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AccueilNuméros82Peut-on cerner l’adverbe ?

Texte intégral

1. Premières définitions

  • 1 Élève d’Aristarque à Alexandrie, Denys le Thrace est un grammairien grec du IIe siècle av. J.-C. A- (...)
  • 2 Apollonius Dyscole est un grammairien grec actif aux Ier et IIe siècles apr. J.-C.

1La notion d’adverbe semble remonter à la techne grammatike, attribuée à Denys le Thrace1 : l’epirrhema est une partie de discours invariable qui, si l’on adopte l’interprétation de Lallot (2003), se rapporterait à un rhema (kata rhematos legomenon/ce qui est dit du rhème). La définition, si elle est morphologique, serait aussi et surtout syntaxique. C’est également ce que l’on constate chez Apollonius Dyscole2, encore que celui-ci parle d’une incidence aux modes verbaux (Lallot, 1985 : 85) ou à « tout ou partie des inflexions verbales » (Apollonius Dyscolus, 2021 : 76).

  • 3 L’Ars grammatica de Palaemon ne nous est pas parvenue. Cette définition de l’adverbe est celle qu’o (...)

2La grammaire latine ne gardera de cette définition que l’invariabilité et, avec la préposition ad, une vague idée de mouvement vers un support. Cette vague idée, qu’elle nomme ajout, est notamment présente chez Remius Palaemon3 et chez Priscien (2013 : 146) :

    • 4 Selon Barwick (1922 : 146), « Palaemon a manifestement calqué plus ou moins librement ses définitio (...)

    Adverbium est pars orationis quae adiecta verbo significationem eius explanat atque implet.
    [L’adverbe est une partie du discours qui, ajoutée au verbe, en explique et en complète le sens4.]

  • Adverbium est pars orationis indeclinabilis, cujus significatio verbis adicitur
    [L’adverbe est une partie du discours indéclinable dont le sens s’ajoute au verbe.]

3La définition, comme on le voit, devient avant tout sémantique. Elle est également beaucoup plus simple que ce que laissaient entrevoir les différentes acceptions du mot rhema (cf. Basset, 1994) attendu qu’elle assimile désormais le rhema au verbum. Il est désormais trop tard pour sauver la définition syntaxique initiale : l’adverbe n’est plus ce qui se dit du rhema, mais un ajout au verbe marqué du sceau de l’invariabilité. Il résulta de tout cela une grande hétérogénéité.

2. Première remise en question

4Cette conception traversa le temps sans trop d’encombres. Il fallut attendre la fin du XVIIe et surtout le XVIIIe siècle pour que l’adverbe ne se rapporte plus exclusivement au verbe. Citons tout d’abord J. Wallis, qui, dans sa Grammatica linguae anglicanae, souligne que l’adverbe peut être ajouté à d’autres parties du discours : « non Verbis tantùm, sed & aliis orationis partibus adjiciuntur » (1653 : 108). Citons également C. Buffier, qui, fort diplomatiquement, démolit le principe de l’incidence au verbe : « Des Grammairiens se sont abusez de prétendre que l’adverbe devoit être toûjours joint à un verbe, et que c’étoit pour cette raison qu’il étoit appelé adverbe. Peut-être vouloient-ils dire qu’il se joignoit plus fréquemment à un verbe qu’aux autres parties d’Oraison, ce qui semble vrai » (1711, § 151 : 58).

5Citons enfin N. Beauzée pour qui « l’étymologie du nom Adverbe, telle que la donne Sanctius, n’est bonne qu’autant que le mot latin verbum sera pris dans son sens propre pour signifier mot, et non pas verbe ; parce que l’Adverbe supplée aussi souvent à la signification des Adjectifs, et même à celle d’autres Adverbes, qu’à celle des verbes » (1767 : 548-549).

3. Définition syntaxique et classe poubelle

  • 5 L’étude des adverbes de phrase a connu un réel essor à partir des années 1970 : songeons notamment (...)

6L’adverbe peut désormais se rapporter à d’autres parties du discours. De là l’émergence d’une définition syntaxique selon laquelle l’adverbe peut se rapporter à un verbe, un adjectif, voire un autre adverbe, définition qui sera complétée par l’identification d’adverbes de phrase5.

  • 6 Texte original: « The difficulty from the linguist’s point of view [...] is not in the form of the (...)
  • 7 Texte original: « Indeed, it is tempting to say simply that the adverb is an item that does not fit (...)

7Cette hétérogénéité valut à la classe des adverbes des dénominations peu flatteuses : classe reliquat (Guimier, 1996), classe résiduelle (Molinier & Lévrier, 2000), ensemble hétéroclite6 (Gleason, 1965), classe poubelle (Chervel, 1977), etc. L’adverbe rassemblerait tous les éléments « dont on ne savait que faire » (Pottier, 1962 : 53), ou qui ne peuvent satisfaire aux définitions des autres parties du discours (Quirk et al., 1972)7. On pourrait même le soupçonner d’avoir été utilisé pour maintenir un nombre stable de parties de discours (Rauh, 2015).

  • 8 Nous faisons allusion à la théorie des rangs de Jespersen (1924 : 96-98).

8On tente pourtant de cerner l’adverbe en usant de tel ou tel critère ; le premier d’entre eux consisterait à tirer de la définition liminaire la conclusion suivante : l’adverbe ne peut se rapporter à un substantif (cf. Huddleston & Pullum, 2002 : 562). On se heurte alors aux exemples de Jespersen (1924 : 101) : in after years, the well passengers, the then government, the hither shore, etc., qui montrent qu’un adverbe peut fort bien jouer le rôle dévolu à l’adjectif, à savoir le rôle d’un mot secondaire8. Huddleston & Pullum (2002 : 563) notent à ce propos qu’aucun adverbe en -ly ne peut modifier un substantif, ce qui semble vrai. Mais que faut-il en déduire ? Que les adverbes cités par Jespersen sont moins adverbes ? Que les adverbes en -ly sont des prototypes de la catégorie ? Nous nous bornerons à faire remarquer que cette constatation vaut pour l’anglais et qu’elle n’a aucune portée universelle. Autrement dit, si l’adverbe existe réellement, il ne saurait dépendre d’une langue particulière.

  • 9 Selon Bellert, les adverbes de domaine (par exemple, logiquement, mathématiquement, moralement, est (...)
  • 10 Ces adverbes sont appelés « conjonctifs » chez Bellert (1977 : 348-349) : ces adverbes (par exemple (...)

9On pourrait aussi, dans le souci de distinguer adverbe et particule, dire qu’un adverbe peut être modifié, à la différence d’une particule (Hengeveld, 2023 : 386) ; mais, là encore, on bute sur des contre-exemples. Songeons notamment aux adverbes de domaine (Bellert, 1977 : 347-348)9, ainsi qu’aux adverbes connecteurs10.

10On pourrait en outre, afin de distinguer l’adverbe des conjonctions et des prépositions, faire remarquer que l’adverbe n’établit pas une relation (Hengeveld, 2023 : 386), mais cette incapacité n’est pas l’apanage de l’adverbe. Elle existe également chez le substantif et l’adjectif.

11On voit donc qu’il est très difficile de retenir des critères permettant de définir l’adverbe de manière claire : soit ces critères sont pris en défaut, soit ils sont caractéristiques d’une langue donnée, soit ils ne permettent pas de définir l’adverbe de manière spécifique.

4. Le concept de modification

12Quelles sont les conséquences de la définition syntaxique liminaire sur le plan sémantique ? Spontanément, il nous vient à l’esprit le concept de modification. Mais si l’on se penche sur ce que signifie modification, on constate que ce concept signifie beaucoup trop de choses pour signifier quelque chose. En témoigne tout d’abord ce passage de la grammaire de Restaut :

D. Quels sont les mots qui sont modifiés, ou dont la signification est déterminée par l’adverbe ?
R. Ce sont les verbes, comme dans l’exemple précédent [Dieu agit justement] […] ; les noms adjectifs, comme dans un enfant parfaitement docile ; et quelquefois d’autres adverbes, comme dans il est parti bien promptement. (1773 : 321)

13Si l’on peut ici concevoir une relation de détermination avec justement, qui permet de restreindre l’ensemble des actions possibles à celle qui se fait conformément à la justice, il ne saurait être question de détermination dans les deux cas suivants, où parfaitement et bien ne restreignent pas, mais amplifient une notion initiale, à savoir la docilité et la promptitude.

14La relation de détermination apparaît chez Bloomfield (1951 [1933]) lorsque celui-ci envisage la modification : citons sit beside John et the boy beside John (1951 : 194), où le groupe prépositionnel permet de restreindre à un unique élément l’ensemble des positions ou l’ensemble des éléments désignés par boy. Mentionnons également les adjectifs de limitation (« limiting adjectives »), que Bloomfield (1951 : 202-203) oppose aux adjectifs descriptifs : les premiers, comme le montre this dans this fresh milk modifient, à la différence des seconds. Toutefois, les adjectifs dits « descriptifs » ne se bornent pas à l’expression d’une qualité (« the qualitative character of specimens »), ils peuvent également servir à la détermination. Songeons notamment à la maison familiale, le domicile paternel, etc.

  • 11 Traduction : Brutus a poignardé César dans le dos avec un couteau au Forum.
  • 12 Traduction : Il existe un événement où l’on voit César être poignardé par Brutus, c’est un événemen (...)

15À l’heure actuelle, la relation de détermination n’est plus ce qui définit principalement la modification. On lui préfère, dans le cadre d’une perspective davidsonienne, une vague idée d’ajout : tout verbe décrivant un événement contiendrait un argument implicite pouvant être affecté par un nombre potentiellement infini de « modifiers », parmi lesquels figurent l’adverbe de manière, le circonstant de lieu, de temps, etc. À titre d’exemple, Davidson décrit l’énoncé Brutus stabbed Caesar with a knife in the back in the Forum11 de la manière suivante: « There exists an event that is a stabbing of Caesar by Brutus event, it is an into the back of Caesar event, it took place in the Forum, and Brutus did it with a knife » (2001 [1967] : 136)12. Toutefois, en proposant cette solution, Davidson crée une difficulté : comment établir une hiérarchie entre ces ajouts et distinguer, par exemple, l’adverbe de manière, le complément spatial et les circonstants, attendu que tous ces éléments sont désormais des prédicats de l’argument événementiel ?

16On ne peut que rester sceptique face à ce concept de modification : que signifie-t-il ? Détermination ? Transformation d’une donnée initiale, comme dans le cas du marqueur de degré ? Ajout et donc prédication ? Peut-il servir, comme cela est posé chez Lyons (1968 : 233), à désigner, dans l’ordre, la prédication (poor John), la transformation (awfully clever), la détermination (the girl upstairs, the man on the bus) ?

  • 13 Traduction : Des exemples en anglais incluent : A + N (pauvre John) ; Adv + A (terriblement intelli (...)

Examples from English include: A + N (poor John); Adv + A (awfully clever); N (or NP)+ Adv (or adverbial phrase) (the girl upstairs, the man on the bus). The constituent whose distribution is the same as that of the resultant construction is called the head; the other constituent is the modifier. (1968 : 233)13

  • 14 Voir Krifka (2008) : « Focus indicates the presence of alternatives that are relevant for the inter (...)
  • 15 Cette définition s’inspire de celle de M. Pérennec : « [...] la particule de focalisation ne porte (...)

17Mais que vient faire ici la prédication, sachant que la modification est a priori une opération sémantique et non syntaxique ? Faut-il élargir le spectre de la modification ? Il s’élargirait encore plus si l’on admettait des focusing modifiers (Huddleston & Pullum, 2002 : 586). En effet, la focalisation est une opération pragmatique qui, dans ce cas, à savoir avec une particule, consiste à mettre en relation une solution textuelle avec des solutions alternatives14. En quoi cette particule, qui constitue un commentaire sur le choix15 du foyer, modifie-t-elle son foyer ? En quoi un élément qui représente un commentaire, et qui de ce fait ne relève pas du texte, peut-il modifier le texte ?

18Le concept de modification ne renvoie donc pas à un ensemble homogène de fonctions puisque détermination et transformation constituent des opérations sémantiques alors que prédication et focalisation relèvent respectivement de la syntaxe et de la pragmatique. Il est donc vain de vouloir définir l’adverbe à l’aide d’une notion faussement sémantique et totalement hétérogène, à moins, peut-être, de démêler cet écheveau pour ne plus considérer que des fonctions.

  • 16 Texte original: « An adverb is a lexical word that may be used as a modifier of a non-nominal head. (...)
  • 17 C’est aussi la question soulevée par Ramat (1999) au sujet de cette nébuleuse notion de catégorie.

19La démarche fonctionnelle est a priori celle de Hengeveld (2023 : 383-384), pour qui l’adverbe est un « modifieur d’une tête non nominale », à savoir « un élément optionnel dépendant d’une tête, laquelle est obligatoire16 ». Toutefois, le croisement d’un critère fonctionnel (le scope ou portée) et d’un critère sémantique (le domaine) ne conduit pas à une définition de ce qu’est la modification adverbiale, mais à un classement des adverbes. Ce type d’études est d’ailleurs caractéristique de notre attitude envers l’adverbe : on classe pour tenter de maîtriser, pour se rassurer aussi, et l’on peut progresser, nul doute à ce sujet, mais on classe sur la base d’une définition qui ne définit pas elle-même ses prémisses. Dans le même ordre d’idées, on parle d’adverbes de manière, mais sait-on ce qu’est la manière ? Quelle est donc cette science qui ne définit pas ses prémisses17 ?

5. Modifier, adjunct et adverbial

20On peut donc, sans trop de regrets, se débarrasser du modifier, qui est beaucoup trop englobant pour être précis. L’adverbe est certes un modifier (Ramat, 1999 ; Haspelmath, 2001 ; Hengeveld, 2023), mais tant que l’on ne dispose pas du contexte, on ne sait pas ce qu’il modifie, si tant est qu’il modifie. En effet, ce qui semble facile à concevoir lorsque l’on parle de transformation d’une valeur initiale l’est beaucoup moins lorsque l’on envisage la prédication. On dira alors que le modifier « définit » pour faire entrer de force la prédication dans la modification. Mais ce subterfuge ne trompe personne.

  • 18 Chez Quirk et al. (1972), les adjuncts peuvent relever de la phrase (She kissed her mother on the p (...)
  • 19 Cf. Hengeveld (2023: 384).
  • 20 On dirait, en termes générativistes, qu’il n’est pas sélectionné par une tête: « Adjuncts are non-s (...)
  • 21 Texte original: « We could say that the manner is implied or “hidden” in the Action. This could be (...)

21On peut aussi renoncer à l’adjunct, puisqu’il s’agit d’un « modifier ». Laissons-lui toutefois une chance et considérons les seuls adjoints de phrase (sentence adjuncts)18. L’adjoint de phrase (Lyons, 1968 : 345), à la différence des compléments et conformément à son statut de modifier19, est facultatif20, il exerce de surcroît une fonction sémantique dans la phrase, et subit un classement déterminé par cette fonction : on peut être adjoint de lieu, de temps, de manière, de but, etc. Toutefois, ce classement occulte une différence fondamentale : si l’adverbe de manière n’est pas toujours explicité (Duplâtre, 2021), il est néanmoins inscrit dans le signifié lexical des verbes d’action (Dik, 1997 : 228)21. Propriété que l’on pourrait reformuler comme suit : peut-on accomplir une action sans manière, peut-on courir, marcher, écrire, etc. sans manière ? (Golay, 1959 : 69). Cela est douteux, car même si l’on décidait d’occulter la manière, ce serait toujours une manière de faire résultant d’un choix entre plusieurs possibilités de comportement. La manière, comme on le voit, est donc intrinsèquement liée à l’action et se distingue, par cette caractéristique, des adjoints de temps, de lieu, de but, etc. Ces derniers, que l’on pourrait qualifier de circonstants au sens étymologique du terme, ne sont pas inscrits dans l’action, mais établissent le cadre dans lequel se joue l’action. Les adjoints épistémiques, de leur côté, sont radicalement différents des adverbes de manière et des circonstants, dans la mesure où ils contribuent à l’établissement de la vérité de l’énoncé. Songeons à probablement, certainement, etc. Quant aux adverbes dit « évaluatifs » (Bellert, 1977 : 342-343), ils constituent un commentaire sur un contenu asserté. Quelle est donc l’utilité de la notion d’adjoint si ce n’est recréer l’hétérogénéité de la classe adverbiale ? Mais abandonnons la sémantique et plaçons-nous sur le terrain de la fonction : quel est le rôle de l’adjoint ? Détermine-t-il ? Prédique-t-il ? Peut-il faire les deux à la fois ?

  • 22 Sur cette question, voir également Duplâtre & Modicom (2022 : 7-9).
  • 23 Cf. Maienborn & Schäfer (2019), qui rangent parmi les adverbiaux badly et on the Hudson river bank (...)

22Ces interrogations conduisent à l’adverbial22 : l’adverbial serait une fonction qui permettrait de rendre compte des différents emplois d’un adverbe (Nølke, 1990 : 17) et qui correspondrait à un « membre de phrase qui n’est pas défini comme un autre type de membre » (ibid.). Cette définition a pour conséquence immédiate d’élargir le spectre de l’adverbial, qui, comme l’adjoint, ne se limite plus aux adverbes, mais englobe tout type d’expression linguistique équivalente à un adverbe, telle que les groupes conjonctionnels ou les groupes prépositionnels (cf. Curme, 1935 : 71). Toutefois, à la différence de l’adjoint, l’adverbial comprend également, du fait de sa définition négative, les compléments adverbiaux23. Le spectre de l’adverbial est donc encore plus large que celui de l’adjoint. Quel en est le bénéfice ? Sur le plan sémantique, on parle encore de modification (Hengeveld, 1992, 2023), mais aussi de spécification circonstancielle (Maienborn & Schäfer, 2019) : les adverbiaux spécifient prototypiquement le lieu, le temps, la manière. Or, comme nous l’avons dit plus haut, la manière, qui est inscrite dans l’action, n’est pas une circonstance. Qu’est-ce d’ailleurs une circonstance ? Est-ce le circonstant de Tesnière (c’est peu probable), est-ce le satellite de Dik (peut-être). Et puis que signifie « spécifier » ici ? Tout cela montre que la définition de l’adverbial est très perfectible et que les problèmes qu’il soulève ne résolvent pas ceux de l’adverbe. L’adverbial, en vertu de sa définition négative, constitue également une classe reliquat, une classe dont l’extension est beaucoup plus importante que celle de l’adverbe, une classe qui « ratisse large » (Blumenthal, 2007 : 49), où l’adverbe se noie et s’évapore, « à tel point que l’on peut s’interroger sur son utilité réelle » (ibid.). Mais pouvait-il en être autrement ? Pouvait-on raisonnablement résoudre les problèmes inhérents à une classe morphologique en la faisant disparaître dans une classe fonctionnelle ?

6. Pour une démarche fonctionnelle

  • 24 C’est, à en croire Guillaume, le mécanisme fondamental du langage : « Ce fait de grammaire générale (...)
  • 25 Cf. in after years, the well passengers, the then government, the hither shore.

23Pourtant, l’étude des fonctions constitue une piste de réflexion des plus intéressantes puisqu’elle nous invite à prendre en compte des équivalences relationnelles et à nous interroger sur l’action d’un apport de signification sur un support24. Mais cela présuppose de se débarrasser, comme Tesnière nous y invitait avec la notion de translation, du postulat morphologique. À l’instar du substantif, l’adverbe, si l’on se remémore les exemples de Jespersen cités plus haut25, n’est pas condamné à demeurer un adverbe jusqu’à la fin des temps ; il suffit de voir les choses sous l’angle syntaxique :

Pour bien comprendre la nature de la translation, il importe de ne pas perdre de vue que c’est un phénomène syntaxique et qui, par conséquent, dépasse les données morphologiques avec lesquelles nous avons la mauvaise habitude de raisonner en syntaxe. C’est pourquoi ceux qui persistent à ne voir dans les mots que des entités morphologiques se condamnent à n’y rien comprendre. (Tesnière, 1969 : 365)

24Et comme le note également Ramat (1999), les catégories ne sont pas des boîtes hermétiques :

  • 26 Traduction : Cette discussion montre que les catégories ne doivent pas être considérées comme des b (...)

This discussion shows that categories are not to be considered as waterproof boxes. Shiftings from one box to another […] are always possible26.

  • 27 H. Constantin de Chanay, à qui nous devons cet exemple, précise : « certains adverbes paraissent [… (...)

25Prenons un exemple : divinement est certes répertorié comme un adverbe de manière (jouer divinement), comme un adverbe marquant le degré (divinement beau). Cependant, lorsque le signifié du terme dérivé resurgit, il peut être complément d’agent (avertis divinement en songe, Mt 2, 12)27. Un adverbe complément d’agent ? Même en ayant recours à l’adverbial, on ne peut sortir de cette impasse, car l’adverbial, justement, ne peut se définir comme un équivalent de substantif. Il faut donc se résoudre à laisser sortir divinement de la classe des adverbes, dans ce contexte en tout cas.

  • 28 Cf. Vendler (1967: 188) : « If John cooks slowly, we can say that he is slow in his cooking or that (...)

26Certes, on ne peut remettre en question la notion d’adverbe en s’appuyant sur un exemple isolé. Toutefois, cet exemple nous conforte dans l’idée que la classe de l’adverbe est flexible, comme toutes les classes d’ailleurs, et que la prise en compte de la fonction contextuelle est fondamentale pour décider si un terme est adverbe ou non. Est-ce à dire que l’adverbe est une fonction ? Nous n’irons sans doute pas jusque-là, le but étant de ne pas tout déconstruire. Toutefois, nous pourrions nous servir du concept de modification et des trois fonctions qu’il fait émerger, pour tenter d’y voir un peu plus clair : l’adverbe peut servir à transformer une valeur initiale (awfully clever). Il peut servir, comme dans le cas de l’adverbe orienté vers le sujet, à prédiquer une propriété sur le sujet (The doctor cleverly has examined John [Jackendoff, 1972 : 82]) à déterminer (She met John briefly on Friday night), voire à prédiquer et à déterminer simultanément (John cooks slowly). Dans ce dernier cas, on dira de John qu’il est lent dans son activité culinaire (prédication), mais également que l’on sélectionne, parmi toutes les manières de cuisiner, celle caractérisée par la lenteur (détermination)28. Ces trois fonctions sont-elles la clé du problème ?

7. Le présent volume

27L’adverbe a suscité et suscite encore une grande diversité de travaux. En témoignent les tentatives d’isoler des propriétés communes aux adverbes (Grelsson, 1981 ; Ernst, 2007 ; Hengeveld, 2023). En témoignent également les travaux visant à identifier des classes d’adverbes à partir de tests (Jackendoff, 1972 ; Bartsch, 1972 ; Mørdrup, 1976 ; Schlyter, 1977 ; Molinier & Levrier, 2000) ou de propriétés (Bellert, 1977). En témoignent enfin les travaux cartographiques s’inspirant de Cinque (1999) ainsi que ceux visant à identifier des prototypes (Blumenthal, 1990 ; Ramat & Ricca, 1994). Nous pouvons donc penser, à la lumière de cette énumération, que le travail sur l’adverbe consiste pour l’essentiel à définir, identifier des classes, (ré) organiser des classes.

28Le présent volume reflète ce travail, tout en ajoutant une dimension supplémentaire : l’exploration des marges de la classe adverbiale.

29Nous rendrons compte de cette diversité de perspectives en suivant trois axes :

  1. Le premier axe, très largement répandu, consiste à travailler sur des classes d’adverbes. On peut tout d’abord conduire des investigations à l’intérieur d’une classe (cf. les contributions de C. Rossari, L. Sanvido) en analysant les relations qu’entretiennent certains membres de la classe avec un contexte donné. On voit alors apparaître des différences susceptibles de conduire à une réorganisation de la classe. Outre ces investigations internes à une classe, on peut également distinguer deux classes (cf. la contribution de P.-Y. Modicom) en utilisant un faisceau de critères à la fois syntaxique (incidence), sémantique (polarité) et pragmatique (structure topique/commentaire). L’utilisation de ce faisceau permet de tracer finement les contours des deux sous-classes et de leur donner une définition stable. Enfin, il est possible, en se concentrant sur un adverbe de phrase (cf. la contribution de A.-M. de Cesare), de dégager des propriétés fonctionnelles communes aux membres de la classe, et partant, de se projeter sur une définition fonctionnelle de la classe, en particulier, et de l’adverbe, plus généralement.

  2. Le deuxième axe de réflexion consiste à explorer les marges de la classe adverbiale. Un premier type d’analyse, fondée sur des critères syntaxiques (cf. la contribution de M. Kolenberg et de K. Lahousse) ou pragmatiques (cf. la contribution de T. Nakamura et de Ch. Marque-Pucheu), montre que certains adverbes peuvent muter en marqueurs discursifs, ce qui soulève l’alternative suivante : soit on s’appuie sur le concept de polyfonctionnalité pour maintenir le postulat adverbial, au risque de voir un adverbe jouer le rôle de marqueur discursif et d’adverbe, soit on considère qu’un item donné peut détenir la fonction de marqueur discursif et celle d’adverbe, ce qui ouvre la voie à une définition fonctionnelle de l’adverbe. Un second type d’analyse, fondée sur la syntaxe (cf. la contribution de O. Duplâtre), remet en cause l’intangibilité des parties du discours en montrant que le verbe de modalité affecte la relation de prédication à la manière d’un adverbe.

  3. Le troisième axe de réflexion, annoncé par l’exploration des classes adverbiales (cf. la contribution de A.-M. de Cesare) et des marges de l’adverbe (cf. les contributions de M. Kolenberg et K Lahousse., de T. Nakamura et Ch. Marque-Pucheu et O. Duplâtre) consiste à définir la classe adverbiale en lui donnant une cohérence : c’est le point de vue de D. van Raemdonck, qui, à l’aune du concept guillaumien d’incidence, fournit une cohérence syntaxique à l’ensemble de la classe.

30On voit donc se dessiner ici deux grandes orientations qui pourraient sans doute sauver l’adverbe : une orientation syntaxique et une orientation fonctionnelle. Ces deux orientations sont-elles incompatibles ou complémentaires ?

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Bibliographie

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Notes

1 Élève d’Aristarque à Alexandrie, Denys le Thrace est un grammairien grec du IIe siècle av. J.-C. A-t-il écrit la techne gramamtike ? Les opinions divergent. Cf. à ce sujet Lallot (2003 : 20-24).

2 Apollonius Dyscole est un grammairien grec actif aux Ier et IIe siècles apr. J.-C.

3 L’Ars grammatica de Palaemon ne nous est pas parvenue. Cette définition de l’adverbe est celle qu’ont reprise ses successeurs. Si l’on en croit Juvénal (Satires VI, 452), Paleamon faisait autorité en son temps.

4 Selon Barwick (1922 : 146), « Palaemon a manifestement calqué plus ou moins librement ses définitions des différentes espèces de mots sur celles de Dionysios Thr. Ses définitions de l’adverbium et de la coniunctio […] le prouvent encore assez [...] ». Cette définition de l’adverbe est également présente chez Charisius et chez Donat (Ars Minor, Ars Maior) et Diomède (cf. Swiggers & Wouters, 2002 : 295).

5 L’étude des adverbes de phrase a connu un réel essor à partir des années 1970 : songeons notamment aux travaux de Bartsch (1972), Jackendoff (1972), Martin (1974), Mørdrup (1976) et Schlyter (1977). Toutefois, la notion d’adverbe de phrase n’a pas été inventée au XXe siècle, comme en témoigne ce passage de la syntaxe de Mätzner (1845, § 256 : 382) : « Unter Satzadverbien werden hier diejenigen Adverbien verstanden, welche nicht mehr unmittelbar einzelne Bestandteile des Satzes, sondern mittelbar und in subjektiver Weise, d. h. in Beziehung auf den Redenden und dessen Überzeugung, den Satz in seiner Gesamtheit oder vorzugsweise einzelne Bestandteile desselben bestimmen » [Par adverbes de phrase il faut entendre les adverbes qui ne déterminent plus directement certains éléments de la phrase, mais qui, de manière indirecte et subjective, c’est-à-dire en relation avec l’énonciateur et ses convictions, déterminent la phrase dans son ensemble ou de préférence certains de ses éléments]. C’est, à notre connaissance, la mention la plus ancienne de la notion d’adverbe de phrase.

6 Texte original: « The difficulty from the linguist’s point of view [...] is not in the form of the definition, but in the fact that there is no homogeneous group of words which fits the definition. The traditional adverbs” are a miscellaneous lot, having very little if anything in common. Some fit part of the definition, but not other parts. Some fit the whole definition but far exceed its limits. The linguist almost invariably divides this assemblage into several groups which are not related to one another » (1965: 129).

7 Texte original: « Indeed, it is tempting to say simply that the adverb is an item that does not fit the definitions for other parts of speech/word classes » (1972: 267).

8 Nous faisons allusion à la théorie des rangs de Jespersen (1924 : 96-98).

9 Selon Bellert, les adverbes de domaine (par exemple, logiquement, mathématiquement, moralement, esthétiquement, etc.) « ont une fonction sémantique analogue à celle d’un quantificateur universel restrictif. Pour tout x tel que x est un nombre naturel, si x > 2 et x < 4, alors x = 3. La proposition est assertée uniquement dans le domaine des nombres naturels. En fait, elle est fausse, par exemple, dans le domaine des nombres rationnels ».

10 Ces adverbes sont appelés « conjonctifs » chez Bellert (1977 : 348-349) : ces adverbes (par exemple cependant, néanmoins, donc, par conséquent, premièrement, finalement, etc.) « ont la fonction sémantique de connecteurs. La vérité de la phrase dans laquelle ils apparaissent dépend de la vérité de la phrase (ou des phrases) précédente(s) dans le texte ».

11 Traduction : Brutus a poignardé César dans le dos avec un couteau au Forum.

12 Traduction : Il existe un événement où l’on voit César être poignardé par Brutus, c’est un événement qui se produit dans le dos de César, il a eu lieu au Forum, et Brutus l’a fait avec un couteau.

13 Traduction : Des exemples en anglais incluent : A + N (pauvre John) ; Adv + A (terriblement intelligent) ; N (ou NP) + Adv (ou groupe adverbial) (la fille de l’étage au-dessus, l’homme dans le bus). Le constituant dont la distribution est la même que celle de la construction résultante est appelé la tête ; l’autre constituant est le modifieur.

14 Voir Krifka (2008) : « Focus indicates the presence of alternatives that are relevant for the interpretation of linguistic expressions. » [Le focus indique la présence d’alternatives pertinentes pour l’interprétation d’expressions linguistiques.]

15 Cette définition s’inspire de celle de M. Pérennec : « [...] la particule de focalisation ne porte pas sur le contenu de l’élément [dans son foyer], mais sur l’acte du choix de cet élément au sein [d’un] paradigme textuel : ce choix est marqué comme une correction apportée à un énoncé plus ou moins fortement attendu dont on prévient l’énonciation potentielle […] » (1994 : 295).

16 Texte original: « An adverb is a lexical word that may be used as a modifier of a non-nominal head. […] the fact that an adverb is a modifier means that it is an optional element, depending on a head that is obligatory. »

17 C’est aussi la question soulevée par Ramat (1999) au sujet de cette nébuleuse notion de catégorie.

18 Chez Quirk et al. (1972), les adjuncts peuvent relever de la phrase (She kissed her mother on the platform) ou de la prédication (She kissed her mother on the cheek). Dans ce dernier cas, ils peuvent être obligatoires (He lived in Chicago) ou facultatifs (The Queen arrived in a blue gown). Nous préférons suivre Lyons (1968 : 345) et nous en tenir à un adjunct facultatif.

19 Cf. Hengeveld (2023: 384).

20 On dirait, en termes générativistes, qu’il n’est pas sélectionné par une tête: « Adjuncts are non-selected modifiers of heads and as such they can appear fairly freely, being both optional and able to be included in a structure in indefinite numbers (unlike complements) » (Cook & Newson, 2007 [1988]: 78)

21 Texte original: « We could say that the manner is implied or “hidden” in the Action. This could be accounted for by the following rule: Given a nuclear predication with the features [+con] and/or [+dyn], add a slot (xi)Manner; this Manner slot will not be expressed, unless it is further filled in with some more specific information » (1997: 228). Il convient toutefois de préciser ce qu’il faut entendre par [+ con] et [+dyn]. Voici la définition de [+con]: « there is a fundamental distinction between [+controlled] and [-controlled] SoAs. An SoA is [+con] if its first argument has the power to determine whether or not the SoA will obtain. If so, the first argument entity is the controller of the SoA. […]:
John opened the door [+con]
John was sitting in the garden [+con]
The substance was red [-con]
The tree fell down [-con] »
(1997: 112)
Voici à présent la définition de [+dyn]: « 
[+dyn] SoAs […] necessarily involve some kind of change, some kind of internal dynamism. This dynamism may consist in a recurrent pattern of changes all through the duration of the SoA, or in a change from some initial SoA into some different final SoA. [+dyn] SoAs may be called Events […]:
The clock was ticking.
The substance reddened.
John opened the door
. » (1997: 107)

22 Sur cette question, voir également Duplâtre & Modicom (2022 : 7-9).

23 Cf. Maienborn & Schäfer (2019), qui rangent parmi les adverbiaux badly et on the Hudson river bank dans, respectivement, Norah treated James badly et New York lies on the Hudson river bank.

24 C’est, à en croire Guillaume, le mécanisme fondamental du langage : « Ce fait de grammaire générale, de grammaire tout à fait générale, c’est que, dans le discours, il est toujours parlé de quelque chose, qui est ce dont on parle, c’est-à-dire le support obligé, auquel l’apport, qui est ce qu’on en dira, aura son incidence » (1973 : 61).

25 Cf. in after years, the well passengers, the then government, the hither shore.

26 Traduction : Cette discussion montre que les catégories ne doivent pas être considérées comme des boîtes étanches. Les déplacements d’une boîte à l’autre […] sont toujours possibles.

27 H. Constantin de Chanay, à qui nous devons cet exemple, précise : « certains adverbes paraissent […] bien plus introduire un actant dans la scène que lui attribuer une propriété, glissant notionnellement du même coup de la manière à l’agentivité » (1998 : 309).

28 Cf. Vendler (1967: 188) : « If John cooks slowly, we can say that he is slow in his cooking or that his cooking is slow. »

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Pour citer cet article

Référence électronique

Olivier Duplâtre, « Peut-on cerner l’adverbe ? »Cahiers de praxématique [En ligne], 82 | 2024, mis en ligne le 01 octobre 2024, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/praxematique/9272 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12evv

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Auteur

Olivier Duplâtre

Sorbonne Université

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