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La gestion des relations collectivités territoriales-associations : une approche par l’engagement-confiance

The management of local authorities-associations relationships: an approach by the commitment-trust
Sophie Beguinet
p. 185-202

Résumés

Cet article s’interroge sur les relations entre collectivités territoriales et associations, afin de comprendre ces liens inter-organisationnels et de proposer un outil de gestion simple permettant aux acteurs locaux de penser et piloter les relations qu’ils entretiennent. Une lecture théorique des relations mairie-associations, selon les approches transactionnelle, sociologique et territorialisée, conduit à envisager la théorie de l’engagement-confiance comme un cadre d’analyse pertinent. Une étude de cas unique à visée exploratoire permet de montrer l'intérêt d’un modèle d’engagement-confiance pour comprendre et piloter les collaborations mairie-associations vers le succès.

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Texte intégral

Introduction

1D’interactions qui à l’origine ne devaient être qu’occasionnelles (Fialaire, 2003), les liens entre collectivités territoriales et associations se sont intensifiés sous l’impulsion de la territorialisation de nombreuses politiques et la promotion de la démocratie participative locale comme principe de la gestion publique locale. Avec le décloisonnement et la coordination des politiques publiques à l’échelle locale, les associations sont devenues des partenaires naturels, sinon privilégiés des collectivités (Pugeault, 2009) dans la conduite voire la réflexion de l’action publique locale (Chaufer, 2001). Le poids économique et social du monde associatif est considérable (Morange, 2008 ; Tchernonog, 2012) : responsables de multiples activités d’intérêt général, investies de missions de services publics, employant de nombreux salariés et dotées de budgets importants, certaines associations sont devenues incontournables pour les pouvoirs publics. Cette démarche partenariale répond effectivement à de multiples exigences : l’adaptation aux réalités locales, l’expérimentation, la réponse à l’urgence, la territorialisation des problèmes, la réduction de la complexité et l’accès à la citoyenneté (Frigoli, 2004). Si ces raisons motivent et légitiment le « faire ensemble », elles nécessitent aussi la mise en place de mécanismes de coordination permettant d’assurer la régulation des rapports afin de jouir des avantages du partenariat tout en circonvenant les risques de dérapage (Tremblay, 2003). Si les travaux de Fabre (2005, 2006, 2010) représentent un apport important de la littérature sur ce thème, nous avons avant tout choisi de nous intéresser aux relations mairie-associations pour comprendre leur agencement, afin de souligner la diversité de leurs formes et de la gestion adaptée qu’elles requièrent.

2Il convient en effet de rappeler que si le terme « partenariat » est fréquemment utilisé pour évoquer les relations mairie-associations, celui-ci ne représente en fait qu’un mode de collaboration parmi d’autres entre les deux organisations. La notion de partenariat fait écho à une multiplicité d’expériences et de pratiques, s’exprimant selon diverses modalités. Les partenariats sont des formes de relations qui visent un partage de ressources et de risques dans la poursuite d’objectifs communs mais n’obéissent pas à une démarche unifiée (Klein, 1992). Ils se distinguent de sept autres formes d’interactions possibles entre différents acteurs organisés, allant de la plus informelle à la plus encadrée, de la plus fragmentée à la plus intégrée : l’information mutuelle, la consultation, la coordination, la concertation, la coopération, le partenariat, la cogestion, la fusion (Landry, 1994). Chacune de ces formes comporte des caractéristiques particulières, supposant des dynamiques personnelles et organisationnelles différentes, et nécessitant dès lors une gestion adaptée au type de relation inter-organisationnelle entretenue. Plus l’on progresse sur le continuum plus l’interdépendance se mue en dépendance pour terminer en intégration. Le partenariat se situe au sixième point, entre la coopération (plus souple) et la cogestion (plus intégrée), et correspond ainsi à des relations relativement structurées et formalisées au sein desquelles les collaborateurs conservent leur existence propre (René et Gervais, 2001). Les partenaires poursuivent un objectif commun, qu’ils atteignent en utilisant de façon convergente leurs ressources respectives (Landry, 1994). La littérature scientifique comme professionnelle relève toutefois au travers des pratiques de terrain, l’existence de cet ensemble diversifié de relations collaboratives. Nous nous interrogeons dès lors sur la manière la plus adéquate de prendre en compte cette diversité, pour l’étudier mais aussi pour comprendre comment ces relations peuvent être amenées à évoluer sur ce continuum de la collaboration.

3Nous intéressant plus particulièrement aux relations mairie-associations, il convient tout d’abord de les replacer dans l’ensemble plus vaste auquel elles appartiennent, un réseau inter-organisationnel appelé « groupe communal » (Fabre, 2005). Nous discuterons ensuite des liens mairie-associations sous l’éclairage des deux grands courants de la littérature explicatifs du fondement des relations inter-organisationnelles, pour réunifier leurs apports par une approche territorialisée. Afin de dépasser cette visée compréhensive, nous envisageons ensuite une modélisation fondée sur l’engagement et la confiance présents entre les deux organisations. Il s’agit donc de proposer un cadre d’analyse permettant d’entrer au cœur de ces relations pour s’adapter à leur singularité, tout en conservant une portée généraliste permettant de convenir à l’ensemble varié des collaborations mairie-associations. L’ambition est ici de proposer un outil de gestion simple permettant aux acteurs locaux de penser et piloter les relations qu’ils entretiennent. Une étude empirique qualitative à visée exploratoire, fondée sur 29 entretiens, permet de réaliser un pré-test du modèle pour éprouver sa pertinence dans le contexte qui nous intéresse.

1. Les relations mairie-associations : un enchevêtrement de relations transactionnelles et sociologiques

4Le groupe communal se définit comme un réseau inter-organisationnel dans lequel la mairie se présente comme le pivot central de l’organisation réticulaire, autour duquel gravitent de nombreux satellites ou partenaires, dont les associations (Fabre, 2005). La mairie, source de la politique publique locale et bailleur de fonds privilégié des associations, se positionne ainsi comme le pivot légitime de la coordination des initiatives locales et la garante de la cohérence des actions entreprises sur son territoire. Dans les faits toutefois, des mécanismes de coordination informels s’observent, correspondant à une gouvernance plus collective. En effet, le pouvoir de la collectivité territoriale (légal, politique et surtout financier) se trouve fréquemment contrebalancé par l’indépendance juridique des associations, leurs compétences et leurs ressources humaines. Les relations mairie-associations au sein du groupe communal se présentent alors comme un enchevêtrement de relations transactionnelles et sociologiques, faisant ainsi référence aux deux grands courants de pensée discutant du fondement des relations inter-organisationnelles, avec d’une part l’approche économique (ou transactionnelle) et d’autre part l’approche sociologique (ou sociale).

5Au sein du groupe communal, il existe une relation d’agence entre la mairie et les associations car un contrat tacite ou formalisé va permettre à la mairie de confier aux associations des activités allant dans le sens de l’intérêt public (Fabre, 2005). En effet, la mairie ne peut répondre seule à l’ensemble des besoins sur son territoire et s’appuie donc sur le tissu associatif comme relais de l’action publique pour remplacer, compléter ou venir en doublon de l’action d’initiative municipale. Le recours aux associations présente de nombreux avantages pour la collectivité territoriale (Deporcq, 1993). Tout d’abord en matière de coûts, puisque cette relation permet à la mairie de mobiliser des ressources gratuites grâce au bénévolat, sans augmenter la pression fiscale ou les prélèvements sur l’usager. La relation aux associations assure aussi une souplesse de fonctionnement par rapport à la gestion publique, permettant une meilleure réactivité à la demande sociale (mutabilité du service public). Enfin, le recours aux associations est aussi un moyen d’accroître la qualité du service public, car celles-ci possèdent une expérience et des compétences spécifiques.

6Les avantages amenés par le recours aux partenaires associatifs (souplesse, qualité, coûts) peuvent aussi devenir des inconvénients (Renucci, 2003) car les conditions engendrant un problème d’agence sont réunies. Il existe d’une part, une asymétrie d’information relativement forte, l’observation des efforts déployés par le partenaire associatif étant, dans les faits, peu aisée (Chekkar et Zoukoua, 2009), et d’autre part, une possibilité d’apparition de divergences d’intérêts entre la mairie et les associations (Deporcq, 1993), puisque les spécificités de ces deux organisations (identité, histoire, culture, etc.) concourent à la production d’opinions et d’approches multiples et variées. La collectivité doit alors pouvoir orienter et contrôler ces actions associatives qui participent au dynamisme territorial et ont un impact potentiel sur la conduite stratégique de la politique publique locale. Le droit définit le cadre minimal de ces relations, avec par exemple pour les associations subventionnées une obligation d’information de la collectivité qui les finance quant à l’emploi de ladite subvention (article L. 1611-4 du Code général des collectivités territoriales) ou encore une obligation de conclure une convention dès lors que la subvention dépasse la somme annuelle de 23 000 euros (Article 1 du décret n° 2001‑495 du 6 juin 2001 pris pour l’application de l’article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à la transparence financière des aides octroyées par les personnes publiques). Les échanges restent toutefois profondément affectés par la nature, la composition et l’agencement des réseaux de relations dans lesquels ils se trouvent « encastrés » (Granovetter, 1985).

7L’approche sociologique des réseaux (Granovetter, 1985) explique la constitution de ces liens comme la résultante de relations sociales préexistantes, où les contacts interpersonnels entraînent la consolidation des échanges autour de valeurs communes et de liens de confiance. Au lieu de la recherche absolue de la maximisation des profits, l’acteur a alors tendance à prioritairement interagir avec les partenaires qu’il connaît déjà, et cela dans le but de réduire l’incertitude lors des transactions (Gulati et Singh, 1998). Cette tendance a été constatée par la littérature dans de nombreux domaines du secteur privé comme public, avec notamment la délégation de service public et cela bien qu’une procédure de mise en concurrence soit prévue dans les textes (Chauvey, 2006, 2009). Le groupe communal, centré autour de la mairie, se présente ainsi comme un réseau stable (Fabre, 2005), où les liens interpersonnels assurent une meilleure circulation de l’information et permettent ainsi de réduire l’asymétrie informationnelle et le risque d’opportunisme. Le réseau social assure ainsi la régulation des biais d’opportunisme et permet de contenir les coûts de transaction, cette régulation sociale des échanges étant d’autant plus prégnante lorsque l’encastrement relationnel des liens inter-organisationnels est aussi territorial.

8Il s’avère alors bien souvent que le réseau étudié est en fait un modèle hybride combinant des relations analysables par ces deux corpus théoriques que représentent l’approche économique et l’approche sociologique. De fait, si l’approche transactionnelle des relations inter-organisationnelles met l’accent sur les bénéfices des interactions mairie-associations (tout en prévenant l’opportunisme), l’approche sociologique permet plutôt d’insister sur l’importance des liens sociaux entre ces différents acteurs (communication, partage de valeurs, confiance). La littérature sur la territorialisation des réseaux permet de réconcilier les apports de ces deux grands courants de pensée en insistant sur le caractère territorialisé des rapports car au sein du groupe communal, la gouvernance par une organisation centrale (la mairie), a parfois tendance à glisser vers une gouvernance de type communautaire, où « le mode de régulation des échanges est alors principalement basé sur la confiance et la solidarité, la proximité géographique renforçant le sentiment d’appartenance communautaire » (Ehlinger, Perret et Chabaud, 2007).

2. Les relations mairie-associations : une lecture par le territoire et ses proximités

9Trois formes de réseaux inter-organisationnels territorialisés ont été particulièrement étudiées et posent les fondations de cette littérature : les clusters, les districts industriels selon le modèle italien, et les pôles de compétitivité français (Chabault, 2009). Les recherches sur ces formes particulières de réseaux présentent l’avantage de prendre en compte les relations inter-organisationnelles entre acteurs d’horizons différents (privés et publics) tout en tenant compte de la dimension territoriale, un élément fondamental dans la conduite des interactions. Cette approche permet de « réencastrer » l’activité des réseaux dans leurs dimensions spatiales, sociales, politiques et historiques afin de comprendre le processus qui a donné lieu à leur création et leur développement (Maisonnasse et al., 2010).

10La littérature sur la territorialisation des réseaux permet par ailleurs d’insister sur l’ancrage des liens inter-organisationnels pour mettre en lumière la dimension historique des relations entretenues par les organisations (avec d’autres organisations, avec les pouvoirs publics, avec leur environnement). Cet ancrage géographique, institutionnel et organisationnel des relations permet d’appréhender les dynamiques d’interactions de l’organisation avec son environnement (Ehlinger, Perret et Chabaud, 2007). Lorsqu’elles sont physiquement ancrées sur un même territoire, des entités hétérogènes (privées ou publiques, petites ou grandes, etc.) et indépendantes les unes des autres sont amenées à coopérer pour de nombreuses raisons (exploitation ou transfert de ressources, mutualisation de coûts, objectifs communs, etc.). Tout en conservant leur autonomie, ces entités tissent des relations inter-organisationnelles, marchandes et non marchandes, qui les installent dans une situation d’interdépendance, formant ainsi des réseaux territorialisés d’organisations. Ces réseaux peuvent alors se définir comme des « ensembles coordonnés d’acteurs hétérogènes, géographiquement proches, qui coopèrent et participent collectivement à un processus de production » (Ehlinger, Perret et Chabaud, 2007).

11Le territoire se définit alors comme une organisation combinant « une localisation, un héritage culturel, un processus d’appropriation de l’espace par un groupe ayant conscience d’une identité, un processus de gestion, d’aménagement et d’auto-reproduction » (Bailly et al., 1995). Le territoire est un construit social où sont présentes plusieurs proximités (Maisonnasse et al., 2010) qui favorisent les échanges inter-organisationnels comme interpersonnels. Le concept de proximité intéresse tant les gestionnaires que les économistes et les sociologues, et traduit la distance géographique et socio-économique entre deux acteurs (individus ou organisations). La proximité se scinde en deux grandes dimensions (cf. Figure 1) : une proximité d’essence spatiale, appelée proximité spatiale, physique ou géographique, et une proximité d’essence non spatiale appelée proximité organisée, organisationnelle ou socio-économique (Bouba-Olga et Grossetti, 2008 ; Pecqueur et Zimmermann, 2004).

12Figure 1 - Les différentes dimensions du concept de proximité

(Source : adapté de Bouba-Olga et Grossetti, 2008)

13La proximité géographique repose sur la distance temporelle et physique entre les acteurs. Elle peut être appréhendée au regard de la distance métrique entre les acteurs, mais aussi via le temps ou les coûts du transport et de la communication. La proximité de ressources se crée selon une logique de similarité ou de complémentarité des valeurs et des ressources, traduisant ce que les individus et les organisations sont et ce qu’ils ont. La proximité de ressources cognitives est notamment repérable dans le discours des individus et des organisations comme des allants de soi communs ou divergents (culture, langue, normes, etc.), alors que la proximité de ressources matérielles concerne plutôt le capital « technique » dont dispose l’individu ou l’organisation (diplôme, profession, patrimoine, activités, etc.). La proximité relationnelle concerne autant les interactions interindividuelles que celles avec des groupes organisés. Bouba-Olga et Grossetti (2008) opéreront plus tard une distinction entre ces deux proximités (sur la base de la nature collective ou individuelle de l’interlocuteur) en distinguant la proximité relationnelle et la proximité de médiation.

14La proximité socio-économique mairie-associations induit tout d’abord un intérêt commun pour le développement local des activités, d’autant que nombre d’élus et de fonctionnaires municipaux sont souvent engagés dans une association (pour des raisons personnelles ou professionnelles), voire même anciens présidents ou directeurs d’une association (Caudron et Schwamberger, 2003 ; De Maillard, 2002 ; Koulytchizky et Pujol, 2001). Les élus et fonctionnaires représentent ainsi « autant de lobbies permettant à l’association de pénétrer la sphère publique et de s’y maintenir, plus ou moins discrètement, avec plus ou moins de succès et finalement plus ou moins légalement » (Daubigny, 2009). Les trajectoires des individus des organisations associatives et municipales s’entrelacent, à la fois motivées par des raisons professionnelles mais aussi plus personnelles. Par ailleurs, le territoire, communauté d’intérêts à forte proximité géographique, offre aux associations comme à la mairie la possibilité de rencontrer directement leurs interlocuteurs. Outre la convergence des objectifs, la multiplication des relations interpersonnelles favorise alors la connivence et entretient une intégration de type culturelle (Fabre, 2006 ; Koulytchizky et Pujol, 2001), d’autant quand on sait que la structure associative constitue une antichambre privilégiée des recrutements publics (Daubigny, 2009).

15Sous l’éclairage des principaux travaux de la littérature, notre compréhension des relations inter-organisationnelles étudiées s’en trouve améliorée, mais les approches contrastées de ces recherches nous permettent avant tout de conclure à l’hétérogénéité des relations mairie-associations au sein du groupe communal et à la complexité que revêt leur gestion. La gouvernance de ces relations s’entend comme une « forme hybride de relations marchandes et non marchandes visant à adapter, coordonner et contrôler les échanges entre des entités autonomes et hétérogènes par des mécanismes de régulation complexes de nature transactionnelle et relationnelle, économique et sociale » (Ehlinger, Perret et Chabaud, 2007). Dans notre volonté de dépasser une approche descriptive pour proposer aux acteurs une voie de pilotage de ces relations inter-organisationnelles, il nous faut dès lors envisager un cadre d’analyse permettant d’entrer au cœur de ces interactions pour s’adapter à leur singularité, tout en conservant une portée généraliste permettant de convenir à l’ensemble varié des collaborations mairie-associations. Nous avons en conséquence choisi de nous appuyer sur le modèle de Morgan et Hunt (1994).

3. Les relations mairie-associations : une gestion possible par l’engagement-confiance au cœur des interactions

16Le modèle de Morgan et Hunt (1994) place l’engagement et la confiance au cœur de la gestion des relations inter-organisationnelles (cf. Figure 2). Son contenu présente un intérêt certain pour notre recherche car il repose sur des facteurs au fondement de relations enchevêtrées socialement et territorialement (confiance, communication, valeurs communes, accord), sans pour autant ignorer des variables clés des relations étudiées sous le prisme de la théorie économique (opportunisme, incertitude, bénéfices). Le travail de ces auteurs permet de faire converger les apports des trois champs de la littérature mobilisée pour étudier les relations inter-organisationnelles (transactionnelles, sociologiques, territoriales), aboutissant à une approche englobante des phénomènes à l’œuvre plutôt qu’à une vision partielle. La pertinence de ce modèle pour les collectivités territoriales a tout d’abord été soulevée par Benavent dès 1996, bien que l’article n’ait pas donné lieu à de nouveaux travaux de recherche en ce domaine de la part de son auteur (Benavent, 1996). De plus, la validité du modèle engagement-confiance de Morgan et Hunt (1994) a été testée dans un contexte similaire à notre recherche, celui des relations inter-organisationnelles entre bailleurs de fonds et organisations à but non lucratif (MacMillan et al., 2005). Ces recherches ont renforcé notre intérêt pour ce modèle, afin d’éclairer notre étude des relations mairie-associations et apporter une proposition de gestion de ces relations. En effet, selon Morgan et Hunt (1994), la confiance et l’engagement sont deux concepts clés dans la création, le développement et la pérennisation de relations inter-organisationnelles mutuellement profitables. Ainsi, quand engagement et confiance sont présents, des comportements de coopération se mettent en place et entraînent la production d’externalités qui favorisent l’efficience, la productivité et l’efficacité de la relation inter-organisationnelle (Morgan et Hunt, 1994), des enjeux désormais très prégnants dans la gestion publique locale.

17Figure 2 - Modèle des relations engagement-confiance

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(Source : Morgan et Hunt, 1994)

19La confiance est un objet de recherche complexe, d’intérêt pluridisciplinaire (Rousseau et al., 1998) : il existe non seulement bien des formes et objets de confiance, mais aussi différents niveaux de confiance, eux-mêmes interdépendants (confiance personnelle, interpersonnelle, inter-organisationnelle et institutionnelle). Dans le champ des relations inter-organisationnelles, une question récurrente se pose : confiance ou contrôle, confiance et contrôle ? ou encore confiance ou contrat, confiance et contrat ? (Brousseau, 2001). Si cette question continue d’alimenter les travaux de recherche, une forte tendance à la reconnaissance de leur complémentarité se détache nettement. Dans les relations collectivités territoriales-associations, le législateur a instauré un cadre minimum légal pour le contrôle des associations subventionnées. Si des mécanismes contractuels sont à la disposition des collectivités territoriales, il semblerait toutefois que dans les relations mairies-associations, la proximité géographique et socio-économique des acteurs favorise cette coordination plus souple des échanges par la confiance. La recherche de Morgan et Hunt (1994) nous permet de considérer quatre vecteurs de la confiance inter-organisationnelle : la communication, les comportements opportunistes, l’incertitude et le conflit fonctionnel. Cette confiance inter-organisationnelle s’explique alors comme la croyance d’une organisation envers une autre, que cette dernière agira dans un sens bénéfique pour la dyade (Anderson et Narus, 1991).

20Outre la confiance, le concept d’engagement mobilisé par Morgan et Hunt (1994) présente un pouvoir explicatif fort dans la compréhension de la stabilité des liens au sein du groupe communal (Fabre, 2005). L’engagement témoigne en effet de la volonté de faire le maximum d’efforts pour maintenir la relation : le partenaire engagé estime que la relation vaut la peine d’être préservée, il est donc prêt à travailler au maintien de celle-ci (Morgan et Hunt, 1994). La perception de l’importance de la relation par le partenaire est alors primordiale et évaluée au regard des coûts de sortie de la relation, des bénéfices de la relation, du consentement, et de la propension à sortir de la relation. Par exemple, la prise en compte des bénéfices retirés de la relation inter-organisationnelle permettra de souligner l’interdépendance de ressources des acteurs en présence. Il s’agira notamment pour la mairie, de travailler avec une association au savoir et savoir-faire reconnus et rompue aux exigences d’une organisation publique, et pour l’association de s’assurer l’expertise d’un bailleur de fonds lui permettant de pérenniser son activité.

21Enfin, l’existence de valeurs partagées entre les deux parties est un préalable au développement conjoint de l’engagement et de la confiance, conduisant à la mise en place d’une relation de coopération. Il est tout particulièrement question ici d’une réflexion relative à la proximité socio-économique telle que l’entend la littérature sur la territorialisation des réseaux. L’engagement des parties dans une relation de coopération dépendra des bénéfices retirés de la relation et des efforts consentis pour maintenir la relation. Plus ceux-ci seront élevés, plus la coopération sera fluide (accord) et la tendance à mettre fin à la relation faible. La confiance demande une communication transparente et prohibe tout comportement opportuniste, afin de réduire l’incertitude liée à la coopération et favoriser le conflit fonctionnel.

22Nous avons montré théoriquement la pertinence d’une approche par un modèle d’engagement-confiance pour envisager la gestion des relations mairie-associations au sein du groupe communal. Il convient dès lors d’éprouver la validité empirique de notre modèle en le confrontant aux données issues du terrain. Au regard de l’originalité d’une telle approche, nous avons choisi d’adopter une démarche exploratoire et de nous appuyer sur une méthodologie qualitative.

4. Méthodologie

23Au sein d’un groupe communal centré autour d’une ville de taille moyenne (environ 80 000 habitants), nous avons conduit 29 entretiens semi-directifs centrés (Romelaer, 2005) autour de notre objet de recherche, d’une durée moyenne d’1h30. L’existence d’un lien financier étant considérée comme un signe de relation collaborative effective, nous avons choisi de nous concentrer, au sein de la sphère associative, sur les associations subventionnées. En effet, malgré la diminution de leur nombre dans les dernières années (Tchernonog, 2013 ; Tchernonog et Vercamer, 2012), les subventions publiques représentent deux tiers des financements publics adressés aux associations (Tchernonog, 2009) et les communes restent les premiers bailleurs locaux pour les associations (Tchernonog, 2009) avec un soutien financier relativement stable (Tchernonog, 2011).

24Notre terrain présente les caractéristiques d’une étude de cas (Yin, 2009), puisqu’en vue d’éprouver la pertinence d’un modèle d’engagement-confiance pour gérer des relations mairie-associations, il a été question d’observer un réseau territorialisé d’organisations ancré sur une seule commune. Le corpus empirique recueilli comprend deux sous-échantillons, avec 10 entretiens menés au sein de la collectivité territoriale (auprès d’élus et responsables de services) et 19 entretiens menés au sein de 18 structures associatives subventionnées (auprès de responsables associatifs). L’échantillon constitué assure par ailleurs la représentation des différents domaines d’activité associatifs et permet d’atteindre une saturation théorique de l’information.

25Nous situant dans une perspective exploratoire avec méthodologie qualitative, il ne sera donc pas question ici, à l’instar de Morgan et Hunt (1994), de confirmer la validité d’une modélisation avec équations structurelles. Dans le cadre de cette recherche, une telle démarche apparaîtrait prématurée. Nous ne cherchons pas établir des liens entre les différentes variables mais plutôt à repérer leur présence au sein des discours portant sur les relations mairie-associations pour établir la pertinence d’une gestion de ces relations par engagement-confiance. Une telle étude pose ainsi les prémices de la construction d’un modèle plus structuré, afin de s’assurer de la pertinence d’une approche d’engagement-confiance pour gérer les relations mairie-associations.

26Pour procéder à l’étude des données collectées, nous avons respecté la démarche d’analyse de contenu préconisée par Bardin (1996). Nous avons ainsi sélectionné, pour chaque entretien, les verbatim qui font écho à notre questionnement de recherche, afin de les intégrer à une base de données nous permettant de structurer l’analyse de contenu thématique. L’unité statistique est donc ici le verbatim (chaque ligne de notre base de données correspond à un verbatim extrait d’un entretien), son codage répondant aux variables d’engagement-confiance (cf. Tableau 1). Cette approche centrée sur le verbatim met ainsi l’accent sur ce qui est dit plus que sur celui qui le dit, afin de limiter la perte d’informations et préserver la richesse du matériau collecté. Une telle méthode permet ainsi d’avoir « le souci du détail signifiant » et d’illustrer le théorique par du signifiant empirique (Wacheux, 2005).

27Enfin, un accès étendu au terrain facilite la triangulation de l’information recueillie par la mobilisation d’autres techniques de collecte des données (étude documentaire, observation participante et non participante), permettant de contrôler la fiabilité du discours pour asseoir la robustesse du matériau qualitatif recueilli et des résultats qui en découlent.

28Tableau 1 - Exemple de codages des verbatim en fonction des variables d’engagement-confiance

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(Source : l’auteur)

5. Résultats et discussion

30La base de données constituée des verbatim représente 535 verbatim et appelle alors un choix dans la manière de présenter les résultats de notre analyse de contenu. Afin de respecter les principes de parcimonie et de clarté dans la communication des résultats de cette recherche, nous avons jugé plus pertinent d’illustrer nos résultats par les seuls extraits de quelques entretiens pour ensuite proposer un tableau récapitulatif. Dans le même temps, la confrontation des données recueillies aux apports de la littérature permet de discuter les résultats présentés pour apporter un éclairage supplémentaire à cette recherche empirique.

5.1. La confiance et l’engagement au cœur des relations mairie-associations

31L’analyse de nos entretiens met en évidence que la communication inter-organisationnelle est une variable fondamentale dans le développement de relations de confiance entre la mairie et les associations. La communication est alimentée par les relations interpersonnelles entre les deux organisations et se veut proactive (collaboration). Il s’agit de communiquer « avec la mairie, avec les élus, avec les services, avec différents services [et surtout] effectivement, on n’attend pas le dernier moment pour faire en sorte d’échanger et de continuer à travailler étroitement avec eux » (associations, action sociale). La conception de la communication rejoint ici celle de MacMillan et al. (2005) pour insister sur la double nature fondamentale de la communication : informer et écouter. Elle permet aussi de faire le lien avec les apports précédemment exposés concernant les réseaux territorialisés d’organisations car les différentes dimensions de la proximité sont aisément décelées dans les variables constitutives de l’engagement et de la confiance évoquées lors des entretiens. En effet, confiance et proximité sont deux concepts étroitement liés (Dupuy et Torre, 2004). Les deux dimensions de la proximité socio-économique (relationnelle et de ressources) se fondent dans le modèle de Morgan et Hunt (1994) : la proximité de ressources (cognitives et matérielles) fait écho aux valeurs communes, tandis que la proximité relationnelle rejoint plutôt la communication.

32Dès lors, les fonctionnaires sont potentiellement des alliés de poids pour les associations car ils peuvent aider les responsables et dirigeants associatifs à orienter leur discours pour correspondre aux attentes des élus de la collectivité et accéder plus facilement aux financements publics (valeurs communes, accord, collaboration). Ainsi, « quand on déposait nos dossiers, elle nous rappelait. » Elle nous disait : [Là, si vous voulez que ça passe, il va falloir peut-être plus axer les dossiers là-dessus, si vous êtes d’accord]. « Du coup, on retravaille ensemble. Vraiment la collaboration, je trouve que c’était chouette parce que du coup, on savait ce que la mairie attendait de nous et du coup… Nous, on pouvait ne pas s’inscrire dedans, mais enfin, c’était clair » (associations, vie associative). L’entretien de cette proximité relationnelle par les fonctionnaires est d’autant plus intense si l’association est reconnue comme un pilier de l’action associative locale (bénéfices, coûts de rupture). La confiance représente alors une source forte d’engagement et de coopération puisqu’elle peut conduire à une co-production des actions à mettre en œuvre sur le territoire, avec « de temps en temps, des idées qui émergent et une relation pour savoir si ça peut rentrer dans le cadre du partenariat qu’on a mis en place ou pas » (collectivité, direction vie associative). L’engagement de la mairie dans la relation est alors d’autant plus fort que l’association est « une grosse structure, avec beaucoup de services, beaucoup de dispositifs, donc, des liens énormes avec la Mairie » (associations, vie associative) qui se traduisent par ailleurs fréquemment par une conséquente allocation de moyens. En effet plus l’association est importante, plus la mairie va être réticente à sanctionner voire à rompre sa relation avec la structure associative (coûts de rupture, propension à quitter la relation) car les bénéfices potentiellement engendrés pour le territoire sont importants. L’accord avec la mairie devient un facteur clé de succès pour le développement d’une relation mutuellement profitable.

33Une association peut être jugée « grande » par le nombre de ses adhérents (ou des bénéficiaires), l’importance de sa masse salariée et bénévole, la multiplicité de ses activités, son expérience et son savoir-faire, ou encore la portée de ses actions. Ces critères déterminants de la taille de l’association révèlent en fait l’importance des ressources tangibles et intangibles dont dispose l’association, et qui en font une structure plus ou moins ancrée localement. Cette approche rejoint celle des bénéfices de MacMillan et al. (2005) entendus comme les avantages directement retirés par les deux organisations qui forment la dyade en termes matériels (ressources tangibles tels que les coûts, les ressources humaines, etc.) et immatériels (ressources intangibles telles que les savoirs, savoir-faire, etc.). Les associations sont considérées comme vitales à la dynamique territoriale, ce qui amène la collectivité à réfléchir sur les conséquences d’une rupture de la relation en matière de subvention puisque « le jour où on en enlève ou on en supprime une, ça veut dire qu’en général il peut y avoir 50 à 100 personnes qui sont démunies d’association. Donc c’est pas trop notre rôle non plus vu l’impact positif qu’elles jouent dans la vie. » (collectivité, sport). Il est ainsi question des coûts de rupture encourus non seulement par la mairie mais aussi par le territoire et ses habitants, en cas de mauvaise gestion de la relation. Les associations ont une capacité à fédérer les habitants, membres ou non de l’association, autour de leurs projets, et sont des vecteurs de légitimation, notamment concernant les politiques publiques dont l’acceptation par le public n’est pas toujours évidente (De Maillard, 2002). À ce titre, elles sont pour les élus des structures tantôt relais de la politique locale, tantôt contrepoids car s’il est vrai que la plupart du temps « on va dans leur sens mais… Il faudrait dire aussi qu’on a bien un poids politique, qui n’est pas négligeable » (associations, culture). De fait les élus ne peuvent, dans une certaine mesure, atteindre certains objectifs politiques sans le consentement et l’appui de ces associations : le débat (conflit fonctionnel, accord) et la collaboration entre les deux organisations sont importants afin de tisser un lien entre le public et le service public (Daubigny, 2009).

34La taille de l’association n’est toutefois pas un élément suffisant pour qualifier la nature de la relation. La mairie peut ainsi tisser des liens d’engagement étroits avec des associations de moindre envergure, notamment au regard de l’adéquation de leurs projets stratégiques/politiques (valeurs communes, accord). Ainsi, « au regard du plan d’action ou du projet associatif de l’association et au regard de la politique publique, on va croiser les données et on va s’apercevoir en principe qu’il y a tout un périmètre d’action qui nous concerne ensemble. Donc, la collectivité apporte des moyens pour que l’association avance dans ces dispositifs-là. » (collectivité, direction vie associative). La localisation d’associations dans les zones prioritaires définies par la politique de la ville représente par exemple un bénéfice pour l’intérêt local, qui va conduire la mairie à s’engager « pour que justement, ces structures-là accueillent le maximum de personnes, à des tarifs raisonnables, pour que ça ne bloque personne » (collectivité, sport). L’existence de valeurs partagées entre les deux parties est ainsi un préalable au développement conjoint de l’engagement et de la confiance, conduisant à la mise en place d’une relation de coopération. La littérature, tout comme les données du terrain, nous rappellent alors que la coopération ne représente qu’un mode de collaboration parmi d’autres (Landry, 1994).

5.2. Les conséquences de l’engagement-confiance en matière de collaboration

35Lorsque les conditions de base en matière d’engagement et de confiance sont réunies au sein des relations mairie-associations étudiées, celles-ci entraînent la coopération des acteurs. En revanche, lorsque ce n’est pas le cas, « la relation sera simplement d’une autre nature : adverse (conflit fonctionnel), incertaine (confiance « prudente »), inexistante (échange rompu) ou faussement coopérative (accord ponctuel) » (Pache, 2005). Chaque configuration relationnelle selon le degré d’engagement et de confiance, conduit à une forme collaborative différente, plus intégrée ou plus souple (Landry, 1994). Il apparaît ainsi que lorsque la mairie et l’association entretiennent des relations d’engagement-confiance, leur relation sera au moins coopérative, le degré de collaboration étant positivement corrélé à celui d’engagement-confiance. Toutefois, et cela malgré l’usage fréquent du terme « partenariat » dans les discours, les relations collaboratives plus intégrées telles que le partenariat ou la cogestion restent encore minoritaires. S’entretenir avec la mairie en amont du développement d’un projet, pour vérifier que celui-ci s’inscrit bien dans la politique publique locale ou pour travailler le projet avec les élus et fonctionnaires, reste encore un comportement peu habituel des associations. Ainsi, quand elles ont envie de monter une action, rares sont encore les associations « qui nous sollicitent d’abord pour nous dire : « et si on fait ça, est-ce que vous nous suivez ». Ils font tout le machin, et puis après ils viennent nous voir en disant : bon, il nous faut tant. » (collectivité, éducation). Cette réticence des associations à associer la mairie tout au long du développement d’un projet pourrait avoir plusieurs sources. Elle s’explique notamment par une peur des associations d’être dépossédées de leur liberté d’initiative (opportunisme) ou de provoquer l’étouffement dudit projet avant son éclosion, soit parce que l’idée ne satisfait pas la politique publique locale (valeurs communes, accord), soit parce que l’association ne sait comment valoriser le potentiel de son projet (communication). Il s’agit finalement d’une incertitude liée aux objectifs politiques de la mairie, provenant soit d’un défaut de communication de la collectivité, soit d’une défiance quant à l’instrumentalisation possible de leur action. En effet, lorsque la mairie soutient une action, certes l’adéquation avec la politique locale entre en considération (valeurs communes), c’est « pour répondre à un besoin, mais c’est aussi pour un retour électoral. Il ne faut pas se leurrer. » (associations, environnement). Il existe ainsi une sorte « d’opportunisme consenti » de la part des associations, qui admettent que la mairie bénéficie de l’image et des retombées positives issues de l’ensemble de leur travail lorsque celle-ci les subventionne (bénéfices).

36Les collaborations de type « partenariat » ou « cogestion » restent ainsi encore trop rares, le continuum de la collaboration mairie-associations se développant plutôt de la simple information mutuelle à la coopération. L’absence de relation de type « fusion » au sein de l’échantillon étudié, soit la forme la plus intégrée de collaboration, n’apparaît pas tellement surprenante car de telles relations induisent de forts risques juridiques. En effet, si l’indépendance d’organisation et de fonctionnement de l’association vis-à-vis de la collectivité est remise en question (notamment en matière de ressources, de prise de décision et d’action), l’association peut être qualifiée d’association transparente ou para-administrative. Dans ce cas, l’association subventionnée ne dispose d’aucune liberté réelle dans l’utilisation de ses fonds puisque ce pouvoir est, dans les faits, toujours aux mains de la collectivité qui les a versés. La subvention allouée est alors dite fictive car elle conserve son caractère de fonds publics : son utilisation reste soumise au droit public applicable aux collectivités et le maniement ou la connaissance du maniement de tels fonds peut alors être interprété comme de la gestion de fait (Leroy et Meunier, 2009).

37Pour conclure, nous proposons le tableau synthétique suivant permettant d’adapter empiriquement le modèle d’engagement-confiance théorique au contexte de la gestion des relations mairie-associations (cf. Tableau 2). Au regard de la littérature et de nos entretiens, les concepts peuvent ainsi être décomposés afin de spécifier leur contenu dans le champ étudié et déterminer les éléments qui sont en mesure d’être identifiés sur le terrain (Dépelteau, 2010). Il ne s’agit toutefois pas de réduire les concepts définis à ces seuls indices, mais de relever des signes empiriques qui nous permettent d’opérationnaliser les concepts (Wacheux, 2005 ; Dépelteau, 2010), de les rendre intelligibles pour faciliter la compréhension de la situation étudiée en amorçant ce mouvement théorie-terrain. La mise en exergue de ces signes empiriques permet de conforter la pertinence d’un modèle engagement-confiance pour appréhender les relations mairie-associations, tant pour comprendre leurs fonctionnements et leurs formes, que pour envisager leur gestion. Ces signes sont en effet autant d’éléments concrets sur lesquels les acteurs peuvent s’appuyer pour réaliser le diagnostic d’une relation donnée, qualifiant ainsi le degré d’engagement-confiance présent, et identifier les leviers d’action pour piloter la relation, la faisant évoluer vers une forme collaborative plus soutenue. L’intérêt managérial fort réside ainsi tant dans le pouvoir explicatif de ce modèle comme cadre d’analyse, que dans la prise de décision opérationnelle qu’il induit en tant qu’outil de gestion simple permettant de piloter les relations mairie-associations.

38Tableau 2 - Adaptation empirique de la théorie engagement-confiance à la gestion des relations mairie-associations

39

(Source : l’auteur)

40La discussion réalisée en parallèle de la présentation des résultats permet par ailleurs de représenter au mieux les particularismes des relations mairie-associations via un modèle d’engagement-confiance, le croisement des données empiriques et de la littérature conduisant à amender le modèle originel de Morgan et Hunt (1994). La confrontation du modèle au terrain permet notamment de retenir certains apports de MacMillan et al. (2005) concernant la définition des bénéfices et de la communication. Le discours des acteurs encourage par ailleurs le rapprochement avec la littérature concernant les réseaux territorialisés d’organisations : la proximité de ressources (cognitives et matérielles) rejoint ainsi les valeurs communes, tandis que la proximité relationnelle relève de la communication. Nous proposons enfin une modification substantielle au modèle en élargissant le concept de coopération de Morgan et Hunt (1994) à celui de collaboration (Landry, 1994), afin de correspondre au mieux à la diversité des formes collaboratives mairie-associations observées.

Conclusion

41Afin de comprendre les relations mairie-associations et d’envisager une voie de gestion permettant de les piloter, nous avons développé une revue de littérature en trois temps conduisant à la proposition d’une approche de ces relations par un modèle d’engagement-confiance. Il s’agit ainsi de dépasser les approches théoriques traditionnelles qui, certes, favorisent la compréhension de ces liens inter-organisationnels, mais présentent une portée opérationnelle limitée. Une étude de cas unique à visée exploratoire reposant sur 29 entretiens, permet de confirmer la pertinence de l’utilisation d’un modèle d’engagement-confiance et d’en adapter le contenu afin de comprendre et piloter les collaborations mairie-associations. La mobilisation d’un tel modèle, adapté aux relations mairie-associations, présente ainsi un fort pouvoir explicatif prenant en compte des variables transactionnelles, relationnelles et territoriales, permettant de caractériser ces relations. Ce cadre d’analyse offre de plus l’avantage de se fonder sur des concepts dont les dimensions sont appréhendables par le sens commun, via des signes empiriques simples identifiés sur le terrain. L’utilisation d’un modèle d’engagement-confiance représente à ce titre une voie prometteuse dans la gestion des relations mairie-associations, se positionnant tant comme un cadre théorique qu’un outil simple et pratique de gestion. Pour accompagner la création, le développement et la pérennisation de relations inter-organisationnelles mutuellement profitables (Morgan et Hunt, 1994), la construction d’un tableau de bord relationnel représenterait notamment une application concrète efficace, facilement mobilisable par les acteurs de terrain.

42Nous soulignons pour finir les limites inhérentes à toute étude de cas unique en matière de validité externe, ce travail de recherche appelant des prolongements afin de pouvoir conclure à une quelconque généralisation empirique. Nous pouvons en revanche envisager une généralisation analytique (Yin, 2009) encourageant la reproduction de cette démarche scientifique auprès d’autres groupes communaux afin de poursuivre le pré-test d’une modélisation de la gestion des relations mairie-associations reposant sur l’engagement-confiance. Ce travail favorise aussi la réflexion sur les mesures pertinentes à mobiliser pour apprécier les signes empiriques d’engagement et de confiance, cela afin de concevoir un outil statistique reproductible permettant d’apprécier ces variables. Il conviendra alors ensuite d’adopter une méthodologie quantitative pour tester la validité et la robustesse d’un tel modèle.

43Nous conclurons par un dernier prolongement émergeant du terrain en relevant, au sein de notre étude empirique, la présence significative d’évocations liant l’engagement-confiance dans les relations mairie-associations et le contrôle qui s’y rattache. Il apparaît ainsi que lorsque la mairie entretient une relation de confiance et d’engagement avec une association, elle va faire en sorte de préserver ce lien, quitte à déroger temporairement à certaines des règles de contrôle mises en place. L’utilisation par la mairie d’une sanction financière (diminution, suppression de la subvention) s’avère par exemple relativement rare en raison des forts bénéfices et coûts de rupture perçus. À l’inverse, une relation de confiance et d’engagement favorise la mobilisation d’autres modes de contrôle (notamment via des outils formalisés tels que les conventions pluriannuelles d’objectifs) marquant la reconnaissance effective et durable du partenariat. Il s’agit avant tout de porter attention au contenu et aux résultats de l’action, plutôt que de se contenter d’un classique contrôle de régularité (à l’instar des recommandations de Langlais (2008) concernant les partenariats État-associations). Les données empiriques confirment ainsi non seulement la pertinence d’une approche d’engagement-confiance pour caractériser et piloter les relations mairie-associations, mais soulèvent aussi l’influence de ces variables sur la mise en œuvre du contrôle et le choix des modalités de ce contrôle.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sophie Beguinet, « La gestion des relations collectivités territoriales-associations : une approche par l’engagement-confiance »Politiques et management public, Vol 32/2 | 2015, 185-202.

Référence électronique

Sophie Beguinet, « La gestion des relations collectivités territoriales-associations : une approche par l’engagement-confiance »Politiques et management public [En ligne], Vol 32/2 | 2015, mis en ligne le 11 mai 2019, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pmp/8325

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Auteur

Sophie Beguinet

CREG (EA4580)
Université de Pau et des Pays de l'Adour
64000 Pau
Auteur correspondant : sophie.beguinet@gmail.com

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