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Développer au sein de l’Université l’objectif d’insertion professionnelle des étudiants. Une étude de cas d’ambidextrie organisationnelle

Developing in a public university the objective of students’employability. A case study of organizational ambidexterity
David Alis, Maurice Baslé, Jean-Marie Dubois et Aziz Mouline
p. 45-61

Résumés

Dans une économie du savoir, les universités jouent un rôle majeur. Leurs missions traditionnelles d’enseignement et de recherche sont complétées par une troisième mission qui favorise leur engagement dans le monde socioéconomique, le transfert de technologie, les partenariats avec les entreprises et l’employabilité des étudiants. Dans ce nouveau contexte, un nouveau processus d’adaptation organisationnelle et stratégique est nécessaire. En s’appuyant sur la théorie des organisations ambidextres, notre article analyse le cas d’une organisation universitaire se préparant et s’adaptant à la prise en charge d’une mission supplémentaire à l’échelle de l’établissement : l’insertion professionnelle des étudiants.

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Texte intégral

Introduction

1Les universités de nombreux pays sont amenées à devenir plus entrepreneuriales. Cette évolution a été mise en avant par Clark (1998, 2004) qui a analysé l’évolution entrepreneuriale d’universités qui se rapprochent du monde socio-économique et innovent en matière de transfert de technologie, de réseaux d’innovation, d’essaimage ou de financement. Les travaux critiques de Slaughter et Rhoades (2004) qui évoquent le développement d’un « capitalisme académique » montrent aussi l’importance des créations d’entreprises, de la valorisation et des brevets dans le cadre d’une économie du savoir.

2Ainsi, comme le précisent Nelles et Vorley (2011), une « troisième mission » des universités apparaît depuis les années 80 : le développement socio-économique à travers des échanges de savoirs et la mise en œuvre de partenariats externes. Pour Etkowitz et al. (2000), l’adoption de cette nouvelle mission représente une deuxième révolution universitaire, la première ayant eu lieu lorsque l’université, en plus de sa mission traditionnelle d’enseignement, a été chargée de développer la recherche fondamentale. La coopération devient plus étroite entre les universités, le monde socio-économique et les pouvoirs publics, ce que ces auteurs appellent « le modèle de la triple hélice » pour insister sur le caractère dynamique des interactions dans une économie fondée sur le savoir et l’innovation. Les travaux de Musselin (2001) et Mignot-Gérard (2003) décrivent ces évolutions à l’œuvre dans le cas français : développement du management stratégique, mesure de performance, développement de partenariats externes…

3Dans ce récent contexte réglementaire et incitatif, un nouveau processus d’adaptation organisationnelle et stratégique a été mis en œuvre. Au comportement d’exploitation qui vise l’efficience dans le champ de prédilection des universités (recherche et formation), se sont ajoutées pour les universités les nécessités de s’adapter pour atteindre les objectifs stratégiques liés à cette troisième mission de valorisation du potentiel socio-économique et du renforcement de l’insertion professionnelle.

4De la loi du 12 novembre 1968, (« loi Faure » avec la refonte de l’université suite aux événements de mai 1968), à la loi du 10 août 2007 (« loi Pécresse » avec l’autonomie des universités, loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités, LRU) en passant par la loi du 26 janvier 1984 (« loi Savary » avec la structuration du service public d’enseignement supérieur), la loi du 23 juillet 1987 sur l’ouverture de l’enseignement supérieur aux formations par apprentissage et la loi Allègre du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche, la professionnalisation des enseignements, l’ouverture vers l’entreprise et l’insertion professionnelle des étudiants ont connu plusieurs étapes et évolutions.

5Dans la loi LRU de 2007, la mission de l’insertion professionnelle des étudiants a franchi une étape supplémentaire qui se traduit par la création d’une nouvelle structure au sein de chaque université : le Bureau d’Aide à l’Insertion Professionnelle (BAIP).

6Les universités peuvent théoriquement mener ces nouvelles activités en « explorant » (March, 1991) et en apprenant à mettre en place de nouvelles expérimentations, ce qui comporte évidemment une prise de risque. Ce faisant, les universités rentrent dans la catégorie des organisations « ambidextres » (Tushman et O’Reilly, 1996, 2004, 2008), celles qui veulent « jouer sur deux ou plusieurs tableaux » avec les risques afférents (déstabilisation de l’organigramme par exemple). L’article s’appuie sur la théorie des organisations ambidextres en prenant en compte les concepts d’ambidextrie et de structure duale qui se révèlent pertinents pour l’étude de cas d’une organisation universitaire en cours d’adaptation à de nouvelles missions.

7Si certains travaux visent à analyser le contexte favorable à l’ouverture vers le monde social, économique et culturel des universités et au renforcement de la préparation à l’insertion professionnelle des étudiants, peu de travaux s’intéressent au processus : comment rendre l’université plus entrepreneuriale et plus focalisée sur ces nouvelles missions, notamment l’insertion professionnelle.

8L’article étudie ainsi en quoi la création d’une structure duale, comme un nouveau service d’appui innovant, peut s’avérer efficace pour la mise en place d’un programme ambitieux d’insertion professionnelle au service d'une nouvelle mission stratégique dans une université publique. Quelles sont les conditions qui doivent être réunies pour assurer la réussite d’un tel programme ? Quelles conséquences pour la communauté universitaire : enseignants-chercheurs et étudiants ? Partagent-ils cette préoccupation pour l’insertion professionnelle ?

9Au niveau pratique, l’analyse est d’actualité avec la formalisation de nouvelles missions de l’université comme le transfert de la technologie (inscrit dans les missions de l’université depuis la loi du 22 juillet 2013), l’insertion professionnelle (inscrite dans les missions de l’université depuis la loi du 10 août 2007). Les universités évoluent : longtemps focalisées sur leur mission d’enseignement et de recherche fondamentale (notamment en liaison avec les organismes de recherche dans le cadre d’unités mixtes), elles prennent de plus en plus en compte l’impact de leurs activités et de leurs relations avec le monde socio-économique.

10L’article présente tout d’abord l’évolution de la mission d’insertion professionnelle et l’exploration réalisée en vue de l’introduction d’une telle mission dans le cadre d’une expérimentation au sein d’une université devenant ce faisant plus ambidextre. L’article relate aussi la méthode d’évaluation et ses résultats afin de souligner la force probante du cas étudié en mettant en évidence les futures pistes de recherche dans ce domaine.

1. Renforcer l’ambidextrie organisationnelle pour explorer une nouvelle mission

  • 1 Rapports Proglio (2006), Hetzel (2006), Lunel (2007), Goulard (2007), Aghion (2010) pour ne citer q (...)

11Au niveau national, les universités sont hétérogènes sur le plan des activités d’ouverture vers le monde socio-économique et notamment de l’insertion professionnelle. La professionnalisation et le souci de l’insertion professionnelle caractérisaient déjà de nombreuses filières universitaires comme les Instituts Universitaires de Technologies (IUT), les licences professionnelles, les écoles d’ingénieurs internes, les Instituts d’Administration des Entreprises (IAE), les masters professionnels, etc. Ces filières spécifiques ont en effet été créées avec cette finalité professionnelle (Calman, Epiphane, 2012). De nombreux rapports1 délivrent cependant une même recommandation : le mouvement de professionnalisation ne doit pas concerner uniquement les filières de type instituts ou écoles, mais bien l’ensemble des filières générales de l’université. L’université dans le cadre de ses missions, évolue pour concilier recherche, formation et ouverture vers le monde socio-économique.

1.1. L’exploration innovante d’une nouvelle mission

12L’exploration innovante (March, 1991) se distingue de l’exploitation traditionnelle qui vise l’efficience dans les champs de prédilection des universités (recherche et formation). Selon March, l’exploration est « la recherche de nouvelles idées, de nouveaux marchés, de nouvelles relations ». Elle inclut des notions telles que recherche, variation, prise de risques, expérimentation, jeu, flexibilité, découverte, innovation. March insiste sur le rôle de la diversité humaine dans l’entreprise pour entretenir des activités d’exploration et la création de nouvelles connaissances. Ainsi, l’exploration consiste à prendre de « nouvelles » directions (la valorisation et l’insertion professionnelle) en s’appuyant sur l’expérimentation, sur de nouvelles interactions, voire sur une prise de risque.

13Cet article analyse comment une université peut développer de manière simultanée des activités d’exploitation et d’exploration pour devenir ambidextre. Le concept d’ambidextrie (Tushman et O’Reilly (1996, 2004, 2008), Raisch, Birkinshaw, Probst et Tushman (2009)) permet, en effet, de présenter la manière dont l’université va pouvoir articuler, trouver un « juste » équilibre entre les activités nouvelles d’exploration (insertion professionnelle) et les activités traditionnelles d’exploitation (recherche, formation). L’objectif à atteindre est, dans la mesure du possible, d’assurer un transfert des innovations générées par les activités d’exploration vers les activités d’exploitation (comment, par exemple, une expérimentation d’insertion professionnelle peut favoriser une évolution des maquettes des formations et renforcer les partenariats de recherche).

14Au niveau théorique, O’Reilly et Tuschman (2013) distinguent trois types d’ambidextrie :
- Ambidextrie séquentielle. Cette ambidextrie se fait par séquence : l’organisation évolue en fonction de son environnement par étapes (ces travaux rappellent la notion « d’équilibre ponctué » : un nouvel équilibre se met en place, ce qui permet que la structure et les activités se mettent en conformité avec les demandes de l’environnement).
- Ambidextrie structurelle qui permet l’ambidextrie grâce à la structure duale : les activités d’exploration sont abritées par des structures spécifiques en termes de composition, de cultures, de processus.
- Ambidextrie contextuelle qui repose davantage sur les individus et renvoie à une série de processus qui encourage les individus à répartir leur temps et leurs activités entre les demandes conflictuelles d’exploitation et d’exploration (adaptation aux nouvelles missions). Cette ambidextrie contextuelle (approche « bottom-up ») fait porter aux membres de l’organisation la charge de réaliser cette articulation et se distingue ainsi de l’ambidextrie structurelle (approche « top-down ») qui considère qu’il appartient à la direction de structurer l’organisation de manière à ce qu’exploration et exploitation puissent y cohabiter (Gibson et Birkinshaw 2004).

15Nous avons choisi de focaliser notre analyse sur l’ambidextrie structurelle et contextuelle dans la mesure où c’est bien cette capacité à mener simultanément et non séquentiellement deux types d’activités d’exploration et d’exploitation qui caractérise selon nous l’ambidextrie.

16Le concept d’ambidextrie apparaît bien adapté pour analyser les évolutions des universités françaises. En effet, O’Reilly et Tuschman (2013) ont identifié des antécédents favorables à la mise en œuvre de l’ambidextrie au sein d’une organisation : un environnement incertain en évolution qui amène l’organisation à s’interroger sur sa structure, une compétition croissante entre établissements, la disponibilité de ressources (car la mise en œuvre simultanée d’activités d’exploration en plus de celles d’exploitation nécessite des moyens) et une grande taille. Les universités françaises passées aux responsabilités et compétences élargies (RCE) avec des missions plus étendues s’inscrivent dans un tel contexte.

1.2. Une structure duale supplémentaire au service de l’insertion professionnelle

17Trente ans après la mise en place des SUIO (Service Universitaire d’Information et d’Orientation), la loi LRU a imposé la création de BAIP (Bureau d’Aide à l’Insertion Professionnelle) pour renforcer cette dynamique en faveur de l’insertion. Cette importance renforcée du lien entre formation universitaire et emploi peut s’expliquer à l’aide de la théorie néo-institutionnelle (DiMaggio et Powell 1983) et du concept d’isomorphisme. Celui-ci peut être mimétique, coercitif, normatif. L’isomorphisme mimétique concerne les missions des universités et écoles pour assurer de façon efficiente les activités de formation, de recherche et d’insertion professionnelle : on observe que les grandes écoles – créées pour former les cadres des organisations publiques et privées – avaient d’emblée un souci d’insertion professionnelle, et qu’aujourd’hui, elles renforcent leurs activités de recherche fondamentale ; inversement, les universités basées sur la recherche sont amenées à renforcer leur orientation entrepreneuriale, leur souci d’insertion professionnelle et de relations avec les entreprises. Le Ministère et l’agence de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur « formatent » les dossiers d’habilitation en demandant les statistiques actualisées de l’insertion professionnelle et les compétences acquises (isomorphisme coercitif). L’isomorphisme normatif traduit l’existence d’une communauté de valeurs entre tous les enseignants-chercheurs de tous les établissements et leur intérêt d’identifier et de valoriser les débouchés professionnels pour leurs formations en développant des partenariats adaptés.

18La convergence vers une nouvelle norme d’organisation ne va pas de soi car des incitations à la routine sont en place. Ainsi, quand la mission supplémentaire est souhaitée, ceci a une conséquence immédiate sur les activités des enseignants-chercheurs qui doivent s’investir dans de multiples fonctions : recherche, formation, encadrement, orientation, insertion professionnelle, etc. L’adaptation est demandée alors qu’une mission, la recherche, surplombe les autres. Comme le rappelle Cyterman (2012), l’activité de recherche joue un rôle déterminant dans l’évolution de la carrière des enseignants-chercheurs : « même si les enseignants-chercheurs sont évalués par leurs pairs sur l’ensemble de leur mission, c’est de fait avant tout sur des critères de recherche, essentiellement les publications, que se font les promotions des enseignants-chercheurs qu’il s’agisse des promotions attribuées par le CNU ou des promotions au niveau local ». Sachant aussi que les enseignants-chercheurs, selon une récente recherche, ont peu d’espérance de progression de carrière et s’estiment majoritairement plafonnés (Drucker‑Godard, Fouque, Gollety, Le Flanchec, 2013), comment la profession universitaire a-t-elle arbitré entre ces missions prioritaires ? Les travaux empiriques de Slaughter et Rhoades (2004) soulignent les réticences d’enseignants-chercheurs dans les départements académiques universitaires américains à intégrer cette nouvelle mission d’ouverture vers le monde socio-économique dans les pratiques universitaires. En France, Dahan et Mangematin (2010) montrent comment certaines tâches administratives – y compris celles liées à la valorisation et à l’ouverture vers le monde socio-économique – peuvent être assimilées à du « temps perdu » pour la recherche, et ne font pas l’objet de reconnaissance. Elles sont considérées comme des tâches « périphériques » mais pas « cœur de métier » selon la terminologie de ces deux auteurs.

19Deux recherches récentes soulignent l’intérêt et la nécessité de concilier ambidextrie structurelle et contextuelle pour permettre la réalisation de nouvelles activités. De telles recherches se sont focalisées sur la commercialisation de la recherche universitaire (brevets, licences...). La première (Ambos, Mäkelä, Birkinshaw, D’Este, 2008), a insisté sur l’importance des structures duales au sein des universités pour atténuer les tensions qui peuvent naître du processus de la recherche académique et de sa commercialisation. La deuxième (Chang, Yang, Chen, 2009) a mis l’accent sur les deux types d’ambidextrie - structurelle et contextuelle - qui influencent le processus de commercialisation de la recherche universitaire. La création des SAIC (Services d’Activités Industrielles et Commerciales) en France constitue un exemple de cette structure duale, renforcée dans les années 2010 par la création des SATT (Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologie).

20Les actions du Fonds d’Expérimentation de la Jeunesse (FEJ) depuis 2009 visent précisément à renforcer temporairement les moyens de nouvelles structures duales universitaires pour l’insertion professionnelle cette fois. Faisant référence aux concepts d’ambidextrie et de structure duale, l’expérimentation « Science Insert » financée par le FEJ permet de répondre aux questions soulevées en introduction :
- Comment une structure peut s’avérer efficace pour la mise en place d’un programme ambitieux d’insertion professionnelle au service des étudiants et de l’ouverture vers le monde socio-économique ? Quelles sont les conditions structurelles qui doivent être réunies pour assurer la réussite d’un tel programme ?
- Comment se traduit l’engagement éventuel des enseignants-chercheurs (acteurs et « prescripteurs » vis-à-vis des étudiants) ? La structure duale permettrait-elle de lever leurs éventuelles réticences vis-à-vis de ces activités jugées périphériques ? L’ambidextrie est-elle également contextuelle avec une nouvelle répartition des temps et des activités des enseignants-chercheurs ?
- Quels sont les impacts en matière de sensibilisation à l’insertion des étudiants ? Comment se traduit l’engagement des étudiants (bénéficiaires des actions menées) et leur niveau de satisfaction vis-à-vis des actions engagées en faveur de leur insertion ?

21Cette recherche met ainsi l’accent sur le type d’ambidextrie – structurelle et contextuelle – mise en œuvre.

2. Le cas étudié : un dispositif d’expérimentation avec évaluation « embarquée »

  • 2 L’université publique est localisée dans le grand Ouest de la France. Nous avons utilisé un nom fic (...)

22L’étude de cas porte sur l’Université du Grand Ouest2 (UGO) qui compte en 2007 seize composantes. La tradition d’insertion professionnelle est très différenciée. Cette université est membre de la Conférence des Universités de Recherche Intensive Française (CURIF). Elle se caractérise par une attention forte aux recherches fondamentales. Elle a déjà élaboré une politique d’établissement en faveur de la valorisation par la création d’un service d’activités industrielles et commerciales (SAIC). En revanche, la politique d’insertion professionnelle restait jusqu’en 2008 essentiellement gérée au niveau des composantes avec une forte hétérogénéité des pratiques et la difficulté à faire émerger une politique d’établissement sur ce thème.

23Nous développerons dans un premier temps l’expérimentation mise en œuvre. Dans un second temps, nous présenterons la méthode d’évaluation retenue.

2.1. Un dispositif d’expérimentation : Science Insert

24L’expérimentation résulte d’un appel d’offres lancé par le Haut-Commissariat à la Jeunesse en 2009 (aujourd’hui appelé Fonds d’Expérimentation pour la Jeunesse, FEJ) et d’une sélection positive de la réponse de l’UGO. Ce projet, intitulé Science Insert, vise une triple innovation :
- une innovation organisationnelle avec la création d’un nouveau service unique d’aide à l’orientation, l’insertion et les relations avec les entreprises ;
- une innovation de type «  ouverture sur l’emploi  », avec l’intervention renforcée de professionnels dans les formations ;
- une innovation instrumentale, afin d’accompagner les étudiants de masters dans leurs démarches d’insertion professionnelle avec des outils adaptés.

25Une équipe aux compétences multiples a piloté l’expérimentation science Insert. Près de 1 500 étudiants sont concernés par cette expérimentation qui a nécessité la création de 6 emplois et de 800 heures dédiées à l’insertion professionnelle. Les bénéficiaires de cette expérimentation sont les étudiants de masters scientifiques, considérés comme moins accompagnés vers l’emploi que les élèves ingénieurs qui bénéficient souvent d’aides personnalisées et d’une insertion professionnelle renforcée. Ces réalisations orientées vers l’objectif d’insertion professionnelle ont été élaborées et pensées en 2009‑2010 pour être effectives à la rentrée universitaire 2010-2011.

26Tableau 1 - Le contenu de l’expérimentation Science Insert

27Le mécanisme d’ambidextrie privilégié est une approche structurelle (création et renforcement d’une structure duale) pour ne pas faire porter aux seuls enseignants-chercheurs et responsables de diplômes la tâche de concilier exploration (soutien à l’insertion professionnelle) et exploitation (activités d’enseignement et de recherche) à leur seul niveau. L’équipe « Science Insert » affectée aux masters scientifiques a ainsi d’emblée été localisée au sein du SUIO-BAIP pour bénéficier des moyens et des synergies et mettre en place des actions à l’échelle de l’établissement que ne pouvaient pas mener les enseignants-chercheurs, ni leurs composantes de formation.

2.2. Une évaluation « embarquée »

28De manière innovante, l’expérimentation « Science Insert », comme toutes celles qui ont été lancées par le FEJ3, a été construite en intégrant un protocole d’évaluation dès sa conception. La qualité de ce protocole était même déterminante dans la sélection du projet, faisant de l’évaluation adjointe à l’expérimentation une des clés du dispositif. Cette règle du FEJ, imposant des soumissions conjointes du projet et de son évaluation, a favorisé d’emblée le dialogue entre le SUIO-BAIP et le CEREQ4. Les modalités d’évaluation ont pu ainsi faire l’objet d’une discussion explicite dès la conception du projet, conformément aux intentions initiales. L’argument pour ce caractère conjoint de l’évaluation est fourni par Gurgand et Valdenaire (2012) pour qui « cette naissance partenariale des expérimentations permet souvent de formaliser les dispositifs envisagés sans doute davantage qu’ils ne l’auraient été spontanément : la définition de critères d’évaluation nécessite d’exposer clairement la problématique de l’expérimentation et d’expliciter les objectifs poursuivis par le dispositif proposé, ce qui influe aussi en retour sur l’architecture d’ensemble du dispositif ».

29L’évaluateur CEREQ dispose d’outils de suivi qui permettent l’évaluabilité, c’est-à-dire de rendre évaluables le projet et ses réalisations (Rossi et Alii, 2004, Baslé, 2008). Il s’agit de :
- l’arbre des objectifs (structuration de la stratégie globale du porteur de projet) ;
- le sociogramme des acteurs (représentation systémique de l’ensemble des parties prenantes au projet et de leurs contributions). Un sociogramme a été effectué par principale réalisation (annuaire des anciens, module de techniques de recherche d’emploi et de stages (TRE-TRS), forum des masters scientifiques). Cet outil tente d’approcher de près la « gouvernance » du projet ;
- les diagrammes logiques d’impact ou logigrammes (chaînes de productions qui vont des réalisations aux résultats). L’évaluation envisagée doit rendre compte de l’efficacité de la démarche adoptée, des réalisations effectives, et des valeurs qui résultent de ces réalisations.

30Figure 1 - Un exemple de sociogramme des acteurs : l’implication des acteurs dans l’élaboration et la mise en œuvre des modules TRE-TRS

Présentation du dispositif d’évaluation adopté
La méthodologie repose sur la triangulation entre approche qualitative (entretiens, observations, analyse documentaire et étude de cas) et quantitative (questionnaire). L’analyse est également longitudinale car les effets de l’ambidextrie pour une ouverture vers le monde socio-économique et une meilleure acculturation des étudiants aux problématiques d’insertion nécessitent du temps. L’évaluation de l’expérimentation « Science Insert » repose ainsi sur une méthodologie lourde avec une personne dédiée entièrement à l’évaluation pendant 18 mois supervisée par l’équivalent en temps travaillé d’une personne confirmée en plus. Ce dispositif d’accompagnement a permis :
- Une étape préalable d’état des lieux des pratiques existantes d’insertion professionnelle dans les filières concernées (26 enseignants rencontrés en amont de la recherche) - en collaboration avec le SUIO-BAIP ;
- Une observation continue des réalisations de l’expérimentation (participation aux comités de pilotage de l’expérimentation, aux deux éditions du forum des masters scientifiques, etc.) ;
- Des interrogations d’étudiants à différents moments (t0, t1 et t2) afin de tester l’évolution de leur état d’acculturation aux problématiques liées à l’insertion professionnelle et l’impact des actions développées dans cette évolution (recours à la méthode des doubles différences) : 1 500 étudiants interrogés : 833 répondants en t0, 416 répondants en t1 et 266 répondants en t2 ;
- L’organisation de 54 entretiens semi-directifs auprès des multiples parties prenantes du projet : porteurs (7), enseignants (10), intervenants modules (9), entreprises (10), étudiants (18). Selon leur niveau d’implication, les parties prenantes ont été rencontrées afin de revenir sur les actions mises en place et les réflexions sur les actions futures. Les entretiens visent à analyser certaines évolutions comme le changement de mentalités difficilement quantifiables.

Source : Baslé et al., 2013. Science Insert : favoriser l’insertion professionnelle des étudiants scientifiques. Net.doc 110, mars 2013.

3. Analyse et discussion des résultats

31Les enseignants-chercheurs et les étudiants ont rendu compte positivement de l’introduction de l’innovation organisationnelle avec l’appui de la structure duale SUIO-BAIP. Les résultats pour ces deux catégories d’acteurs sont présentés ci-dessous avant d’être discutés.

3.1. Enseignants-chercheurs et mission d’insertion professionnelle

32Les entretiens organisés auprès d’une dizaine d’enseignants-correspondants « Science Insert » ont permis de montrer que l’implication des enseignants-chercheurs dans un tel projet aura été très progressive et aura nécessité une appropriation plus ou moins longue.

  • 5 Extraits des entretiens réalisés auprès des « correspondants Science Insert » en janvier 2011.
  • 6 Verbe le plus souvent, voire exclusivement, employé par les « correspondants Science Insert » et le (...)

33Au démarrage, le projet n’avait pas été conçu en réponse à une demande des enseignants qui n’ont pas été associés à sa création et ont vu ce dispositif avec une certaine distance. Certains d’entre eux étaient même relativement réticents à sa réalisation. Ils ne comprenaient pas l’intérêt que pouvaient présenter des modules TRS/TRE dans des formations où, « l’insertion des étudiants est considérée comme bonne », où « il y a déjà des interventions similaires assurées par des professionnels », et où « le temps fait défaut, les étudiants ont déjà des semaines de cours très chargées »5. D’autres raisons déclarées expliquent ces difficultés d’adhésion au départ : la communication interne difficile et le manque d’attention aux messages adressés, les emplois du temps chargés et le travail supplémentaire que peut induire la mise en œuvre d’un tel projet, parallèlement à l’accroissement des tâches administratives. Ayant rapidement obtenu la garantie que la mise en place de l’expérimentation était prise en charge en totalité par le SUIO-BAIP, les enseignants ont adopté une attitude plutôt attentiste, souhaitant avoir les preuves de l’intérêt de la démarche, des conditions de faisabilité voire de pérennité de ce projet avant de s’y impliquer. Lors de la première année d’expérimentation, l’évaluateur a constaté que les réunions d’information, les e-mails, les événements tels que le forum n’ont pas réussi à « convaincre »6 une majorité d’enseignants-chercheurs à s’intéresser à cette démarche.

34À l’issue de la première année, les enseignants-chercheurs se sont finalement plus impliqués en constatant que leurs étudiants portaient un regard plutôt positif sur les modules. Il faut aussi souligner l’engagement de la gouvernance de l’université marqué par les deux porteurs du projet, tous deux membres du bureau du Président, pour crédibiliser et convaincre au sein de la communauté. Le recrutement de coordinateurs et chargés de projets extrêmement qualifiés pour constituer une équipe projet dédiée a aussi été apprécié. De plus, la pédagogie initiée par le SUIO-BAIP (valorisation de l’existant, réunions d’information, ajustement, individualisation des propositions, etc.) aura été une des clés de réussite comme nous le montre cet extrait d’entretien : « Ça a été au départ plutôt ressenti comme quelque chose d’imposé en ignorant ce qui était fait un peu localement. Après, on était un peu en attente des premiers retours, a priori comme les premiers retours par les étudiants sont plutôt satisfaisants on trouve que c’est très bien […] je pense que ces modules se passent bien et qu’on y voit un intérêt aussi, notamment par rapport aux écoles d’ingénieurs, d’autant plus que nos étudiants sont beaucoup moins formés sur les aspects « savoir un peu se vendre ».

35Il apparaît donc que, dans le cadre de l’expérimentation, le rôle des enseignants-chercheurs correspondants « Science Insert », outre le fait d’assurer le lien entre le SUIO-BAIP et les composantes, aura été de mobiliser et d’informer leurs collègues qui n’ont pas souhaité s’investir dans sa réalisation. Si le devenir des diplômés était une préoccupation partagée par la plupart des enseignants de Master, les conditions dans lesquelles les étudiants entraient sur le marché du travail pâtissaient d’une faible visibilité (bien qu’éclairée par les travaux de l’observatoire de l’insertion professionnelle de l’établissement). Tous n’avaient pas la possibilité de consacrer du temps à des activités d’accompagnement et/ou de suivi de leurs étudiants. L’insertion professionnelle était souvent une activité « marginale » - parfois peu valorisée – dans les emplois du temps universitaires. En outre, avant le début de l’expérimentation, la plupart d’entre eux méconnaissaient les moyens à leur disposition – notamment les ressources du SUIO-BAIP - pour travailler ces questions, comme nous l’explique ce correspondant « Science Insert » : « Je pense que le point fort est d’avoir mis des moyens pour l’organisation de ces modules. Des primes sont octroyées aux correspondants « Science Insert », ce qui ne peut que les motiver pour soutenir ces actions. On a à la faculté une structuration assez disciplinaire qui fait que naturellement on forme des étudiants. Par exemple, si on prend le cas de l’UFR Électronique, il sera facile de trouver un professeur pour faire des cours d’électronique et d’informatique ; par contre, trouver des enseignants pour des actions liées à l’insertion professionnelle s’avère très difficile. »

36Mettre en place cette ambidextrie contextuelle repose selon Gibson et Birkinshaw (2004) sur une politique de soutien et de confiance, dans les acteurs, mais aussi de discipline et d’extension de rôle. Pour marquer cette politique de soutien, les porteurs ont ainsi choisi d’impliquer certains enseignants-chercheurs par une politique d’incitations. Une reconnaissance institutionnelle (primes de responsabilités pédagogiques) a ainsi été instaurée pour 51 enseignants « correspondants Science Insert » (un par formation considérée). Cette prime est venue montrer que l’investissement dans la responsabilité de soutien à l’insertion des étudiants constituait bien une activité « d’exploration » qui allait au-delà de l’activité statutaire « d’exploitation » d’enseignement et de recherche : c’était bien une troisième mission de l’université (soutien à l’insertion des étudiants et aux relations avec le monde socio-économique) qu’il s’agit de reconnaître, y compris financièrement sous formes de primes de responsabilité pédagogique. Une nouvelle répartition du temps et des activités de ces correspondants a donc été possible, avec un environnement de soutien.

37La diversité des missions qui leur sont demandées, le recentrage sur la mission de publication du fait des évaluations (avec une évaluation stricte de la notion de « publiant » au moment de l’expérimentation), conduisent les enseignants-chercheurs à solliciter des moyens spécifiques pour développer l’insertion professionnelle des étudiants d’autant plus qu’ils ne bénéficient pas assez de soutien administratif dans leur diplôme pour cette mission. La mise en place de « structure duale », i.e. d’une structure avec du personnel, des valeurs, des processus en charge de cette mission d’insertion, a donc été une condition sine qua non du succès de l’expérimentation. La Figure 1 « sociogramme des acteurs » montre graphiquement l’importance du rôle du SUIO-BAIP par rapport aux autres acteurs.

38Les personnels et ressources du SUIO-BAIP dédiés à l’expérimentation ont été particulièrement appréciés : ils ont permis d’éviter de surcharger les enseignants-chercheurs tout en les invitant à participer à l’expérimentation à des moments clés : rencontre avec les professionnels et participation au forum entreprise, participation aux conférences de bilan, inscription dans les calendriers des modules TRS-TRE et suivi de leur validation, suivi des statistiques d’insertion des diplômés, etc. Un enseignant-chercheur a aussi profité des réalisations de la structure duale (parrainage de diplômes) pour nouer des relations avec l’entreprise « marraine » de promotion et co-construire un projet de recherche déposé ensuite à l’agence nationale de recherche (ANR) dans le cadre d’appel à projets.

39La force de l’expérimentation « Science Insert » est ainsi d’avoir pu accompagner l’ambidextrie structurelle vers une ambidextrie contextuelle avec un investissement des enseignants-chercheurs dans le portage de cette mission.

3.2 Les étudiants face à leur insertion professionnelle

40La mise en œuvre de questionnaires (avec 1 500 étudiants interrogés : 833 répondants en t0, 416 répondants en t1 et 266 répondants en t2) accompagnée de la conduite d’une vingtaine d’entretiens semi-directifs, aura permis de se rendre compte de leurs représentations sur la question de l’insertion professionnelle et de recenser leurs premières impressions sur les réalisations et leur intérêt perçu. Les étudiants interrogés montraient, au départ, une relative méconnaissance des conditions d’accès à l’emploi (cf. Tableau 2). Ils identifiaient des besoins en termes d’accompagnement et d’aide à l’insertion professionnelle. Ils souhaitaient disposer de davantage d’informations sur les conditions d’accès à l’emploi ainsi que sur les métiers auxquels ils pouvaient prétendre à la sortie. Ils soulignaient donc l’intérêt des différentes actions développées par le SUIO-BAIP qu’ils perçoivent comme une réponse positive de la part de l’université à ces besoins exprimés, notamment pour ceux qui ne disposent pas d’un réseau personnel qui les aiderait dans cette problématique. En effet, les dispositifs d’aide à l’insertion professionnelle peuvent être le moyen de réduire les inégalités entre ceux qui bénéficient d’une aide grâce à leur réseau personnel et ceux qui n’en bénéficient pas. Ils estimaient cependant pour la plupart d’entre eux que ces actions intervenaient trop tard dans leur cursus.

41Tableau 2 - L’emploi pour les diplômés de la filière (269 étudiants répondants aux deux enquêtes t0 et t1 parmi les 1 500 inscrits en master en 2010/2011)

42L’analyse du Tableau 2 montre la dynamique en faveur de l’insertion et l’appropriation de cette question par les étudiants. Entre t0 et t1, la part des répondants qui déclarent connaître les résultats des enquêtes auprès des diplômés (notamment les taux d’emplois et conditions salariales) ainsi que l’ensemble des dispositifs (annuaires, service SUIO-BAIP) a sensiblement augmenté. Le travail de communication mené conjointement par le SUIO-IP et les enseignants a porté ses fruits. Les entretiens semi-directifs menés avec les étudiants soulignent le rôle déterminant des enseignants en matière d’aide à l’insertion professionnelle, confortant l’importance de l’ambidextrie contextuelle.

43Selon les étudiants interrogés, les modules TRE-TRS ont permis de mieux cibler les compétences acquises et de construire leur projet professionnel, ainsi que d’apprivoiser les techniques de rédaction de CV et de lettres de motivation (103 étudiants). 125 étudiants ont ainsi été amenés à modifier leur CV à la suite des modules. Les étudiants interrogés évoquaient également la nécessité que ces modules soient animés par des intervenants issus de la même formation comme des anciens diplômés qu’ils pourraient solliciter dans leurs futures recherches d’emploi. Les résultats des enquêtes montrent ainsi que les modules TRE-TRS ont permis au final d’améliorer la visibilité du SUIO-BAIP, d’actualiser et d’améliorer les connaissances relatives au marché du travail auprès des étudiants, de favoriser l’identification des personnes susceptibles de les conseiller pour la préparation d’entretiens et/ou la valorisation des compétences professionnelles.

44Le forum des masters scientifiques a été globalement apprécié par les étudiants de master professionnel qui ont pu rencontrer des entreprises de leur secteur d’activité. La fréquentation des étudiants au forum des entreprises a montré qu’il existait une corrélation objective entre le portage du projet par les enseignants-chercheurs concernés et le taux de présence des étudiants à cet événement. L’importance de l’ambidextrie contextuelle avec le soutien clé des enseignants-chercheurs à l’activité d’insertion a là encore été soulignée : sans engagement fort des « correspondants Science Insert » et responsables de diplômes, les étudiants ne participeraient pas au forum et ne s’engageraient pas dans le suivi des modules. Deux tiers des étudiants répondants se sont déclarés satisfaits de l’organisation d’un tel forum en mettant principalement en avant la proximité des professionnels pour échanger sur les débouchés de leur filière, les conditions de recrutement et le contenu des missions.

45Ces résultats se poursuivent dans la durée. Ainsi, après l’expérimentation, 1 430 étudiants ont suivi les modules TRE-TRS en 2012-2013 et 1 513 en 2013-2014. Les enquêtes réalisées (avec un taux de réponse de 74 % en 2012-2013 et 92 % en 2013-2014) fournissent des résultats très encourageants : 63 % des étudiants estiment que ces modules les ont aidés à construire leur projet professionnel ; ils sont 77 % à affirmer que ces modules les ont aidés à mieux connaître le monde du travail. La fréquentation du Forum n’a pas faibli : 1 000 étudiants en 2012-2013 et plus de 1 000 en 2013-2014 : les trois quarts des enquêtés (taux de retour de 21 %) ont été globalement satisfaits par le forum.

3.3. Discussion

46L’évaluation menée par le CEREQ a montré la cohérence du projet à différents niveaux (organisationnel et pédagogique), cohérence assurée par le SUIO-BAIP. Ce dernier a été ainsi en capacité de professionnaliser et de systématiser les interventions sur les thématiques de l’insertion professionnelle dans les formations, ou encore de répondre aux exigences des dossiers d’habilitation, en fédérant un réseau d’acteurs internes (enseignants) et externes (animateurs des modules TRE-TRS, entreprises). La pérennisation de ces outils et prestations de qualité offre la possibilité à l’Université de rattraper son retard sur les formations concurrentes (écoles d’ingénieurs notamment) en termes de soutien à l’insertion des étudiants. De plus, les effets de « Science Insert » sont allés au-delà du public cible d’étudiants de masters scientifiques et ont bénéficié à l’ensemble de la communauté universitaire : mise en place d’une plateforme web avec trois entrées (entreprises, étudiants, diplômés) comprenant des témoignages de diplômés en poste, mise en valeur des compétences de recherche issues des laboratoires scientifiques, déclinaison des compétences délivrées dans les formations avec édition de livrets dédiés à destination des organisations publiques et privées, signatures de conventions avec des branches et associations professionnelles, etc. Les moyens importants consentis ont bien été sources d’innovations.

47Les résultats montrent que si l’ouverture vers le monde socio-économique ne figure pas d’emblée dans les missions traditionnelles des enseignants-chercheurs et les activités référencées dans leur service, elle est souhaitée par les étudiants qui se placent dans une perspective où le diplôme permet de favoriser l’intégration vers un emploi. Il faut également noter que les élus étudiants aux conseils centraux de l’université ont demandé la poursuite de l’engagement de l’établissement dans l’expérimentation et le maintien de moyens dédiés, demande qui a été suivie par l’établissement.

48L’expérimentation a donc permis de renforcer l’attractivité des formations notamment du point de vue des étudiants et les relations avec le monde socio-économique. Cependant, sans structure duale, les enseignants-chercheurs ne s’engageraient pas efficacement dans ces taches considérées comme périphériques à leurs activités. L’université serait encore dans le cas où certains enseignants-chercheurs et certaines composantes (type IUT ou IAE) mèneraient des actions significatives, d’autres pas ou peu. Le renforcement de la structure duale a atténué les tensions entre activité d’exploitation (enseignement et recherche) et d’exploration (soutien à l’insertion) et favorisé les synergies. Les actions menées bénéficient d’une forte homogénéité à l’intérieur de l’établissement et d’une forte visibilité à l’extérieur grâce à l‘intégration de nombreux partenaires.

49L’ambidextrie est clairement structurelle puisqu’elle a reposé sur le renforcement des moyens de la structure duale (SUIO-BAIP) et la mobilisation de ressources externes avec des objectifs ambitieux et l’appel à des professionnels. La recherche a également montré l’importance de l’ambidextrie contextuelle : si les enseignants-chercheurs « correspondants Science Insert » et responsables de diplômes ne s’approprient pas ces activités d’exploration, alors le message aux étudiants-bénéficiaires in fine de l’expérimentation est remis en cause (ils ne viennent pas au forum des masters scientifiques ou se sentent peu concernés par les modules). De ce point de vue, les enseignants-chercheurs responsables de diplômes jouent là un rôle de prescripteur.

50L’alchimie réussie de « Science Insert » est d’avoir réussi à concilier ambidextrie structurelle (davantage de moyens pour le SUIO-BAIP) et ambidextrie contextuelle (mise en place d’un réseau de « correspondants Science Insert » reconnus et forte mobilisation de la gouvernance).

51Le risque, à l’issue de l’expérimentation, est double : la fin des moyens dédiés accordés par le FEJ dans la logique d’expérimentation et la fin de l’engagement des enseignements-chercheurs liés à l’arrêt officiel du projet.

52Concernant le premier risque, le relais pris par les composantes de formation, en plus du soutien important de l’établissement (création de poste, moyens financiers pluriannuels pour les modules et le forum) et la nouvelle articulation entre le SUIO-BAIP et les composantes de formation, offre la possibilité de continuer les actions dans une nouvelle orientation avec une nouvelle structuration entre composantes de formations.

53Concernant le second risque, le maintien d’un système de reconnaissance (sous forme de primes de responsabilités pédagogiques ou autres) apparaît nécessaire. Les composantes de formation ont ainsi été sollicitées pour qu’elles continuent à maintenir ces primes. La question de la valorisation dans la durée de cet investissement, par le biais de référentiels d’activités ou de reconnaissance dans la carrière au niveau de l’établissement ou au niveau national, reste posée. C’est selon nous une condition nécessaire pour pérenniser l’ambidextrie contextuelle au service de l’ouverture vers le monde socio-économique. La notion de scripts de carrière (Dahan et Mangematin 2010) - qui peuvent varier selon les profils et les moments de la vie - peut contribuer à la réflexion.

Conclusion

54Cette recherche a des implications théoriques et pratiques au moment où les organisations publiques évoluent. Ainsi, pour que la troisième mission de l’université soit réellement développée (ouverture vers le développement socio-économique, souci de la transition du diplôme vers l’emploi), il importe donc que les deux types d’ambidextrie (ambidextrie structurelle et contextuelle) soient mis en œuvre simultanément. L’ambidextrie structurelle est déterminante, mais elle est insuffisante si la démarche n’est pas soutenue et encouragée par les enseignants-chercheurs. Cette nécessité de coupler ambidextrie structurelle et ambidextrie contextuelle (avec un soutien de l’établissement aux enseignants-chercheurs concernés par la problématique de l’insertion) nous apparaît essentielle.

55Le concept d’ambidextrie apparaît pertinent dans le contexte du changement en management public. La question n’est pas de savoir « pourquoi changer » mais « comment changer » à l’aide des concepts d’ambidextrie, de structure duale et d’ouvrir « la boîte noire de l’université » selon l’expression de Bartoli (2002).

56Au niveau méthodologique, une approche longitudinale devrait s’avérer utile pour la suite des recherches. La structure interne de l’université et le référentiel d’activité des universitaires devraient évoluer à mesure que se développent les relations des universitaires avec le monde socio-économique et l’intérêt pour la question de l’insertion professionnelle.

57Au niveau pratique, cette recherche permet ainsi de donner des pistes sur le développement de l’insertion professionnelle dans les universités. La recherche montre la pertinence de l’approche de Clark (1998, 2004) selon lequel le processus d’ouverture vers le monde socio-économique exige l’existence simultanée de pratiques apparemment contradictoires qui supposent que stabilité et changement se renforcent mutuellement. Selon cet auteur, le « noyau dur » chargé de piloter ces évolutions « doit être capable de défendre les valeurs du gestionnaire et de l’universitaire ». Le portage de la structure duale et la mise en place de l’ambidextrie non seulement structurelle mais aussi contextuelle apparaissent pertinents dans cette perspective d’ouverture.

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Notes

1 Rapports Proglio (2006), Hetzel (2006), Lunel (2007), Goulard (2007), Aghion (2010) pour ne citer que les plus récents.

2 L’université publique est localisée dans le grand Ouest de la France. Nous avons utilisé un nom fictif pour la désigner.

3 http://www.experimentation.jeunes.gouv.fr/

4 Le centre d’études et de recherches sur l’emploi et les qualifications (CEREQ) est un établissement public qui dépend du Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et du Ministère du travail, de l’emploi et du dialogue social. Expert majeur dans le domaine de la formation et de l’emploi depuis 40 ans, il assure notamment des missions d’évaluation des politiques publiques ainsi que de dispositifs locaux tels que « Science Insert ». Il allie production de statistiques, recherches, études et accompagnement d’actions.

5 Extraits des entretiens réalisés auprès des « correspondants Science Insert » en janvier 2011.

6 Verbe le plus souvent, voire exclusivement, employé par les « correspondants Science Insert » et les porteurs de projet.

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Pour citer cet article

Référence papier

David Alis, Maurice Baslé, Jean-Marie Dubois et Aziz Mouline, « Développer au sein de l’Université l’objectif d’insertion professionnelle des étudiants. Une étude de cas d’ambidextrie organisationnelle »Politiques et management public, Vol 32/1 | 2015, 45-61.

Référence électronique

David Alis, Maurice Baslé, Jean-Marie Dubois et Aziz Mouline, « Développer au sein de l’Université l’objectif d’insertion professionnelle des étudiants. Une étude de cas d’ambidextrie organisationnelle »Politiques et management public [En ligne], Vol 32/1 | 2015, mis en ligne le 19 avril 2019, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pmp/8734

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Auteurs

David Alis

Professeur
Université de Rennes 1
CREM UMR CNRS 6211, IGR-IAE, 11, rue Jean-Macé - 35708 rennes Cedex 7
Auteur correspondant : david.alis@univ-rennes1.fr

Maurice Baslé

Professeur émérite
Université de Rennes 1, CEREQ-CREM UMR CNRS 6211
Faculté des Sciences Économiques
7, place Hoche - 35000 Rennes

Jean-Marie Dubois

Ingénieur d’études
CEREQ
10, place de la Joliette - 13567 Marseille

Aziz Mouline

Professeur
Université de Rennes 1, CREM UMR CNRS 6211
Faculté des Sciences Économiques
7, place Hoche - 35000 Rennes

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