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Contributions des praticiens et débats

Commentaires sur la note
« Pour une culture de la recherche » de Shyam Sunder

Pascal Petit
p. 701-703

Texte intégral

La note de Shyam Sunder aborde deux thèmes complémentaires d’une inégale complexité. Le premier porte sur les implications néfastes des stratégies de publication dans les grandes revues internationales prônées aux jeunes économistes ou gestionnaires par leurs hiérarchies. Le second thème évoque la nécessité de développer une culture nationale de la recherche dans les disciplines de l’économie et de la gestion. La note entend souligner que le premier processus, assez bien décrit, condamne largement la possibilité du second, ce qui serait dommageable. Si l’on veut bien suivre l’auteur sur tous les inconvénients d’un principe d’évaluation assez réducteur, il est plus difficile de voir dans le court format de cette note ce que l’on peut entendre par une culture nationale de la recherche en économie et gestion… quand bien même on partagerait cette intuition. Essayons simplement de reprendre l’argumentation de l’auteur en soulignant les points qui mériteraient d’être développés pour étayer la proposition centrale qui donne son titre à la note en question.

Publier ou périr. Il est de fait frappant que, dans tous les pays, les administrations de l’enseignement supérieur et de la recherche aient retenu, comme élément central de leurs évaluations des travaux des chercheurs (comme des unités) en économie et gestion, des publications dans un petit nombre de revues internationales, quasiment toutes anglo-saxonnes. Comme le nombre de ces revues ne s’est pas multiplié dans les mêmes proportions que les chercheurs en question cela donne aux « grandes » revues établies une rente de situation exceptionnelle. Si l’on ajoute que leur mode de fonctionnement, le cercle des personnes actives concernées, comme les sujets privilégiés ont peu évolué, alors de fait l’internationalisation d’un principe d’évaluation, privilégiant les publications dans un cœur de « grandes revues internationalement reconnues », a des effets appauvrissant sur la discipline. Les stratégies de recherche des jeunes économistes et gestionnaires vont avant tout chercher à se positionner par rapport aux thématiques débattues dans les dites revues, favorisant un certain conformisme et/ou des innovations marginales. Cette situation est effectivement globalement contreproductive même si elle mériterait plus ample analyse pour tenir compte tant de l’arrivée, en nombre non négligeable, de nouvelles revues que du renouvellement des thématiques des grandes revues, ne serait-ce que pour répondre aux questions nouvelles que pose l’évolution du monde, de l’internationalisation des économies aux changements des techniques et des comportements de consommation.

Mais, à grands traits, l’effet réducteur de la diffusion internationale d’un principe d’évaluation trop centré sur les publications dans un noyau de grandes revues devrait être avéré. À cela, l’auteur ajoute que cet appauvrissement est encore plus marqué si l’on admet que cette centralisation fait perdre tout l’intérêt que l’on pourrait trouver à des analyses de questions plus spécifiquement nationales. On perdrait ainsi en diversité alors que la variété des capitalismes (pour reprendre une thématique contemporaine) offrirait des perspectives de renouvellement de nos disciplines largement inexploitées. Là encore l’argument est sans doute justifié. Le basculement du monde, que représente le nouveau poids économique de l’Asie ne s’est pas encore accompagné d’un quelconque mouvement dans la hiérarchie des publications. Il y a là pour le moins une certaine inertie mais l’on ne peut exclure que l’autorité de certaines publications asiatiques par exemple (en Chine, Japon ou Corée du Sud surtout) ne s’accroisse très sensiblement. La lenteur de telles évolutions reste manifeste si l’on tient compte de l’obstacle de la langue qui laissera pour des temps encore plus longs tous ses avantages à la langue anglaise.

Alors que faire face à de telles pesanteurs ? C’est en posant cette question que l’on perçoit à quel point les dérives dénoncées ci-dessus tiennent à des conceptions très simplistes de ce qu’est la recherche en économie et gestion. Le point de départ reste souvent un corpus de faits stylisés assez idéologisés (la vacuité de la référence à la notion de marché en serait l’exemple le plus fréquent) et de données produites en série (sans que l’utilisateur en connaisse le contexte) que des chercheurs mobiliseraient pour conforter ou confronter un certain nombre de thèses établies. Il y a peu de remise en cause de vérités établies, par exemple sur la pleine rationalité des acteurs ou sur les interactions en agents dans leurs choix de décision. Les stratégies des auteurs restent plutôt individuelles tendant à privilégier les contributions qui s’inscrivent dans un débat bien formaté et facilitent de ce fait leur publication. Les données sont nombreuses et leurs utilisations valorisées mais la réflexion critique sur leur signification et les conditions de leur élaboration est souvent réduite si ce n’est totalement absente.

Cette vision de la recherche fait fi d’une possible confrontation à un réel en permanente évolution ou à des hypothèses de départ différentes. Elle ignore aussi les apports qui peuvent découler des développements des autres disciplines comme de la confrontation entre différentes approches. Mais une telle compréhension large et réactive du processus de recherche n’est pas du tout chose aisée. S’en remettre aux choix sélectifs, aussi biaisés soient-ils, de grandes revues internationales bien établies représente une position assez confortable. Un des « mérites » de la crise financière, où la responsabilité d’une grande partie des économistes croyant aveuglément aux vertus de mécanismes de marché idéalisés est largement engagée, sera peut-être de forcer la profession à mieux connaître l’évolution des forces et faiblesses de la discipline dans un monde en permanente transformation.

Cette introspection, strictement nécessaire pour échapper à l’opprobre qui frappe nos disciplines, conduira en premier chef à une profonde révision de nos modes d’évaluation. Une approche pragmatique serait déjà de regarder, au-delà des réputations, les pratiques des revues (modes de fonctionnement, champs effectivement couverts, attention portée aux évolutions du monde comme des autres disciplines scientifiques…). Mais l’on ne saurait s’en arrêter là. Il faut à l’évidence que les instances de tutelle aillent au-delà pour favoriser l’attention et les questionnements des chercheurs. L’attention aux apports interdisciplinaires ne doit pas s’arrêter à un vœu pieu sans conséquence sur les pratiques d’évaluation, ce qui rétroagit fortement sur les stratégies des jeunes chercheurs alors même que les moyens de communication et d’information devraient faciliter les apports croisés entre disciplines.

Cette « révolution » des pratiques des instances de tutelle ne pourra être qu’assez lente et n’exclura pas des erreurs de recommandation et d’évaluation mais la posture de réflexion critique que l’on suggère devrait contribuer à limiter les biais que présente un système d’évaluation trop passivement axé sur des revues internationales à forte réputation. Cette volonté d’analyse critique des processus de production scientifique dans nos disciplines est en elle-même porteuse d’un processus d’apprentissage qui devrait s’avérer rapidement bénéfique, même s’il ne faut pas sous estimer l’ampleur de la tâche. C’est ce même processus qui peut contribuer à développer une culture de la recherche au sens où l’entend sans doute Shyam Sunder. Cette culture peut avoir des dimensions nationales dans la mesure où elle s’appuie entre autres sur les façons de prendre en compte des spécificités des économies nationales comme sur le développement des autres disciplines avec leurs propres spécificités.

Pour la France, par exemple, nos disciplines peuvent à juste titre être influencées par le développement dans notre système d’enseignement et de recherche de disciplines comme la sociologie et les mathématiques. C’est assez dire que ces influences croisées peuvent avoir des implications complexes. C’est aussi rappeler que cette perspective d’enrichissement, par un regard croisé sur les démarches voisines comme sur le monde environnant, ne conduit pas à une culture de la recherche d’inspiration administrative à la Lyssenko mais au contraire à une recherche vivante libre qui sait tirer profit de toutes les intermédiations et techniques contemporaines à sa disposition. Cela conduira peut-être à moins d’auto-proclamation d’excellence mais à une démarche plus assurée d’aller dans le bon sens, ce dont nos économies dites du savoir ont un impérieux besoin.

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Bibliographie

Pascal Petit est économiste, il a publié des ouvrages sur la croissance, l’innovation et l’emploi, en particulier en Europe. Il étudie depuis plusieurs années les questions liées à l’internationalisation des économies et analyse en particulier les implications de cette mutation sur les institutions qui gouvernent la recherche, les modes de production et les déterminants de l’emploi.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pascal Petit, « Commentaires sur la note
« Pour une culture de la recherche » de Shyam Sunder
 »
Politiques et management public, Vol 29/4 | 2012, 701-703.

Référence électronique

Pascal Petit, « Commentaires sur la note
« Pour une culture de la recherche » de Shyam Sunder
 »
Politiques et management public [En ligne], Vol 29/4 | 2012, mis en ligne le 07 mars 2015, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pmp/5842

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Auteur

Pascal Petit

Directeur de recherche émérite du CNRS
Ancien directeur du CEPN
Centre d’Économie de l’Université de Paris Nord
32, rue de Lyon - Paris 75012
pascal.petit@univ-paris13.fr

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Droits d’auteur

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