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Livres en revue

Philippe Aldrin, Nicholas Hubé, Caroline Ollivier-Yaniv et Jean-Michel Utard (dir.), "Les Médiations de l’Europe Politique"

Philip Schlesinger
Traduction de Emmanuel Taïeb
p. 123-126
Référence(s) :

Philippe Aldrin, Nicholas Hubé, Caroline Ollivier-Yaniv et Jean-Michel Utard (dir.)
Les Médiations de l’Europe Politique
Presses Universitaires de Strasbourg, coll. « Sociologie politique européenne »,

Texte intégral

1Lire un ouvrage sur la communication et la légitimité de l’Union européenne est, à l’été 2015, un curieux défi. L’UE est en effet traversée par diverses tensions. La question de la sortie de la Grèce de l’Europe pourrait – au mo­ment où j’écris ces lignes – se résoudre ou non. La manière dont sera gérée la domination un peu rétive de l’Allemagne sur les questions économiques, est un point de plus en plus central dans la future dynamique européenne. La Guerre froide fait retour sous de nouvelles formes, dans la guerre en Ukraine et dans les menaces grandissantes de la Russie à l’égard des pays baltes. Les migrations en provenance de zones de conflit au Proche-Orient et en Afrique alimentent les discours sur l’Europe forteresse. La xénophobie a permis l’émergence d’un populisme d’extrême droite à l’intérieur de l’UE, souvent conjugué à l’euroscepticisme.

2Aucune lecture ne saurait s’affranchir aujourd’hui de ces préoccupations. Il est cependant intéressant de noter que ces problèmes ne figurent pas explicitement dans le livre, qui plaide essentiellement pour une approche “socio-discursive” du rôle des médiations dans la légitimation de l’UE. Cet ouvrage est le fruit des recherches interdisciplinaires menées par l’équipe strasbourgeoise du programme “La production des espaces public européens”. La liste des contributeurs inclut des doctorants comme des chercheurs confir­més, et, comme on pouvait s’y attendre, les questions traitées sont variées.

3Il faut noter que les premiers travaux préparatoires datent de 2009 et 2011, et même si les propos ont été actualisés, la majeure partie des recherches semble ancrée dans cette période – qui, faut-il le rappeler, était déjà une période où l’UE subissait la crise économique de 2008.

4L’intention du livre est de revisiter plusieurs sujets. Il entend contrer le désintérêt pour la communication politique dans les études francophones mainstream sur les medias, notamment en science politique. Dans sa volonté de s’intéresser à ces champs de recherches, et à leur donner une légitimité, autant que la science politique peut le faire, l’ouvrage croise des travaux similaires dans la sphère anglophone. Les coordinateurs ont également choisi de discuter la préoccupation eurocratique officielle et centrale, selon laquelle les medias ont échoué à toucher le public européen, et que de nouvelles mesures (en particulier via les TIC) pourraient contribuer à minimiser le soi-disant déficit démocratique.

5Contre cette position, ils ont fait des “médiations” leur leitmotiv, centrant le débat sur les formes variées et complexes d’interactions entre les institu­tions de l’UE et les acteurs très différents qui occupent la sphère européenne (lobbies, ONG, think tanks, groups industriels, etc.) – bref, les secteurs les plus actifs de la supposée société civile européenne. Le contexte immédiat du débat étant le rejet du Traité constitutionnel européen en 2005, et, du côté de la Commission européenne, la tentative qui s’en est suivie en 2006 d’imaginer une nouvelle stratégie de communication, après avoir reconnu qu’une nouvelle “sphère publique européenne” n’était pas à l’agenda.

6Le livre est divisé en trois parties. D’abord, une partie historique sur l’UE et les organisations qui l’ont précédée, et leurs liens avec la communication politique. Ensuite, on trouve une série de contributions sur la façon dont l’Europe institutionnelle parvient à mobiliser ses publics. Enfin, on trouve des analyses sur la manière dont les affaires européennes sont différemment médiatisées. Chacune des parties s’ouvre sur un texte liminaire, et le livre est introduit et conclu par les coordinateurs.

7Tous ceux qui ont dirigé des ouvrages collectifs savent que les textes réunis seront nécessairement de qualité et de portée différente. Dans cet ouvrage, la majorité des contributions prend la forme d’études de cas.

8Dans la première partie, François Foret, s’appuyant sur ses travaux sur le religieux, pense l’intégration européenne comme un processus social, en l’occurrence une “appartenance sans croyance”. Il signe l’un des rares textes du livre de portée générale. Philippe Aldrin et Nicolas Hubé analysent le rôle du porte-parolat, et offrent un panorama historique très utile de la façon dont les conflits autour du contrôle de l’information ont été permanents dans le projet européen. Stéphane Carrara livre des résultats supplémentaires à partir d’une étude historique de l’Europe des six, tandis que Jean-François Polo, remontant encore plus loin, revient sur les aléas de l’espace audiovisuel européen. Quant aux défauts du tournant délibératif de la Commission après 2005, ils sont étudiés par Julia Bonaccorsi et Caroline Ollivier-Yaniv.

9La deuxième partie commence par une analyse astucieuse d’Hélène Michel sur le fait que la Commission européenne a toujours cherché l’engagement de ses publics, mais sans jamais se donner les moyens de l’atteindre. Son article est suivi par des études de cas très précises. Dans son analyse de l’ONG Finance Watch, Sandrine Roginsky explore l’autonomie très discutable d’un corps d’experts créé et soutenu par le Parlement européen. Nicolas Maïsetti s’intéresse à l’entreprenariat politique régional en France, Romain Badouard à la création de publics en ligne, et Ivan Chupin et Pierre Mayance débattent de la disparition d’un journalisme spécialisé sur la Politique agricole commune.

10La troisième partie est sans doute la plus solide et la plus cohérente, avec une analyse approfondie sous forme d’une sociologie critique du journalisme européen, menée par Olivier Baisnée. Elle est suivie par un portrait bien informé de l’Agence Europe, dressé par Yoann Pupat, qui montre qu’elle fait partie d’un circuit fermé de savoirs réservés aux initiés. Ensuite, Florian Texier explore les tentatives de professionnalisation du journalisme européen. Il souligne le fait que l’octroi d’un statut particulier à l’expertise de ces professionnels, pas seulement dans la blogosphère naissante, a échoué. Étudiant Zoom Europa, Aline Hartemann livre une analyse perspicace de la distinction permanente entre la production allemande et la production française, alors qu’elles sont censées construire une seule voix pour Arte. Le dernier article, celui de Jean-Michel Utard, insiste sur l’explosion de la présence sur Internet d’euro-sites, dont l’un d’entre eux, Cafébabel, a ma­nifestement relevé l’énorme défi d’être écrit en plusieurs langues ; même si dans l’ensemble les effets de ces nouveautés restent ambigus, car ces sites ne prêchent que des convertis.

11Les problèmes macro-politiques indiqués au début de cette recension ne figurent pas dans le corpus détaillé des études examinées ici, et les menaces externes continuelles sur l’existence de l’UE n’étaient ni l’objet ni l’ambition des coordinateurs du livre. Ils ont rassemblé divers éléments, dont plusieurs offrent indéniablement de nouvelles analyses, en particulier en ce qui concerne la reproduction de la vision de l’élite, et la difficulté à conjuguer demos et polis. Le lecteur de ce volume ne pourra pas douter de la réalité des transac­tions complexes qui prennent place dans l’espace européen, ni non plus de la très grande difficulté à résoudre les problèmes de communication de l’Union. Cet ouvrage constitue une bonne illustration de la valeur analytique de l’ap­proche socio-discursive. Mais rien ne reste jamais en l’état. Au contraire, la crise essentielle de la légitimité de l’Europe qu’examine ce volume, s’est considérablement intensifiée à travers tout le continent, depuis que les auteurs ont commencé à en examiner une première phase, bien moins préoccupante.

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Pour citer cet article

Référence papier

Philip Schlesinger, « Philippe Aldrin, Nicholas Hubé, Caroline Ollivier-Yaniv et Jean-Michel Utard (dir.), "Les Médiations de l’Europe Politique" »Quaderni, 91 | 2016, 123-126.

Référence électronique

Philip Schlesinger, « Philippe Aldrin, Nicholas Hubé, Caroline Ollivier-Yaniv et Jean-Michel Utard (dir.), "Les Médiations de l’Europe Politique" »Quaderni [En ligne], 91 | Automne 2016, mis en ligne le 18 décembre 2016, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/quaderni/1018 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/quaderni.1018

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Auteur

Philip Schlesinger

CCPR et CREATe, Université de Glasgow

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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