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Les politiques publiques et l’aide financière humanitaire internationale

Public Policy and International Humanitarian Assistance
Christelle Perrin
p. 413-430

Résumés

Cet article vise à dresser un panorama chronologique de l’aide humanitaire et s’interroge sur le rôle et la place des acteurs qui œuvrent dans ce milieu.
Suite au développement de l’humanitaire, les bailleurs institutionnels se structurent autour d’une « administration humanitaire », et rationalisent leurs pratiques. Le type de gouvernance est vertical.
Aujourd’hui, l’attrait du social pour les entreprises contribue à l’émergence de nouvelles initiatives. Le nombre d’acteurs augmente, cela nous amène à reconsidérer la gouvernance humanitaire non plus dans une perspective verticale (bailleurs-ONG) mais également dans une perspective horizontale c’est-à-dire au centre d’un réseau d’acteurs indépendants pouvant coopérer ensemble pour la satisfaction d’un objectif commun. Le rôle des bailleurs institutionnels n’est plus uniquement lié à l’administration humanitaire mais au management humanitaire.

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Texte intégral

Introduction

1Les États n’ont cessé d’accroître leur participation à la sphère humanitaire internationale depuis les années 1980. Stratégie, diplomatie ou volonté d’afficher la puissance publique au-delà des frontières, cette participation a contribué largement au développement des organisations humanitaires internationales et à leurs actions.

  • 1 Intervention dans le cadre du colloque international de management des entreprises de l’économie so (...)

2La crise internationale ainsi que la rationalisation de l’aide publique à destination de ces organisations soulèvent cependant de nouvelles interrogations. À l’échelle locale, les statistiques affichent aujourd’hui une baisse des financements à destination des associations de 19 % (V. Beley et J. Rochat)1.

3Par ailleurs, nous constatons que l’aide humanitaire internationale est de plus en plus convoitée par d’autres acteurs : les entreprises, les fondations… Ces dernières sont d’ailleurs de plus en plus puissantes comme en témoigne l’action menée par Bill Gates. Son intention est de fédérer les milliardaires à l’échelle mondiale autour de projets philanthropiques. Au-delà d’une participation supérieure à 10 % du volume global des financements internationaux, Joseph Zimet (2006) nous alerte sur une possible substitution de leurs actions à la puissance publique.

4Face à ce constat plusieurs questions méritent d’être posées. Tout d’abord, quelle place l’action associative et humanitaire occupe-t-elle actuellement et comment se positionnent les acteurs privés et publics ? Et à terme comment les stratégies de financement de l’aide humanitaires se modifient-elles ?

5Notre article s’articule autour de trois parties. La première traite de l’évolution des financements de l’aide humanitaire, de la structuration de la sphère humanitaire, de l’évolution du rôle de l’État français dans sa relation aux organisations non gouvernementales (ONG). La seconde fera un état des lieux les nouveaux acteurs présents sur la scène humanitaire afin de comprendre comment ils interfèrent avec les modalités classiques d’aide financière internationale. Enfin la troisième partie constitue une base de réflexion sur la place de l’État dans l’aide humanitaire internationale, les nouveaux modèles d’aide émergents et les enjeux pour la gouvernance.

6L’essentiel de notre réflexion prend appui sur nos travaux de recherche menés sur les ONG depuis une dizaine d’années et qui viennent illustrer les analyses menées. Les données sont issues d’entretiens passés entre 2004 et 2006 auprès d’ONG françaises (Médecins Sans Frontières, Médecin du Monde, Action contre la Faim) et de bailleurs institutionnels (Office Humanitaire Européen ECHO, ONU et le Ministère des affaires étrangères français). Les données sont également issues d’informations provenant de colloques humanitaires auxquels nous assistons et des contacts réguliers que nous avons avec des acteurs de l’humanitaire (les références sont communiquées tout au long de l’article). L’enjeu général de cet article est de présenter une réflexion sur l’évolution du rôle de l’État dans le domaine humanitaire.

1. Évolution du rôle de l’État dans sa relation au marché humanitaire international

7La sphère humanitaire française est composée d’ONG d’urgence et de développement œuvrant sur le territoire national et/ou à l’international. Si l’aide humanitaire de développement prend sa source au sein des confréries et de la charité chrétienne, l’humanitaire d’urgence naît avec les « French doctors » dans les années 1970 avec Médecins Sans Frontières. Pendant longtemps, l’aide humanitaire s’est organisée de façon informelle. Mais cette situation évolua considérablement avec l’injection massive de financements par les pouvoirs publics à destination des associations dès les années 1980. Cela a largement contribué à la professionnalisation du milieu humanitaire que ce soit du côté des associations ou du côté des acteurs publics, notamment par la réorganisation de leurs services.

1.1. Quelques repères de financements humanitaires

8En France, selon l’enquête 2004-2005 de la Commission de Coopération de Développement portant sur « Argent et associations de solidarités internationales », les ressources des ONG (urgence et développement confondues) sont composées, de façon générale, de 36 % (19 millions d’euros hors tsunami) de financements publics et pour 64 % (69 millions d’euros) de financements privés (tableau 1). Une grande partie des ressources globales est captée par associations les plus influentes (tableau 2).

  • 2 Coordination Sud est un collectif d’ONG françaises.

9Le Président de Coordination Sud2, Henri Rouillé d’Orfeuil, dénote cependant un double désengagement de l’État vis-à-vis des associations : un désengagement financier en comparaison avec ses homologues européens, mais aussi un désengagement politique (tableau 1).

10Tableau 1 - Évolution de la part respective des ressources privées – publiques dans les ressources des Associations de Solidarité Internationale (ASI)

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12Tableau 2 - Classement détaillé des ASI par taille budgétaire consacrée à la solidarité internationale, en dehors des ressources tsunami (données 2005)

13Au niveau européen, en 1992, l’Europe se dote d’un Office Humanitaire d’Aide Européenne (ECHO : European Commission Humanitarian Office). Il devient l’un des plus gros bailleurs européen dans les années 2000. Il est prévu que son budget atteigne 5,6milliards d’euros pour la période de 2007-2013 (tableau 3). Ses fonds transitent uniquement via les ONG européennes, les agences des Nations Unies et les organisations de la Croix Rouge Internationale (Perrin, 2007).

14Tableau 3 - Budget 1993-2010 de la DG ECHO (Europe)

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  • 3 Les membres du CAD sont : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Corée, Communauté Europ (...)

16Au niveau international, le rapport de l’OCDE affiche qu’en 2010, les apports nets d’aide publique au développement (APD) émanant des membres du comité d’aide au développement (CAD3) ont totalisé 128.7milliards USD, ce qui est en constante augmentation par rapport aux années précédentes. Cependant, le rapport souligne également un ralentissement de l’aide dans les années à venir.

17L’augmentation massive de financements dans le domaine de l’humanitaire oblige les acteurs à plus de transparence et d’organisation. Ainsi un effort de professionnalisation autant du côté des bailleurs que du côté des ONG, les amène à se restructurer. Prenons l’exemple du Ministère des Affaires Étrangères Français.

1.2. La construction administrative de l’aide humanitaire

18En 1968, en France, est créée la première structure étatique et de liaison avec les associations : la MILONG (Mission de liaison des organisations non gouvernementales). En 1978, le droit humanitaire devient une composante de la direction des affaires juridiques du Quai d’Orsay. C’est à partir des années 1985 que les services dédiés à l’action humanitaire prennent de l’ampleur et se structurent encore plus : Secrétariat chargé des droits de l’homme rattaché au 1er Ministre en 1986, Secrétariat d’État en charge de l’action humanitaire en 1988 qui se dote en 1987 d’un fonds spécial dédié à l’action humanitaire d’urgence, Ministère de la santé et de l’action humanitaire en 1992, Ministre délégué à l’action humanitaire et aux droits de l’homme en 1993, Secrétariat d’État à l’action humanitaire rattaché auprès du 1er Ministre en 1995, la délégation à l’action humanitaire (DAH) institué par décret en 2002 et lié au Ministère des Affaires Étrangères et de la Coopération.

19Parallèlement, en 1992, l’Europe crée ECHO et cette même année, l’ONU crée le Département des Affaires Humanitaires qui sera ensuite rebaptisé, Bureau de coordination des Affaires Humanitaires.

20Ces réorganisations dénotent un attrait de plus en plus important à la cause humanitaire liée aux enjeux diplomatiques qu’elle sous-tend. L’engouement pour l’humanitaire et l’intérêt que les acteurs y portent est croissant. Les acteurs s’organisent en mettant en place des processus pour une meilleure administration de l’humanitaire (Brinkerhoff, 2008).

1.3. Rationalisation et confiance dans l’aide humanitaire

21Cette administration de l’humanitaire s’inscrit dans un mouvement de rationalisation de l’aide qui touche à la fois les ONG mais également les bailleurs sous couvert de plus de transparence surtout dans l’utilisation des fonds octroyés.

22La question de la performance des associations devient donc au centre du débat. Deux écoles de pensées peuvent alors alimenter ces réflexions. Les approches économiques s’attachent à déterminer ce qui caractérise une organisation efficiente, à l’aide de choix rationnels et par la réduction de coûts de transaction (Williamson, 1993). Les approches sociologiques contribuent à mieux comprendre les relations institutionnelles et la légitimité de ces organisations (Di Maggio & Powell, 1983).

23L’augmentation des financements et le développement du « New Public Management » introduit dans les relations entre pouvoirs publics et associations un effort de rationalisation qui s’accompagne d’une contractualisation. Cela se manifeste par une formalisation des procédures gouvernant les relations financières entre les acteurs. Cette relation entre les acteurs et plus précisément leur interdépendance va conditionner leur niveau de contrôle et de pouvoir l’une sur l’autre et va par conséquent agir sur les modèles de gouvernances à établir entre les parties (Brinkerhoff & Brinkerhoff, 2002). Pour certains, ces modèles porteront un intérêt particulier à l’efficacité du service rendu avec la mise en place d’outils (rapports financiers…)  ; pour d’autres ils s’attacheront plus au développement de valeurs sociétales, éthiques… Cette relation contractuelle selon Brinkerhoff (2002) passe par deux dimensions : l’identité organisationnelle (croyances et valeurs véhiculées par l’organisation et reflet de sa structure et de son pouvoir institutionnel) et l’entente mutuelle (la relation de dépendance entre les deux parties). À entente mutuelle faible et identité forte, le contrat s’impose afin de palier aux asymétries et à l’opportunisme des agents.

24Les relations entre les gouvernements et les associations dépendent donc du degré de stratégie et de complémentarité de chacun des acteurs. Si les objectifs des deux parties à la relation sont identiques mais que les moyens ou les stratégies diffèrent, la relation prendra la forme d’une sous-traitance (Najam, 2000). La relation sera asymétrique et un rapport agent/principal s’installera. C’est la manière la plus simple de décrire le phénomène d’allocation des ressources par subventions. La subvention s’apparente à un don, l’implication du gouvernement est peu impliquant. Toutefois cette relation ne peut se limiter à un jeu rationnel d’acteurs.

25La relation contractuelle s’accompagne nécessairement d’une relation de confiance liée au contexte incertain et imprévisible dans lequel travaillent les associations (Abbes-Salhi & Perrin, 2005). Cette confiance est d’autant plus importante que les bailleurs ne détiennent pas toutes les informations et ne sont pas toujours en capacité de mesurer les efforts des ONG sur le terrain qui peuvent, à ce titre, user de leurs arguments pour convaincre les bailleurs du bien fondé de leurs actions (Queinnec, 2004). D’autre part cette relation est loin d’être linéaire puisque de nombreux acteurs interfèrent dans la réussite de la mission des organisations non gouvernementales (ONG) (Fowler, 1996). Cette relation s’inscrit donc dans un enchevêtrement de relations sociales (Granovetter, 1985), qui va bien au-delà du contrat lui-même. La confiance développée par Sako (1992) apporte un éclairage intéressant à la relation entre les gouvernements et les associations. Elle prend en compte une relation contractuelle enchevêtrée dans des relations sociales. Elle présente les liens d’interdépendance entre les acteurs basés sur trois types de confiance : la confiance contractuelle, la confiance liée aux compétences et la bonne volonté, c’est-à-dire la capacité des parties à faire preuve de bonne volonté afin d’optimiser la relation. Ce type de relation s’inscrit dans la réciprocité et l’interdépendance.

26Cette relation s’inscrit dans le cadre d’une gouvernance qualifiée de verticale (Enjolras, 2010). La gouvernance verticale s’attache à définir les mécanismes qui viennent encadrer la relation des acteurs. Ces mécanismes portent sur le contrôle, les incitations, la coopération telle que les normes, les règles, les procédures, la confiance…

27Pour autant cette relation s’est construite dans le temps et touche à la fois les bailleurs comme nous venons de le souligner avec les différentes réorganisations des services humanitaires au sein de gouvernements mais aussi au sein des ONG. Nizet et Pichault (1995) montrent ainsi comment les ONG passent petit à petit d’une organisation de type missionnaire à une organisation plus bureaucratique.

« On va être de plus en plus professionnel, c’est un domaine qui se structure. On verra apparaître une déontologie humanitaire officielle comme on l’a pour l’ordre des avocats, pour les chirurgiens, pour les comptables et tout ça. » (Benoît Miribel, 2005)

28Perrin (2007), par ailleurs dresse une typologie des bailleurs distinguant ceux où rien n’est laissé au hasard, où les interventions sont préparées, les acteurs pré-identifiés et qui ont une réelle stratégie de suivi des acteurs et des financements, de ceux qui sont qualifiés d’ajustement et qui bâtissent leurs partenariats en fonction des besoins du terrain.

29Cet effort de construction de l’aide humanitaire tient en partie à sa popularité mais aussi aux ressources qu’elle génère. Dans un contexte d’aisance financière, les collaborations se développent. En revanche, dans un contexte de raréfaction des financements, les stratégies se modifient. Par ailleurs, l’attrait du social pour les entreprises contribue à l’émergence de nouvelles initiatives. Le nombre d’acteurs augmente, cela amène à reconsidérer la gouvernance humanitaire non plus dans une perspective uniquement verticale (bailleurs-ONG) mais également dans une perspective horizontale c’est-à-dire au centre d’un réseau d’acteurs indépendants mais pouvant coopérer pour la satisfaction d’un objectif commun.

30Dans le tableau ci-dessous nous présentons les principales évolutions de la relation entre les pouvoirs publics et les acteurs humanitaires.

31Tableau 4 - Modèles de relation entre les pouvoirs publics et les acteurs humanitaires

32À l’origine, les relations entre bailleurs et associations reposaient essentiellement sur un partenariat simple (schéma en haut à droite). Le mode de financement est classique (subventions, appels d’offres.). Cette relation peut s’apparenter à une relation de sous-traitance. Les associations cherchent des solutions rapides, des aides financières pour mener à bien leurs projets. De l’autre côté, les États ne peuvent répondre à tous les besoins sociaux et humanitaires. Les associations occupent donc des niches qui ne sont pas pourvues par le privé et qui répondent à une demande collective (Weisbrod, 1977). Les contrôles sont faibles et les relations de gouvernance informelles. La relation de confiance est importante. On retrouve en partie cette situation dans les cas de gestion de crise (schéma en haut à gauche). Les partenariats sont peu impliquant. La relation de sous-traitance est forte. La recherche de partenaires fiables et réactifs est privilégiée. Même si la tendance à la contractualisation existe également dans ces situations, la confiance demeure essentielle.

  • 4 Selon la terminologie de Pablo Ibanez, représentant d’Echo, en 2002.

33Avec la professionnalisation, cette situation évolue considérablement. Les financements sont plus conséquents, et les gouvernements doivent être plus transparents dans l’attribution de financements. Cela aura des répercussions directes sur les relations entre les gouvernements et les associations. Elles seront amplifiées avec les exigences liées au « New Public Management ». Le phénomène de rationalisation de l’aide humanitaire s’accompagne de la mise en place d’un environnement contractuel, parfois contraignant pour les associations (schéma en bas à droite). Cette tendance privilégie les grosses organisations dont la gouvernance et la performance reposent à la fois sur des critères organisationnels et opérationnels. Il n’y a donc plus de place pour les « sleeping beauty »4, ces belles au bois dormant qui ne se réveillent que de temps en temps pour demander de nouveaux soutiens financiers pour des missions ponctuelles. Seules les organisations professionnelles peuvent désormais avoir une place conséquente sur le marché humanitaire. L’Europe et ECHO développent cette tendance en instaurant des contrats cadre de partenariats (Perrin, 2007). Une culture procédurale et plus bureaucratique s’installe avec la mise en place à la fois d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs. Toutefois même si les contrats deviennent la norme (Dunleavy & Hood, 1994), cette relation inscrite dans un contexte dynamique et imprévisible doit s’effectuer également dans un climat de confiance. Celle-ci se définit alors comme l’attente mutuelle que les partenaires n’exploiteront pas les espaces de vulnérabilité ouverts par la relation de coopération ou par la signature de contrats incomplets.

34Ce contexte influe directement sur les organisations et la façon dont elles sont gérées. En ce qui concerne les associations, les plus professionnelles trouveront un moyen supplémentaire d’améliorer leur gouvernance et leur transparence et prouver ainsi leur efficacité et efficience : mise en place d’outils quantitatifs (transparence, états d’activités, évaluations, refonte de la gouvernance de l’organisation par une répartition des pouvoirs et des responsabilités de chacun…). Cette rationalisation de l’aide humanitaire s’accompagne également d’une institutionnalisation de la sphère humanitaire par l’édiction de normes de bonne conduite et éthiques plaçant ainsi les acteurs humanitaires en tant qu’entrepreneurs institutionnels (North, 1994, Perrin, 2008).

35Du côté des gouvernements, les stratégies divergent. Certains auront des attitudes entrepreneuriales à l’image des « individualistes » développés dans la typologie de Dunleavy & Hood (1994). Cela se manifeste par une configuration organisationnelle qui tient compte à la fois des spécificités du public (statut des employés) mais qui néanmoins essaye de s’adapter aux nouvelles exigences liées à la concurrence (professionnalisation, utilisation des outils de gestion du privé.). Le DFID anglais (Department for International Development) en est une illustration (Perrin, 2007). Les services du DFID se sont dotés d’agents professionnels, recrutés pour leurs expertises dans le domaine du développement et embauchés sur le long terme. Ils ont un comportement pro-actif et proche du terrain.

« C’est un partenaire bien organisé, réactif, qui colle au travail des ONG… ils ne perdent pas de temps dans de longs discours, sont pragmatiques, ont des objectifs, des plans d’actions, ils sélectionnent les ONG, sont clairs dans leurs financements… sont ouverts à de nouveaux concepts, testent de nouvelles approches. » (Action Contre la Faim, 2005)

« Le DFID finance des postes de salariés chez nous pour des projets précis : analyse d’impact en Afrique,…en matière de RSE.  » (Care, 2004)

36En revanche, les propos tenus envers le Ministère des Affaires Étrangères Français à cette époque étaient relativement différents : des délais d’obtention des financements relativement longs, des budgets moindres, des fonctionnaires pas toujours experts sur les problématiques humanitaires et présents à ces postes pour des mandats de courte durée…

37Cette professionnalisation de l’espace humanitaire conduit à adopter de nouvelles pratiques managériales plus proches du marché pour certains acteurs par le biais de contrats ou de quasi-contrats. Cette tendance fut amorcée petit à petit. Aujourd’hui, elle tend à s’accélérer par la venue de nouveaux acteurs dans la sphère humanitaire. La crise financière ne fait qu’amplifier cette situation, ce qui conduit aujourd’hui les chercheurs à se poser la question de la place de l’État dans ses relations avec les associations.

38D’un mode de financement à l’origine peu impliquant, les gouvernements sont amenés à travailler aujourd’hui sur un mode de financement plus stratégique et entrepreneurial. C’est la dernière dimension de notre schéma que nous discuterons dans les paragraphes suivants.

39Dans un premier temps nous verrons en quoi l’émergence de nouveaux acteurs vient modifier l’espace humanitaire et les paradigmes jusqu’alors posés. Quelles conséquences peuvent être énoncées pour l’architecture de l’aide humanitaire, quels enjeux managériaux sur le long terme ?

2. L’essor de nouveaux acteurs et projets innovants sur la scène humanitaire

40Le marché de l’humanitaire est aujourd’hui florissant. De nombreuses initiatives privées voient le jour. L’engouement pour la Responsabilité Sociale de l’Entreprise participe à cette évolution. Enfin, le besoin de contribuer au développement local et solidaire s’amplifie face à la crise et aux inégalités persistantes. C’est un moyen pour les entreprises de se vêtir d’une nouvelle image sociale ou sociétale, et pourquoi pas dans certains cas de développer un nouveau potentiel d’affaires. Peut-on alors parler d’un nouveau « marché social » ? Que devient alors la place de l’État ?

2.1. Des projets humanitaires innovants qui se mettent en place sans l’aide des États ou presque

41Les BOP (Base Of the Pyramid)

42Le BOP est un concept développé par C.K Prahalad et Stuart Hart (2002). Il consiste à assurer aux populations des pays en voie de développement l’accès à des ressources de première nécessité à moindres coûts. Les entreprises contournent les lois du marché, en proposant des produits moins chers. Les populations concernées voient ainsi leur pouvoir d’achat augmenter.

43Les facteurs de succès de cette théorie reposent sur 3 éléments :

44- la réduction des prix des produits ne peut s’effectuer que parce que les volumes concernés sont importants et parce que l’organisation adopte une stratégie de rupture ;

45- la distribution des produits est particulière puisqu’elle touche une population pauvre et disparate ;

46- cela nécessite souvent la création de nouveaux marchés en faisant prendre conscience aux populations de l’intérêt d’une telle consommation sur leur territoire. L’entreprise doit alors se recentrer sur ses centres d’activités et recréer à partir de cela les méthodes de distributions adéquates.

47Le BOP fut en partie impulsé par le social business développé par Muhammad Yunus qui a reçu le Prix Nobel de la paix en 2006.

48Le social business (Yunus, 2008)

49Le concept du social business repose sur la philanthropie actionnariale. En effet, les dividendes des entreprises ne doivent pas être reversés aux actionnaires. Ils sont au contraire réinvestis dans l’entreprise. L’organisation peut donc faire des profits mais ceux-ci sont réutilisés pour le projet social et humanitaire.

50Le social business identifie un objectif social et prioritaire à atteindre (par exemple accès à l’eau…) et s’engage à œuvrer pour cet objectif en adaptant l’offre de services ou de produits aux besoins des consommateurs. Ces projets sont innovants sous plusieurs aspects.

51D’une part, ils introduisent une rupture avec la perception classique de la responsabilité sociale. Dans le cadre de la RSE, l’organisation met en avant des projets sociaux et sociétaux qui s’inscrivent ou viennent en complément de l’activité de son organisation. Le social business, en revanche, nécessite pour l’entreprise la mise en place d’une nouvelle stratégie organisationnelle et une implication relativement importante. En effet, le social business s’inscrit dans l’activité de l’entreprise et non pas en plus de son activité principale.

52D’autre part, les organisations essayent d’adapter au mieux l’offre de produits en fonction des besoins atypiques qu’ils peuvent rencontrer, quitte à réajuster leur offre.

53Enfin, ces projets introduisent une nouvelle dynamique dans la culture d’aide. Les dividendes générés par l’activité du « social business » par exemple, ne sont pas distribués aux actionnaires mais réinjectés dans l’organisation. Ces nouveaux projets s’inscrivent alors dans l’état d’esprit des « ventures philanthropies » américaines qui font l’objet d’une discussion ci-après.

54Le BOP et le social business sont des projets d’inspiration libérale. Les précurseurs de ces concepts privilégient les mécanismes de marché et l’ajustement entre l’offre et la demande au détriment des politiques publiques qu’ils considèrent plus interventionnistes, moins flexibles et adaptables aux besoins des populations locales.

55Le microcrédit

56Le microcrédit fut initié dans les pays en voie de développement dans les années quatre-vingt. Il consiste à octroyer des crédits à faible taux à un public pauvre afin que celui-ci puisse développer des activités économiques à moindres frais. Ce concept s’est très largement répandu dans les pays du sud et même jusque dans les pays occidentaux. Les banques ne voulant pas gérer de petites sommes, le système de prêt devenait compliqué.

57À titre d’exemple, lorsque des femmes des pays du Sud souhaitent se mettre à leur compte et développer une entreprise, elles ont besoin d’acheter du matériel plus ou moins onéreux (exemple des machines à coudre). L’intérêt du microcrédit consiste alors à prêter de l’argent à ces femmes qui pourront rembourser le prêt dès les premiers résultats positifs de l’entreprise. Par ce biais, le microcrédit souhaite contribuer au développement économique local. Les organisations de microcrédit sont financées essentiellement par des entrepreneurs.

  • 5 Pour une critique et une analyse pertinente du système du microcrédit, voir les travaux d’Esther Du (...)

58Les chercheurs5 et les entrepreneurs qui prônent les bienfaits du microcrédit font aussi l’apanage du marché comme moyen de résoudre la pauvreté. Mais cela n’empêche pas les comportements opportunistes. Les coûts du marché peuvent donc aussi être très élevés.

59Par ailleurs, les personnes tentées par le microcrédit le sont, parfois faute de mieux. Dès qu’elles peuvent trouver un emploi stable, elles laissent tomber toute initiative entrepreneuriale. Ce dernier ne s’avère donc pas comme étant la panacée.

60Faire du microcrédit un lieu où le marché est roi, peut conduire à des malversations, des comportements opportunistes, des abus de pouvoir… Pourrait-on alors trouver un juste milieu ou l’aide publique aurait sa place tout autant que le marché. C’est une réflexion qui mérite d’être posée.

61L’économie sociale et solidaire

62L’économie sociale et solidaire concerne toutes les organisations dont la finalité est sociale en plus d’être économique. Ce sont des organisations comme le commerce équitable, les entreprises d’insertion, etc.… Nous illustrerons l’évolution des relations entre les gouvernements et les associations à travers le cas du commerce équitable.

63La logique du commerce équitable vise à assurer aux petits producteurs du Sud un revenu décent afin de leur procurer une autonomie et leur donner accès aux marchés du Nord via les filières équitables. Max Haavelar est une enseigne qui s’est développée autour du commerce équitable.

64Ces initiatives d’origine privées sont en partie financées par des subventions. Toutefois le montant de ces subventions vient à diminuer sous l’impulsion de l’État. En 2004, le gouvernement français mandate la DIES, la Délégation Interministérielle à l’Innovation Économique et Sociale, à travailler sur les projets innovants et à s’intéresser aux questions de commerce équitable (Thiery & Perrin, 2005). Il souhaite développer une norme européenne de commerce équitable (CE), la défendre devant l’Organisation Mondiale du Commerce et inciter les organisations de CE à s’autofinancer. Le projet sera soutenu avec les ONG dans les locaux de l’Afnor.

65Cette situation appelle deux constats. D’une part l’implication des pouvoirs publics dans la mise en place et la normalisation de filière équitable constitue un élément supplémentaire d’action. D’autre part, les pouvoirs publics en soutenant ces démarches favorisent la croissance du marché du commerce équitable et poursuivent leur action publique en permettant une régulation sociale via le soutien de ces normes.

66Cette implication de l’État s’apparente à une forme de néolibéralisme (Delalieux & Bousalham, 2010). Si les libéralistes prônent une auto régulation par le marché, les néo-libéraux prennent en compte une cohérence d’ensemble basée à la fois sur le marché et sur l’interventionnisme de l’État.

67Les fondations

68L’importance des fondations n’est pas à négliger. Par exemple, la fondation de Bill Gates qui intervient dans le domaine de la santé notamment à travers les campagnes de vaccination dans les pays émergents, cherche à réunir les hommes les plus riches de la planète. Cette fondation atteindrait les 60 milliards de dollars. Son pouvoir financier lui permet d’intervenir dans les campagnes d’aides humanitaires et exercer un pouvoir non négligeable auprès des pouvoirs publics. Faut-il donc s’inquiéter de l’essor de telles structures dans la sphère humanitaire ? Quels rôles peuvent alors jouer les gouvernements dans cette nouvelle configuration ?

69L’importance des fondations n’est pas nouvelle aux États-Unis. Dès leur plus jeune âge, les Américains sont encouragés vers le bénévolat qui constitue une valeur de socialisation. Plus tard, ils s’impliqueront dans des structures locales de proximité. Cet engouement pour la sphère sociale naît d’un sentiment de dette envers la communauté. En effet, les Américains estiment que la société contribue à leur bien-être et qu’il est de leur devoir de s’investir pour la communauté (community service). C’est pourquoi tous les individus contribuent massivement à l’essor des associations.

70Au cours de leur vie professionnelle, ils sont encouragés à poursuivre ce devoir philanthropique par une participation active dans les conseils d’administration des associations (Bory, 2009). En 2003, environ dix millions d’Américains sont membres du conseil d’administration d’une association (Buhler, Light, Charhon 2003).

« L’originalité de la philanthropie américaine par rapport à d’autres sociétés qui ont développé des traditions caritatives, c’est qu’elle se veut sous le signe de la raison, exigence en apparence contradictoire avec des pratiques qu’on place en général sous le signe de la sensibilité et de la compassion. » (Abélès 2002)

  • 6 Marc Abélès est directeur de recherche au CNRS, directeur du laboratoire d’anthropologie des instit (...)

71Les États-Unis sont le berceau de ce que l’on appelle la « Venture Philanthropie ». Elle est née à l’origine des robbers barons, ces grands entrepreneurs, fortunés, qui investissaient leur argent dans les fondations qui portaient leur nom (Carnegie en 1911, Rockfeller en 1913…). Celles-ci sont organisées sur le modèle de l’entreprise capitaliste. Aujourd’hui, les philanthropes de la Sillicon Valley fonctionnent sur le même principe (Abélès, 2002)6. Ils appliquent des techniques propres aux entreprises pour s’assurer que leurs dons sont efficacement utilisés (venture philanthropie = philanthropie risque) et attendent un retour social sur investissement. L’acte philanthrope n’est donc pas considéré uniquement comme un acte charitable mais également comme un investissement (Letts, Ryan, Grossman, 2006). Les philanthropes jusqu’à lors œuvraient essentiellement sur le territoire local. Ils s’investissent de plus en plus à l’international. On les appelle alors les néophilanthropes. En France, les fondations prennent leur essor après guerre mais leur développement reste modeste comparativement à celui des États Unis. Plusieurs raisons permettent d’expliquer cette situation. Pendant très longtemps elles sont placées sous la tutelle de l’État, d’autre part elles souffrent d’une fiscalité qui n’a pas toujours été très avantageuse. Enfin le contrat d’association, plus souple, était plus intéressant (le rapport effectué par la Fondation de France sur les « fonds et fondations en France de 2001 à 2010 » est très instructif à cet égard).

2.2. Typologie et carte de positionnement des acteurs ou projets humanitaires

72À partir des éléments énoncés ci-dessus, nous pouvons dresser une première typologie des acteurs et projets développés (tableau 5).

73Tableau 5 - Typologie des acteurs ou projets humanitaires

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75Enfin, un certain nombre de caractéristiques rapprochent ou différencient ces acteurs et projets. Nous avons souhaité l’illustrer et le visualiser à l’aide d’une carte de positionnement des acteurs et projets (schéma 1) à partir de trois critères : leur période d’apparition, les modalités de régulation (État/marché) et les modes de financements (Publics/Privés). Les projets les plus récents (microcrédit, BOP et Social Business) fonctionnent essentiellement avec des fonds privés et sont régis par les lois du marché. Les initiatives les plus anciennes ont une interaction plus forte avec l’État soit via les financements, les modalités de régulation (Brabant, Dugoss, Bert, Massou, 2010 pour le microcrédit) ou par son implication dans le fonctionnement de ces organisations (fondations).

76Schéma 1 - Carte de positionnement des acteurs ou projets humanitaires en 2012

77Le paysage des organisations à action humanitaire est contrasté. À la fois, cela constitue un avantage pour la sphère humanitaire qui se dote ainsi de nouveaux acteurs toujours plus innovants et intéressés par la cause sociale. Mais cela peut générer également des conflits d’intérêts entre les acteurs liés notamment à la finalité de leurs actions qui seront pour certains plus axées sur des missions d’intérêt général, là où d’autres seront plus orientées sur une finalité économique.

3. Vers quelles perspectives d’aide humanitaire ?

3.1. La place croissante des entreprises sociales

78La place croissante des entreprises privées agissant dans le domaine social et de l’humanitaire s’inscrit dans le développement des politiques de RSE et de DD. Ce mouvement participe également à la naissance d’entrepreneurs sociaux qui jouent un rôle de changement dans ce domaine et qui s’inscrivent dans un processus continu d’adaptation et d’innovation.

3.2. Les frontières de la sphère marchande et de la sphère publique ou sociale s’effacent

79De plus, nous assistons à un autre mouvement impulsé par les partenariats développés entre les différents acteurs. Si le « New Public Management » incite les pouvoirs publics à être plus entrepreneuriaux, à s’ouvrir à la concurrence, à multiplier les partenariats publics privés, les associations de part leurs activités travaillent de plus en plus avec les entreprises.

80Dans le cas du commerce équitable, Max Haavelar, pour écouler sa production, s’est associé à Carrefour dans un premier temps puis à d’autres chaînes de distribution. Les partenariats sont de plus en plus impliquants. Les organisations s’échangent leurs manières de travailler et leurs outils, leurs stratégies. Les frontières entre les différentes sphères marchandes et sociales s’estompent.

3.3. Des acteurs de poids sur la scène internationale

81La politique humanitaire ne semble plus être le monopole des États. Des acteurs de poids sont présents et actifs dans le milieu humanitaire. Cela impacte considérablement les règles du jeu au niveau notamment des pouvoirs et des politiques en matière de développement international. Nous avons cité la fondation de Mélinda et Bill Gates. Cette fondation est de plus en plus présente au sein des processus décisionnels des grandes institutions internationales. Sont repris, par exemple, au sein des G8 et G20 les problématiques de développement soulevées par cette fondation : un nouvel outil de financement pour la vaccination l’IFFIm ou « facilité internationale pour l’aide à la vaccination » a vu ainsi le jour en 2005. Cet outil améliore la disponibilité des fonds à destination des programmes de vaccinations.

82En 2002, lors du Forum Économique Mondial, Kofi Annan lance le Global Health Initiatives (GHI). Il a pour mission d’inciter les entreprises à conclure des partenariats publics-privés afin de lutter contre le sida, la tuberculose, la malaria et de renforcer les systèmes de santé. La fondation Gates s’implique dans l’administration de cette structure.

83Ces exemples permettent de mettre en évidence le poids que peuvent représenter de telles fondations dans la sphère humanitaire internationale.

3.4. Quelle place occupent les États dans ce développement ?

84La question qu’il convient alors de se poser est quelle est la place de l’État dans cette évolution de la sphère humanitaire. Certains chercheurs trouvent des réponses dans les théories néo libéralistes (Delalieux & Bousalham, 2010, Dardot & Laval, 2009) et dans la théorie de la gouvernementalité. Ces théories permettent d’expliquer les nouvelles formes d’intervention de l’État. Ni interventionniste, ni complètement libéral, l’État interviendrait pour favoriser les mécanismes du marché tout en encadrant leur fonctionnement.

85Cette perspective s’inscrit toujours dans une vision de gouvernance verticale où les relations sont encadrées par des processus institutionnels ou contractuels tels que les normes, les règles, mais aussi les contrats.

86Aujourd’hui la multiplicité des acteurs impliqués dans l’aide humanitaire nous invite à revoir cette configuration organisationnelle qui s’achemine non plus vers une administration de l’humanitaire mais plutôt vers un management de l’humanitaire (Brinkerhoff, 2008). Un management qui ne remettrait pas en cause les relations déjà existantes et qui ont démontré leur performance mais qui élargit les modalités d’aides par rapport à des problématiques plus globales qui tiennent à la fois compte des enjeux économiques, sociétaux et politiques. Les partenariats sont alors imbriqués dans un réseau de relations. L’aide humanitaire financière internationale fait l’objet d’une réflexion stratégique mondiale en prenant en compte des partenariats internationaux (Brinkerhoff, 2008).

87On assiste donc à l’émergence d’un réseau d’acteurs d’aide, qu’ils soient publics et privés. Se dessine alors une aide à deux vitesses : des « multinationales » de l’aide composées d’un réseau d’acteurs, et des « PME » de l’humanitaire intervenant sur des situations très ciblées avec des spécificités propres et des structures plus traditionnelles.

88Dans une approche réseau chaque acteur est indépendant. Toutefois, l’enjeu du réseau consiste à favoriser les coopérations et les complémentarités en vue de satisfaire un objectif commun qu’il soit social, politique, ou économique. Au-delà des divergences d’intérêts il est utile que l’ensemble des acteurs coopère pour une meilleure performance de l’aide humanitaire. L’organisation en réseau pose aussi la question de la coordination. Or c’est l’un des points très sensible de l’aide humanitaire. Le manque de coordination est souvent pointé du doigt et dénonce des erreurs stratégiques et le manque de performance de l’aide. On a pu observer ce manque de coordination en Haïti. Cette mission de coordination est souvent attribuée aux bailleurs multilatéraux, c’est-à-dire à l’Organisation des Nations Unies (ONU) et par la suite à ECHO. Mais en réalité ce rôle de coordinateur est bien compliqué (HPG report 12 chap 3, 2002). Cette coordination passe par un équilibre préservé, une contribution à la bonne gouvernance mondiale. Les États ont alors une place nécessaire dans la préservation des équilibres planétaires. Mais il convient de se poser la question de savoir quel est l’acteur le plus pertinent dans la coordination de ce réseau d’acteurs.

89La qualité du réseau dépend de la confiance, de l’éthique de chaque membre et s’inscrit dans une légitimité institutionnelle qui vise à protéger les acteurs des risques d’iniquité dans la redistribution de valeur. Le réseau peut alors devenir un terreau d’innovation et d’entrepreneuriat social.

90Cela nécessite de redéfinir les contours du management de l’aide autour d’éléments fédérateurs et constructifs : un partage des valeurs, des outils permettant de définir les modalités des coopérations, la prise en compte des compétences de chacun des acteurs.

91La gouvernance du réseau humanitaire revient donc à coordonner, à mettre des jalons institutionnels, à définir de nouveaux outils propres à la collaboration. Elle vise à l’efficacité mais surtout à la réussite d’un contrat social.

Conclusion

92L’implication des États dans l’aide financière internationale contribue à la mise en place d’une « administration de l’humanitaire » qui a permis de mieux rationaliser et organiser l’aide financière internationale. L’émergence de nouveaux acteurs du monde des affaires nécessite de repenser l’architecture organisationnelle de l’aide humanitaire vers un « management humanitaire » imbriqué dans un réseau d’acteurs. Les théories économiques ont jusqu’alors été d’un bon support de compréhension pour expliquer les relations entre les donateurs et les associations et contribuer à leur efficience. Néanmoins il est nécessaire de s’appuyer sur les approches plus politiques pour appréhender la coordination et le management du réseau d’aide humanitaire dont l’objectif réside dans la réussite d’un contrat social. Loin de remettre en cause le pouvoir de l’État dans ce réseau, il convient cependant de lui redéfinir un rôle qui consistera sans doute à la préservation d’un équilibre mondial et donc d’une bonne gouvernance.

« Auparavant les Nations Unies ne traitaient qu’avec les gouvernements.
Aujourd’hui, nous savons que la paix et la prospérité ne peuvent être réalisées sans un partenariat mettant à contribution les gouvernements, les organisations internationales, le monde des affaires et la société civile. Dans le monde d’aujourd’hui, nous dépendons tous les uns des autres. » (Kofi Annan, Secrétaire Général des Nations Unies)

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Rapport annuel 2010 de la Direction Générale ECHO.

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Notes

1 Intervention dans le cadre du colloque international de management des entreprises de l’économie sociale et solidaire en novembre 2010 à Lyon, sur le thème « les stratégies de financement des acteurs de l’insertion et de l’emploi, regards croisés ».

2 Coordination Sud est un collectif d’ONG françaises.

3 Les membres du CAD sont : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Corée, Communauté Européenne, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Japon, Luxembourg, Nouvelle-Zélande, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède, Suisse.

4 Selon la terminologie de Pablo Ibanez, représentant d’Echo, en 2002.

5 Pour une critique et une analyse pertinente du système du microcrédit, voir les travaux d’Esther Duflo.

6 Marc Abélès est directeur de recherche au CNRS, directeur du laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales (LAIOS-CNRS).

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Pour citer cet article

Référence papier

Christelle Perrin, « Les politiques publiques et l’aide financière humanitaire internationale  »Politiques et management public, Vol 29/3 | 2012, 413-430.

Référence électronique

Christelle Perrin, « Les politiques publiques et l’aide financière humanitaire internationale  »Politiques et management public [En ligne], Vol 29/3 | 2012, mis en ligne le 07 février 2015, consulté le 27 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pmp/5408

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Auteur

Christelle Perrin

Maître de Conférences
Université de Versailles Saint Quentin - Institut Supérieur de Management (ISM)
LAREQUOI, laboratoire de recherche en Management
47, Boulevard Vauban - 78047 Guyancourt
Auteur correspondant : christelle.perrin@uvsq.fr

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