dire celle que l’on trouve habituellement dans les manuels, l’information, la communication et, d’une certaine façon, le pouvoir et même la technique semblent avoir été traités pendant longtemps sur le mode de l’éviction plutôt que sur celui de l’intégration. Lorsqu’ils sont (enfin) introduits, c’est toujours de façon indépendante et à partir de modèles le plus souvent partiels et statiques.

  • 21 K. J. Arrow et G. Debreu, 1954. “Existence of an equilibrium for a competitive economy”, Economet­r (...)

17Pour constater l’éviction de l’information il suffit de reprendre la théorie de l’équilibre général de concurrence pure et parfaite et, plus précisé­ment, la formalisation proposée par K. Arrow et Debreu21. Ils posent le principe que les agents sont supposés prendre à l’avance des engagements d’achats conditionnés par la réalisation d’une situation (d’un état du monde) qui, au moment où ils se décident, est incertaine. L’indétermination ne sera levée que le moment venu puisque chaque état du monde ou chaque évènement particulier est daté. La difficulté résultant de l’incertitude est ainsi contournée par le recours à la définition de ce qu’on appelle des marchés contingents c’est-à-dire l’hypothèse de l’existence d’un marché à terme pour chaque bien, à chaque période et selon les états du monde possibles. D’un seul coup l’information, l’incertitude, la communication et l’anticipation se trouvent ipso facto évincées. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que nous interprétions l’introduction de biens et de marchés contingents comme une stratégie de contournement destinée à ne pas affronter la question du degré et de la nature des informations dont disposent les agents économiques.

  • 22 The Meaning of Competition 1946, reproduit in Individualism and Economic Order, Routledge & Kegan P (...)
  • 23 Ibid. p. 96.
  • 24 Ibid., pp. 96-97.

18Rien de mieux qu’un économiste pour critiquer une théorie économique. Il suffit de relire Hayek pour disposer de tous les arguments permettant de dénoncer l’éviction de l’information et de la connaissance dans la théorie de l’équilibre concurrentiel : « La concurrence est par nature un processus dynamique dont les caractéristiques essentielles sont laissées de côté par les hypo­thèses qui sous-tendent l’analyse statique…22 » Ou encore : « La publicité, la guerre des prix, l’amélioration (‘différenciation’) des biens ou des services produits sont exclues par défini­tion23. » Et : « Spécialement remarquable à ce propos est l’exclusion explicite et complète de la théorie de la concurrence pure et parfaite, de toutes les relations personnelles existantes entre les parties [alors que] dans la vie réelle, le fait que notre connaissance inadéquate des biens ou des services disponibles est le produit de notre expérience avec les personnes ou les firmes qui les offrent… est l’un des faits les plus importants qui nous permettent de résoudre nos problèmes quotidiens24. »

  • 25 F. Hayek, 1945, “The use of knowledge in society”, American Economic Review, vol. 35, n° 4.
  • 26 Citons plus particulièrement, G. Stigler (“The eco­nomics of information”, Journal of Political Eco (...)

19Les économistes ont, depuis, emprunté bien des chemins pour commencer à prendre en compte l’information, la communication ou la connais­sance. L’un de ceux-ci consiste à revenir sur la notion de marché et à en approfondir le caractère de système de communication. Telle est la voie empruntée très tôt par F. Hayek25. Au début des années 1960, d’autres économistes abordèrent également la question de l’information sur le marché à partir de principes d’analyse différents26.

20Un autre chemin consiste à emprunter la voie de l’étude du pouvoir et de la question des buts de l’entreprise.

  • 27 Soulignons : pouvoir et non autorité. Ce sont deux phénomènes différents.

21Si les microéconomistes ont longtemps étudié le pouvoir économique de la firme tel qu’il se mani­feste au travers du monopole ou de la concurrence imparfaite, on sait qu’il existe d’autres types et formes de pouvoir, et de nature plus politique. D’abord le pouvoir de l’entreprise sur son environnement comme par exemple le pouvoir d’imposer des normes, des modes d’usage et de consommation, ou encore le pouvoir exercé auprès d’autres institutions y compris l’État (p. e. activité de lobbying). Ensuite l’exercice de pou­voirs au sein de l’entreprise 27autour de la ques­tion des buts et de ses orientations stratégiques, et dont l’analyse s’inscrit souvent, de nos jours, dans le thème institutionnel de la gouvernance de l’entreprise.

  • 28 Dans le prolongement de la fameuse étude de A. Berle et G. Means, 1932, The Modern Corporation and (...)

22Le thème de la divergence sur les buts au sein de l’entreprise et du règlement des conflits n’est pas abordé de front par les microéconomistes. Il est intéressant de constater qu’il est en fait abordé indirectement au travers de la question du manque d’informations sur les comportements des dirigeants. Ainsi, dès lors que l’on renonce au principe de maximisation du profit dans le domaine de la théorie de l’entreprise, l’attention se porte inévitablement sur le comportement des dirigeants qui ont souvent, de fait, une latitude importante dans leurs décisions et peuvent donc gérer l’entreprise en fonction de leurs propres objectifs28. Cette démarche se développe de deux façons. La première consiste à proposer de remplacer le profit par un objectif ou un « maxi­mande » qui est celui qui exprime le mieux les aspirations de l’équipe dirigeante. L’autre ap­proche consiste à préciser les termes de la relation d’autorité qui s’établit entre le propriétaire (ou les actionnaires) de la firme et les dirigeants auxquels ils confient le pouvoir de diriger, en privilégiant l’étude de la capacité du propriétaire à surveiller ou contrôler le dirigeant.

23Bon nombre d’économistes se sont attelés à l’éla­boration de théories managériales de l’entreprise à partir de fonctions d’objectif différentes de la simple maximisation du profit : maximisation du chiffre d’affaires (W. J. Baumol) ou maximisation du taux de croissance (R. Marris) par exemple. D’autres sont allés dans l’autre direction et ont proposé des théories reposant elles aussi sur la séparation de la propriété (les actionnaires) et de la direction de la firme, mais en posant la question de savoir dans quelle mesure le com­portement des dirigeants pouvait être affecté par cette séparation.

  • 29 M. Jensen et W. Meckling, 1976, “Theory of the firm : Managerial behavior, agency costs, and capita (...)

24L’un des premiers articles, et parmi les plus connus, repose sur ce qu’on appelle la théorie de l’agence29 : cette approche consiste à étudier le type de comportement économique qui s’instaure quand une personne (le principal) engage une autre personne (l’agent) pour exécuter en son nom une tâche quelconque qui implique une délégation de décision. Il y a un problème dès lors que 1) il existe une divergence d’intérêt entre le principal et l’agent qui peuvent être respective­ment l’actionnaire de l’entreprise et son dirigeant, 2) le principal n’a qu’une information limitée sur les décisions que prend, en son nom, l’agent.

25L’intérêt de cette approche vient de ce qu’un des paramètres du problème est la capacité du principal à observer ce que fait l’agent. Dans le cas de l’entreprise, l’actionnaire ne peut pas observer les décisions et les actes du dirigeant. Il n’en voit souvent que les effets (ce qu’on appelle des signaux) et n’en a pas d’information directe. Cette approche fait partie des théories microéconomiques qui introduisent le prin­cipe d’une asymétrie d’information entre deux agents.

  • 30 L’information et la communication peuvent avoir en économie d’autres points d’entrée que la théorie (...)

26Plus globalement et d’une toute autre façon, les questions d’information et de communication dans l’entreprise peuvent être abordées à l’occa­sion de l’étude des structures organisationnelles et de leurs effets en termes d’efficacité30.

27On porte au crédit d’O. Williamson d’avoir déve­loppé la théorie des coûts de transaction dont le principe est de chercher les formes ou les struc­tures efficaces du point de vue de la diminution des coûts que l’entreprise doit supporter du fait des asymétries d’information, des comportements opportunistes et de la rationalité limitée des parte­naires. C’est un type d’approche particulièrement pertinent dès lors que l’entreprise est confrontée à des alternatives telles que produire soi-même ou sous-traiter.

  • 31 Alors que la forme U (Unitaire) se caractérise par une forme hiérarchique centralisée et par une st (...)

28La prise en compte des structures organisation­nelles, même sous des formes très sommaires et réduites, amène les économistes à intégrer certains aspects de la communication interne. C’est ce que fait O. Williamson avec son analyse théorique des structures d’entreprises étudiées empiriquement par A. Chandler : la forme uni­taire (U) et la forme multi-divisionnelle (M)31. Il montra notamment que les formes M sont plus efficientes que les formes U parce que les décisions opérationnelles sont déléguées de façon décentralisée aux divisions, ce qui limite la surcharge des états-majors et libère du temps pour la planification stratégique.

  • 32 Par exemple, dans l’étude de la relation entre la forme intégrée des firmes et les coûts de transac (...)
  • 33 Ce qui relance la question liminaire de cette section sur les frontières de la théorie microéconomi (...)

29Cette approche apporte un certain éclairage sur le fonctionnement des entreprises et la question du traitement de l’information en articulation avec le système de décision. On doit cependant faire deux observations à leur sujet. La première est que la communication au sein de l’entreprise n’est abordée que sous l’angle de la circulation formelle de l’information et de la coordination des décisions au sein de l’entreprise. La seconde observation est qu’il s’agit de théories partielles ne traitant que d’un aspect du fonctionnement de l’entreprise32. Au point que ces théories sont parfois rangées parmi les théories économiques des organisations. Elles relèveraient alors de l’approche en termes d’organisation, que nous abordons ci-dessous, et non plus de la théorie microéconomique de l’entreprise telle que nous l’avons définie33.

  • 34 J. Marschak et R. Radner, 1972, Economic Theory of Teams, Yale University Press.
  • 35 On peut aussi considérer cela comme des périodes de trêve.

30Il existe des approches théoriques qui se préoc­cupent de l’étude du traitement de l’information au sein de l’entreprise à partir de points de vue qui se veulent plus généraux. L’une des plus ambitieuses fut celle proposée par J. Marschak et R. Radner qui proposèrent une approche très formalisée de l’information et de la décision dans ce qu’ils appellent des équipes (teams), c’est-à-dire des organisations dont les membres partagent les mêmes intérêts et les mêmes croyances, mais n’ont pas le même degré d’information34. Autre­ment dit ce sont des organisations sans conflits sur les buts et dans lesquelles règne la même vision du monde35.

31Le problème abordé par les auteurs est le suivant : comment répartir les tâches de recherche d’infor­mation, de communication et de décision parmi les membres, de façon à atteindre des résultats optimaux pour l’organisation ? Mais l’instruction de cette question par J. Marschak et R. Radnerre porte uniquement sur une approche formalisée. Les nombreux travaux des psychologues sociaux sur la communication dans les petits groupes et dans les organisations sont totalement ignorés.

32On constate immédiatement que, malgré leur originalité et leur intérêt académique, dans ce type d’approche, la spécificité et toute la complexité du fonctionnement interne des organisations sont sacrifiées sur l’autel de la formalisation. À la limite, traiter d’organisations sans conflit ce n’est pas prendre parti pour un type d’abstrac­tion potentiellement fructueux. C’est dénaturer ce qu’est une organisation sauf à réduire le sens du mot organisation à celui de coordination au sens le plus strict. C’est aussi dénaturer ce que l’on désigne par communication au sens fort de ce concept.

33Pendant longtemps les économistes ont abordé, et continuent à aborder, pour une part d’entre eux, l’information et la connaissance comme des activités instrumentales sans poser le problème des changements profonds que peuvent générer le développement considérable des activités et des techniques de l’information et de la com­munication. L’information et la connaissance sont abordées en termes d’efficacité. Il n’est fait nulle mention du rôle de l’information et des connaissances comme expression de significa­tions et comme facteurs de structuration ou de réorganisation des représentations.

34Observons également qu’une partie de la prise en compte de l’information en économie se fonde sur le principe que les agents n’observent pas directement les comportements, et donc ils ne s’observent ni ne communiquent directement. Le concept-clé est celui de signal. Ce qui revient à dire que l’épistémologie imputée aux agents économiques est une épistémologie béhavioriste ou même cybernétique.

  • 36 Au sens, inspiré par Weber, de l’exigence de com­préhension et d’interprétation du sens subjectivem (...)
  • 37 M.-N. Schurmans, 2003. Les solitudes. Paris : PUF, p. 57.

35La recherche, en théorie économique de l’entre­prise, de déterminations, fait obstacle à une approche plus compréhensive36 des comporte­ments d’information et de la communication. Or si les êtres humains semblent agir en réaction aux déterminismes qui semblent peser sur eux, en fait « ils sont les propres créateurs d’une partie de ces déterminismes37 », chacun donnant un sens à son action. On doit donc s’interroger sur le sens et la portée qu’ont aujourd’hui pour l’individu les multiples activités informationnelles et cognitives dans lesquelles il s’engage. Pour cela, et compte tenu du registre dans lequel nous nous situons (analyse de l’entreprise), l’un des espoirs d’une prise en compte plus complète de l’information et de la communication réside dans un changement d’approche qui consiste à se tourner vers l’analyse des organisations.

Communication et analyse des organisations

  • 38 Nous pensons que les indéterminations sur les­quelles débouchent certaines configurations concur­re (...)
  • 39 C’est aussi le cas lorsqu’il y a dissociation de la propriété et de l’exercice de la direction d’en (...)

36Le passage d’une théorie de l’entreprise à une approche en termes d’organisation peut s’expli­quer et se justifier de la façon suivante : tant qu’on reste dans le cadre d’une approche en termes d’équilibre et de marchés, l’objectif de l’entre­prise reste à peu près le même, il s’agit d’atteindre le maximum de profit. À partir du moment où l’on considère, quelles qu’en soient les raisons38, que l’entreprise n’est plus totalement contrainte par son environnement économique et, notamment, par les marchés c’est-à-dire plus particulièrement par la concurrence immédiate, les buts deviennent indéterminés39. Dès lors, l’entreprise doit être considérée comme un système dans lequel les buts sont déterminés simultanément avec les stra­tégies de croissance et les modes de production. Les processus internes de détermination des buts et des stratégies deviennent un objet d’analyse essentiel que l’on peut étudier en fonction des situations auxquelles est confrontée l’organisa­tion, en dynamique ou non. Dans cette perspec­tive, une approche systémique des organisations peut être considérée comme la voie de synthèse ou la grammaire de base.

  • 40 K. Boulding, 1953, Organizational Revolution, Harper and Brothers.
  • 41 R. Merton, 1940, “Bureaucratic structure and per­sonality”, Social Forces, vol. 18, n° 4.
  • 42 J. March et H. Simon, 1958, Organizations, J. Wiley ; et R. M. Cyert et J. G. March, 1963, A behavi (...)

37Cette interprétation du passage donne le beau rôle aux économistes, en partie malgré ou contre eux, car elle revient à justifier l’approche en termes d’organisation par les limites de la théorie micro­économique traditionnelle. Certes, sans aller jusque-là, on peut convenir que cette approche est née de la convergence d’un certain nombre de préoccupations (qui vont de la montée des organi­sations en général40, à celle d’une sociologie des organisations41, d’une psychosociologie, etc.). Il n’en demeure pas moins que le courant néo-rationaliste (encore appelé l’École de Carnegie), au travers de deux ouvrages fondamentaux42, ont produit des contributions majeures que l’on peut considérer ensemble comme l’acte de naissance de l’analyse des organisations comme domaine et comme orientation théorique.

L’École de Carnegie43, une approche intermé­diaire

  • 43 Il s’agit du Carnegie Institute of Technology, encore appelé Carnegie Tech, qui fusionna avec le Me (...)

38La communication est présente dans ces deux ouvrages. Dans le premier elle occupe toute une section (section 6.5 du chapitre 6). Les auteurs y analysent le rôle de la communication dans l’efficacité de la coordination au sein d’une organisation, quelle qu’elle soit. Ils soulignent l’importance du processus d’absorption de l’in­certitude qui survient quand « les conséquences, déduites d’un ensemble de preuves et de déduc­tions, sont communiquées à la place des preuves elles-mêmes » (p. 161). Les codes et les langages spécialisés qui ont une fonction réductrice ou de filtre sont, parmi d’autres causes, à l’origine de ce phénomène.

39La conséquence en est que le récepteur d’une communication « a des possibilités très limi­tées de juger de son exactitude » et doit donc faire confiance à ce qui s’est produit en amont. L’absorption de l’incertitude fait partie, pour cette raison, des techniques permettant d’acquérir du pouvoir. Il ne s’agit que d’un exemple des propriétés de la communication au sein d’une organisation qui peuvent avoir des conséquences significatives sur la coordination entre unités et donc sur l’efficacité de l’organisation dans son ensemble.

  • 44 Le slack est souvent traduit par la notion de jeu (au sens où il y a du jeu dans les rouages d’un m (...)
  • 45 J. G. March, 1962, “The Business Firm as a Political Coalition”, The Journal of Politics, vol. 24, (...)
  • 46 Le Journal of Economic Behavior and Organiza­tion consacra un numéro special, en 2008, à l’ouvrage (...)

40L’un des intérêts majeurs de la théorie béhavio­riste est l’accent mis sur la dimension politique des organisations. L’entreprise est vue comme un système dans lequel règnent les compromis (concept de quasi-résolution des conflits), le marchandage (notion de slack44), et où se créent et s’affrontent des groupes ayant des intérêts divergents. Dès lors ce sont des coalitions de groupes qui prennent les décisions sur l’allocation interne des ressources. En somme, une entreprise peut être considérée comme « un système sociopolitique conflictuel soumis à des contraintes économiques45» Il résulte de cette situation que les décisions sont influencées par la communica­tion. Globalement, les conflits et l’apprentissage occupent une place plus centrale dans la théorie béhavioriste, même s’il s’agit de thèmes présents dans Les organisations46.

L’analyse et la théorie des organisations. Contours et contenu

  • 47 Nous n’utilisons pas toujours le mot théorie car si théorie des organisations il y a, ce ne peut êt (...)

41Il est assez difficile de définir la nature et les contours de l’analyse des organisations47. Ce domaine rassemble, nous allons y revenir, des disciplines et des attitudes diverses. Quant à son origine la réponse doit aussi être nuancée. Si l’on veut parler de l’intérêt qu’un chercheur peut avoir pour l’étude du fonctionnement d’un type d’orga­nisation, pour un aspect de son fonctionnement ou pour ses performances, on peut considérer que l’analyse des organisations est apparue au XIXe siècle avec le développement industriel mais pas uniquement. Les deux figures éminentes en furent, pour des raisons distinctes : M. Weber, avec son analyse de la bureaucratie, et F. Taylor, avec ses études de la gestion scientifique des ateliers.

42Si l’on veut parler de l’analyse des organisations comme discipline ou comme champ scientifique autonome avec ce que cela implique à la fois d’efforts de synthèse et de divisions internes, par écoles ou courants, ou par domaines spécia­lisés, alors elle remonte aux années 1950, plus particulièrement sous l’impulsion de H. Simon et du courant néo-rationaliste. C’est à partir de cette période qu’elle devient un objet fédératif, un domaine auquel on se réfère et affirme éven­tuellement son affiliation. Une fois constituée en domaine de référence, sa rationalisation conduit à intégrer des auteurs anciens (comme Weber et Taylor) qui avaient traité de l’organisation sans jamais se référer à un champ théorique unifié.

  • 48 Ce qui n’est pas le cas de l’approche néo-ratio­naliste et de la théorie béhavioriste de l’entrepri (...)

43Ce champ n’est pas associé à une discipline particulière et l’on a vu se constituer progressi­vement des sous-disciplines nouvelles comme, par exemple, l’économie des organisations ou la sociologie des organisations. L’économie des organisations faisant appel, dans certaines approches, à des outils issus de l’analyse micro­économique et à des raisonnements margina­listes48, son positionnement se révèle ambigu. Les uns la reconnaissent comme faisant partie de l’hétérodoxie (C. Ménard par exemple) ; d’autres la considérent comme une voie d’évolution et de renouvellement de la théorie microéconomique et affirment son orthodoxie (T. Granger par exemple).

44La grande diversité des thèmes et des aspects qu’englobe l’étude des organisations est en par­tie le reflet de la diversité des attitudes que les chercheurs peuvent adopter pour aborder une organisation. Nous pouvons en distinguer plus particulièrement quatre :

  • 49 J. Forrester, 1961, Industrial Dynamics, MIT Press.

451. L’attitude formelle consiste à étudier les organisations ou un aspect à partir de modèles, souvent mathématiques, ou sur la base de modèles de simulation. Parfois cette démarche se révèle proche, au moins par les outils mobilisés, de l’approche microéconomique. Avec la simula­tion, on s’en éloigne plutôt car la capacité des ordinateurs a permis, dès les années 1950, de concevoir des modèles dynamiques qui sem­blaient inaccessibles aux économistes du fait du nombre de variables traitées et du caractère à la fois dynamique et non linéaire des relations intégrées dans le modèle. Une place particulière doit être faite ici à ce qu’on appela Dynamique industrielle49, avant d’être rebaptisée Dynamique des systèmes dans les années 1960, par son créa­teur, Jay Forrester.

  • 50 Cf. p. e. parmi les premiers articles sur je sujet : J. H. Holland et J. H. Miller, 1991, “Artifici (...)

46Sa philosophie consistait à étudier les effets de la structure du système d’information interne au système étudié sur sa trajectoire dynamique. Cette orientation disparut par la suite quand Forrester conçut un modèle des villes puis le fameux modèle du monde qui fut développé par D. Meadows. Mais l’application de cette technique de simulation aux entreprises ou à n’importe quel autre système présente toujours cet intérêt. Aujourd’hui les techniques de simulation se sont considérablement développées et on en est à simuler des systèmes d’agents adaptatifs50.

  • 51 Ce qui ne signifie pas que les approches d’inspira­tion microéconomique s’interdisent tout recours (...)

47La simulation peut être considérée comme une alternative aux approches formelles de l’entre­prise centrées sur la maximisation d’une fonction objectif51. Ainsi, R. M. Cyert et J. G. March testèrent la pertinence de la théorie béhavioriste de la firme en simulant les décisions de certaines entreprises à partir d’une version programmée de leur modèle et en rapprochant les résultats simulés des décisions réelles. Non sans succès d’ailleurs.

  • 52 La nécessité d’intégrer une nouvelle technologie fait partie de ces contraintes.

482. L’attitude opérationnelle est engagée par les démarches, souvent de consultants, qui étudient les modifications possibles d’une orga­nisation ou d’une partie (un département, un service particulier) ou d’un aspect (les systèmes d’information par exemple ; la communication institutionnelle…) de façon à lui permettre de mieux atteindre ses objectifs ou de s’adapter à des changements extérieurs ou à des contraintes52.

  • 53 Ainsi, par exemple, Sloan mit en place chez General Motors, après avoir conçu la structure multidiv (...)
  • 54 La gestion par exception est un principe de mana­gement selon lequel l’encadrement n’intervient que (...)

49Parmi le vaste ensemble des écrits et des analyses des consultants, on peut distinguer ce qu’on a pris l’habitude d’appeler « l’école néo-classique », qui se distingue par la recherche de principes d’orga­nisation et de prescriptions destinées à assurer l’efficacité globale de l’entreprise. Cette approche est donc à la fois empirique et normative (au sens de prescription, c’est-à-dire d’énoncé de règles de conduite et d’organisation). Ces analystes exploitent notamment les leçons de l’approche des organisations fondée sur l’étude des rela­tions humaines afin de concevoir et promouvoir des modes d’organisation tels que la direction par les objectifs (P. Drucker et O. Gélinier), la décentralisation (Sloan)53 ou encore la gestion par exception54.

50La communication formelle joue évidemment un rôle important dans le fonctionnement de ces structures. Mais, à l’inverse de ce que suggèrent March et Simon puis Cyert et March (absorption de l’incertitude) un principe de subsidiarité est posé : la prise de décision doit être localisée au niveau le plus bas compatible avec le recueil des informations nécessaires et utilisables. Il faut aller vers l’allégement des communications, ce qui permet de décharger les niveaux hiérarchiques supérieurs de tâches de supervision.

51L’un des domaines dans lequel les consultants ont été et sont toujours très présents est celui de la conception des systèmes d’information, pratique qui a accompagné évidemment le développement de la capacité des ordinateurs (à l’époque de l’informatique centralisée) puis la diffusion à une très grande échelle des micro-ordinateurs avant la mise en place de réseaux internes aux entreprises (intranet) éventuellement ouverts.

  • 55 Dans les années 1960-70, la simulation des modèles opérationnels d’entreprise connut un certain suc (...)

52L’étude des Management Information Sys­tems constitue une bonne illustration de cette approche opérationnelle du fonctionnement des organisations sous l’angle de l’information. La même orientation privilégiant l’information est, on l’a vu, aussi à l’œuvre dans les modèles de simulation des entreprises abordées comme organisation55.

  • 56 Russell L. Ackoff, 1967, “Management Misinfor­mation Systems”, Management Science, vol. 14, no. 4.

53Ackoff, qui fut un grand consultant américain, s’attaqua aux Management Information Systems (systèmes de gestion informatisés) qu’il baptisa Management Misinformation Systems (que l’on pourrait traduire ou adapter par : systèmes infor­matiques de désinformation)56.

54L’intérêt de son analyse est de souligner la contradiction entre l’objectif auquel répond la mise en place de systèmes de gestion informa­tisés (accroître l’efficacité et la rationalité) et le caractère infondé des hypothèses de rationalité sur lesquelles elle repose. En effet les hypothèses qui président à la place de ces systèmes sont que : les managers manquent d’information pertinente pour la prise de décision ; ils savent de quelle information ils ont besoin et sont capables de la chercher ; fournir aux managers les informations dont ils disent avoir besoin améliorera leur prise de décision ; accroître la communication ne peut qu’accroître de toute façon les performances, et enfin : un manager a uniquement besoin de savoir utiliser un MIS, non de savoir comment il fonctionne.

55Ackoff s’inscrit en faux contre ce qu’il présente comme des mythes et rétablit ce qu’il consi­dère être une hiérarchie normale des priorités : promouvoir une vision globale des systèmes de décision, privilégier la performance de l’organi­sation plutôt que la communication entre dépar­tements, insister sur le contrôle du système par les managers, filtrer et condenser (filtration and condensation) les systèmes d’information.

56Les consultants et les spécialistes de la stratégie d’entreprise recourent le plus souvent à une vision informationnelle de l’organisation ou de l’entreprise. Cela n’est guère étonnant dans la mesure où leur approche est dictée par des objectifs d’efficacité et de fonctionnalité. Ce qui est primordial, c’est le contenu des échanges en tant qu’il a un sens pour le fonctionnement et l’efficacité de l’organisation.

573. L’attitude scientifique d’analyse et de recherche sur le terrain, qui est variée autant d’un point de vue disciplinaire que par le niveau d’analyse, la nature des phénomènes étudiés et par les outils mobilisés. Les résultats des enquêtes menées et des analyses sont le plus souvent présentées de façon qualitative et littéraire, sans formalisation et sans systématisation, sauf éventuellement sous la forme de taxonomies.

  • 57 Par exemple : B. Galinon-Mélènec, 2010, « Ré­seaux sociaux d’entreprise et DRH », Communication et (...)

58Les études et les enquêtes qualitatives sur la communication et les relations humaines sont nombreuses et variées. Depuis les enquêtes d’E. Mayo jusqu’à celles sur les réseaux sociaux d’entreprise57.

  • 58 Cf. N. Greenan et Y. L’Horty, 2000, Informatique, productivité et emploi : beaucoup d’espoirs, peu (...)

59Les économistes sont également présents sur ce terrain et, par exemple, ont procédé à de nombreuses analyses statistiques afin d’étudier, notamment, les effets du développement des techniques de communication sur les entreprises notamment. Le propos n’est pas seulement d’éva­luer, à partir de critères économiques, les effets organisationnels des nouvelles techniques, il est aussi, dans certains cas, d’examiner les liens entre le développement des nouvelles technologies et l’emploi. Dans ce second cas, il est intéressant de relever que l’étude des organisations (et de l’organisation des entreprises) est justifiée comme un maillon dont l’étude est nécessaire pour com­prendre l’enchaînement de la causalité qui va des techniques à l’emploi58.

  • 59 Parmi les fondateurs, citons F. E. Emery et E. L. Trist, 1960, “Socio-technical Systems”, in C. W. (...)
  • 60 La proposition centrale de la théorie de la contin­gence est que les structures de l’organisation d (...)

604. L’attitude cybernétique et systémique par la­quelle on cherche à comprendre le comportement global d’un système à partir de son organisation interne et de ses interactions externes. Il s’agit d’associer des hypothèses sur la structure et le mode de fonctionnement d’une organisation, vue comme système, aux régularités et aux caractéristiques globales du système dans son interaction avec son environnement. Le champ des analyses et théories relevant de cette attitude est très vaste et d’une grande variété. Nous citerons notamment ici, pour mémoire, l’approche sociotechnique des organisations59 et tout ce qui nourrit ce qu’on appelle la théorie contingente des organisations60.

  • 61 J. Melèse, 1976, La gestion par les systèmes, Edi­tions Hommes et Techniques et, en 1979 (2e éditio (...)
  • 62 J. Mélèse, 1979, Approches systémiques des orga­nisations, Éditions Hommes et Techniques.
  • 63 Ibid., citations : p. 10.
  • 64 Ibid., p. 8.

61L’approche systémique fut aussi exploitée par des consultants et nous pouvons, en France, citer à ce propos les contributions de J. Mélèse qui en fut l’un des pionniers61. Dans son dernier ouvrage62 il affirme d’emblée prendre le parti de « l’ouverture et de la diversité des points de vue sur les organisations, de l’association de diverses logiques d’analyse, de la prise en compte des relations entre tout et parties, entre l’individuel et le collectif » ajoutant : « … le qualificatif sys­témique est, je crois, le seul à l’heure actuelle qui comporte de telles connotations63. » La philosophie qu’il développa repose sur le constat que « de nombreuses organisations… souffrent d’un déficit global de complexité… ; complexité [devant] être compris ici comme richesse de l’information et des interconnexions, variété des états et des évolutions possibles, toutes choses bien différentes de la complication…64. »

  • 65 Ibid., p. 38.

62Sur la communication, son point de vue était que « C’est une chose que les unités de l’entreprise aient la capacité de percevoir l’information, de l’interpréter et de la communiquer, mais c’est autre chose que les hommes en aient le désir… il est évident que l’organisation et la culture de l’entreprise jouent un rôle décisif dans l’émer­gence ou la répression de tels désirs65. »

  • 66 Un classique : D. Katz et R. L. Kahn, 1978, The Social Psychology of Organizations, J. Wiley.
  • 67 Sur ce point cf. notamment : W. R. Ashby, 1956, Introduction to cybernetics, Chapman & Hall, et J. (...)

63Cette taxonomie des approches possibles n’est pas sans lien avec le caractère multivoque de la notion même d’organisation. Laquelle peut être prise dans des sens différents : comme entité c’est-à-dire comme un tout voire comme un sys­tème66 ; comme désignant l’activité d’organiser ; ou comme une structure ou un système de relations67.

64Il existe un grand nombre de surveys et de hand­books disponibles sur la communication dans les organisations, et plus particulièrement dans les entreprises qui permettent d’approfondir les différents champs et les diverses approches pos­sibles de ce thème. Quittons maintenant l’orien­tation « positive » qui a été la nôtre jusqu’ici dans cette section pour exprimer un point de vue plus critique.

Aperçu des problèmes soulevés par l’étude de la communication dans les organisations : communication versus information

  • 68 Le sens transitif de la communication était celui utilisé par C. Levi-Stauss dans Anthropologie str (...)

65Une ambiguïté importante se manifeste au travers du rapprochement et parfois de la confusion des deux notions : communication et information. Alors que la première s’apparente à l’idée de dialogue et de partage, l’autre est plus proche de l’idée de captation de données ou de messages. Dans un cas on communique et l’on dialogue, dans l’autre on communique de l’information. D’un côté on s’exprime, on est dans l’échange, on fait partie, avec son interlocuteur, du même univers ou du même monde ; dans l’autre l’action est transitive68 : on « livre » de l’information, ou l’on est livré.

  • 69 Nous mettons des guillemets car les notions d’émetteur et de récepteur connotent le schéma Shan­non (...)
  • 70 En fait, des données. Cf. note 9 ci-dessus.

66Mais poser cette distinction, c’est déjà aller plus loin : plus la communication s’identifie à la capta­tion de données, et plus on la conçoit comme une activité consistant à recevoir (ou à « émettre »69) des « informations »70 et donc à effacer l’idée de dialogue et d’échange. Plus la communication est identifiée au dialogue et à l’échange, et plus la conception « informationnelle » doit être abandonnée.

67Dans leur ouvrage fondamental et, notamment, dans la section qu’ils consacrent aux communi­cations, J. March et H. Simon développent en fait une conception fonctionnaliste. Ils distinguent cinq occasions de communiquer dans les entre­prises, les deux premières étant des « communications en rapport avec des motifs de procédure » et les trois autres étant des « communications en rapport avec un contenu concert ».

  • 71 P. de Bruyne, 1963, Esquisse d’une théorie de l’administration des entreprises, Librairie Universi­ (...)

68Ce type d’analyse, positive et/ou descriptive, peut être prolongé par l’énoncé de recommandations pour le fonctionnement des communications dans l’entreprise du type : « ... les centres de commu­nication doivent coïncider avec les centres de décision ou être du moins en conjonction avec eux » ou encore : « L’organisation de l’entre­prise doit être conçue et aménagée de telle façon que les informations utiles soient acheminées vers les centres qui auront à s’en servir ou à en connaître71 », etc.

  • 72 Nous reprenons ici le concept utilisé par Francis Jacques dans Dialogiques, Recherches logiques sur (...)
  • 73 C’est un exemple de ce que l’on appelle la méta­communication chère à G. Bateson (Mind and Nature, (...)

69La distinction entre une communication « infor­mationnelle » et une communication « dialo­gique »72, dans le contexte où nous nous situons, n’épuise pas le sujet car elle permet d’intro­duire une autre dimension. En effet, parmi les informations qui peuvent être transmises au sein d’une organisation et d’une entreprise, il y en a d’un type particulier : il s’agit des ordres ou des consignes qui peuvent être transmis, notamment, d’un niveau hiérarchique à un niveau subal­terne. Un commandement est une information d’un type particulier parce qu’il s’accompagne d’une dimension d’autorité ou d’injonction. Ce n’est pas le contenu du message qui compte. C’est le contexte et la personnalité de son « émetteur »73.

70Il faut introduire des dimensions plus psycho­sociales ou sociologiques pour passer d’une approche informationnelle, que nous considérons donc, sur le plan de la communication, comme réductrice, à une approche laissant une place plus significative à la communication en son sens véritable, c’est-à-dire comme dialogue.

  • 74 J. Mélèse, Approche systémique des organisations, op. cit., p. 39.
  • 75 Ibid.

71Le dilemme entre les deux conceptions de la com­munication est bien résumé par Mélèse lorsqu’il écrit : « Le modèle d’organisation hiérarchisé et compétitif dans lequel les communications sont centrées sur la fixation et le contrôle des critères chiffrés (objectifs, budgets, taux de charge…) développe une culture égoïste, si ce n’est arriviste, qui est contradictoire avec les motivations de coopération ouverte et d’échanges riches d’informations (parfois même on assiste à la codification de ces échanges et à la fixation de prix de cession de l’information d’une unité à l’autre). La direction de l’entreprise devrait réfré­ner son désir de mesure et de contrôle (qui a fait les beaux jours des comptables, des contrôleurs de gestion et des informaticiens) pour valoriser les hommes interactifs et échangistes, ceux qui savent prendre la mesure du quantifiable mais aussi qui proposent des représentations associa­tives et qualitatives de situations globales, ceux qui désirent communiquer74. » La priorité est que les dirigeants soient convaincus de l’existence, à chaque niveau, de significations spécifiques « et que celles du sommet ne sont ni plus nobles, ni plus riches que celles de la base75. »

72À une époque, la distinction formel-informel servait à distinguer les canaux « institutionnels » de ceux qui se mettent en place spontanément dans une organisation. On peut y voir une autre façon d’aborder la distinction que nous avons privilégiée entre communication (informelle) et information (formelle). Si cette distinction formel vs. informel a été critiquée, on doit constater qu’on s’y réfère toujours. On en trouve une illus­tration dans un numéro de 2006 de l’Academy of Management Review entièrement consacré à l’analyse des réseaux. L’organisation s’y révèle une structure complexe et dynamique de sous-systèmes en interaction, de groupes formels et de groupes informels.

  • 76 L. Sfez, 1991, La communication, PUF, coll. Que-sais-je ? p. 49.
  • 77 Ibid., p. 50.
  • 78 Ibid., p. 58.

73La distinction entre information et communica­tion rejoint celle, introduite par L. Sfez, entre communication interprétative et communication expressive. Dans la première, tout se passe comme si le sujet et le message ou l’information étaient en extériorité : « Sujet et objet restent séparés et bien réels » écrit L. Sfez76. Si, dans ce cas, la réalité est extérieure au sujet qui la représente on peut penser que le message sur la réalité a la même propriété et que tout se passe comme si le sens est d’une certaine façon déjà contenu dans le message. Dans la seconde, « la métaphore de l’organisme est reine77 » écrit L. Sfez. L’observé et l’observateur forment système. Mais, suivant von Foerster, rien ne peut être communiqué en réalité puisque tout dépend de celui qui est en train d’observer. Nous sommes dans un univers bouclé et dans des « réseaux connectés d’observation78. » Le maître mot est : connexionisme.

  • 79 Ibid., pp. 45-48.

74Cette grille de lecture fut fortement et vigoureu­sement exploitée par L. Sfez pour développer une critique sévère de J. G. March et H. Simon79.

La numérisation et l’entreprise plateforme

  • 80 H. Igor Ansoff, 1965, Corporate Strategy, Mac­Graw-Hill.
  • 81 Précisons : la notion de pure player est ici utili­sée avec sa signification industrielle. Il ne fa (...)
  • 82 Soulignons : il ne faut pas confondre l’avènement des entreprises plateformes, concepteurs et gesti (...)

75D’un siècle à l’autre on assiste à au moins trois changements majeurs en matière d’organisation industrielle. Le premier est le recentrage c’est-à-dire le renoncement aux formes conglomérales et à la diversification, orientation stratégique majeure dans la seconde moitié du XXe siècle stratégie dont la diffusion doit beaucoup à H. Igor Ansoff, premier théoricien, historiquement, des stratégies d’entreprise80. Désormais, on privilégie les stratégies de « pure player »81, c’est-à-dire d’activité monosectorielle. Le second change­ment important est l’externalisation lié en partie aux stratégies d’alliance, qui est à l’origine de ce qu’on appelle les firmes-réseaux82. À la limite, les entreprises deviennent des entreprises « creuses » (des hollow corporations pour reprendre un terme populaire dans les années 1980). Le troisième changement est l’émergence, avec le développe­ment du web 2.0, à partir de 2005 environ, des plateformes numériques (ou digitales).

  • 83 La dimension communicationnelle des stratégies de recentrage (qui sont l’inverse des stratégies de (...)
  • 84 A. Chandler, 1962, Strategy and structure : chapters in the history of the industrial enterprise, M (...)

76Nous allons traiter uniquement, dans cette sec­tion, de ce que nous appelons l’entreprise plate­forme. La raison en est simple : du point de vue de la communication c’est la plus intéressante83. Mais il nous semble d’abord opportun, pour la suite de notre analyse, de situer la période his­torique actuelle sur le plan industriel. Pour cela, replaçons les deux premières évolutions évo­quées auparavant dans la perspective historique développée par A. Chandler dans son ouvrage fondamental84.Celui-ci mit en effet en évidence un schéma de long terme de la mutation des stratégies de croissance des firmes aux États-Unis du milieu du XIXe siècle jusqu’au début du XXe.

  • 85 C’est une méthode d’instruction et de décision de diversification que proposa, le premier, I. Ansof (...)

77La première stratégie d’expansion d’une firme, dans les temps industriels les plus anciens, consistait à accroître ses volumes de vente de son/ses produit(s) dans son aire géographique initiale. La seconde stratégie consista à étendre la zone géographique de commerce en écoulant les mêmes produits que ceux de ses débuts. La stra­tégie qui suivit, la troisième, consista à procéder à une intégration verticale (vers l’amont ou vers l’aval voire les deux). Et finalement, la quatrième stratégie, l’ultime, consista à se diversifier dans de nouveaux secteurs ou dans de nouveaux segments via le développement du/des produit(s)85.

  • 86 Le mot communication est pris ici dans son sens le plus général.

78Par rapport à cette périodisation, on constate que : 1) avec les stratégies de recentrage du dernier quart du XXe siècle et du début du XXIe, on renonce à la quatrième stratégie. Puis que 2) avec l’externalisation conduite systématiquement et soutenue par les progrès de la communication électronique et des ordinateurs, on efface tout ou partie de la troisième stratégie chandlérienne. Si bien que l’on se trouve ramené aux stratégies d’expansion géographique, c’est-à-dire à des stratégies consistant à exploiter les moyens de communication86. Ce qui explique sans doute en partie l’accentuation de la mondialisation et des échanges.

79C’est dans ce contexte que nous allons dégager la signification industrielle des entreprises plate­formes, après avoir précisé leur nature.

Les entreprises et leurs plateforme(s) : deux types d’entreprises

  • 87 On les appelle aussi Entreprises 2.0 : Cf. A. McAfee, 2009, Enterprise 2.0 : New Collaborative Tool (...)

80Le développement considérable de la numérisa­tion et de la mise en réseau se manifeste notam­ment au niveau des entreprises avec l’apparition de ce qu’on appelle des plateformes numériques. Il faut cependant distinguer deux types d’entre­prises avec plateforme numérique. D’un côté on trouve des entreprises qui développent une exten­sion numérique sous la forme de plateforme(s) pour pouvoir disposer d’une interface directe et interactive avec ses clients, et/ou avec ses fournisseurs ou encore avec des partenaires dans des projets d’innovation (open innovation). Pour cette catégorie d’entreprises que nous baptisons entreprises « à plateforme » (EAPF) pour les distinguer des autres, la/les plateforme(s) mise(s) en place sont un complément ou un prolongement par rapport à une activité productive de biens ou de services qui constitue leur activité essentielle87.

81De l’autre côté, on trouve des entreprises pour lesquelles la plateforme est l’outil central de leur activité : la plateforme n’est pas un moyen supplémentaire destinée à accroître le marketing ou à fluidifier l’organisation de la production. Elle est l’outil principal par lequel elles exercent leur activité. Il suffit de penser à Uber, Booking.com, TripAdvisor, Amazon, Facebook etc. pour comprendre cette différence. Nous baptisons ces entreprises d’entreprises plateformes (EPF) par opposition aux entreprises « à plateforme ».

  • 88 J.-L. Beffa, 2017, La Révolution numérique et les Entreprises, Seuil.

82La première catégorie d’entreprise (EAPF) ne constitue pas une catégorie résiduelle ou secon­daire. Loin de là. Les entreprises plateformes (EPF) sont, du fait des GAFA notamment, l’arbre qui cache la forêt. Mais la numérisation intensive et l’extension via la mise en place des plateformes constituent pour les EAPF un enjeu stratégique majeur. Pour toutes les entreprises, le déploiement d’interfaces numériques interactifs, c’est-à-dire du web 2.0, est devenu une nécessité vitale. C’est ce qu’a parfaitement montré J.-L. Beffa dans son dernier ouvrage88.

Les entreprises plateformes : une interprétation chandlérienne

83Les entreprises plateformes (EPF) constituent une innovation majeure et le symbole de la numéri­sation et de la mise en réseau de la société. Pour caractériser et situer cette innovation de structure nous pouvons tirer parti de l’analyse historique proposée par Chandler.

84Nous retenons de son analyse deux éléments. Le premier a été mentionné ci-dessus : à un certain stade, la stratégie d’expansion des entreprises et donc la nature des problèmes stratégiques qu’elles ont à résoudre se transforme en fonction des moyens de communication et de transport disponible. Nous avons ajouté un commentaire : à la suite de revirements industriels historiques, on peut faire l’hypothèse que nous serions en quelque sorte ramenés à ce stade. Ce qui permet d’expliquer le développement des plateformes (des EAPF) par la nécessité stratégique, dans un contexte d’externalisation et de développement d’alliances de toutes natures, d’exploiter inten­sivement les nouveaux outils de communication et de collaboration.

85Le second élément ne nous semble pas avoir été suffisamment souligné ou remarqué par la littéra­ture : les entreprises en pointe, voire leaders, au démarrage de la période marquée par la stratégie d’extension géographique, sont justement celles qui mettent en place et installent les nouveaux moyens de communication. Ce sont les entre­prises pionnières spécialisées dans la gestion de ces nouveaux moyens qui deviennent, pour cette raison même, des entreprises leaders parce que ce sont elles qui sont les premières à devoir affronter et résoudre les nouveaux problèmes stratégiques. Leurs solutions deviennent ensuite des techniques de référence ou des pratiques à imiter pour les entreprises d’autres secteurs qui vont vouloir exploiter ces mêmes moyens.

86Au XIXe siècle, ce sont les entreprises de chemin de fer qui furent les premières confrontées à des problèmes d’organisation et de stratégie que leur développement a conduit à affronter. Le problème posé était celui de la mise en place d’une admi­nistration et d’une coordination répartie sur un vaste territoire.

87La situation actuelle n’est pas parfaitement iden­tique ou analogue mais elle en est, selon nous, très proche. Au XIXe siècle, les entreprises de chemin de fer ou de télégraphe ont développé des infrastructures qui furent utilisées par les autres entreprises et leur permirent de s’engager dans le changement stratégique qu’avaient expérimenté avant elles les premières. Aujourd’hui, de façon analogue, Google, Facebook, Linkedin, YouTube, Amazon ou d’autres (les EPF) développent des outils qui vont être utilisés par des entreprises productives « classiques ». Par exemple, l’usage d’Amazon comme plateforme de vente pour des entreprises tierces est quelque chose de parfaite­ment organisé et encadré par cette société. Et les campagnes publicitaires des entreprises produc­tives exploitent de plus en plus les plateformes du type Facebook ou Google. Nous avons donc bien un ensemble d’infrastructures qui vont être exploitées par les entreprises, comme les chemins de fer au XIXe siècle... La nouveauté est que ces dernières entreprises sont aussi en mesure de mettre en place leurs propres systèmes de communication et devenir ainsi des entreprises « à plateforme » (EAPF), pouvant tirer parti des expériences et des solutions adoptées par les entreprises leaders.

Les entreprises plateformes (EPF) et la nouvelle alliance de la communication, de la technologie et du pouvoir

88Les entreprises plateformes associent étroitement, de façon à peu près évidente, la communication, le pouvoir et la technique. Elles illustrent de façon particulièrement prégnante le triptyque analy­tique exploité à plusieurs reprises par L. Sfez :

  • La communication est ici affaire de technologie : il s’agit des réseaux numériques et de l’extension du web 2.0, c’est-à-dire de l’exploitation de tous les outils permettant de rendre Internet interactif. La technologie est matérielle et « immatérielle » car elle repose sur des logiciels et, beaucoup, sur des algorithmes d’appariement.

  • La technologie est affaire de pouvoir : non seu­lement parce qu’elle impose des normes à tous ses usagers, qu’il s’agisse des usagers du réseau social ou des entreprises qui font de la publicité, mais aussi parce qu’elle impose une publicité d’autant plus incitative qu’elle est ciblée à partir de l’usage même d’internet, c’est-à-dire des don­nées produites par les pratiques en ligne et traitées par des algorithmes. Il y a beaucoup d’autoréfé­rentialité dans les réseaux numériques. Mais la technologie est aussi pouvoir car l’économie des réseaux, on le sait, est une économie fondée sur des externalités et des effets d’amplification. Ces effets de réseaux tendent à créer des monopoles. La logique du pouvoir de marché n’est plus la même que celle des modèles industriels anciens.

  • Enfin la communication est partout, diverse et multiple : communication réticulaire, qui est une communication plutôt expressive et orientée vers la constitution de communautés ; communication institutionnelle et publicitaire des entreprises tierces vers les usagers de la plateforme ; et com­munication fonctionnelle au sein de l’entreprise plateforme elle-même.

  • 89 Soulignons : technologie et non techniques.
  • 90 Allons plus loin : on peut se demander si les investissements importants de certaines entreprises d (...)

89Observons et insistons sur le fait qu’il ne faut voir dans l’émergence et l’évolution des plate­formes aucun déterminisme technologique. Le développement du web 2.0 n’est pas le résultat d’une innovation technologique mais celui d’une innovation stratégique. Les outils techniques exploités par le web 2.0 existaient bien avant son développement. On trouve ici une nouvelle illustration de la thèse de L. Sfez selon laquelle la technologie89 peut n’être finalement qu’un discours de légitimation d’un ordre industriel90.

Le cas Facebook : retour à la microéconomie

90Concentrons ici notre attention sur le cas Face­book. Il s’agit d’une entreprise-plateforme (EPF) dont l’activité est centrée sur la mise en place et la gestion d’un réseau social bien connu. Pour présenter simplement l’entreprise, nous pouvons proposer le schéma suivant quine nécessite pas d’explication particulière.

  • 91 W. M. Corden, 1952-53, “The Maximisation of Profit by a Newspaper”, The Review of Economic Studies, (...)

91Les entreprises présentes sur le numérique ont retenu l’attention des microéconomistes du fait d’une de leur particularité qui est d’être un « marché biface ». Une plateforme numérique est un marché biface à partir du moment où elle propose des services et des prix différents à deux types de clientèle. C’est ce qui est le cas, depuis longtemps de la presse : un journal vend des espaces publicitaires à des annonceurs et vend le contenu à ses lecteurs. L’équilibre financier de l’entreprise de presse n’est pas possible sans cette double source de revenu. C’est ce schéma que nous retrouvons aujourd’hui chez les grandes entreprises du numérique à commencer par Google et Facebook. Le principe même de ce qu’on appelle leur business model est donc, dans son principe, ancien. On trouve en effet, à notre connaissance, le premier article sur les marchés bifaces dans les années 195091.

  • 92 Par exemple : J.-C. Rochet et J. Tirole, 2006, “Two-Sided Markets : A Progress Report”, The Rand Jo (...)

92Des économistes se sont intéressés à ces marchés bifaces en proposant des modèles de prix adaptés à cette spécificité. B. Caillaud, J.-C. Rochet et J. Tirole se sont illustrés sur ce thème par des contributions importantes et reconnues92. Inspirés par d’autres activités que celles des entreprises plateformes (les cartes de crédit comme la carte Visa), leurs résultats sont facilement étendus à ces dernières pour en devenir le business model.

  • 93 La gratuité peut être considérée comme purement apparente à partir du moment où les usagers support (...)
  • 94 Privilégiant ici la dimension « stratégique » des relations entre les usagers et l’entreprise-plate (...)

93Mais ce renouveau de la théorie microécono­mique des prix appliquée aux marchés bifaces ne peut être le fin mot de l’analyse économique des entreprises plateforme telles que Google et que Facebook. Car s’il y a évidemment un enjeu économique et financier autour de la question de l’équilibre de ce type d’entreprises on observera deux choses : d’abord s’agissant de Google et Facebook, ces entreprises sont caractérisées par la gratuité93 pour les usagers ; et ensuite entre l’étude des questions d’équilibre et celle des conditions qui expliquent l’importance des profits et de l’accumulation financière dont ces entre­prises bénéficient, il y a un écart important. La croissance et la stratégie de Facebook ne peuvent être expliquées uniquement par des modèles de tarification94.

  • 95 On parle de free labor : cf. T. Terranova, 2000, Free Labor : Producing Culture for the Digital Eco (...)
  • 96 Du fait de la production de données et de traces liées aux pratiques en ligne.

94Un autre aspect doit également retenir l’atten­tion : s’il existe effectivement une organisation ou une entreprise Facebook que l’on peut vouloir analyser comme n’importe quelle organisation, cela ne suffit pas à en épuiser la logique de fonc­tionnement. Facebook gère en effet un réseau social numérique dont on peut considérer qu’il s’agit d’un service rendu à ses usagers. Or ces usagers ne sont pas uniquement des individus indépendants et extérieurs à l’entreprise Face­book. Ce sont aussi des acteurs mobilisés par elle pour « subir » ou prendre connaissance de messages publicitaires (ciblés en général) et qui permettent à cette entreprise d’obtenir un revenu. D’une certaine façon, comme n’hésitent pas à l’écrire certains analystes, les usagers sont des travailleurs gratuits95 qui, d’une part, constituent une audience, d’une certaine façon captive, pour les messages publicitaires et qui, d’autre part, font vivre et entretiennent un réseau qui, par cette fréquentation et leur activité, a une certaine valeur commerciale96.

95On retombe ainsi sur des problèmes économiques pour lesquels, d’un côté, la modélisation micro­économique en termes de prix n’a qu’une portée limitée et, de l’autre, les approches organisation­nelles ont peu de prise. À ce type de réseau est en effet attachée une nouveauté qui va bien au-delà de la question des marchés biface : il s’agit de ce qu’on appelle la prosumation, c’est-à-dire le fait, pour un consommateur d’être aussi producteur. Telle est la situation de l’usager standard de Facebook : il est consommateur par l’utilisation des services que met Facebook à sa disposition et qui lui permettent de s’informer de ce que font d’autres personnes et de communiquer avec elles. Et il est producteur, doublement : par l’activité qu’il déploie sur le réseau et qui lui permet de produire de la « valeur d’usage » pour quelques autres personnes avec lesquelles il est en relation ; par sa lecture de messages publicitaires qui peut être interprétée, par certains, comme une source de création de valeur compte tenu de la recette qui en résulte pour l’entreprise (mais aussi, en partie, comme une consommation).

96Consommateur et producteur : tel est le lot de l’usager de Facebook qui se trouve pris dans un faisceau de communications : des commu­nications instrumentales et des communications expressives ; des communications interperson­nelles qui l’impliquent totalement ; d’autres pour lesquelles il est en partie instrumentalisé et qui ont un caractère institutionnel (la publicité).

97Y a-t-il une logique économique dans cette situation originale et nouvelle ? Analytiquement, le problème est d’abord de bien distinguer les activités publicitaires et les activités réticulaires des usagers, puis d’identifier la façon dont elles s’articulent économiquement.

  • 97 Nous pourrions aussi écrire que le capital intan­gible représente la valeur des cerveaux disponible (...)
  • 98 Sauf une : Apple qui, compte tenu de l’impor­tance de son activité manufacturière est classée dans (...)

98La valeur ou la richesse que représentent ses usagers pour un réseau tient au fait qu’il s’agit d’un facteur d’attractivité et d’un argument de la négociation du prix des encarts publicitaires. Le fait qu’un réseau agrège un grand nombre d’usagers qui peuvent avoir une assiduité élevée, associé au ciblage que le recueil des données personnelles permet de réaliser, constitue un actif pour l’entreprise plateforme. L’ensemble de ses usagers représente économiquement la « clien­tèle » de la plateforme. L’actif qu’ils représentent n’est pas un actif matériel. S’il y a un actif et une certaine valorisation, c’est parce qu’il s’agit de tenir compte du fait qu’un certain nombre de personnes sont « attachées » à la plateforme et qu’elles représentent collectivement un certain potentiel, notamment commercial, pour ses acti­vités publicitaires97. Il s’agit de ce qu’on appelle un capital intangible. L’intérêt de cette notion est de correspondre à une réalité observable et très spécifique : les sept premières entreprises du classement des entreprises mondiales en fonction de l’importance de leur capital intangible sont des entreprises relevant du secteur « Internet et software98. »

99On peut considérer qu’il y a un échange entre la plateforme et ses usagers. La plateforme souhaite les maintenir dans son réseau numérique car sans cela, il y a plus ou moins de recettes publicitaires. Donc, pour cela, elle leur propose des presta­tions ou des facilités attractives. De leur côté les usagers sont incités à rester dans le réseau parce qu’il y a non seulement un certain intérêt, mais aussi un coût de changement, c’est-à-dire des coûts de transaction éventuellement importants : coût de transfert des informations accumulées, coût d’apprentissage d’un nouveau cadre, coût de reconstitution d’une communauté ou d’un réseau personnel…

  • 99 D. Smythe, 1977, “Communications : blindspot of western Marxism”, Canadian Journal of Political and (...)

100Le capital, constant et variable, que la plate­forme mobilise permet de fournir aux usagers un certain nombre de services. Leur attractivité permet de constituer une audience ou un public qui, avec d’autres éléments destinés aux agences de publicité (données permettant de cibler, ratings des agences etc.) est un argument dans la réalisation de transactions publicitaires. Cette relation n’est pas capitalistique au sens marxiste courant contrairement à ce qu’avancent tous ceux qui, après Smythe tentent d’en faire une lecture marxiste et d’assimiler l’attention portée à la publicité à un travail99.

101Mais cela ne veut pas dire que les usagers ne sont pas dans une relation de dépendance ou dans une certaine forme de subordination. Pour avoir accès à un certain type de service, ils sont en effet incités 1) à passer par les réseaux les plus importants qui leur donnent le maximum de débouchés et de contacts potentiels, 2) à accepter certaines normes, règles, contraintes et la cession de certains droits de propriété et 3) à accepter de recevoir des publicités. Dans la mesure également où la communication par internet et les réseaux sociaux numériques deviennent une activité socialement valorisée sinon une norme d’existence sociale, chacun subit, à des degrés variables, ces contraintes.

102La contrepartie de la gratuité de l’usage de la plateforme est constituée par la possibilité légale qu’a l’entreprise plateforme de mettre à la dis­position des agences son « public » et de cibler la publicité à partir des données recueillies. Si le public n’est pas dans une relation de travail, il représente néanmoins une certaine valeur d’usage pour les publicitaires.

103Finalement, le rapport social qui s’instaure entre les usagers et la plateforme est une relation stratégique dans laquelle les acteurs négocient implicitement l’importance et les bases de leur attachement mutuel que l’on pourrait tout aussi bien appeler coopération ou alliance. La plate­forme est « attachée » à la masse des usagers dont dépend sa capacité à capter de la valeur. Les usagers sont attachés à la plateforme en fonction de leur ancienneté, leur expérience, les coûts de changement qu’ils auraient à subir pour changer de support. Deux types d’investissements se réalisent en parallèle et se compensent (mais en dehors d’un équilibrage de valeurs) : ceux de la plateforme qui se traduit en termes de capital tangible et de capital intangible d’une part ; ceux des usagers qui peuvent se traduire en termes de capital social.

104Y a-t-il de la plus-value dans ce système ? Oui, mais pas là où certains analystes s’efforcent de la trouver, c’est-à-dire dans l’activité des usagers. La plus-value est acquise au travers des paiements effectués par les agences de publicité ou les entre­prises tierces : c’est une plus-value anticipée sur les ventes à venir.

105On peut finalement constater à quel point : 1) le type de raisonnement économique qui préside à l’analyse des entreprises-plateformes est radicalement différent de celui que l’on développe au sujet de la firme dans la théorie microécono­mique ; 2) la représentation de ce type d’entre­prise s’éloigne d’une logique organisationnelle fondée sur l’analyse d’un système ouvert à partir duquel s’articulent un fonctionnement « intérieur » et un environnement. L’entreprise plateforme joue en partie un rôle d’animateur et de promoteur d’un réseau social numérique qui, à la fois, lui est extérieur et constitue son fonds de commerce pour ses activités publicitaires ; 3) le principe des marchés bifaces est ici fondamenta­lement renouvelé car, à la différence des lecteurs de journaux, l’usager n’est pas passif et contribue même, par son activité et son engagement, à la valeur commerciale de l’entreprise-plateforme.

106L’analyse de la rationalité économique complexe à l’œuvre, selon nous, dans le cas Facebook, peut être adaptée, mutatis mutandis, à d’autres entreprises-plateformes.

107On peut considérer également que, contrairement au discours initial sur internet et sur le Web 2.0, les valeurs d’émancipation, de co-création et de diffusion culturelle ont été largement récupérées et intégrées dans des stratégies d’accumulation. Lesquelles ne passent sans doute plus uniquement, de nos jours, par le compte de résultat (selon la logique industrielle classique), mais passent aussi par le marché financier, devenu peut-être le lieu principal où se réalise et se capte actuellement la valeur globalement créée.

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Notes

1 Ce principe fut ainsi formulé par Guillaume d’Oc­kham : « Les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité ». Isaac Newton eut une formule voisine : « Nous ne devons admettre comme causes des choses de la nature au-delà de ce qui est à la fois vrai et suffisant à en expliquer l’apparence ».

2 Le réalisme immédiat correspond au premier des quatre modes de perception selon Spinoza : « une perception acquise par ouï-dire par le moyen d’un signe conventionnel ».

3 Le débat sur le réalisme des hypothèses mobilisa une bonne partie des économistes les plus réputés dans les années 1950 aux États-Unis. Cf. par exemple : Mongin, Philippe, 1986, « La controverse sur l’entreprise (1940-1950) et la formation de l’irréalisme méthodologique », Économies et Sociétés, série Œconomia, n° 5.

4 Nous pensons qu’il faut prendre en considération ces deux notions dont nous verrons plus loin qu’elles sont à la fois proches et en concurrence.

5 Sur le pouvoir et sur sa place dans la théorie éco­nomique, cf. F. Perroux, 1973, Pouvoir et économie, Bordas.

6 Présente de façon indirecte au travers de formes simplifiées comme la notion de fonction de production.

7 Par exemple : souligner le rôle informationnel du prix. Ou encore mesurer le pouvoir de marché par le taux de marge. Ou considérer que la technique est bien présente au travers de coefficients de production…

8 G. Bateson, 1979, Mind and Nature, Fontana/Col­lins. On peut aussi se référer à McKay

9 J’insiste sur la distinction entre information et don­nées : ce qui fait l’objet d’une transmission, au sens strict, ce sont des données et non de l’information dont la production implique une présence humaine. En ce sens, toute information est relationnelle.

10 À strictement parler, dans le prolongement de la note 9, on ne peut définir la communication comme un échange d’informations.

11 Principalement, J. Piaget, 1967, Biologie et connaissance, Gallimard.

12 L’introduction ici de la notion de paradigme per­mettrait d’éclairer le propos, mais nous ne souhaitons pas nous étendre sur la dimension épistémologique.

13 Pour paraphraser F. Perroux, la question n’est pas de savoir si un modèle est une simplification ou une abstraction de ce que l’on observe, car un modèle, quel qu’il soit, en est toujours une abstraction. La question est de savoir s’il ne détruit pas la réalité, c’est-à-dire ses caractères et ce que l’on considère comme son essence même (Pouvoir et économie, op. cit.).

14 Exemple de « compromis » : la démarche consis­tant à considérer l’information comme un bien et une marchandise (par exemple : K. Arrow, 1962, “Eco­nomie Welfare and the Allocation of Resources for Invention”, in The Rate and Direction of Inventive Activity : Economic and social Factors, NBER, Prin­ceton University Press.

15 Les plateformes numériques sont des dispositifs d’intermédiation mettant en relation sur internet dif­férents types d’agents (individus, entreprises, institu­tions, fournisseurs) dont la présence et les activités sont variables selon la nature et la fonction de la plateforme sur laquelle ils se trouvent. Elles proposent des services facilitant aussi bien l’accès aux contenus que l’éta­blissement de liens nouveaux et/ou la production et la présentation des contenus mis en ligne par les usagers.

16 Un réseau social numérique est une plateforme numérique qui permet de se mettre en relation avec d’autres personnes pouvant avoir des intérêts communs et avec lesquelles on peut partager librement, dans le cadre de la fonction de la plateforme et de certaines contraintes techniques, des informations, des photos, des vidéos, échanger des messages, contribuer à des projets participatifs etc. Les réseaux sociaux facilitent la production des contenus, leur accès et leur diffusion en même temps que la création de liens nouveaux. Facebook, YouTube et WhatsApp, sont les trois réseaux sociaux les plus fréquentés dans le monde.

17 L’espace de temps qui sépare la publication en 1964 de l’ouvrage de R. Marris (The Economic Theory of ‘Managerial’ Capitalism, Macmillan) qui est la dernière représentation théorique et synthétique de l’entreprise comme acteur économique, de l’émergence du web 2.0, marquée par la publication en 2005 de l’article de référence de Tim O’Reilly (What Is Web 2.0. Design Patterns and Business Models for the Next Generation of Software, Web 2.0 Conference 2005. 30 septembre 2005) est de 41 ans. En fait, la théorie microéconomique de la firme, en ce sens, a perdu de son ascendant dans les années 1990 essentiellement, même si elle continue d’être enseignée et approfondie.

18 « Légitime » : aux yeux de ceux qui adhèrent à cette conception de l’économie.

19 Une seule illustration de ces performances : en 2019, selon le classement annuel de Fortune, Micro­soft, Apple, Amazon, Alphabet (Google) et Facebook occupent respectivement les places n° 1, 2, 3, 4 et 6 dans le classement global des entreprises US selon leur valeur boursière (la place n° 5 est occupée par Berkshire Hathaway, société d’investissement dirigée par le fameux « gourou » Warren Buffett).

20 En fait, la question de savoir ce que recouvre exac­tement « la » théorie microéconomique de l’entreprise et quels en sont les contours est plus complexe que ce que peut laisser entrevoir cette entrée en matière. Mais, au risque de déplaire à certains de nos collègues économistes, et compte tenu de notre propos, nous nous en contenterons.

21 K. J. Arrow et G. Debreu, 1954. “Existence of an equilibrium for a competitive economy”, Economet­rica, vol. 22, n° 3.

22 The Meaning of Competition 1946, reproduit in Individualism and Economic Order, Routledge & Kegan Paul, 1949, p. 94

23 Ibid. p. 96.

24 Ibid., pp. 96-97.

25 F. Hayek, 1945, “The use of knowledge in society”, American Economic Review, vol. 35, n° 4.

26 Citons plus particulièrement, G. Stigler (“The eco­nomics of information”, Journal of Political Economy, vol. 69, n° 2) et G. B. Richardson, auteur de Information and Investment, Oxford University Press, 1960 qui introduit quasiment son ouvrage de la façon suivante : « La majeure partie de la théorie économique essaye de se dispenser du besoin d’une théorie de la formation des anticipations en postulant simplement l’existence d’une ‘connaissance parfaite’. Ceci, évidemment, est une dérobade... » (p. i)

27 Soulignons : pouvoir et non autorité. Ce sont deux phénomènes différents.

28 Dans le prolongement de la fameuse étude de A. Berle et G. Means, 1932, The Modern Corporation and PrivateProperty, Transaction Publishers.

29 M. Jensen et W. Meckling, 1976, “Theory of the firm : Managerial behavior, agency costs, and capital structure”, Journal of Financial Economics, vol. 3.

30 L’information et la communication peuvent avoir en économie d’autres points d’entrée que la théorie de l’entreprise comme, notamment, la théorie de la décision individuelle ou celles d’autres types de situations particulières (cf. par exemple, le marché des biens d’occasion qui conduit G. Akerlof à mettre en évidence, dès 1970, les problèmes liés aux asymétries d’information : The Market for “Lemons”, in Quarterly Journal of Economics, 1970, vol. 84, n° 3).

31 Alors que la forme U (Unitaire) se caractérise par une forme hiérarchique centralisée et par une stricte séparation des fonctions (Marketing, Finances et comptabilité, ressources humaines…), la forme M (Multidivisionnelle) comporte une série de divisions (une division = un type de produit) dont la coordina­tion est assurée par une direction générale s’appuyant sur un staff.

32 Par exemple, dans l’étude de la relation entre la forme intégrée des firmes et les coûts de transaction on ne tient pas du tout compte du fait que l’augmentation de l’intégration isole cognitivement l’entreprise alors que l’ouverture permet de capter des informations et des idées et nourrit les processus d’apprentissage.

33 Ce qui relance la question liminaire de cette section sur les frontières de la théorie microéconomique de l’entreprise.

34 J. Marschak et R. Radner, 1972, Economic Theory of Teams, Yale University Press.

35 On peut aussi considérer cela comme des périodes de trêve.

36 Au sens, inspiré par Weber, de l’exigence de com­préhension et d’interprétation du sens subjectivement vécu.

37 M.-N. Schurmans, 2003. Les solitudes. Paris : PUF, p. 57.

38 Nous pensons que les indéterminations sur les­quelles débouchent certaines configurations concur­rentielles ou certaines situations constituent un argu­ment majeur. Cela peut être discuté. Cf. par exemple A. Jacquemin, 1967, L’entreprise et son pouvoir de marché, PUF.

39 C’est aussi le cas lorsqu’il y a dissociation de la propriété et de l’exercice de la direction d’entreprise (cf. Berle et Means, op. cit., cf. n. 28).

40 K. Boulding, 1953, Organizational Revolution, Harper and Brothers.

41 R. Merton, 1940, “Bureaucratic structure and per­sonality”, Social Forces, vol. 18, n° 4.

42 J. March et H. Simon, 1958, Organizations, J. Wiley ; et R. M. Cyert et J. G. March, 1963, A behavioral theory of the firm, Prentice-Hall. Tous deux traduits en français.

43 Il s’agit du Carnegie Institute of Technology, encore appelé Carnegie Tech, qui fusionna avec le Mellon Institute of Industrial Research en 1967 pour créer l’université Carnegie-Mellon. H. Simon y fut professeur d’administration à partir de 1949.

44 Le slack est souvent traduit par la notion de jeu (au sens où il y a du jeu dans les rouages d’un moteur).

45 J. G. March, 1962, “The Business Firm as a Political Coalition”, The Journal of Politics, vol. 24, n° 4.

46 Le Journal of Economic Behavior and Organiza­tion consacra un numéro special, en 2008, à l’ouvrage A behavioral theory of the firm, paru 45 ans auparavant.

47 Nous n’utilisons pas toujours le mot théorie car si théorie des organisations il y a, ce ne peut être qu’au pluriel et/ou en tant qu’orientation générale.

48 Ce qui n’est pas le cas de l’approche néo-ratio­naliste et de la théorie béhavioriste de l’entreprise évoquée auparavant.

49 J. Forrester, 1961, Industrial Dynamics, MIT Press.

50 Cf. p. e. parmi les premiers articles sur je sujet : J. H. Holland et J. H. Miller, 1991, “Artificial Adaptive Agents in Economic Theory”, The American Economic Review, vol. 81, n° 2.

51 Ce qui ne signifie pas que les approches d’inspira­tion microéconomique s’interdisent tout recours à la simulation. La meilleure illustration en est l’approche évolutionniste de Nelson et Winter.

52 La nécessité d’intégrer une nouvelle technologie fait partie de ces contraintes.

53 Ainsi, par exemple, Sloan mit en place chez General Motors, après avoir conçu la structure multidivision­nelle, la coordination par l’instauration de comités sans responsabilité directe, l’uniformisation des méthodes de gestion et la centralisation des décisions financières, la généralisation des budgets et des standards, la centra­lisation des informations automatisées et l’instauration de centres de profits.

54 La gestion par exception est un principe de mana­gement selon lequel l’encadrement n’intervient que si les écarts entre les réalisations et les objectifs dépassent des limites fixées à l’avance.

55 Dans les années 1960-70, la simulation des modèles opérationnels d’entreprise connut un certain succès (en dehors même de la Dynamique des systèmes).

56 Russell L. Ackoff, 1967, “Management Misinfor­mation Systems”, Management Science, vol. 14, no. 4.

57 Par exemple : B. Galinon-Mélènec, 2010, « Ré­seaux sociaux d’entreprise et DRH », Communication et organisation [en ligne] vol. 37.

58 Cf. N. Greenan et Y. L’Horty, 2000, Informatique, productivité et emploi : beaucoup d’espoirs, peu de certitudes, Réseaux, vol. 18, n° 100 : Communiquer à l’ère des réseaux. Extrait de la conclusion : « Il paraît essentiel de considérer la dimension organisationnelle du changement technologique. Il ne faut plus focaliser son regard sur l’ordinateur et ses dérivés, mais élargir le point de vue à ce sur quoi l’ordinateur se greffe : l’organisation de l’entreprise, la structuration de son système d’information, l’ordonnancement et le suivi de ses flux productifs, les relations entre les entreprises... La technologie seule n’est pas susceptible de modifier ces éléments [c’est-à-dire un accroissement du rythme de la croissance, une efficacité accrue de la production ou une prime à la main d’œuvre qualifiée]. L’essentiel est ailleurs, dans les relations de complémentarité qu’elle entretient avec l’organisation interne et externe des entreprises et dans les nouvelles configurations de rapports de force qui s’y jouent. On se heurte là à une boîte noire encore insuffisamment explorée »

59 Parmi les fondateurs, citons F. E. Emery et E. L. Trist, 1960, “Socio-technical Systems”, in C. W. Churchman et M. Verhulst (eds), Management Sciences. Models and techniques, vol. 2, Pergamon.

60 La proposition centrale de la théorie de la contin­gence est que les structures de l’organisation dépendent de ses facteurs environnementaux. Contrairement au taylorisme qui part du principe de l’existence, dans l’absolu, d’une forme d’organisation efficace et meilleure que les autres, l’école de la contingence part du principe que la structure est liée à la nature de l’environnement, même si cette relation n’est ni méca­nique ni déterministe. Parmi les précurseurs, citons T. Burns et G. M. Stalker, 1961, The Management of Innovation, Tavistock.

61 J. Melèse, 1976, La gestion par les systèmes, Edi­tions Hommes et Techniques et, en 1979 (2e édition), L’analyse modulaire des systèmes (A.M.S.), Éditions Hommes et Techniques.

62 J. Mélèse, 1979, Approches systémiques des orga­nisations, Éditions Hommes et Techniques.

63 Ibid., citations : p. 10.

64 Ibid., p. 8.

65 Ibid., p. 38.

66 Un classique : D. Katz et R. L. Kahn, 1978, The Social Psychology of Organizations, J. Wiley.

67 Sur ce point cf. notamment : W. R. Ashby, 1956, Introduction to cybernetics, Chapman & Hall, et J. Rothstein, 1958, Communication, Organization, and Science, Falcon’s Wing Press.

68 Le sens transitif de la communication était celui utilisé par C. Levi-Stauss dans Anthropologie struc­turale, Plon, 1958.

69 Nous mettons des guillemets car les notions d’émetteur et de récepteur connotent le schéma Shan­nonien, dont nous désapprouvons l’application dans les sciences sociales

70 En fait, des données. Cf. note 9 ci-dessus.

71 P. de Bruyne, 1963, Esquisse d’une théorie de l’administration des entreprises, Librairie Universi­taire Louvain et Dunod, pp. 310-312.

72 Nous reprenons ici le concept utilisé par Francis Jacques dans Dialogiques, Recherches logiques sur le dialogue, 1979, PUF.

73 C’est un exemple de ce que l’on appelle la méta­communication chère à G. Bateson (Mind and Nature, op. cit., p. 128) et à l’école de Palo Alto (P. Watzlawick, J. Helmick-Beavin et D. Jackson, Une logique de la communication, Éditions du Seuil, 1972, p. 50 ; traduit de l’américain : Pragmatics of Human Communication, W. W. Norton & Co., 1967).

74 J. Mélèse, Approche systémique des organisations, op. cit., p. 39.

75 Ibid.

76 L. Sfez, 1991, La communication, PUF, coll. Que-sais-je ? p. 49.

77 Ibid., p. 50.

78 Ibid., p. 58.

79 Ibid., pp. 45-48.

80 H. Igor Ansoff, 1965, Corporate Strategy, Mac­Graw-Hill.

81 Précisons : la notion de pure player est ici utili­sée avec sa signification industrielle. Il ne faut pas confondre avec celle utilisée dans le contexte des médias pour désigner la presse uniquement diffusée en ligne.

82 Soulignons : il ne faut pas confondre l’avènement des entreprises plateformes, concepteurs et gestion­naires de réseaux sociaux et le développement des firmes réseaux. Il s’agit de deux phénomènes radicalement distincts. Rappelons qu’une entreprise devient une firme-réseau à partir du moment où elle opère au sein d’un réseau d’alliances avec d’autres entreprises juridiquement indépendantes.

83 La dimension communicationnelle des stratégies de recentrage (qui sont l’inverse des stratégies de diversification), et des stratégies d’externalisation ont déjà été évoquées ci-dessus à partir de la théorie des coûts de transaction de O. Williamson et son analyse des formes M et U.

84 A. Chandler, 1962, Strategy and structure : chapters in the history of the industrial enterprise, M.I.T. Press.

85 C’est une méthode d’instruction et de décision de diversification que proposa, le premier, I. Ansoff. Les stratégies de diversification, qui existaient déjà, prirent de l’importance dans les années 1960 et 1970.

86 Le mot communication est pris ici dans son sens le plus général.

87 On les appelle aussi Entreprises 2.0 : Cf. A. McAfee, 2009, Enterprise 2.0 : New Collaborative Tools for Your Organization’s Toughest Challenges, Harvard Business ReviewPress : « L’entreprise 2.0 correspond à une utilisation de plateformes sociales émergentes au sein de sociétés ou entre des sociétés, leurs partenaires et leurs clients ».

88 J.-L. Beffa, 2017, La Révolution numérique et les Entreprises, Seuil.

89 Soulignons : technologie et non techniques.

90 Allons plus loin : on peut se demander si les investissements importants de certaines entreprises des GAFA dans l’innovation technologique n’ont pas aussi pour but de justifier et donner crédit (et corps) à ce discours de légitimation. Ainsi, Google investit dans les maladies liées au vieillissement, dans le séquençage ADN, dans la voiture autonome, dans l’ordinateur quantique… L’ensemble ressemble davantage à une liste à la Prévert qu’à une stratégie d’expansion. Mais ces investissements cohabitent avec d’autres qui s’inscrivent dans une stratégie de perfectionnement des algorithmes de traitement de données et de gestion de réseaux, c’est-à-dire à des investissements tech­niques de soutien à son leadership dans les moteurs de recherche (son métier de base) et les services qui vont avec. Une autre dimension, que nous ne pouvons développer ici, est celle de l’exploitation systématique des bases de données et de la volonté de créer et exploi­ter des synergies.

91 W. M. Corden, 1952-53, “The Maximisation of Profit by a Newspaper”, The Review of Economic Studies, vol. 20, No. 3.

92 Par exemple : J.-C. Rochet et J. Tirole, 2006, “Two-Sided Markets : A Progress Report”, The Rand Journal of Economics, vol. 37, n° 3.

93 La gratuité peut être considérée comme purement apparente à partir du moment où les usagers supportent des contreparties (abandon de droits, usage des données pour cibler la publicité, campagnes publicitaires…).

94 Privilégiant ici la dimension « stratégique » des relations entre les usagers et l’entreprise-plateforme, nous ne jugeons pas nécessaire de revenir sur les dif­férents effets (de réseau notamment) dont la théorie des marchés bifaces tient compte.

95 On parle de free labor : cf. T. Terranova, 2000, Free Labor : Producing Culture for the Digital Economy, Social Text, vol. 18, no 2.

96 Du fait de la production de données et de traces liées aux pratiques en ligne.

97 Nous pourrions aussi écrire que le capital intan­gible représente la valeur des cerveaux disponibles des usagers.

98 Sauf une : Apple qui, compte tenu de l’impor­tance de son activité manufacturière est classée dans le secteur Technology & IT. Amazon est en tête du classement 2018 : 827 milliards de dollars de capital intangible pour 34 milliards de capital tangible. Face­book est en 6e position avec 470 milliards de dollars de capital intangible pour 101 milliards dollars de capital tangible.

99 D. Smythe, 1977, “Communications : blindspot of western Marxism”, Canadian Journal of Political and Social Theory/Revue canadienne de théorie politique et sociale, vol. 1, n° 3.

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Pour citer cet article

Référence papier

Bernard Paulré, « La communication et l’entreprise, d’un siècle à l’autre »Quaderni, 99-100 | 2020, 39-67.

Référence électronique

Bernard Paulré, « La communication et l’entreprise, d’un siècle à l’autre »Quaderni [En ligne], 99-100 | Hiver 2019-2020, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/quaderni/1547 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/quaderni.1547

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Auteur

Bernard Paulré

Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

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