- 3 Par le terme « collaborateur », nous désignons les membres du personnel ne faisant pas partie du to (...)
1Parmi les outils de management public, l’évaluation des performances individuelles des collaborateurs3 fait figure de pratique clé des réformes administratives. Cette pratique est aussi parmi les plus prometteuses dans la mesure où elle se veut au centre d’une relation managériale repensée, rénovée, renforcée.
2Dans le cas fédéral belge, les outils en la matière se sont succédé. Depuis les anciennes pratiques du signalement (De Broux, 2005 ; Daugnaix & Göransson, 2010), les observateurs ont assisté, dans la foulée de Copernic, à la mise en place des cercles de développement et des cycles d’évaluation ponctués le cas échéant de l’application Crescendo. L’histoire des pratiques d’évaluation de la performance n’est d’ailleurs pas terminée puisqu’est apparu très récemment l’outil Symphonie.
3Dans cette contribution, nous présenterons, dans un premier temps, la littérature décrivant l’évaluation comme un outil utile pour le manager évaluateur comme pour le collaborateur évalué. Nous parlerons ainsi du potentiel de l’évaluation en tant qu’outil motivationnel, de développement et surtout en tant qu’outil, pour l’évaluateur, de management (de proximité), de pilotage et d’aide à la prise de décision.
4Dans un second temps, nous rappellerons les modalités et les ambitions de départ des différents systèmes d’évaluation ayant vu le jour depuis le statut Camu. Nous présenterons également les limites qu’a connus le système des cercles de développement – en particulier en matière de management de la performance (Daugnaix, 2008 ; Daugnaix & Göransson, 2010).
5Nous nous poserons ensuite les questions suivantes : suite aux travaux ayant mis en avant ces limites, les outils se sont-ils améliorés ? Ont-ils contribué au renforcement du rôle managérial ou conduit à des gains de maturité ? Des impacts en termes de performance sont-ils observables ?
- 4 Dans le cadre de cette recherche, plus d’une vingtaine d’entretiens semi-directifs ont été menés de (...)
6Sur la base d’une recherche qualitative menée auprès d’évaluateurs et d’évalués au sein de trois Services Publics Fédéraux (SPF)4, nous montrerons – dans un troisième temps donc – que, bien que l’évaluation sous la forme des cycles d’évaluation montre une utilité aux yeux des agents rencontrés, elle n’a pas rempli ses ambitions de départ. En effet, elle n’est malheureusement pas un outil à impact managérial fort pour le manager évaluateur et ne permet pas, selon la grande majorité des agents, d’évoluer dans leur carrière. Nous montrerons également en quoi son utilité managériale est fragilisée en particulier par la dynamique qui prend place autour des quatre mentions finales : nous verrons en effet que les évaluateurs sont freinés dans l’attribution de certaines mentions et sont donc contraints dans leur liberté de manager.
7Ainsi, cette contribution tentera de faire émerger les « effets de système » (Crozier & Friedberg, 1977) sous-tendant les relations entre évaluateurs et évalués mais également les limites techniques des outils mis à disposition des managers.
8La littérature managériale présente l’évaluation du personnel comme un outil incontournable pour l’évaluateur comme pour l’évalué. En effet, l’évaluation – en particulier quand elle prend la forme d’un ou de plusieurs entretiens entre le collaborateur et son supérieur hiérarchique – est un moment privilégié où l’évalué a l’occasion de s’expliquer, de « s’exprimer, [de] clarifier sa situation » en rentrant vraiment en dialogue avec son supérieur. L’évaluation est alors perçue comme un outil de management de proximité assurant une meilleure compréhension des situations de travail, et des dysfonctionnements existants (Ientile-Yalenios & Roger, s.d., p. 1, 3, 17 ; Mercier & Schmidts, 2004, p. 152).
9Pour l’évaluateur, ce dialogue consiste souvent à donner un retour formalisé sur le travail réalisé par l’évalué ainsi que sur ses points forts et les points à améliorer. L’entretien structurant l’échange entre évaluateur et évalué est également une opportunité d’identifier conjointement les objectifs – qualitatifs ou quantitatifs, de prestation ou de développement – à atteindre pour l’année à venir et de discuter de la manière d’atteindre ces objectifs (Mercier & Schmidts, 2004, p. 138, p. 144 ; Trépo, 2005, pp. 27‑28).
10Pour l’évalué, lors de ce dialogue formalisé, il est possible de discuter avec l’évaluateur des difficultés rencontrées pendant l’année, de ses désirs d’évolution de carrière et de développement personnel (Ientile-Yalenios & Roger, 2010, p. 1 ; Mercier & Schmidts, 2004, p. 138, p. 144 ; Trépo et al, 2005, pp. 27, p. 43).
11Pour les deux parties, une évaluation est aussi un moment où chacun – en particulier l’évaluateur – peut exprimer sa reconnaissance vis-à-vis de l’autre partie et ses attentes (Trépo et al., 2005, pp. 28‑29).
- 5 L’évaluation individuelle permet de mesurer les résultats d’un individu sur une année – c’est-à-dir (...)
12Ainsi, pour le manager évaluateur, l’évaluation se veut un outil de management, de pilotage de son équipe et d’aide à la décision. A l’aide de cet outil, l’évaluateur est censé pouvoir gérer au mieux les compétences de ses collaborateurs pour remplir les objectifs d’équipe mais aussi plus largement de l’organisation5 (Lin & Kellough, 2019, pp. 179‑180 ; Mercier & Schmidts, 2004, p. 152, p. 156).
13De plus, l’évaluation serait également un moyen pour l’évaluateur de motiver les troupes (Lin et Kellough, p. 180 ; Mercier & Schmidts, p. 148), d’accroître la motivation de l’évalué – la motivation étant entendu ici comme l’envie de faire, ce qui pousse l’individu à agir/faire quelque chose, à déployer des efforts et de l’énergie (Trépo et al., 2005, p. 45, p. 60).
14Finalement, notons qu’un facteur clé du succès de l’évaluation avancé à de nombreuses reprises dans la littérature tient dans la qualité de la relation entre l’évaluateur et l’évalué (Ientile-Yalenios & Roger, s.d., p. 3) et de manière plus précise la qualité de la communication entre les deux (Mercier & Schmidts, 2004, p. 154).
15Comme nous le verrons, ces principes guidant l’évaluation sont au cœur des différentes démarches implémentées au sein de l’administration fédérale belge.
16Rappelons les modalités et ambitions de départ des différents systèmes d’évaluation ayant vu le jour depuis le statut Camu.
- 6 Plus précisément, bien qu’il soit officiellement entré en vigueur en 1939, le signalement a en fait (...)
17Le premier système d’évaluation des agents fédéraux belges, appelé le signalement, a vu le jour dans l’arrêté royal du 7 août 1939 organisant l'évaluation et la carrière des agents de l'Etat (Daugnaix & Göransson, 2010, § 5 et 6)6. Il avait pour but d’« assurer la sélection des agents les meilleurs [pour une fonction] et d’accorder à ceux qui se distinguent par leur valeur un avancement et une rémunération conforme à leurs qualités » (De Broux, 2005, p. 165 ; Daugnaix & Göransson, 2010, § 6).
- 7 Ce sont, à l’époque, soit des agents auxiliaires « dont la tâche ne requiert aucune spécialisation (...)
18Selon l’arrêté du 07 août 1939, sont concernés par le signalement tous les fonctionnaires sauf les contractuels7 et les fonctionnaires dirigeants « qui n’étaient pas soumis à un quelconque système formel d’évaluation » (De Broux, 2005, p. 162 ; Daugnaix & Göransson, 2010, §6). Ce signalement consiste en l’attribution sur la base de « l’appréciation objective de la valeur, des aptitudes, du rendement et du mérite » des agents d’un signalement favorable ou défavorable (Daugnaix & Göransson, 2010, § 6).
19En fonction du signalement obtenu, l’évaluation a des conséquences positives ou négatives pour l’évalué. Un signalement favorable lui permettra en effet d’obtenir une promotion, une augmentation barémique tandis que deux signalements défavorables consécutifs entrainent son licenciement (De Broux, 2005, p. 162 ; Daugnaix & Göransson, 2010, § 6). Un évalué mécontent du signalement défavorable reçu pouvait, à l’époque déjà, introduire un recours (De Broux, 2005, p. 162).
20Ce système de signalement que nous venons de décrire dans les grandes lignes a très vite dépéri et n’a pas du tout, au final, rencontré ses objectifs de départ – en particulier celui de sélectionner les meilleurs candidats pour une fonction.
21En effet, comme le résumait une journaliste du Soir en 1988, le problème avec le signalement, c’est qu’il ne signale rien dans la mesure où « Tout le monde est très bon, et celui qui est mauvais est « bon » » (Le Soir, 1988). Dit autrement, le signalement est, au fil des années, devenu « une formalité dépourvue de toute signification » (Daugnaix & Göransson, 2010, § 7) tant les évaluateurs de l’époque évitaient « toute cotation extrême » (De Broux, 2005, p. 165).
22Face au constat de l’échec du signalement, début des années 90, la classe politique de l’époque s’accorde sur la nécessité de mettre sur pied un nouveau système d’évaluation et de faire disparaitre le signalement (Le Soir, 1991a, 1991b).
23Après l’apparition de plusieurs arrêtés et plusieurs modifications de l’arrêté royal du 7 août 1937, le signalement a été remplacé en 1997 par le système « Flahaut » (Daugnaix & Göransson, 2010, §9) – système introduit par André Flahaut, ministre de la fonction publique de l’époque. Ce système a ensuite été gelé début des années 2000 par le ministre Vanden Bossche. La raison de ce gel qui n’a permis au système Flahaut d’être « mis en œuvre qu’à une ou deux reprises » est l’arrivée imminente de la seconde grande réforme de la fonction publique fédérale belge : la réforme Copernic (Daugnaix & Göransson, 2010, §9).
- 8 Notons que l’appellation « cercles de développement » n’apparaît à aucun moment dans l’arrêté royal (...)
24En 1999, alors que la réforme Copernic se met en branle, un nouveau système d’évaluation voit le jour dès 2002 : le système des cercles de développement (De Broux, 2005, p. 158 ; Daugnaix & Göransson, 2010, § 10)8.
25Plus précisément, ce système a été introduit par l’arrêté royal du 2 août 2002 instituant un cycle d'évaluation dans les services publics fédéraux et dans le ministère de la Défense. Il a pour but « ultime » d’améliorer le « fonctionnement de l’organisation et le développement du collaborateur » (AR 02/08/2002, Rapport au Roi). Il doit aussi permettre que les évaluateurs jouent réellement leur « rôle de dirigeant » (AR 02/08/2002, art. 9).
26Il concerne l’ensemble du personnel, statutaire comme contractuel, de niveau A, B, C, D en service dans les SPF à l’exception :
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des stagiaires ;
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des personnes sous contrat Rosetta ;
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des titulaires d’une fonction de management ;
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des titulaires d’un mandat – une autre procédure d’évaluation est prévue pour eux ;
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du personnel de la Sûreté de l’Etat et de certaines catégories du personnel du SPF Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au développement (AR 02/08/2002, art. 1, 3 ; Daugnaix, 2008, p. 133).
27L’évaluateur est « le chef fonctionnel qui a la direction et/ou le contrôle journalier du fonctionnement de l'évalué et qui assure la communication informelle et formelle dans le cadre du cycle d'évaluation » ou « le titulaire de la fonction de management la plus proche » de l’évalué (AR 02/08/2002, art. 2, § 1er ; art. 6).
28Sans rentrer dans trop de détails, le fonctionnement du système des cercles prend la forme d’un cycle d’un ou deux ans comprenant au minimum deux des quatre types d’entretiens suivants : l’entretien de fonction, l’entretien obligatoire de planning, l’entrée de fonctionnement et l’entretien obligatoire d’évaluation. Nous aborderons les modalités opérationnelles de ces entretiens lorsque nous examinerons le système ayant succédé au système des cercles.
- 9 Pour qu’un évaluateur puisse octroyer cette mention, il faut premièrement que le fonctionnement de (...)
- 10 Suite à cette première mention « insuffisant », il est également possible pour l’évaluateur et le c (...)
29Un point est toutefois important à noter dès à présent : à l’issue de l’entretien d’évaluation qui clôture un cycle, une mention finale « insuffisant » peut être octroyée9 par l’évaluateur à l’évalué (AR 02/08/2002, art. 20). L’attribution d’une première mention « insuffisant » pour un membre du personnel engagé par contrat de travail met fin à son contrat de travail (AR 02/08/2002, art. 28). Par contre, une première mention « insuffisant » pour un agent nommé à titre définitif ne correspond qu’à « un avertissement et une invitation à mieux fonctionner ». Elle donne également la possibilité au Comité de direction de déterminer la durée de la période d’évaluation suivant l’attribution de cette mention « insuffisant » – cette durée devant être de six mois au moins (AR 02/08/2002, art. 21)10. Ce n’est qu’une seconde mention « insuffisant » dans les trois ans suivant l’attribution de la première mention « insuffisant » qui mènera à ce que l’autorité ayant le pouvoir de nomination propose le licenciement de l’agent pour inaptitude professionnelle – il s’agit bien d’une proposition qui doit être confirmée pour que le licenciement ait finalement lieu (AR 02/08/2002, art. 21, art. 26).
30En ce qui concerne les faiblesses de ce système des cercles, plusieurs travaux ayant analysés sa mise en œuvre ont mis en avant 4 lacunes majeures – en particulier en matière de management de la performance : (1) la non-obligation de fixer des objectifs et d’y associer des indicateurs de performance ; (2) le manque de gratifications formelles « en lien avec les résultats de l’évaluation » et d’attention portée au mérite ; (3) l’inapplication des sanctions pourtant prévues sur papier ; (4) la difficulté à décliner les objectifs en cascade (Daugnaix, 2008, pp. 140‑143, pp. 145‑148 ; Daugnaix & Göransson, 2010, § 25, § 30, § 33).
- 11 L’arrêté royal reprenant les changements les plus significatifs est l’arrêté royal du 20 septembre (...)
31Dès fin 2012, début 2013, de premiers changements au système des cercles de développement sont effectués au travers de trois arrêtés royaux11. Cependant, c’est bien l’arrêté royal du 24 septembre 2013 relatif à l’évaluation dans la fonction publique fédérale qui permet le remplacement du système des cercles de développement par le système des cycles d’évaluation.
- 12 Dans le système des cercles de développement, le Comité de direction pouvait décider, pour chaque c (...)
32Dans cet arrêté, nous pouvons lire que cette évaluation, qui, sauf exception listée à l’article 5 de l’arrêté royal du 24 septembre 2013, prend place chaque année civile12 (AR 24/09/2013, art. 5), concerne tous les membres du personnel de la fonction publique fédérale à l’exception des mandataires et du personnel scientifique des établissements scientifiques (AR 24/09/2013, art. 1, § 1 et § 2).
- 13 Dans le Rapport au Roi, la suppression de l’obligation de formation est justifiée par le fait que « (...)
33Afin que l’agent soit évalué par quelqu’un qui le connait et travaille quotidiennement dans son service, l’évaluateur est le supérieur hiérarchique de l’agent ou le chef fonctionnel de cet agent « auquel le supérieur hiérarchique a délégué la tâche de l’évaluation » (AR 24/09/2013, art. 2, 17°et Rapport au Roi). La formation de ces évaluateurs, obligatoire à l’époque des cercles de développement (AR 02/08/2002, art. 6), est devenue optionnelle et est disponible uniquement sur demande13 (AR 24/09/2013, art. 4).
34L’évaluation, comme indiqué à l’article 3 de l’arrêté royal du 24 septembre 2013, est fondée sur quatre éléments lorsque le collaborateur a simplement la casquette d’évalué et sur six éléments lorsqu’il endosse en plus le rôle d’évaluateur :
◾ « La réalisation des objectifs de prestation [tant qualitatifs que quantitatifs] fixés lors l'entretien de planification et éventuellement adaptés lors des entretiens de fonctionnement » ;
◾ « Le développement des compétences du membre du personnel utiles à sa fonction » ;
◾ « La contribution du membre du personnel aux prestations de l'équipe dans laquelle il fonctionne » ;
◾ « La disponibilité du membre du personnel à l'égard des usagers du service (…) internes ou externes ».
35L’évaluateur est quant à lui aussi jugé sur la qualité des évaluations qu’il réalise (AR 24/09/2013, art. 3) et sur le respect des délais et de la réglementation (AR 24/09/2013, art. 13, 14, 15,16, § 2).
36Aux articles 7 à 9 de l’arrêté précité, la réglementation détaille les quatre entretiens formant un cycle d’évaluation. Notons que dans le tableau qui suit, ce qui est tout à fait neuf et propre aux entretiens du système des cycles d’évaluation est en gras. Ce qui a légèrement été modifié entre le système des cycles d’évaluation et le système des cercles de développement est en italique. Ce qui n’est ni en italique, ni en gras est commun aux deux systèmes.
- 14 Dans le système des cercles de développement, des objectifs de prestation n’étaient formulés que si (...)
- 15 Le SPF Stratégie et Appui met entre autres deux guides à disposition : un à l’intention des évaluat (...)
- 16 Dans le système des cercles de développement, il était prévu que les éventuels objectifs de prestat (...)
- 17 L’entretien de fonctionnement n’est pas rendu obligatoire dans la réglementation mais le SPF Straté (...)
- 18 Pour rappel, dans le système des cercles de développement, une seule mention pouvait être attribuée (...)
- 19 Les détails de ce qui détermine l’attribution de chaque mention sont explicités aux articles 13 à 1 (...)
- 20 Ces critères sont censés aider l’évaluateur à fournir une appréciation objective (AR 24/09/2013, Ra (...)
- 21 Dans le système des cercles de développement, le fonctionnement de l’évalué et l’évaluation de l’at (...)
Entretien de fonction
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Il prend place suite à une nomination, l’engagement d’un contractuel ou un changement de fonction, des changements significatifs dans la fonction actuellement occupée par l’agent (AR 24/09/2013, art. 7, anciennement art. 10 de l’AR 02/08/2002).
Durant cet entretien, il s’agit de convenir, entre l’évaluateur et l’évalué, de la description de fonction (AR du 24/09/2013, art. 7, anciennement art. 10 de l’AR 02/08/2002).
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Entretien de planification
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Cet entretien obligatoire prend place au début de la période d’évaluation ou immédiatement après l’entretien de fonction (AR 24/09/2013, art. 7, anciennement art. 11 AR 02/08/2002).
Lors de cet entretien, l’évaluateur et l’évalué formulent obligatoirement des objectifs – tant qualitatifs que quantitatifs – de prestation14 et éventuellement des objectifs de développement personnel (AR du 24/09/2013, art. 7, anciennement art. 11 AR 02/08/2002). Bien que cela soit absent de l’arrêté royal, les guides15 à l’intention des collaborateurs évaluateurs et évalués fournis par le SPF Stratégie et Appui précisent que les objectifs de prestation et de développement personnel « s’inscrivent toujours dans le cadre des objectifs opérationnels de l’équipe et des objectifs stratégiques de la direction générale ou de l’organisation »16 (FEDWEB.BELGIUM, 2014, p. 16).
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Entretien de fonctionnement
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Chaque fois que jugé nécessaire17, l’évaluateur peut prévoir un entretien de fonctionnement et l’évalué peut le demander. Cependant, l’évaluateur ne semble pas obligé de répondre favorablement à la demande de l’évalué, simplement d’en accuser la bonne réception (AR 24/09/2013, art. 8, anciennement art. 12 AR 02/08/2002).
Lors de cet entretien, les objectifs de prestation peuvent être adaptés, des objectifs de développement formulés.
Les points suivants peuvent également être abordés : (1) « Des solutions aux problèmes qui concernent le fonctionnement de l’évalué » ou « qui entravent la réalisation des objectifs convenus » ; (2) « Le développement du membre du personnel au sein de sa fonction actuelle » ; (3) « Les perspectives et aspirations de carrière du membre du personnel et le développement de compétences qui sont souhaitables à cette fin » (AR 24/09/2013, art. 8, anciennement art. 12 de l’AR 02/08/2002).
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Entretien d’évaluation
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A la fin de la période d’évaluation, l’évaluateur invite l’évalué à l’entretien d’évaluation (AR 24/09/2013, art. 9, anciennement art. 13 et 15 de l’AR 02/08/2002).
L’entretien « a lieu dans le dernier mois de la période d’évaluation ou dans le mois qui suit la fin de cette période ». Si l’évaluation concerne un collaborateur qui a le rôle d’évaluateur, le délai est prolongé d’un mois et en cas d’absence de l’évalué, l’entretien « est reporté au mois qui suit la reprise de travail » (AR 24/09/2013, art. 9).
Suite à cet entretien, un rapport d’évaluation doit se conclure sur une des quatre mentions suivantes18 : « exceptionnel », « répond aux attentes », « à améliorer », « insuffisant » (AR 24/09/2013, art. 12). Ce rapport « produit ses effets à la fin de la période d’évaluation » (AR 24/09/2013, art. 12). Ces mentions sont attribuées, pour le dire simplement19, en fonction du degré de réponse aux quatre ou six critères20 sur lesquels se basent l’évaluation du collaborateur21 (AR 24/09/2013, art. 13 à 16).
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37Dans le système des cycles d’évaluation, des conséquences positives et négatives sont associées aux différentes mentions.
38Les conséquences associées à la mention « insuffisant » sont les mêmes pour tout agent – contractuel ou statutaire. Une première mention « insuffisant » fait office d’avertissement et réduit la période d’évaluation suivante à six mois (AR 24/09/2013, art. 33). Une seconde mention « insuffisant » dans les trois ans suivant l’attribution de la première mention « insuffisant » permet au fonctionnaire dirigeant de prononcer directement le licenciement de l’agent pour inaptitude professionnelle ou de le proposer à l’autorité détenant le pouvoir de nomination (effectif ou délégué) (AR 24/09/2013, art. 34).
39Un agent qui obtient une mention « insuffisant » ou une mention « à améliorer » ne peut d’ailleurs pas être promu par accession au niveau ou à la classe supérieure ou encore changer de grade. De plus, une fonction supérieure n’est conservée que « pour autant que le membre du personnel n’obtienne pas une de ces deux mentions » (fedweb.belgium, 2019).
- 22 Au besoin, tous les détails sont disponibles dans l’arrêté royal du 25 octobre 2013 relatif à la ca (...)
40Pour ce qui est de la carrière pécuniaire de l’agent, en bref22, elle progresse normalement suite à une mention finale « répond aux attentes », progresse plus rapidement en cas de répétition de la mention « exceptionnel » et est ralentie suite à une mention finale « à améliorer » ou « insuffisant » (fedweb.belgium, 2019).
- 23 Dans le système des cercles de développement, un agent nommé à titre définitif pouvait contester l’ (...)
41Tout agent, qu’il soit contractuel ou statutaire23, peut introduire un recours écrit contre le rapport d’évaluation et la mention qu’il s’est vu attribuée. Le recours est alors examiné devant une des trois commissions de recours en matière d’évaluation (AR 24/09/2013, Chapitre V et en particulier l’art. 30/1). Ce recours est suspensif (AR 24/09/2013, art. 30/1, anciennement art. 22 et 23 de l’AR 02/08/2002).
42Notons encore les points suivants :
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à l’issue de chacun des quatre entretiens, un rapport est rédigé par l’évaluateur. L’évalué peut « enregistrer ses informations et remarques dans chaque rapport » (AR 24/09/2013, art. 11, anciennement art. 7 et 16 de l’AR 02/08/2002) ;
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dans certains cas de figure (AR 24/09/2013, art. 6, 14, 18, 20, 34, 35), une mention d’office est attribuée au collaborateur ;
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si, pendant la période d’évaluation, un chef fonctionnel évaluateur « craint que l’évaluation (…) ne doive se conclure par une mention « à améliorer » ou « insuffisant », il doit le dire immédiatement au supérieur hiérarchique de l’évalué » (AR 24/09/2013, art. 17) ;
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si, à l’issue de l’entretien d’évaluation, le chef fonctionnel estime qu’il est nécessaire d’attribuer une mention autre que la mention « répond aux attentes », il doit en informer le supérieur hiérarchique de l’évalué. C’est ce supérieur hiérarchique qui « reprend lui-même l’évaluation » et fait l’entretien d’évaluation. Dans ce cas de figure, le chef fonctionnel se voit donc retirer la tâche d’évaluer (AR 24/09/2013, art. 17).
43Notons encore que le supérieur hiérarchique qui envisagerait de donner une mention autre que la mention « répond aux attentes » à l’évalué doit en informer « le directeur général ou le directeur dont il relève directement ». Pour que la mention puisse être attribuée, ce directeur (général) doit ensuite donner son accord et son contreseing – sauf « si le supérieur hiérarchique relève directement du fonctionnaire dirigeant ». Si l’évaluateur et le directeur (général) ne tombent pas d’accord, la mention « répond aux attentes » est attribuée d’office (AR 24/09/2013, art. 18).
44Début 2022, le système Symphonie est venu remplacer progressivement le système des cycles d’évaluation. Il a été introduit par l’arrêté royal du 14 janvier 2022 relatif à l’évaluation dans la Fonction publique fédérale.
45Ce système, sur lequel il y a pour l’instant peu de retour vu sa récente introduction, diffère du système précédent sur plusieurs points.
46Premièrement, la mention « exceptionnel » – et les conséquences positives pour la carrière de l’évalué qui y était associées –, la mention « répond aux attentes » et la mention « à améliorer » sont supprimées.
47La mention « insuffisant » par contre persiste ainsi que les conséquences négatives pour la carrière de l’évalué qui y sont associées. Ces conséquences sont identiques à celle prévues dans le système des cycles d’évaluation – si ce n’est que ce n’est plus dans les trois mais les quatre ans suivant l’attribution de la première mention « insuffisant » qu’un licenciement peut être prononcé ou proposé (AR 14/01/2022, art. 34, 35).
48Deuxièmement, l’entretien de fonction existe toujours mais l’entretien de planification et l’entretien d’évaluation du système des cycles d’évaluation ont fusionné pour ne faire qu’un – l’entretien dit de cycle d’évaluation (AR 14/01/2022, art. 3).
- 24 Il s’agit d’un encadrement, un accompagnement sur mesure de l’évalué dans le développement de sa ca (...)
49En ce qui concerne l’entretien de fonctionnement, la dynamique autour de ce dernier change. Le nouveau système prévoit que cet entretien joue un rôle important dans une modalité propre au nouveau système Symphonie : la remédiation24.
50Sans rentrer dans trop de détails, cette remédiation qui ne peut être prononcée par le supérieur hiérarchique de l’évalué au plus tôt qu’à l’issue d’un deuxième entretien de fonctionnement (AR 14/01/2022, art. 11), est censée prendre place dans deux cas de figure : (1) les objectifs de prestation fixés à un évalué ne sont pas réalisés ; (2) afin d’accroitre son employabilité, il est nécessaire que l’évalué développe « des compétences professionnelles en vue d’une évolution de carrière ou d’une réorientation » (AR 14/01/2022, art. 7, §3, 1°, art. 18).
51La mention « insuffisant » – seule mention encore possible dans le système Symphonie – peut être attribuée par le supérieur hiérarchique à un évalué uniquement lorsque la remédiation n’a pas porté ses fruits – c’est-à-dire lorsque le fonctionnement de l’évalué est toujours manifestement inférieur au niveau attendu et que ce dernier a réalisé moins de 50 % de ses objectifs de prestation et/ou « n’a pas développé les compétences nécessaires à sa fonction » ce qui l’empêche d’exercer sa fonction de manière satisfaisante (AR 14/01/2022, art. 7, § 3 ; art. 23).
52Avant de reparler du nouveau système, passons en revue les principaux résultats de la recherche qualitative menée auprès d’évaluateurs et d’évalués au sein de trois SPF. Pour rappel, cette recherche s’est intéressée à la mise en œuvre de l’évaluation sous la forme du système des cycles d’évaluation – soit le système qui a succédé aux cercles de développement introduits par la Réforme Copernic et qui a récemment laissé sa place au système Symphonie.
53Un premier résultat important est que l’évaluation sous la forme des cycles est vue comme utile dans la mesure où aucun de nos interlocuteurs n’a dit être pour la suppression pure et dure d’un système d’évaluation. En effet, pour tous les agents que nous avons interviewés, le système d’évaluation a un rôle à jouer dans l’amélioration du travail de chacun et évite que n’importe qui ne fasse n’importe quoi. Il permet aussi de garantir l’égalité de traitement des agents.
54L’évaluation n’est donc jamais jugée inutile. Elle est juste plus utile dans certains cas de figure (ex : lorsqu’un évalué ne reçoit pas beaucoup de reconnaissance pour le travail qu’il fournit pendant l’année ou en cas de problème qui n’aurait pas pu se régler au travers de discussions informelles pendant l’année) et moins dans d’autres (ex : lorsque la communication entre l’évaluateur et l’évalué est bonne, fréquente et qu’un feedback positif comme négatif prend place pendant l’année ; lorsque l’évaluateur a une vue précise de ce qu’effectuent ses évalués pendant l’année).
Les raisons de son utilité varient également pour chaque entretien d’un cycle.
- 25 Ces objectifs sont plus rarement en réalité des objectifs de développement. En effet, les objectifs (...)
55Par exemple, l’entretien de planification est jugé utile car il permet de clarifier les attentes réciproques, de prendre le temps de fixer ensemble des objectifs25 les plus « SMART » possibles pour l’année à venir et de prioriser ces objectifs. Il permet aussi à l’évalué de poser ses limites et de garder en tête la direction qu’il doit prendre pendant l’année.
- 26 Notons que la majorité des agents que nous avons rencontrés nous expliquent qu’il ne faut pas atten (...)
56L’entretien d’évaluation quant à lui est d’une grande utilité pour l’évaluateur car il oblige les évalués à rendre des comptes et permet de voir quels sont les résultats d’un évalué sur toute l’année – c’est-à-dire s’il a atteint ou non ses objectifs annuels. C’est aussi un moment où l’évaluateur peut fournir à l’évalué un feedback26 – positif comme négatif –, lui transmettre sa reconnaissance et discuter avec lui des points à améliorer et des manières de les améliorer.
57Un deuxième résultat important est que, pour la grande majorité des agents que nous avons rencontrés, l’évaluation n’est absolument pas utile pour faire évoluer leur carrière.
L’utilité de l’évaluation est en réalité fragilisée par le fonctionnement dysfonctionnel du système des mentions finales permettant normalement de lier l’évaluation à la carrière de l’évalué.
58Afin de comprendre la réalité se trouvant derrière les chiffres contenus dans le tableau ci-dessous, nous avons cherché à comprendre ce qui poussait un évaluateur a attribué chaque mention :
Les 4 mentions finales pour l’année 2019 et 2020 tous SPF confondus
- 27 Ces chiffres peuvent être légèrement gonflés par la crise COVID qui a apparemment été très propice (...)
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2019
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2020
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Exceptionnel
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7,09 %
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8,81 %27
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Répond aux attentes
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92,53 %
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90,77 %
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À améliorer
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0,30 %
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0,33 %
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Insuffisant
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0,07 %
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0,09 %
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Chiffres communiqués par le SPF Stratégie et Appui
59Penchons-nous tout d’abord sur la mention « exceptionnel ». Celle-ci ne peut être attribuée que dans une situation exceptionnelle et à quelqu’un d’exceptionnel – c’est-à-dire une personne qui a fait plus qu’attendu, qui a dépassé ses objectifs, pris énormément d’initiatives. Au-delà d’un certain flou et du caractère subjectif du terme « exceptionnel », nos interlocuteurs soulignent que quelqu’un qui a très bien travaillé ou qui a donné son maximum n’est pas forcément jugé « exceptionnel ».
60Malgré ces « critères », nous avons également constaté que des agents avaient l’impression que certains évalués avaient reçu la mention « exceptionnel » car ils s’entendaient très bien avec leur évaluateur.
- 28 Ce qui est entendu par « être très mauvais » diffère évidemment d’une situation à l’autre et in fin (...)
61Deuxièmement, pour qu’une personne ne réponde pas aux attentes – et donc obtienne une mention « à améliorer » ou « insuffisant » – il faut vraiment que cette personne soit très mauvaise28.
62Des évaluateurs nous ont également expliqué que pour eux, une mention « à améliorer » pourrait être attribuée tant à un agent qui ne fait pas une partie de son travail correctement qu’à un agent qui tout simplement ne le fait pas du tout.
63Bien que sur papier les évaluateurs soient libres d’octroyer une mention « exceptionnel », « à améliorer » ou « insuffisant », dans les faits, plusieurs éléments peuvent les freiner dans l’attribution de ces trois mentions.
64Le premier frein majeur que nous avons identifié prend la forme de consignes en interne qui découragent voire carrément interdisent aux évaluateurs d’attribuer la mention « exceptionnel » – ces consignes ont été données aux évaluateurs dans les trois SPF et sont connues des évalués.
- 29 Pour rappel, la mention « exceptionnel » est la seule mention qui, octroyée de manière répétée, a d (...)
65Ces consignes officieuses venant directement du sommet ont un aspect plus que décourageant pour l’évaluateur mais aussi l’évalué. En effet, l’évaluateur se voit privé de la possibilité que lui offre normalement le système de récompenser les évalués qui le mériteraient – et donc de la possibilité de jouer son rôle de manager d’équipe. L’évalué quant à lui ne voit plus son intérêt à faire mieux ou davantage étant donné qu’il sait que la mention « exceptionnel » n’est presque jamais attribuée (ou trop peu de fois d’affilée29) – et pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le travail qu’il fournit.
« Avec les cycles [d’évaluation], si on voulait mettre un « exceptionnel », on nous disait : « Attention, on ne peut pas mettre trop d' « exceptionnel », on ne peut pas dépasser autant de pourcentage pour la direction ». D’accord mais qu’est-ce que je fais moi si quelqu’un mérite un « exceptionnel » ? (…) on ne peut pas donner de prime, on ne peut pas attribuer quoi ce soit. » (Evaluateur, SPF 1).
« (…) quand l’évaluateur arrive et dit : « De toute façon, je ne peux pas mettre d’« exceptionnel » parce que les ordres de la hiérarchie disent « On ne peut pas » », du coup on répond aux attentes. » (Evalué, SPF 2).
66La raison la plus souvent donnée dans nos entretiens afin d’expliquer de telles consignes officieuses est la raison budgétaire : mettre trop d’« exceptionnel » coûterait trop à l’Etat.
67Un second frein majeur que nous avons constaté consiste en la nécessité, pour un évaluateur qui désire octroyer une mention « exceptionnel », « à améliorer » ou « insuffisant », d’obtenir l’aval de sa hiérarchie.
68Les évaluateurs sont en effet dépendants de leur N+1 (voire du N+1 de ce N+1) pour octroyer une mention autre que la mention « répond aux attentes » (cf. la procédure à suivre lorsqu’un évaluateur souhaite donner une mention autre que la mention « répond aux attentes » reprise aux articles 17 et 18 de l’arrêté royal du 24 septembre 2013). Cette dépendance met à mal leur liberté de manager, d’autant plus lorsqu’au final, leur hiérarchie ne les soutient pas dans leur démarche d’octroyer une mention autre que la mention « répond aux attentes » et que cette mention est alors octroyée d’office.
69Un troisième frein consiste en la nécessité pour l’évaluateur de justifier énormément et très concrètement son choix d’attribuer une mention autre que la mention « répond aux attentes ». La justification est d’autant plus essentielle lors de l’attribution des mentions « à améliorer » et « insuffisant » qui sont très sujettes au recours – les syndicats pouvant alors être très véhéments contre l’évaluateur ayant attribué une de ces deux mentions.
70Un quatrième frein que nous avons mis en évidence se manifeste dans la nécessité, pour un évaluateur souhaitant attribuer une mention aux conséquences négatives (« à améliorer » ou « insuffisant »), de réaliser au moins deux entretiens de fonctionnement et de prévenir l’agent qu’il va recevoir une des deux mentions précitées.
- 30 Dans la tête des évalués, les seuls convoqués à ce type d’entretien sont les agents qui dysfonction (...)
71Notons dès à présent qu’un entretien de fonctionnement (AR 24/09/2013, art. 8) demande énormément de temps et d’énergie à l’évaluateur, qu’il a mauvaise presse30 – surtout auprès des évalués – et qu’il ne prend que rarement place selon les agents que nous avons interviewés.
72Notons également que cette obligation d’un double entretien de fonctionnement, qui n’est pourtant pas reprise dans l’arrêté royal du 24 septembre 2013, semble être une condition sine qua non pour que l’évaluateur puisse donner une de ces deux mentions. Bien que cette obligation ait une explication simple (effectuer ces deux entretiens, c’est une manière de donner la possibilité à l’évalué de s’améliorer et de prouver, pour l’évaluateur, que le nécessaire a été fait pour tenter de remédier à la situation), elle freine fortement les évaluateurs qui ont souvent l’impression de devoir fournir beaucoup plus d’efforts et d’énergie que l’agent qui dysfonctionne.
73Un cinquième frein à l’attribution de la mention « à améliorer » ou « insuffisant » est également la façon dont ces mentions sont connotées auprès des agents.
74En effet, les évaluateurs évitent de donner la mention « à améliorer » car elle serait très démotivante et disent obtenir de bien meilleurs résultats non pas en attribuant directement cette mention mais bien en disant à l’agent : « Si tu continues sur ce chemin, je te l’attribuerai ».
75Les évaluateurs évitent également de donner la mention démotivante « insuffisant » car en plus, elle mènerait à ce que l’évalué nourrisse des rancœurs, des frustrations envers son évaluateur ce qui n’est évidemment pas agréable pour ce dernier. Cependant, ce qui est assez paradoxal, c’est qu’un évaluateur qui ne donne pas une mention « insuffisant » à quelqu’un de manifestement insuffisant – souvent pour éviter que sa relation avec ce dernier ne se détériore – se le verra reprocher par ses autres évalués. Il encourt également le risque que les autres évalués se démotivent et réduisent leur niveau de performance.
76De plus, ce qui freine également les évaluateurs dans l’attribution d’une mention aux conséquences négatives, c’est le fait qu’ils n’aient pas été soutenus par leur hiérarchie ou parfois même des membres du service P&O lorsqu’ils ont voulu attribuer une telle mention. Ce manque de soutien les a, pour la plupart, tellement choqué qu’ils nous ont confié ne plus – jamais – vouloir octroyer une de ces deux mentions. Souvent, au lieu de mettre une mention « à améliorer » ou « insuffisant » à l’évalué qui dysfonctionne, l’évalué « est refilé » à une autre direction, un autre service – ce qui est en réalité plus que dommageable pour l’organisation.
- 31 En 10 ans, la fonction publique administrative fédérale est passée de 71 530 à 59 319 équivalents t (...)
- 32 Ces difficultés sont bien évidemment dues au fait que le budget pour le recrutement se restreint d’ (...)
77Finalement, un frein à l’attribution de la mention « insuffisant » est aussi le contexte particulier dans lequel les services évoluent depuis des années : une situation où les services sont en sous-effectifs alors que la charge de travail ne cesse d’augmenter31, sont victimes de coupes budgétaires et ont des difficultés32 à recruter. En effet, un ou deux évaluateurs interviewés nous ont avoué qu’ils préféraient malheureusement garder pour l’instant un agent en dessous des attentes de peur qu’il ne soit pas remplacé s’il est licencié pour inaptitude professionnelle suite à deux mentions « insuffisant » d’affilée dans les trois ans. Les évalués ont d’ailleurs conscience de cela.
« Moi, je ne mets pas d’ « insuffisant » car je sais que si la personne part, on ne va pas la remplacer. » (Evaluateur, SPF 2).
« Dans notre service, on est tellement en manque de personnel que même si on fait son travail un peu moins bien, (…) c'est sûr qu'on ne va pas nous licencier. » (Evalué, SPF 2).
78Au regard de nos constats précédents concernant les mentions « exceptionnel », « insuffisant » et « à améliorer », il n’est pas étonnant d’observer que pour l’année 2019 et 2020, plus de neuf agents sur dix se sont vu octroyer la mention « répond aux attentes » (cf. les chiffres relatifs aux 4 mentions finales communiqués par le SPF Stratégie et appui et disponible supra.).
79La mention « répond aux attentes » est en fait la mention fourre-tout attribuée à des profils bien différents d’évalués :
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ceux qui répondent aux attentes, c’est-à-dire qui font simplement ce qu’on leur demande, sans plus ;
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ceux qui, au regard du travail qu’ils fournissent, auraient dû avoir une mention « exceptionnel », « à améliorer » ou « insuffisant » mais qui ne l’ont pas eu pour diverses raisons ;
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ceux qui font très bien leur travail mais qui ne sont pas jugés « exceptionnels » ;
-
- 33 Un évaluateur expliquait par exemple qu’il trouve désolant de ne pas pouvoir récompenser un individ (...)
ceux qui ont donné leur maximum mais ne sont pas jugés « exceptionnels » pour autant – l’effort fourni par l’évalué n’étant pas pris en compte dans le système des mentions actuel33.
80Notons que pour le troisième profil d’évalué, il manque selon nous – et comme nous l’ont d’ailleurs dit certains agents – une mention « très bien » qui permettrait de réserver la mention « exceptionnel » aux évalués qui ont vraiment dépassé les attentes sur une année T mais de ne pas considérer les évalués qui ont très bien travaillé comme simplement des individus qui répondent aux attentes.
81Le fait que la mention « répond aux attentes » soit une mention fourre-tout est avantageux pour certains mais a surtout pour effet de démoraliser les agents qui font du (très) bon travail.
82Bien que le système des mentions mette à mal aux yeux des agents l’utilité du système d’évaluation, ces agents – évalués comme évaluateurs – ne sont pas contre l’idée de récompenser « les meilleurs » et de pénaliser « les moins bons ».
- 34 Nous insistons sur le terme potentiellement car selon nos interlocuteurs, bien souvent, des agents (...)
83Les agents trouvent donc intéressant de lier la carrière à l’évaluation. Certains nous ont même dit que la disparition de ce lien entacherait fortement à leurs yeux l’utilité de l’évaluation. Simplement, ils critiquent l’effectivité de ce lien et le fait qu’il contribue à ce que seulement un agent sur dix obtienne une mention autre que la mention « répond aux attentes » – et à ce que seule la carrière de potentiellement34 un agent sur dix soit impactée par le résultat de l’évaluation.
84Les agents – et en particulier les évaluateurs – regrettent simplement que l’évaluation, dans le cadre du système ayant succédé à l’évaluation made in Copernic, ne soit pas un outil à impact managérial et gestionnaire fort pour le manager évaluateur et qu’elle ne permette pas aux agents d’évoluer dans leur carrière.
85Le système des cycles d’évaluation ne permet en effet pas à un évaluateur de récompenser librement les « meilleurs », de tirer vers le haut ceux travaillant bien ou devant encore s’améliorer. Il ne permet pas non plus le licenciement puis le remplacement des évalués dont le travail est manifestement insatisfaisant.
86Bien que les évaluateurs n’aient pas réellement de « pouvoirs particuliers de sanction ou de récompense » (Crozier & Friedberg, 1977, p. 80), les évaluateurs se créent tout de même une liberté d’action à la marge du système dans la mesure où :
-
L’évaluateur peut influencer le contenu des entretiens – en particulier de planification et d’évaluation – et des rapports qu’ils rédigent. La qualité et le contenu des évaluations qu’il réalise sont en effet très rarement contrôlés si aucun recours n’est intenté par l’évalué.
« On est libre du contenu qu’on met dans la planification. (…) on est donc maitre de ce qu’on évalue puisqu’on indique le contenu des objectifs à atteindre. Donc on doit suivre la procédure mais on est maitre (…) de mettre ce à quoi on veut que nos collaborateurs répondent et de le formuler comme on veut. » (Evaluateur, SPF2).
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- 35 Notons que les évalués sont ceux qui connaissent vraiment le travail qu’ils ont à réaliser sur une (...)
Bien que les objectifs se veulent toujours négociés35 entre un évaluateur et son évalué, l’évaluateur peut imposer certains objectifs (« Il s’agit d’un objectif de service, je suis obligé de le mettre dans ta planification. ») et influencer leur définition.
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L’évaluateur est également le juge en dernière analyse de l’atteinte ou non des objectifs fixés et peut donc influencer la mention finale qu’il donnera à un évalué.
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Il peut également utiliser les mentions finales aux conséquences négatives comme des « avertissements » afin qu’un évalué « répondent aux attentes ».
« Je ne lui ai pas donné un « à améliorer » tout de suite pour ne pas le démotiver. J’ai voulu rester positif et l’encourager à s’améliorer justement en ne mettant pas « à améliorer ». Cette année-là, l’agent à qui j’avais pensé mettre une mention « à améliorer » a finalement répondu aux attentes. Donc, je lui avais laissé une chance avant de donner « à améliorer » et il l’avait saisie. » (Evaluateur, SPF 2).
- 36 Notons que ces « effets de système » sont ceux aussi qui peuvent expliquer que plus de 90 % des age (...)
87Nos analyses nous ont conduit à identifier une série d’obstacles systémiques à l’évaluation. En effet, divers « effets de système »36 expliquent pourquoi l’évaluation, dans le cadre du système des cycles d’évaluation, n’est pas un outil de gestion efficace, à impact managérial fort et pourquoi elle ne permet pas à un évalué d’évoluer dans sa carrière (pécuniaire et administrative).
88Reprenons donc en guise de conclusion ces différents obstacles et essayons, à la lumière de ceux-ci, d’interroger le nouveau système Symphonie.
89Le premier élément constituant un obstacle systémique tient dans l’absence d’une formation obligatoire pour les agents – en particulier pour les évaluateurs (AR 24/09/2013, art. 4). Une question est en effet de savoir comment le système complexe des cycles d’évaluation peut s’appliquer avec efficacité sans que les agents ne suivent régulièrement des formations appropriées pour comprendre les modalités de ce système, sa plus-value et ses limites. Notre inquiétude est d’autant plus forte que nous avons pu remarquer à travers notre étude de cas que peu d’évaluateurs et d’évalués ont été formés à l’évaluation depuis l’arrivée des cycles d’évaluation en 2013. Nous sommes également inquiets de voir que le nouveau système Symphonie ne semble pas prévoir de formation obligatoire pour les agents.
90Deuxièmement, le système des cycles ne peut pas tenir, selon nous, ses promesses car les leviers dont dispose en réalité l’évaluateur pour piloter son équipe, la manager, prendre des décisions s’apparentent à des leviers de façade. En effet, un évaluateur n’est pas totalement libre de sanctionner, récompenser, ou d’inciter un de ses évalués à s’améliorer en lui octroyant une mention autre que la mention « répond aux attentes ». Sa liberté est en particulier contrainte par le fait qu’il doive toujours avoir l’aval/le soutien de son supérieur pour octroyer une telle mention et par le fait que s’il n’obtient pas cet aval/soutien, la mention « répond aux attentes » soit attribuée d’office.
91En plus de ces leviers de façade dans le système des cycles, d’autres éléments freinent un évaluateur dans sa liberté de manager : les consignes officieuses pour la mention « exceptionnel », le manque de soutien de la hiérarchie comme des membres du service P&O lorsqu’un évaluateur souhaite attribuer un « à améliorer » ou un « insuffisant », la connotation négative de ces deux mentions et des entretiens de fonctionnement.
92Notons que dans le système Symphonie, la liberté de manager des évaluateurs semble également réduite pour trois raisons, en particulier :
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Les mentions « exceptionnel », « répond aux attentes » et « à améliorer » n’existent tout simplement plus et ne sont remplacées par aucun autre levier.
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- 37 A priori, lorsque l’évaluateur d’un collaborateur est son chef fonctionnel, ce n’est pas le chef fo (...)
Avant qu’un évaluateur puisse sanctionner un agent qui dysfonctionne avec la mention « insuffisant », il lui est nécessaire de passer par la procédure de remédiation assez conséquente et qui ne peut se faire sans le soutien de sa hiérarchie ainsi que des membres du service P&O. En effet, voici le chemin que doit emprunter tout évaluateur qui souhaiterait sanctionner un agent qui dysfonctionne : il doit tout d’abord réaliser un premier entretien de fonctionnement puis un deuxième au plus tôt 20 jours prestés après la notification du rapport de l’entretien de fonctionnement précédent (AR 14/01/2022, art. 10, art. 11). Le supérieur hiérarchique37 de l’évalué doit ensuite décider que ce deuxième entretien conduit à une remédiation, cette dernière devant durer au minimum 6 mois et maximum 12 mois. Cette remédiation est encadrée non pas directement par le supérieur hiérarchique de l’évalué mais bien par le directeur P&O (ou son délégué) chargé de lui faire un rapport régulier (AR 14/01/2022, art. 18, art. 19). A la fin de la remédiation, si celle-ci n’a pas porté ses fruits c’est-à-dire si l’agent dysfonctionne toujours, le supérieur hiérarchique peut attribuer la mention « insuffisant » tout en sachant que l’attribution de cette mention rend obligatoire une nouvelle remédiation (AR 14/01/2022, art. 21).
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Nous pouvons faire l’hypothèse que les entretiens de fonctionnement garderont leur connotation négative auprès des agents. En effet, les agents risquent d’envisager ces entretiens non pas comme un moyen de trouver ensemble des solutions à un problème ou d’exprimer à leur évaluateur leur aspiration de carrière/à développer leurs compétences mais bien comme un premier pas vers la remédiation et par conséquent vers la mention « insuffisant » et le licenciement.
93Troisième obstacle systémique : le fait que le système des cycles d’évaluation donne énormément de travail « à celui qui voudrait que celui qui dysfonctionne travaille correctement » et peu à l’agent qui dysfonctionne. En effet, l’évaluateur qui aurait eu l’autorisation d’octroyer une autre mention que la mention « répond aux attentes » se doit d’énormément justifier son choix. Lorsqu’il souhaite en particulier octroyer la mention « à améliorer » ou « insuffisant », il doit se plier à une obligation pourtant absente dans la législation : celle de réaliser deux entretiens de fonctionnement. Il doit également être prêt à faire face parfois à la véhémence des syndicats en cas de recours et à la possibilité que la commission de recours lui donne tort et mette donc à mal sa crédibilité d’évaluateur. Il doit finalement pouvoir se dire que si l’évaluation entraine le licenciement pour inaptitude professionnelle d’un de ses évalués, il n’est pas sûr que cet évalué soit remplacé – rapidement ou tout court. A première vue et malgré son objectif louable, la remédiation du système Symphonie semble donner bien du travail aux acteurs souhaitant agir face à un agent qui dysfonctionne et peu à cet agent en question.
94Finalement, le système des cycles ne prévoit pas de mention du type « très bien » pour que d’une part, l’évaluateur puisse réserver la mention « exceptionnel » aux évalués qui ont vraiment dépassé les attentes sur une année T mais que, d’autre part, les évalués ayant très bien travaillé ne soient pas considérés comme simplement des individus qui répondent aux attentes et à qui aucune récompense (pécuniaire ou non) n’est attribuée. Dans le système Symphonie, la seule mention ayant des conséquences positives pour l’évalué, soit la mention « exceptionnel » a été supprimée tout comme la mention « répond aux attentes » et aucun autre levier de « récompense » n’a été mis en place.