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Dossier

L’innovation institutionnelle : une entreprise politique à base d’emprunts extérieurs

L’exemple de la diffusion des nouveaux instruments d’intelligence dans les forces de police
Institutional Innovation as a Political Enterprise Involving External Borrowing
The Dissemination of New Intelligence Tools across Police Organizations
Thierry Delpeuch
p. 61-78

Résumés

Du point de vue de l’analyse des politiques publiques, l’innovation institutionnelle revêt deux caractéristiques fondamentales : les emprunts extérieurs jouent un rôle fondamental dans sa construction et, d’autre part, elle constitue une forme d’entreprise politique. Le mouvement contemporain de diffusion de nouveaux instruments d’intelligence dans les organisations policières illustre parfaitement ce fait. Fruit d’une volonté de réforme du modèle professionnel réactif qui prédominait partout avant les années 1980, cette vague internationale de transferts institutionnels a propagé deux catégories de nouveaux instruments d’intelligence, correspondant chacune au projet politique d’instaurer un modèle alternatif de policing, l’un « territorialisé-préventif », l’autre « managérial-répressif ». Véhiculées par des réseaux internationaux d’experts académiques et professionnels, ces innova­tions ont été source de conflits politiques et de résis­tance dans les organisations où elles ont été adoptées.

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Texte intégral

  • 1 L. Dumoulin, C. Licoppe, « Policy transfer ou innovation ? L’activité juridictionnelle à distance e (...)
  • 2 J. De Maillard, « Réformes des polices dans les pays occidentaux. Une perspective comparée », in Re (...)
  • 3 R. Raffaelli, M. A. Glynn, “Institutional Innova­tion: Novel, Useful, and Legitimate”, in C. E. Sha (...)

1Du point de vue de l’analyse des politiques publiques (APP), l’étude de l’innovation insti­tutionnelle s’inscrit dans la question plus large du changement de l’action publique. Le concept d’innovation institutionnelle fait principalement référence aux stratégies et jeux d’acteurs qui visent à susciter une transformation. Il renvoie davantage à l’entreprise de changement insti­tutionnel qu’à ses résultats1. Il invite à placer l’accent sur l’élaboration des projets de transfor­mation et sur leur mise à l’agenda2. L’innovation institutionnelle peut ainsi être définie comme le processus d’action collective par lequel un nouvel arrangement institutionnel est introduit dans un système social spécifique. Le dispositif mis en place pourra être considéré comme innovant à partir du moment où certains acteurs du contexte d’adoption y voient une solution nouvelle et cré­dible à un problème qu’ils cherchent à résoudre3.

2L’ambition de cet article est de spécifier certaines caractéristiques fondamentales de l’innovation institutionnelle que nous illustrerons et justifie­rons par des exemples relatifs à l’adoption de nouveaux instruments de connaissance dans les forces de police. Les traits sur lesquels nous pen­sons devoir insister plus particulièrement, mais pas uniquement, sont les suivants : le fait que ces innovations instrumentales reposent le plus souvent sur des transferts extérieurs d’une part, leur nature « d’entreprise politique » d’autre part.

  • 4 D. P. Dolowitz, D. Marsh, « Learning from Abroad : The Role of Policy Transfer in Contemporary Poli (...)
  • 5 T. Delpeuch, Les courants de recherche sur les trans­ferts de politique publique : une pluralité d’ (...)
  • 6 T. Delpeuch, « Comment la mondialisation rap­proche les politiques publiques », in L’économie polit (...)

3Les travaux sur la création et la circulation de nouveaux instruments d’action publique ont mis en évidence le rôle central que jouent les proces­sus de transfert dans l’innovation institutionnelle. Celle-ci comporte toujours des emprunts exté­rieurs, dans la mesure où ceux qui entreprennent d’introduire des changements dans une politique publique sont inévitablement influencés par la représentation qu’ils ont de ce qui se fait dans d’autres contextes4. La littérature sur les transferts de politique publique a tendance à se focaliser sur la circulation internationale des modèles institutionnels5, mais ceux-ci peuvent aussi bien s’opérer d’un secteur d’activités à l’autre, d’un territoire à l’autre ou d’une organisation à l’autre dans un même pays. Il n’en reste pas moins que l’actuel mouvement de transnationalisation de l’action publique a pour effet d’accélérer et d’amplifier les phénomènes d’import-export transfrontières de modèles institutionnels, qui occupent une place de plus en plus importante dans les entreprises d’innovation instrumentale6.

  • 7 P. Lascoumes, P. Le Galès, « L’action publique saisie par ses instruments », in P. Lascoumes, P. Le (...)
  • 8 J.-P. Le Bourhis, P. Lascoumes, « Les résistances aux instruments de gouvernement – Essai d’inventa (...)

4Une autre propriété de l’innovation institu­tionnelle que nous voudrions mettre en avant réside dans son importante charge politique. Cette dimension d’entreprise politique que revêt nécessairement l’adoption d’une nouvelle solu­tion d’action publique n’a pas été suffisamment explorée par l’APP. Elle provient du fait que les instruments contribuent à structurer les rapports de pouvoir dans les organisations adoptantes. Ils procurent, en effet, à certains acteurs organisa­tionnels des avantages, ressources, opportunités et capacités d’action, tandis qu’ils font subir à d’autres un surcroît de contraintes, une réduction de leurs marges de liberté et une diminution de leur statut7. D’autre part, un instrument est porteur de valeurs, croyances, rationalités et principes d’action que tous ses utilisateurs et destinataires ne partagent pas. Il induit une représentation spécifique des problèmes qu’il contribue à traiter, ainsi qu’une conception particulière des réponses à apporter, dans lesquelles une partie des acteurs concernés ne se reconnaissent pas. C’est pourquoi l’innovation instrumentale constitue bien souvent « un espace d’affrontements et de frictions » politiques entre « ceux qui souhaitent introduire un instrument nouveau et ceux qui le refusent8 ».

5Les évolutions contemporaines de l’action poli­cière constituent un domaine de recherche riche d’enseignements sur les logiques qui guident l’in­novation institutionnelle et, plus particulièrement, sur la place qu’y occupent les transferts instru­mentaux. En effet, les modes d’organisation, de fonctionnement et d’intervention des forces de police ont été, dans tous les pays occidentaux, bouleversés par une vague d’innovations dont l’origine se situe aux États-Unis et en Grande-Bretagne au début des années 1980. Les nouvelles approches « proactives » inventées dans les contextes anglo-saxons peuvent être divisées en deux catégories : « territorialisées préventives » et « managériales-répressives ». Elles ont influencé les réformes entreprises dans de nombreux autres pays. L’un des traits principaux de ce mouvement international de transformation des stratégies policières a été l’adoption, partout dans le monde, de nouveaux instruments d’intelligence, c’est-à-dire d’outils destinés à fournir aux responsables policiers les informations et connaissances dont ils ont besoin pour piloter les activités de leurs services (1ère partie).

6Ces nouvelles conceptions de l’action policière, de même que les innovations instrumentales conçues pour équiper les réformes afférentes, poursuivent simultanément des objectifs de na­ture technique et des buts politiques. Elles visent à la fois à résoudre un problème technique, par exemple permettre aux responsables policiers de mieux appréhender un environnement de travail de plus en plus complexe, et expriment des visées politiques, par exemple augmenter les perfor­mances répressives des forces de l’ordre ou, au contraire, faire en sorte que la police contribue à prévenir les problèmes qui détériorent le cadre de vie des habitants d’un territoire (2e partie).

7Mais la charge politique qui caractérise l’inno­vation institutionnelle ne provient pas seulement des conceptions et visées politiques dont elle est porteuse. Elle résulte également des luttes politiques que ne manque pas de susciter toute entreprise d’innovation institutionnelle au sein du contexte d’adoption (3e partie).

L’innovation instrumentale comme réponse à la crise de l’institution policière

8Dans le domaine de la lutte contre l’insécurité comme dans les autres secteurs de politique pu­blique, l’innovation institutionnelle répond à un besoin perçu de changement. Elle apparaît quand s’impose la nécessité d’inventer de nouvelles solutions pour améliorer l’efficacité et la légi­timité de l’action publique, ainsi que d’investir dans leur expérimentation et leur diffusion.

La crise du modèle professionnel réactif

9Le mouvement d’innovation qui touche l’en­semble des systèmes policiers occidentaux depuis les années 1980 n’échappe pas à la règle. Cette vague de réformes trouve, en effet, son origine dans la remise en cause du répertoire d’actions progressivement développé par les forces de police au cours du XXe siècle, que l’on pourrait qualifier de « modèle professionnel réactif ».

  • 9 F. Jobard, J. De Maillard, Sociologie de la police. Politiques, organisations, réformes, Paris, Arm (...)
  • 10 D. Weisburd, A. A. Braga (eds.) Police Innovation : Contrasting Perspectives, Cambridge, Cambridge (...)

10Fruit d’une dynamique historique de bureaucra­tisation et de professionnalisation, ce modèle avait permis de diminuer la politisation, la corruption et l’arbitraire qui sévissaient au sein des organisations policières, grâce notamment à l’élévation du niveau de formation des policiers, ainsi qu’à un encadrement plus strict de leurs activités au moyen de règlements, de dispositifs disciplinaires et de techniques de gestions. Le caractère réactif de ce modèle est lié au fait que le travail obéit à une logique de réponse au cas par cas aux infractions commises. L’activité policière consiste, pour l’essentiel, à réagir aux appels et aux plaintes, et ce dans un but de lutte contre la délinquance9. Toutes les forces de police emploient la même gamme restreinte de moda­lités d’action, à savoir la patrouille dissuasive motorisée, la réponse rapide aux appels d’urgence et l’investigation judiciaire des infractions signalées. Ces solutions génériques sont mises en œuvre de manière uniforme, indépendamment des spécificités du territoire d’intervention10.

  • 11 J. De Maillard, op. cit.

11Une prise de conscience des lacunes du modèle professionnel réactif s’opère aux États-Unis et en Grande-Bretagne durant les années 1960 et 1970. Cette période est marquée par l’explosion de la petite délinquance, l’échec à empêcher la récidive, l’expansion de la criminalité organisée internationale, l’augmentation du sentiment d’insécurité, la diminution des taux d’élucidation, la montée des tensions entre police et minorités ethniques, la multiplication des émeutes urbaines, affaires judiciaires et scandales publics déclen­chés par des abus policiers, la perte de confiance du public dans les forces de l’ordre11. Ces évo­lutions entraînent une insatisfaction croissante vis-à-vis des méthodes policières, qui trouve à s’exprimer dans différents univers sociaux : aca­démique, médiatique, professionnel et politique.

  • 12 D. H.Bayley, Police for the Future, Oxford, Oxford University Press, 1996 ; D. Weisburd, J. Eck, “W (...)

12Les spécialistes universitaires des questions de police ont joué un rôle majeur dans la mise en évi­dence des déficiences des stratégies et méthodes réactives. Durant les années 1970, une série de recherches américaines en sciences sociales apportent la preuve scientifique de l’inefficacité des pratiques en vigueur à endiguer la hausse de l’insécurité et démontrent leurs effets pervers12. Les résultats obtenus par les chercheurs sont lar­gement relayés par les médias, ainsi que par les centres de formation et journaux professionnels de la police. Ils trouvent une caisse de résonance particulièrement efficace dans les commissions gouvernementales et parlementaires chargées d’évaluer le fonctionnement et les modes d’action des forces de police. Les acteurs politiques s’em­parent du problème, ce qui aboutit au lancement de programmes de réforme de la police.

La diffusion de deux modèles alternatifs : « territorialisé-préventif » et « managérial-répressif »

  • 13 J. De Maillard, op. cit.

13À la fin des années 1970, le constat de faillite du modèle professionnel réactif fait l’objet d’un large consensus et l’idée s’impose selon laquelle les méthodes policières doivent être renouvelées. Différents groupes réformateurs s’investissent dans la conception, l’expérimentation et la pro­motion de solutions alternatives13. Ces entreprises d’innovation conduisent à l’émergence de nou­velles approches dites « proactives ». Celles-ci se propagent rapidement à travers les États-Unis et le Royaume-Uni au cours des années 1980, puis connaissent une large diffusion internationale à partir des années 1990, au fur et à mesure que la remise en question du modèle professionnel réactif se répand de pays en pays.

14Ces innovations peuvent être classées en deux catégories, qui renvoient à deux philosophies d’action relativement distinctes, correspondant chacune à une vision politique du mandat policier.

  • 14 J. Eck, W. Spelman, “Problem-Solving : Problem-Oriented Policing In Newport News”, in R. G. Dunham (...)

15Un premier ensemble de réformes vise une meilleure inscription territoriale de l’action poli-cière et un rapprochement des forces de police avec leurs publics et partenaires institutionnels. Les organisations policières sont appelées à adopter une démarche de résolution de problème. Celle-ci doit être orientée vers la prise en charge des troubles – qu’elle qu’en soit la nature – qui provoquent un sentiment d’insécurité parmi les habitants. Pour ce faire, la police doit privilégier les modes d’action qui préservent la paix sociale et favorisent le développement des territoires, en particulier la prévention sociale, la lutte contre les incivilités et la réduction des vulnérabilités que les délinquants peuvent exploiter. Elle doit associer les habitants à la définition de ses prio­rités d’action et développer des coopérations avec tous les acteurs institutionnels susceptibles de contribuer à la réduction de l’insécurité au niveau local. Ce nouveau paradigme d’action a trouvé son expression la plus aboutie dans deux doctrines professionnelles, le community policing et le problem-oriented policing, qui ont été développées aux États-Unis pendant les années 198014.

  • 15 D. Weisburd, A. A. Braga, « La diffusion de l’inno­vation dans la police », in Revue Française de s (...)
  • 16 J. Eck, W. Spelman, op. cit.

16Le maître mot de cette approche, que nous nommerons « territorialisée-préventive », est la compréhension des problèmes de sécurité afin d’apporter une réponse adaptée à chaque situation spécifique15. Cette ambition de mieux connaître les phénomènes générateurs d’insécurité suppose, de la part des organisations policières, d’adopter toute une gamme de techniques et d’instruments dédiés au « diagnostic » et à « l’évaluation straté­gique » des situations problématiques. Ces outils sont pour la plupart dérivés de méthodes de re­cherche en sciences sociales, à l’image du fameux modèle SARA (Scanning, Analysis, Response and Assessment), qui indique aux policiers comment opérer une démarche de résolution de problème depuis le recueil de données sur le phénomène ciblé et leur analyse jusqu’à l’évaluation des résultats de la solution mise en œuvre16.

  • 17 T. Jones, T. Newburn, “The Transformation of Policing ? Understanding Current Trends in Policing Sy (...)
  • 18 P. Dunleavy, C. Hood, “From Old Public Adminis­tration to New Public Management”, in Public Money a (...)
  • 19 J. de Maillard, C. Mouhanna, “Governing the po­lice by numbers : the French experience”, in Ross J. (...)

17La deuxième catégorie d’innovations a pour but d’améliorer l’efficience et l’efficacité des activi­tés répressives de lutte contre la délinquance17. Ces réformes s’inscrivent dans un mouvement plus vaste de « managérialisation » qui touche toutes les administrations publiques. Elles consis­tent, pour l’essentiel, à introduire dans le pilotage des organisations policières des principes et des recettes inspirés de la nouvelle gestion publique18, tels que, par exemple, le souci de rentabilité des choix stratégiques, la gestion par programmes et par objectifs, l’évaluation permanente des résul­tats au moyen d’indicateurs chiffrés, la comparai­son mutuelle entre les services, la rémunération des personnels en fonction des performances, ou encore la contractualisation avec des opérateurs privés de certaines missions de police19. Ces tech­niques de gestion sont placées au service d’une conception punitive et intrusive de la surveillance des désordres et du contrôle du crime.

  • 20 F. Jobard, J. De Maillard, op.cit.
  • 21 J. H.Ratcliffe, Intelligence-Led Policing, Cullomp­ton UK : Willan Publishing, 2008 ; J. G. Carter, (...)

18À l’instar des approches « territorialisées-pré­ventives », ce deuxième type de réformes, que nous appellerons « managériales-répressives », réclame la mise en place de nouveaux outils d’in­telligence. Ceux-ci ne sont pas utilisés pour com­prendre en profondeur les facteurs d’insécurité qui affectent un territoire, mais pour concentrer les moyens d’action de la police sur les lieux, les individus et les groupes perçus comme présentant un risque particulièrement élevé du point de vue de la délinquance. Sont développés en priorité des dispositifs d’intelligence dédiés à la localisation des « points chauds » (c’est-à-dire des secteurs géographiques et moments considérés comme criminogènes), à l’établissement des identités, profils et réseaux des délinquants les plus actifs, au repérage et à l’exploitation des points faibles des organisations criminelles20. Sont également privilégiés les outils qui permettent de renforcer le contrôle et le suivi de l’activité des personnels, avec pour conséquence un renforcement de l’em­prise hiérarchique sur les échelons subordonnés de l’organisation. La doctrine de l’intelligence-led policing, conçue en Grande-Bretagne durant les années 199021, constitue l’incarnation la plus notoire de cette conception du travail d’intelli­gence. Ces instruments peuvent être des systèmes d’exploitation des données statistiques, des logiciels de cartographie, de rapprochement des informations judiciaires ou d’analyse prédictive de la délinquance, des méthodes de traçage des relations sociales d’un suspect, des techniques de profilage criminel.

Innovation et emprunts extérieurs

  • 22 L. Dumoulin, S. Saurugger, « Les policy transfer studies : analyse critique et perspectives », in C (...)

19Le processus d’adoption d’une innovation institu­tionnelle comporte nécessairement des ouvertures cognitives sur d’autres contextes que celui où se pose le problème auquel l’organisation cherche à apporter une solution nouvelle. Les acteurs organisationnels qui réfléchissent à la manière de traiter l’enjeu mobilisent des informations et connaissances captées à l’extérieur, si bien que tout processus d’innovation hybride des éléments d’origines endogènes et exogènes22. Les idées récoltées dans d’autres contextes constituent des sources d’inspiration, au sens où elles sont cognitivement traduites et appropriées par les entrepreneurs d’innovation, qui les transforment en autre chose que les modèles auxquels ils se réfèrent. Le transfert ne constitue donc pas une modalité spécifique d’innovation institutionnelle (l’imitation d’une solution qui existe déjà ailleurs par opposition à l’invention d’une réponse grâce aux seules ressources internes), mais bien plutôt un mécanisme fondamental qui intervient dans tout processus d’innovation.

  • 23 P. A. Hall, R. C. R. Taylor, « La science politique et les trois néo-institutionnalismes », in Revu (...)
  • 24 La notion de légitimité est ici entendue au sens que lui donnent les sociologues néo-institutionnal (...)
  • 25 P. J. Di Maggio, W. W. Powell, “The Iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and Collec­tive (...)
  • 26 J. G. Carter, op. cit.

20Les différents courants du nouvel institutionna­lisme sociologique ont amplement démontré ce rôle fondamental des emprunts externes dans le changement institutionnel23. Ils ont également prouvé que l’innovation institutionnelle répond à l’insatisfaction ressentie par certains acteurs eu égard à ce qu’ils perçoivent comme un manque d’efficacité et un déficit de légitimité24. C’est surtout cette seconde préoccupation qui permet d’expliquer la diffusion des nouvelles solutions d’action publique dès lors que celles-ci sont réputées efficaces (elles semblent avoir fait leurs preuves ailleurs, elles paraissent faisables) et adéquates (elles sont jugées compréhensibles et acceptables)25. En effet, les responsables politico-administratifs souhaitent généralement apparaître comme des modernisateurs aux yeux de ceux dont dépend leur carrière. Tel est le cas des dirigeants d’organisation policière, dont la réputation professionnelle repose pour une bonne part sur l’aptitude qu’ils manifestent à introduire dans leurs services des méthodes et outils qui coïncident avec, voire dépassent, les standards en vigueur dans leur milieu professionnel. Bien souvent, les responsables policiers qui prennent l’initiative de mettre en place de nouveaux dis­positifs d’intelligence ne le font pas en vue de mieux comprendre leur environnement d’inter­vention, mais dans le but de gravir les échelons de la hiérarchie26.

  • 27 Les transferts internationaux de méthodes et d’instruments pour les forces de police font l’objet d (...)

21Si les références aux expériences et modèles étrangers occupent une place de plus en plus importante dans l’innovation policière, c’est précisément parce que les occasions d’opérer des emprunts cognitifs dans d’autres pays se multiplient du fait de la circulation internationale accrue des experts, professionnels et savoirs27.

22Du fait de la globalisation de l’univers acadé­mique, les communautés de spécialistes universi­taires des questions de police ont généralement un caractère international. Les échanges d’idées qui se déroulent en leur sein, à travers l’organisation de séminaires et colloques internationaux, ou encore la publication d’articles et d’ouvrages en langue anglaise, constituent l’un des principaux facteurs d’accroissement de la circulation interna­tionale d’innovations instrumentales. Ces experts universitaires sont eux-mêmes connectées à des cercles nationaux d’experts gouvernementaux et professionnels, auprès desquels ils font office de passeurs d’idées étrangères.

  • 28 À ce propos, voir P. Andreas, E. Nadelman, Polic­ing the Globe – Criminalization and Crime Control (...)

23La profession policière elle-même et, plus lar­gement, le secteur de la lutte contre l’insécurité, revêtent également un caractère de plus en plus transnational28. Les élites policières sont large­ment insérées dans des associations, forums et réseaux internationaux, ainsi que dans des dispo­sitifs de coopération internationale technique et opérationnelle, où chacun veut apparaître vis-à-vis de ses pairs comme étant au fait des dernières innovations en matière d’intelligence et comme ayant la volonté de s’en inspirer. Ces espaces de circulation d’informations sur les modèles trans­férables facilitent l’établissement de relations interpersonnelles entre innovateurs actuels et innovateurs potentiels. Les contacts informels qui s’y nouent – par exemple à l’occasion de voyages d’étude, d’activités de conseil, d’affectations à des postes d’agent de liaison, ou encore de stages de formation à l’étranger – constituent un des principaux vecteurs de diffusion horizontale de l’innovation, entre professionnels occupant des positions homologues et confrontés à des problèmes similaires ou devenus interdépendants les uns des autres. C’est ainsi que l’International Association of Chiefs of Police, la principale organisation américaine de cadres des forces de police, a joué un rôle majeur dans le transfert vers les États-Unis des méthodes britanniques d’intelligence-led policing.

24La diffusion d’instruments et techniques passe aussi par l’action de diverses organisations et régimes internationaux, tels que par exemple Europol, le Collège européen de police (CEPOL), qui offrent un cadre pour la constitution de communautés épistémiques d’experts, ainsi que pour l’harmonisation des normes professionnelles. Ces organisations constituent un lieu de rencontre entre entrepreneurs nationaux d’innovation et entrepreneurs internationaux de transferts.

25Cette émulation internationale est renforcée par le développement d’outils et de pratiques d’ob­jectivation et d’évaluation comparée des « perfor­mances » des organisations policières, dans une logique de classement : benchmarking, définition de standards nationaux et internationaux qui fournissent une référence commune pour mesurer les écarts par rapport à la norme, systèmes de certification et labellisation, dispositifs de veille visant à détecter et à publiciser les « bonnes » et les « mauvaises » pratiques…

26Le développement des technologies de l’infor­mation et de la communication permet un essor sans précédent de la circulation internationale des idées et, incidemment, procure aux responsables politico-administratifs en quête de solutions des voies d’accès de moins en moins coûteuses à la connaissance de « ce qui se fait ailleurs ». De plus en plus d’organisations policières exposent leurs initiatives en matière d’intelligence sur Internet et, simultanément, y effectuent une veille tech­nique pour s’informer des nouvelles méthodes. Les prescripteurs internationaux d’instruments (organisations internationales, think tanks, en­treprises qui vendent ces outils…) font aussi un usage intensif de la toile.

27En somme, ce n’est pas la part d’apports exo­gènes dans les dynamiques d’innovation qui a augmenté, mais la part de références à l’étranger dans les emprunts extérieurs.

Les visées technico-politiques des entreprises d’innovation instrumentale

28L’idée selon laquelle la conduite des activités policière doit faire davantage appel à des instru­ments d’intelligence constitue, à partir des années 1980, un thème central des discours réformateurs sur la police au niveau international. Ces discours attribuent aux innovations qu’ils promeuvent à la fois une efficacité technique et des vertus politiques.

Les nouveaux instruments d’intelligence comme solutions techniques…

  • 29 H. Lasswell, “Research in Policy Analysis : The Intelligence and Appraisal Functions”, in F. I. Gre (...)

29Les changements paradigmatiques en cours dans les politiques de sécurité depuis les années 1980 font peser sur la « fonction d’intelligence29 » des organisations policière une importante pres­sion à l’innovation. L’un comme l’autre types de réformes « territorialisées-préventives » et « managériales-répressives » impliquent en effet de transformer les modalités de collecte, circula­tion, traitement et exploitation de l’information. Les deux approches invitent les forces de police à évoluer vers une gestion stratégique de leurs activités, caractérisée par le souci de baser les choix sur une compréhension plus fine, systé­matique, méthodique et objective des cibles de l’action policière.

  • 30 J. W. E.Sheptycki, J. Ratcliffe, “Setting the Strate­gic Agenda”, in J. H. Ratcliffe (ed.), Strateg (...)

30Les dispositifs d’intelligence sont conçus pour permettre aux responsables policiers de mieux cerner les caractéristiques des atteintes à la sé­curité, d’en saisir les causes et les conséquences, d’en discerner facteurs d’aggravation et d’at­ténuation, d’en déchiffrer – et éventuellement d’en prévoir – l’évolution. Ces outils sont cen­sés fournir aux décideurs des éclairages grâce auxquels ils peuvent envisager un éventail plus large de réponses possibles et mieux anticiper les conséquences de leurs choix. Le recours aux techniques d’intelligence est présenté comme un moyen de hiérarchiser les problèmes selon divers critères, tels que leur degré d’urgence, les dom­mages économiques qu’ils génèrent, les dégâts sociaux qu’ils causent, le sentiment d’insécurité qu’ils provoquent, ou encore le coût de leur prise en charge30.

31Forts des éléments d’appréciation apportés par les instruments d’intelligence, les responsables policiers sont supposés être mieux armés pour définir des objectifs susceptibles de rapporter un bénéfice important du point de vue de la réduction de l’insécurité. Ils sont présumés être mieux à même de déterminer des priorités parmi de multiples tâches qui ne peuvent pas toutes être accomplies, ainsi que d’arbitrer entre de nom­breuses demandes qui ne peuvent pas toutes être satisfaites. Une fois l’action initiée, les dispositifs d’intelligence doivent permettent d’en évaluer l’impact sur le problème ciblé et d’en détecter les éventuels effets indésirables, de sorte que les décideurs ont la possibilité d’infléchir la réponse mise en œuvre.

  • 31 P. Gottschalk, “Information systems in police knowledge management”, in Electronic Govern­ment, an (...)

32Selon leurs promoteurs, les dispositifs d’intel­ligence répondent à un autre problème majeur des forces de police, celui de leur adaptation à la montée des technologies de l’information et de la communication. Ces dernières présentent l’avan­tage d’accroître considérablement les possibilités de stockage, de traitement et de dissémination des renseignements portant sur les activités répréhensibles, mais, en même temps, ont pour inconvénient de confronter les gestionnaires et les enquêteurs des services de police à une surcharge d’informations. Les instruments d’in­telligence apportent une solution à ce problème en procurant des capacités de gestion, sélection, hiérarchisation, analyse et restitution sous une forme exploitable des données collectées par les services de police31.

… répondant à un pluralisme d’intentions politiques

  • 32 P. Lascoumes, L. Simard, « L’action publique au prisme de ses instruments », in Revue française de (...)
  • 33 E. Chiapello, P. Gilbert, Sociologie des outils de gestion, Paris, La Découverte, 2013.

33Chaque dispositif d’intelligence est porteur d’une conception particulière de l’action policière dont il a vocation à éclairer les processus décision­nels. Son usage induit une certaine distribution sélective de l’attention, un certain cadrage et une certaine problématisation des enjeux auxquels les décideurs font face32. L’instrument incorpore tout un ensemble de conventions, qui définissent notamment les catégories et critères à utiliser pour sélectionner et classer les informations pertinentes, ainsi que les schémas interprétatifs et formes de discours à employer pour qualifier et expliquer les situations problématiques33.

34C’est pourquoi les entrepreneurs d’innovation ont tendance à voir dans l’introduction d’outils d’intelligence un moyen de faciliter, voire de provoquer, les changements qu’ils jugent politi­quement souhaitables. Pour les réformateurs, dé­velopper les capacités d’intelligence de la police revient à y propager et à y institutionnaliser de nouvelles manières de voir et de penser, donc de nouvelles pratiques, qu’ils imaginent volontiers correspondre à l’idée qu’ils se font du bon style d’exercice des missions de police. Cette idée varie considérablement selon les cercles réformateurs. Il est souvent affirmé, dans la littérature, que la diffusion de nouveaux dispositifs d’intelligence contribue essentiellement à la propagation de la conception « managériale-répressive » de l’action policière. Mais à bien y regarder, cette vague d’in­novations contribue tout autant à la généralisation de l’approche « territorialisée-préventive ».

  • 34 J. Grieve, “Developments in UK Criminal Intel­ligence”, in J. H. Ratcliffe (ed.), Strategic Thinkin (...)
  • 35 S. Christopher, Cope N., “A Practitioner’s Perspec­tive of UK Strategic Intelligence”, in J. H. Rat (...)

35Le National Intelligence Model (NIM), progressi­vement introduit entre 1999 et 2004, est représen­tatif des innovations instrumentales s’inscrivant dans la logique managériale-répressive. Ce vaste dispositif, qui se présente lui-même comme un « business process », vise à développer, encadrer et homogénéiser les pratiques d’intelligence aux trois niveaux national, régional et local des forces de police anglaises. Il équipe chacun de ces échelons de toute une gamme de procédures et d’outils d’intelligence : création de bureaux et services d’intelligence, mise en place de « mana­gers de l’intelligence » et d’analystes, production périodique de rapports sur l’état des menaces et de documents d’orientation stratégique, tenue régulière de comités de coordination et de pi­lotage, protocoles organisant la circulation des informations entre les différents échelons34. Le NIM est principalement conçu comme un moyen de sélectionner les meilleures cibles d’action poli­cière, c’est-à-dire celles qui offrent les meilleures perspectives de « rentabiliser » les ressources en­gagées. Sa principale fonction est d’aider la police à identifier les individus et les groupes qui sont responsables des atteintes les plus nombreuses et les plus graves à la sécurité. C’est pourquoi le modèle privilégie les instruments d’intelligence criminelle. L’adoption du NIM traduit une réo­rientation de l’action policière vers l’investiga­tion judiciaire et un recentrage sur les méthodes répressives traditionnellement valorisées par la profession35. Incidemment, le NIM procure au gouvernement central un moyen supplémentaire de contrôler les activités policières (via l’informa­tion produite par les instruments d’intelligence) et engage la police à être plus efficace avec moins de ressources (via les mécanismes de ciblage et de priorisation).

36D’autres innovations instrumentales incarnent une vision politique très différente de la fonction d’intelligence dans la police. Par exemple, les experts académiques engagés dans la promotion de la conception « territorialisée-préventive » de l’action policière – et des instruments d’intelli­gence correspondants – insistent généralement sur la nécessité de développer le métier d’analyste dans les organisations policières.

  • 36 J. H. Ratcliffe, “Setting the Strategic Agenda”, in J. H. Ratcliffe (ed.), Strategic Thinking in Cr (...)

37Ces réformateurs ont une vision bien particu­lière du rôle que ces professionnels spécialisés doivent jouer au sein de la police, à savoir celui de porte-parole de la rationalité scientifique. Cela signifie que les analystes doivent avoir pour fonction première de produire des données et des connaissances répondant à des critères de validité scientifique. À cette fin, ils doivent – à la manière des chercheurs en sciences sociales – chercher à diversifier autant que possible leurs sources d’informations, et ce afin de s’affranchir des biais inhérents aux informations fabriquées par l’organisation policière. Ils doivent, en outre, se tenir au courant des résultats des travaux scientifiques par une lecture assidue des journaux académiques, revues professionnelles, rapports gouvernementaux et forums en ligne d’experts36.

  • 37 P. F. Walsh, “Project Management”, in J. H. Rat­cliffe (ed.), Strategic Thinking in Criminal Intell (...)

38Les aptitudes attendues de la part des analystes sont les mêmes que celles que les chercheurs se doivent de posséder : ils doivent savoir choisir et définir un objet d’étude bien délimité, faire preuve de rigueur méthodologique, formuler des hypothèses sur la base de théories, concevoir des schémas explicatifs permettant de formuler des anticipations plausibles, gérer leur « projet d’ana­lyse » à la manière d’un projet de recherche37.

  • 38 A. MacVean, C. Harfield, “Science or Sophistry : Issues in Managing Analysts and Their Products”, i (...)

39Dans le même ordre d’idées, les experts aca­démiques jugent souhaitable d’accorder aux analystes des formes d’autorité et d’autonomie professionnelle similaires à celles qui sont re­connues aux universitaires. Ils doivent avoir la liberté de sélectionner eux-mêmes les problèmes à examiner indépendamment des préoccupations du sommet de l’organisation. Ils doivent dis­poser du temps nécessaire pour parvenir à une compréhension complète du phénomène étudié, même si la hiérarchie manifeste un besoin urgent d’éclairage analytique. Ils doivent bénéficier de garanties statutaires leur permettant de tenir, sans risque d’être sanctionné ou marginalisé, un discours critique vis-à-vis des schémas domi­nants de pensée et d’action, fussent-ils partagés par les dirigeants, ainsi que contre les préjugés et stéréotypes qui ont cours dans l’univers policier38.

40Cette vision de l’analyste comme chercheur scientifique affilié à une organisation policière s’avère, bien évidemment, en profond décalage avec les attentes des responsables opérationnels. Elle correspond, en fait, à l’objectif politique des partisans académiques du modèle « territo­rialisé-préventif », qui est de renforcer tous les principes d’actions caractérisant, selon eux, une police démocratique à visage humain. Parmi ceux-ci, on peut mentionner l’équité procédurale, la bienveillance à l’égard des déviances légales et modes de vie alternatifs, la fidélité à l’esprit des lois et des règles déontologiques, le souci de s’intégrer harmonieusement dans la vie sociale des territoires et de répondre aux attentes expri­mées par la population.

41Ces réformateurs pensent qu’introduire, en la personne des analystes, des intellectuels critiques au sein même des forces de police aura pour effet de faire prendre conscience aux responsables po­liciers du caractère contre-productif des méthodes répressives. Forts des arguments scientifiques prodigués par de tels analystes, les policiers conviendront de la nécessité d’humaniser leur action, c’est-à-dire de minimiser les dégâts hu­mains et sociaux causés par leurs interventions. En outre, ils acquerront une meilleure compré­hension des groupes minoritaires, donc auront moins tendance à plaquer sur eux des stéréotypes négatifs, ce qui entraînera une diminution des stigmatisations et des discriminations à l’encontre de ces populations.

L’entreprise d’innovation comme champ de luttes politiques

42L’introduction d’une innovation institutionnelle constitue toujours un processus politique qui met aux prises une pluralité de protagonistes.

43Ainsi, l’adoption d’un nouveau dispositif d’in­telligence dans une organisation policière met en jeu différents échelons hiérarchiques (diri­geants, encadrement intermédiaire, agents de base), différents services spécialisés et ressorts territoriaux, différents syndicats et associations professionnelles, différentes autorités extérieures (politiques, administratives, judiciaires), diffé­rents prestataires nationaux et étrangers d’exper­tise (universitaires, consultants, professionnels). Chacun de ces acteurs est porteur d’intérêts et d’objectifs spécifiques. Chacun a sa propre vi­sion du problème que l’innovation est supposée résoudre. Chacun a sa propre conception de la forme que doit revêtir le nouvel instrument, de la manière de procéder pour le mettre en place, de la façon de l’utiliser et de ce à quoi il doit servir.

44L’innovation est source de controverses et de conflits politiques dans l’organisation, car elle vient y modifier les rapports de pouvoir entre ces différents acteurs. Certains sont gagnants en termes d’influence sur les processus décisionnels, de répartition des ressources, d’autonomie dans la réalisation de leurs tâches et d’accès à l’informa­tion pertinente, tandis que d’autres sont perdants. C’est pourquoi l’enjeu politique que représente innovation suscite à la fois des stratégies de pouvoir et des oppositions internes.

Innovation et stratégies de pouvoir

45Les promoteurs d’une innovation voient généra­lement dans sa diffusion un moyen d’accroître leur pouvoir.

  • 39 O. Ihl, M. Kaluszynski, « Pour une sociologie historique des sciences de gouvernement », in Revue f (...)

46Tel est notamment le cas de certains cercles d’ex­perts académiques, pour lesquels la promotion d’instruments d’intelligence constitue un moyen de légitimer leur propre savoir scientifique, en même temps que leur propre vision des pro­blèmes de sécurité et leurs propres préférences concernant les réponses à apporter. Pour ces « entrepreneurs de scientificité »39 qui ne dispo­sent pas eux-mêmes d’une autorité hiérarchique ni d’un poids politique dans le monde policier, susciter l’adoption de nouveaux outils est un moyen d’influencer à distance le management des organisations policières.

47Les responsables policiers peuvent également trouver un intérêt stratégique à la mise en place de nouveaux dispositifs d’intelligence. Outre le bénéfice d’image qu’ils peuvent retirer de leurs initiatives en matière d’innovation, ils peuvent utiliser les possibilités d’argumentation offertes par les outils d’intelligence pour justifier, vis-à-vis de leurs subordonnés, des décisions risquant de susciter des oppositions, par exemple en ma­tière de choix des missions ou d’organisation du travail. Les chefs de service de police peuvent également faire usage des instruments d’intel­ligence pour affirmer leur autonomie profes­sionnelle, tant vis-à-vis des échelons supérieurs de la hiérarchie que des syndicats et autorités extérieures dont ils dépendent. En effet, les dispo­sitifs d’intelligence leur procurent une expertise qui peut être valablement opposés à certaines demandes ou directives qui leur sont adressées. Ils constituent, en somme, une ressource dans les débats politiques internes et externes.

  • 40 C. Lewis, J. Wood, “The Governance of Policing and Security Provision”, in J. Fleming, J. Wood (eds (...)
  • 41 J. H.Ratcliffe, Intelligence-Led Policing, op. cit.

48Cela est particulièrement vrai dans le cadre des nouvelles formes partenariales de gouvernance des politiques de sécurité. En effet, les partici­pants à ces structures délibératives doivent, dès lors qu’ils souhaitent y exercer une influence, produire un effort d’argumentation rationnelle des choix qu’ils voudraient voir adopter. La ca­pacité à invoquer des données probantes et des connaissances savantes constitue, de ce point de vue, un atout dans les discussions en amont des décisions collectives. La qualité des expertises produites par la police, ainsi que sa capacité à les valoriser dans les comités décisionnels, déterminent en partie son poids politique et son pouvoir de négociation dans les arènes partena­riales40. De ce point de vue, disposer de capacités d’intelligence confère à l’organisation policière de plus grandes chances de rallier ses partenaires institutionnels à sa vision d’un problème, de les convaincre de soutenir ses propositions d’action, de les persuader d’apporter leur contribution à la mise en œuvre des solutions qu’elle préconise, de stimuler le partage d’information à son profit. L’innovation en matière d’intelligence permet, en somme, aux forces de police de maintenir leur statut d’acteur central dans les réseaux partenariaux41. C’est pourquoi les responsables policiers qui participent régulièrement à des ins­tances partenariales sont généralement prêts à se mobiliser en faveur de l’adoption d’instruments d’intelligence.

49Enfin, pour les acteurs gouvernementaux et partisans, l’introduction d’innovations s’ins­crit dans la cadre de programmes de réformes dont l’adoption peut être motivée par diverses préoccupations, telles que satisfaire les attentes de certains électeurs, répondre à des critiques exprimées ou relayées par les médias, aligner le pays sur des standards internationaux, réduire les coûts des activités policières, ou encore apaiser le mécontentement suscité par ce qui est perçu, dans l’opinion publique, comme un échec de l’action policière.

50Les chances qu’une innovation soit adoptée sont d’autant plus grandes que différents groupes réformateurs parviennent à nouer une alliance en faveur de son introduction.

Les oppositions à l’innovation

51La mise en place d’un nouveau dispositif d’in­telligence nécessite d’adapter les structures et procédures de l’organisation adoptante, de façon à y transformer les modalités de collecte, trans­mission, gestion et exploitation des informations utilisées dans les processus décisionnels. De telles transformations soulèvent inévitablement des oppositions et de résistances (aussi bien au stade du projet qu’à l’étape de la réalisation). Trois types de motifs peuvent pousser un acteur à se mobiliser contre l’entreprise d’innovation.

52Une première catégorie de raisons de s’opposer a trait à l’idée que les acteurs se font de leur intérêt et des répercussions possibles de l’innovation sur celui-ci.

  • 42 P. K. Manning, The Technology of Policing. Crime Mapping, Information Technology, and the Rationali (...)
  • 43 D. Gatto, J.-C. Thoenig, La sécurité publique à l’épreuve du terrain. Le policier, le magistrat, le (...)
  • 44 A. James, Examining Intelligence-Led Policing. Developments in Research, Policy and Practice, Bas­i (...)

53Ainsi, les personnels des services opérationnels ont tendance à se méfier des dispositifs d’intel­ligence, surtout quand ceux-ci sont placés au service du management et du contrôle de leur activité sur le terrain. En effet, l’adoption d’ins­truments d’intelligence nourrit la prétention (si­non la capacité) des hiérarchies intermédiaires et supérieures à superviser plus étroitement la prise de décision opérationnelle, ainsi qu’à normaliser les processus de travail. La marge discrétion­naire laissée aux échelons de base s’en trouve diminuée d’autant42. En donnant aux supérieurs hiérarchiques le sentiment de disposer d’une information suffisante sur les situations à traiter, les outils d’intelligence réduisent les incertitudes sur lesquelles agents de terrain construisent leur espace d’autonomie43. Les personnels opéra­tionnels craignent, en outre, que les dispositifs d’intelligence ne génèrent un surcroît de travail. En effet, leur bon fonctionnement suppose un effort de collecte et de remontée d’information de la part des agents de terrain. D’autre part, ces outils permettent la détection de phénomènes qui seraient autrement passés inaperçus, et appellent donc des actions supplémentaires de la part des services44. Qui plus est, l’introduction dans les organisations policières de nouvelles unités et de nouveaux personnels spécialisés dans le travail d’intelligence provoque des tensions liées à la redistribution des pouvoirs, des ressources et de la reconnaissance des mérites professionnels.

54Un deuxième type de motifs d’opposition réside dans les cultures professionnelles et matrices co­gnitives dominantes au sein des forces de police.

55Les responsables ont l’habitude de compter sur leurs seules ressources intellectuelles pour évaluer les problèmes auxquels ils font face et décider des mesures à prendre. Ils estiment ne pas avoir besoin de l’appui d’un personnel spécialisé pour les aider à examiner et inter­préter les informations mises à leur disposition. Ils sont persuadés que leurs connaissances, qui sont le fruit d’expériences concrètes, surclassent nécessairement celles qui sont produites par les dispositifs d’intelligence. C’est pourquoi il leur semble inutile de se compliquer la vie en deman­dant des analyses qu’ils estiment être en mesure de produire eux-mêmes.

  • 45 P. Manning, The Narcs’ Game – Organizational and Informational Limits on Drug Law Enforcement – 2nd (...)
  • 46 J. W. E. Sheptycki, “Organizational Pathologies in Police Intelligence Systems. Some Contributions (...)

56Plus largement, la grande majorité des policiers a tendance à considérer le travail intellectuel et administratif – auquel ils identifient les tâches de mise en œuvre des dispositifs d’intelligence – comme secondaires par rapport à l’intervention directe au cours même de l’incident ou au travail d’enquête visant à élucider les circonstances de celui-ci45. Dans un univers professionnel où l’intelligence des situations de travail repose traditionnellement sur des savoir-faire tacites et des modes d’échange informels et personnalisés, les innovations visant à formaliser, harmoniser, rationaliser et mieux encadrer juridiquement les processus d’information suscitent inévitablement une grande méfiance46.

57Une troisième cause de rejet réside dans le manque de capacités institutionnelles – c’est-à-dire de compétences professionnelles, de procé­dures adaptées ou encore de moyens matériels – dans l’organisation adoptante. Certains res­ponsables policiers peuvent estimer que l’inno­vation est trop coûteuse ou manque de faisabilité compte tenu des ressources dont disposent leurs services.

  • 47 S. Christopher, Cope N., op. cit.
  • 48 J.Sissens, “An Evaluation of the Role of the Intelli­gence Analyst within the National Intelligence (...)

58Ainsi, beaucoup de chefs de police pensent que la création de postes d’analyste représente un gaspillage de ressources, car il est pratiquement impossible de trouver des personnels possédant les aptitudes requises, la formation adéquate et un attrait pour ce genre de travail. Au demeurant, ces chefs, qui n’ont eux-mêmes pas été formés aux techniques d’intelligence, ne voient pas l’utilité des conseils qu’un analyste compétent pourrait leur apporter47. En effet, ils considèrent que leurs services sont déjà débordés par de multiples injonctions et demandes qui doivent être satis­faites en priorité, ce qui ne laisse aucune place pour le travail proactif guidé par les dispositifs d’intelligence48.

Conclusion

59Le fait qu’une innovation institutionnelle soit por­teuse d’une charge politique n’implique en rien que sa mise en œuvre fasse avancer les objectifs politiques de ses promoteurs.

60En pratique, l’adoption d’une innovation institu­tionnelle ne constitue que le point de départ d’un processus de changement au cours duquel les utilisateurs apportent des ajustements au nouveau dispositif, investissent celui-ci de leurs propres enjeux et préférences, et en développent des usages imprévus. Par conséquent, les transformations initiées par l’innovation peuvent diverger considérablement des intentions initiales nourries par les réformateurs. La propension des acteurs de la mise en œuvre à réinterpréter, réaménager, voire redéfinir le dispositif mis en place est d’au­tant plus grande que les controverses et luttes politiques que suscite l’innovation sont intenses. Les opérateurs manifestent une extraordinaire aptitude à imaginer des stratégies, parfois extrê­mement subtiles, qui leur permettent de préserver leurs intérêts, de conserver les représentations auxquelles ils sont attachés et de reproduire les pratiques auxquelles ils sont habitués, et ce en dépit de l’introduction du nouvel outil.

  • 49 M. Callon, F. Muniesa, « La performativité des sciences économiques », in P. Steiner, F. Vatin (eds (...)
  • 50 M. Briers, W. F. Chua, “The role of actor-networks and boundary objects in management accounting ch (...)

61Il est très rare que l’adoption d’un instrument d’intelligence suffise, à elle seule, à susciter l’évolution voulue des cadres cognitifs des res­ponsables policiers, à rééduquer leur jugement, à les convertir à de nouvelles approches et à institutionnaliser de nouvelles pratiques. Autre­ment dit, les techniques et outils d’intelligence se distinguent par leur faible « performativité »49. Elles se caractérisent également par leur faible « robustesse », c’est-à-dire par leur faible capa­cité à rester fidèle au modèle d’origine en dépit des appropriations dont ils sont l’objet par leurs utilisateurs50.

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Notes

1 L. Dumoulin, C. Licoppe, « Policy transfer ou innovation ? L’activité juridictionnelle à distance en France », in Critique internationale, n° 48, 2010, pp. 117-133.

2 J. De Maillard, « Réformes des polices dans les pays occidentaux. Une perspective comparée », in Revue Française de Science Politique, vol. 59, n° 6, 2009, pp. 1197-1230.

3 R. Raffaelli, M. A. Glynn, “Institutional Innova­tion: Novel, Useful, and Legitimate”, in C. E. Shalley, M. A. Hitt, Jing Zhou (eds.), The Oxford Handbook of Creativity, Innovation, and Entrepreneurship, Oxford, Oxford University Press, 2015 ; T. J. Hargrave, A. H. Van De Ven, “A Collective Action Model of Institutional Innovation”, in Academy of Management Review, vol. 31, n° 4, pp. 351-371.

4 D. P. Dolowitz, D. Marsh, « Learning from Abroad : The Role of Policy Transfer in Contemporary Policy Making », in Governance, vol. 13, n° 1, 2000, pp. 5-24.

5 T. Delpeuch, Les courants de recherche sur les trans­ferts de politique publique : une pluralité d’approches en voie de convergence, Paris, CERI, Questions de recherche / Research in Question, n° 27, 2009.

6 T. Delpeuch, « Comment la mondialisation rap­proche les politiques publiques », in L’économie politique, n° 43, juillet 2009.

7 P. Lascoumes, P. Le Galès, « L’action publique saisie par ses instruments », in P. Lascoumes, P. Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, pp. 11-44.

8 J.-P. Le Bourhis, P. Lascoumes, « Les résistances aux instruments de gouvernement – Essai d’inventaire et de typologie des pratiques », in C. Halpern, P. Lascoumes, P. Le Galès, L’instrumentation de l’action publique, Paris, Presses de Sciences Po, 2014, pp. 493-520.

9 F. Jobard, J. De Maillard, Sociologie de la police. Politiques, organisations, réformes, Paris, Armand Colin, Coll. “U”, 2015.

10 D. Weisburd, A. A. Braga (eds.) Police Innovation : Contrasting Perspectives, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.

11 J. De Maillard, op. cit.

12 D. H.Bayley, Police for the Future, Oxford, Oxford University Press, 1996 ; D. Weisburd, J. Eck, “What Can Police Do to Reduce Crime, Disorder and Fear ?”, in The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 593, n° 1, 2004, pp. 42-65.

13 J. De Maillard, op. cit.

14 J. Eck, W. Spelman, “Problem-Solving : Problem-Oriented Policing In Newport News”, in R. G. Dunham and G. P. Alpert (eds.), Critical Issues in Policing, Pros­pect Heights, IL, Waveland Press, 1989 ; D. Weisburd, A. A. Braga, op. cit.

15 D. Weisburd, A. A. Braga, « La diffusion de l’inno­vation dans la police », in Revue Française de science Politique, vol. 59, n° 6, 2009, pp. 1097-1126.

16 J. Eck, W. Spelman, op. cit.

17 T. Jones, T. Newburn, “The Transformation of Policing ? Understanding Current Trends in Policing Systems”, in British Journal of Criminology, vol. 42 n° 1, 2002, pp. 129-146.

18 P. Dunleavy, C. Hood, “From Old Public Adminis­tration to New Public Management”, in Public Money and Management, vol. 14, n° 3, 1994, pp. 9-16 ; F.-X. Merrien, « La Nouvelle Gestion publique : un concept mythique », in Lien social et Politiques, n° 41, 1999, pp. 95-103.

19 J. de Maillard, C. Mouhanna, “Governing the po­lice by numbers : the French experience”, in Ross J., Delpeuch T., Comparing the Democratic Governance of Police Intelligence New Models of Participation and Expertise in the United States and Europe, Northamp­ton, MA, USA, Edward Elgar, 2016.

20 F. Jobard, J. De Maillard, op.cit.

21 J. H.Ratcliffe, Intelligence-Led Policing, Cullomp­ton UK : Willan Publishing, 2008 ; J. G. Carter, Intelligence-led Policing. A policing Innovation, El Paso, LFB Scholarly Publishing LLC, 2013.

22 L. Dumoulin, S. Saurugger, « Les policy transfer studies : analyse critique et perspectives », in Critique internationale, n° 48, 2010, pp. 9-24.

23 P. A. Hall, R. C. R. Taylor, « La science politique et les trois néo-institutionnalismes », in Revue française de science politique, vol. 47, n° 3, 1997, pp. 469-496 ; John W. Meyer, B. Rowan, “Institutionalized Organiza­tions : Formal Structure as Myth and Ceremony”, in P. J. DiMaggio, W. W. Powell (eds.) The New Institutional­ism in Organizational Analysis, Chicago, University of Chicago Press, 1991, pp. 41-62 ; D. Strang, J. W. Meyer, « Institutional Conditions for Diffusion », in Theory and Society, vol. 22, n° 4, 1993, pp. 487-511.

24 La notion de légitimité est ici entendue au sens que lui donnent les sociologues néo-institutionnalistes, c’est-à-dire comme conformité à ce qui est tenu pour approprié dans le milieu social où sont intégrés ces ac­teurs, comme concordance avec les croyances, normes et valeurs qui y prédominent.

25 P. J. Di Maggio, W. W. Powell, “The Iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and Collec­tive Rationality in Organizational Fields”, in P. J. Di Maggio, W. W. Powell (eds.), op. cit., pp. 63-84.

26 J. G. Carter, op. cit.

27 Les transferts internationaux de méthodes et d’instruments pour les forces de police font l’objet d’un intérêt croissant de la part des chercheurs : voir notamment T. Jones, T. Newburn, Policy Transfer and Criminal Justice, Maidenhead, Open University Press, 2007 ; A. Goldsmith, J. Sheptycki (eds.), Crafting Transnational Policing – Police Capacity-Building and Global Police Reform, Portland, OR, USA, Hart Publishing, 2007 ; M. Brogden, P. Nijhar, Community Policing National and International Models and Ap­proaches, Portland, OR, Willan, 2005.

28 À ce propos, voir P. Andreas, E. Nadelman, Polic­ing the Globe – Criminalization and Crime Control in International Relations, Oxford, Oxford University Press, 2006 ; B. Bowling, J. Sheptycki, Global Polic­ing, London, Sage, 2012 ; M. Deflem, The Policing of Terrorism – Organizational and Global Perspective, New York, Routledge, 2010.

29 H. Lasswell, “Research in Policy Analysis : The Intelligence and Appraisal Functions”, in F. I. Green­stein, N. Polsby (eds.) The Handbook of Political Science vol. 6 : Policies and Policymaking, Reading, Addison-Wesley, 1975, pp. 1-22.

30 J. W. E.Sheptycki, J. Ratcliffe, “Setting the Strate­gic Agenda”, in J. H. Ratcliffe (ed.), Strategic Thinking in Criminal Intelligence, Annandale NSW : The Federa­tion Press, 2004, pp. 194-209.

31 P. Gottschalk, “Information systems in police knowledge management”, in Electronic Govern­ment, an International Journal, vol. 4, n° 2, 2007, pp. 191-203.

32 P. Lascoumes, L. Simard, « L’action publique au prisme de ses instruments », in Revue française de science politique, vol. 61, n° 1, 2011, pp. 5-22.

33 E. Chiapello, P. Gilbert, Sociologie des outils de gestion, Paris, La Découverte, 2013.

34 J. Grieve, “Developments in UK Criminal Intel­ligence”, in J. H. Ratcliffe (ed.), Strategic Thinking in Criminal Intelligence, 2nd Edition, Sydney, The Federation Press, 2009, pp. 28-46.

35 S. Christopher, Cope N., “A Practitioner’s Perspec­tive of UK Strategic Intelligence”, in J. H. Ratcliffe (ed.), Strategic Thinking in Criminal Intelligence, 2nd Edition, Sydney, The Federation Press, 2009, pp. 235-247.

36 J. H. Ratcliffe, “Setting the Strategic Agenda”, in J. H. Ratcliffe (ed.), Strategic Thinking in Criminal Intelligence, 2nd Edition, Sydney, The Federation Press, 2009, pp. 248-268.

37 P. F. Walsh, “Project Management”, in J. H. Rat­cliffe (ed.), Strategic Thinking in Criminal Intelligence, 2nd Edition, Sydney, The Federation Press, 2009, pp. 204-221 ; M. R. Evans, “Influencing Decision Making With Intelligence and Analytical Products”, in J. H. Ratcliffe (ed.), Strategic Thinking in Criminal Intelligence, 2nd Edition, Sydney, The Federation Press, 2009, pp. 187-203.

38 A. MacVean, C. Harfield, “Science or Sophistry : Issues in Managing Analysts and Their Products”, in C. Harfield, A. MacVean, J. G. D. Grieve, D. Phillips, The Handbook of Intelligent Policing - Consilience, Crime Control, and Community Safety, Oxford, Oxford University Press, 2008, pp. 93-104.

39 O. Ihl, M. Kaluszynski, « Pour une sociologie historique des sciences de gouvernement », in Revue française d’administration publique, n° 102, 2002, pp. 229-243.

40 C. Lewis, J. Wood, “The Governance of Policing and Security Provision”, in J. Fleming, J. Wood (eds.), Fighting Crime Together – The Challenges or Policing and Security Networks, Sydney, University of New South Wales Press, 2006, pp. 219-245.

41 J. H.Ratcliffe, Intelligence-Led Policing, op. cit.

42 P. K. Manning, The Technology of Policing. Crime Mapping, Information Technology, and the Rationality of Crime Control, New York : New York University Press, 2008.

43 D. Gatto, J.-C. Thoenig, La sécurité publique à l’épreuve du terrain. Le policier, le magistrat, le préfet, Paris, L’Harmattan, IHESI, 1993.

44 A. James, Examining Intelligence-Led Policing. Developments in Research, Policy and Practice, Bas­ingstoke, Palgrave Macmillan, 2013.

45 P. Manning, The Narcs’ Game – Organizational and Informational Limits on Drug Law Enforcement – 2nd Edition, Prospects Heights IL, Waveland Press, 2004 (1st Edition 1980).

46 J. W. E. Sheptycki, “Organizational Pathologies in Police Intelligence Systems. Some Contributions to the Lexicon of Intelligence-Led Policing”, in European Journal of Criminology, vol. 1, n° 3, 2004, pp. 307-332.

47 S. Christopher, Cope N., op. cit.

48 J.Sissens, “An Evaluation of the Role of the Intelli­gence Analyst within the National Intelligence Model”, in C. Harfield and al. (eds.), op. cit., 2008, pp. 121-130.

49 M. Callon, F. Muniesa, « La performativité des sciences économiques », in P. Steiner, F. Vatin (eds.), Traité de sociologie économique, Paris, PUF, 2009, pp. 289-324.

50 M. Briers, W. F. Chua, “The role of actor-networks and boundary objects in management accounting change : a field study of an implementation of activity-based costing”, in Accounting, Organizations and Society, vol. 26, 2001, pp. 237-269.

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Pour citer cet article

Référence papier

Thierry Delpeuch, « L’innovation institutionnelle : une entreprise politique à base d’emprunts extérieurs »Quaderni, 91 | 2016, 61-78.

Référence électronique

Thierry Delpeuch, « L’innovation institutionnelle : une entreprise politique à base d’emprunts extérieurs »Quaderni [En ligne], 91 | Automne 2016, mis en ligne le 05 octobre 2018, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/quaderni/1011 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/quaderni.1011

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Auteur

Thierry Delpeuch

Chercheur CNRS,
PACTE, Science-po Grenoble, Université Grenoble Alpes

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