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L’évolution des discours sur l’évaluation des services publics par la satisfaction des usagers : une analyse comparative France et Royaume-Uni sur la période 1980-2007

The evolution of discourses on evaluation of public services by users’ satisfaction: a comparative analysis France and United‑Kingdom during the period 1980-2007
Aurélien Ragaigne
p. 325-342

Résumés

Cette recherche analyse l’évolution des discours sur l’évaluation des services publics par la satisfaction des usagers entre 1980 et 2007 à l’aide d’une étude comparative sur les contextes des collectivités territoriales en France et au Royaume-Uni. Cette étude vise à répondre à la question suivante : comment a évolué l’intérêt porté à cette évaluation sur la période 1980-2007 dans ces deux pays ? L’analyse a collecté 108 articles de la Gazette des Communes (France) et 148 de la Local Government Chronicle (Royaume-Uni). La comparaison de l’évolution de l’intérêt porté à l’évaluation montre le développement d’un discours de modernité mettant en avant la logique d’une évaluation « actuelle» en vue de la modernisation des services publics. Cette recherche révèle un discours adapté et équilibré à chaque contexte autour de la figure de l’usager également associée au « citoyen » et au « client ». Ces discours visent à assurer la mobilisation des acteurs-partenaires en cherchant à dépasser les réticences à l’évaluation.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Propos d’un responsable public à l’occasion d’un travail de recherche sur le déploiement d’enquêtes (...)

1« C’est évident, on ne peut plus travailler sans l’avis de l’usager. Aujourd’hui, il faut qu’on évolue en fonction de leurs besoins. Le monde change rapidement, on a tous une relation client-fournisseur dans les organisations privées comme publiques. En passant par la mesure de l’opinion des usagers, cela nous permet de proposer des pistes d’amélioration et de les quantifier »1. Ce propos d’un responsable public révèle l’importance donnée à la modernité des mécanismes d’évaluation des organisations publiques. Appliquée au domaine de la satisfaction des usagers, l’évaluation inscrit son propos par le lancement d’enquêtes de satisfaction produisant des indices ou taux de satisfaction des usagers. Ce contrôle est considéré comme le levier d’un service public moderne et attractif, adapté aux contraintes de la société « d’aujourd’hui ».

  • 2 A titre d’exemple, le Premier Ministre François Fillon dans sa Déclaration de politique générale po (...)
  • 3 Cette évaluation apparaît dans certains secteurs spécifiques comme par exemple, dans les règles rég (...)
  • 4 LOLF n° 2001-692 : La LOLF s’inscrit dans la perspective d’introduction dans le secteur public, d’u (...)

2Ces dispositifs apparaissent en effet, comme essentiels à la rationalité actuelle du contrôle en étant source d’amélioration du service public. En s’accordant aujourd’hui en France à vouloir faire de l’écoute des usagers l’outil de modernisation des services publics2, les décideurs publics expliquent ainsi que le changement de contexte implique l’adoption de « nouvelles » pratiques de management public. La satisfaction des usagers est présentée comme un paramètre d’évaluation des services publics (Chevallier, 2003 ; Lorino, 1999 ; Waechter, 2003 ; Warin, 1993, 1997, 1999). Peu présent dans les obligations juridiques3, cette évaluation trouve son actualité en France par les multiples travaux qui en assurent la promotion. Le rapport Attali publié en 2008 préconise par exemple, de « faire évaluer tout agent direct ou indirect d’un service public (professeur, fonctionnaire, médecin) par ses supérieurs mais aussi les usagers » [décision 229]. Cette évolution incitant à une prise en compte de la satisfaction des usagers s’inscrit dans le cadre d’une volonté de rendre compte de l’action publique devant les citoyens. Ces structures sont présentées comme devant apporter la preuve de leur efficacité en étant soumises au jugement des usagers. Ce principe est affirmé en France avec la mise en œuvre de la Loi Organique relative aux Lois de Finances4 consacrant le déploiement de l’évaluation dans les administrations publiques.

  • 5 à titre d’exemple, l’association France Qualité Publique a organisé une conférence sur le thème de (...)

3Cette proposition d’évaluer les services publics par les usagers n’en est d’ailleurs pas à sa première apparition. Déjà en 2001, le Comité d’Enquête sur le Coût et le Rendement des services publics a formulé dans un rapport public des recommandations dans le but d’améliorer les productions en matière d’évaluation de la satisfaction des usagers. Par ailleurs, des guides méthodologiques provenant d’associations professionnelles comme par exemple France Qualité Publique, ont également souligné l’apport de cette évaluation5.

  • 6 Circulaire Ministérielle du 23 février 1989 relative au « Renouveau du service public », Journal Of (...)
  • 7 Circulaire datée du 18 mars 1992 portant sur la « Charte des usagers », signée du Premier Ministre (...)

4Au-delà de cet intérêt récent, l’idée d’évaluer par la satisfaction des usagers fait régulièrement son apparition dans les rapports publics. Cette évaluation apparait ainsi déjà dans les années 1980 comme une préoccupation de l’administration publique. Le rapport Sapin évoque dès 1983, la nécessité de développer des pratiques d’évaluation par les usagers à l’échelon local de l’administration. La circulaire du 23 février 19896 consacre également l’usager dans l’évaluation des services publics en appelant les responsables publics à améliorer la qualité des prestations rendues. Dans la continuité de cette démarche, la circulaire datée du 18 mars 19927 précise que chaque service public doit « mettre au point des indicateurs de qualité et de satisfaction des besoins des usagers » (p.2).

5L’évaluation des services publics par la satisfaction des usagers apparaît ainsi régulièrement en France, dans les discours politiques et managériaux témoignant d’un intérêt régulier pour le sujet. Waechter (2003) met en évidence que l’exigence de satisfaction des usagers acquiert depuis les années 1980 en France les traits d’un « énoncé collectif ».

6Loin d’être limité au seul contexte français, l’intérêt porté à cette évaluation apparaît également dans le contexte des pays anglo-saxons (Harrow et Shaw, 1992; Melkers et al., 2002; Rose et Lawton, 1999; Swindell et Kelly, 2000). Ces auteurs présentent le critère de satisfaction des usagers comme variable de performance au même titre par exemple, que le respect des moyens mis à disposition.

  • 8 à titre d’exemple, c’est le cas du contexte de l’enseignement supérieur où les Universités au Royau (...)

7Présent dans les contextes législatifs de certains secteurs publics8, Flynn (1993) et Wilson et Gane (1998) révèlent par exemple, l’intérêt porté à cette évaluation dans les démarches de management des services publics au Royaume-Uni. L’Audit Commission (AC) a par exemple, publié en 2002 un rapport soulignant l’intérêt de comparer les performances et notamment les résultats de satisfaction des usagers. De même, le rapport AC (2008) précise l’importance d’outiller les démarches d’évaluation des performances en intégrant les systèmes de mesure de la satisfaction des usagers. Le Department of the Environment, Transport and the Regions (DETR) a également assuré dès 1999, la promotion de « bonnes pratiques » d’évaluation en spécifiant une liste d’indicateurs de performance devant être communiqués par les collectivités territoriales (système appelé Table users’ and residents’ satisfaction réalisé sur la base d’enquête de satisfaction).

8Différentes institutions publiques ont ainsi souligné l’intérêt d’évaluer par la satisfaction des usagers depuis les années 1990 au Royaume-Uni. Ce contrôle apparait d’ailleurs soutenu dès la moitié des années 1980 dans des publications mettant en avant l’importance d’intégrer des indicateurs de satisfaction des usagers. C’est le cas du rapport public du Local Government Training Board (LGTB) publié en 1987 promouvant la mise en place de systèmes de panel régulier de clients. De même, le guide de « bonnes pratiques » de management publié par l’AC en 1988 recommande l’usage d’indicateurs de satisfaction des usagers.

  • 9 L’expression fut popularisée par le travail d’Osborne et Gaebler (1992) dans leur ouvrage formulant (...)

9Cette présentation montre un intérêt des décideurs à la question de l’évaluation des services publics par la satisfaction des usagers en France et au Royaume-Uni. L’instauration pose cependant la question de l’évolution de cet intérêt dans le management des services publics. Cette analyse vise ainsi à étudier l’évolution des discours portant sur l’évaluation à partir d’une comparaison dans le temps (période 1980-2007). Le choix de cette période est motivé par la volonté d’identifier l’origine des discours portant sur l’évaluation des services publics. Le choix d’une étude démarrant dans les années 1980 résulte en effet, du fait que des techniques de contrôle inspirées du New Public Management9 ont émergé à cette époque.

10Ces discours sur l’évaluation sont étudiés dans le cadre d’une comparaison dans l’espace (France et Royaume-Uni). Cette comparaison résulte de la volonté d’obtenir une compréhension de l’évolution de l’intérêt porté à l’évaluation dans des contextes managériaux et institutionnels publics différenciés. Outre le fort intérêt pour l’outil, la comparaison entre ces deux pays apparait intéressante compte tenu des différences de centralisation des pratiques de contrôle et de culture politique et juridique entre ces deux pays (Cole et Peter, 2001).

11Par conséquent, cette recherche vise à répondre à la question suivante : Comment a évolué l’intérêt porté à l’évaluation des services publics par la satisfaction des usagers entre 1980 et 2007 en France et au Royaume-Uni ?

12Cette recherche sur l’évaluation est l’occasion d’étudier la question de la place des usagers dans le management des services publics. Le travail de Warin (1999) illustre par exemple, la question des liens entre l’usager et les politiques de modernisation. Warin (1999) montre que les améliorations que les Ministères s’efforcent d’apporter notamment dans le secteur des affaires sociales, visent plutôt à accroître la sécurité du service rendu et à s’engager sur de meilleurs délais.

13Waechter-Larrondo et Barbier (2008) cherchent également à saisir la question de la place de l’usager dans les services publics au travers de l’analyse de la création de la norme qualité AFNOR NF P15-900-1 intitulée « service à l’usager » et publiée en juin 2000. Pour ces auteurs, l’élaboration de cette norme qualité est marquée par des réticences d’acteurs comme par exemple, les élus locaux voyant ces outils comme un court-circuitage de leur rôle de porte-parole des habitants.

14Ce travail questionne également le rôle des discours émis sur le déploiement des outils de contrôle des services publics. Bourguignon (2003) analyse les discours en France portant sur le « nouveau» contrôle de gestion. Cet article montre que les procédés discursifs et rhétoriques nourrissent la quête de légitimité et de légitimation des dirigeants. En niant le supplément de contrôle par la mise en avant de termes emblématiques comme « pilotage» ou « performance », le discours légitime le contrôle et permet ainsi la reproduction des rapports d’autorité et de domination dans les organisations.

15Meric (2003) étudie également le contexte discursif qui fonde le caractère novateur du Balanced scorecard. Il aboutit à la formulation d’un cadre de « marqueurs» du discours associé à l’innovation managériale, à savoir les registres de la rupture, de l’avantage et de la systématicité :

« Ces trois marqueurs légitiment l’innovation. La rupture assure le caractère novateur de l’idée proposée, l’avantage garantit que cette idée ne peut qu’améliorer les pratiques managériales et la systématicité en prévient toute remise en cause par la contingence ou par d’autres concepts promus au même moment ».
(Méric, 2003: 142).

16Les discours sont étudiés à partir d’une analyse de revues professionnelles dans le cadre du management des collectivités territoriales. Trouvant son actualité dans le cadre des initiatives de contrôle de la qualité, cet article est ainsi susceptible d’illustrer la question de l’intégration des systèmes de contrôle de la qualité dans les collectivités territoriales (Goudaji et Guenoun, 2010). Dans cette recherche, le contrôle est appréhendé comme un moyen contraignant d’orientation des comportements des acteurs et un outil habilitant de prise de décision sur le service.

  • 10 Je tenais à remercier la FNEGE (CEFAG) et l’AFC pour leurs soutiens à la réalisation de cette reche (...)

17Nous analysons dans un premier temps, la méthodologie de recherche (1). Les articles publiés sont étudiés en cherchant à comprendre l’émergence et la transformation des discours portant sur la satisfaction des usagers des collectivités territoriales. Nous étudions dans un deuxième temps, les principaux résultats obtenus autour des contenus des discours de justification, des registres associés à l’évaluation et des tensions portant sur le contrôle (2)10.

1. La méthode d’analyse des discours sur l’évaluation

18Le travail de recherche vise à décrire et comprendre l’évolution de l’intérêt portant sur l’évaluation des services publics par la satisfaction des usagers en France et au Royaume-Uni sur la période 1980-2007. Une méthodologie comparative fondée sur l’étude d’articles est mise en œuvre visant à expliquer l’évolution de l’évaluation dans le cadre des services publics locaux (SPL).

1.1. Les choix méthodologiques

19Le choix s’est porté sur l’analyse du contexte des SPL regroupant en France les Communes, les Départements, les Régions et les établissements Publics de Coopérations Intercommunales. La notion de collectivité locale au Royaume-Uni comprend de nombreux termes juridiques. La structure issue des Local Government Act publiés sur la période 1980-2007 a entraîné l’émergence d’appellations multiples de collectivités se superposant et s’entrecroisant en termes de compétences (ex. : Councils intervenant dans les domaines économiques, environnementaux et sociaux).

20L’analyse collecte les discours développés dans des revues professionnelles. L’étude d’articles professionnels apparait en effet, comme une source riche d’enseignements permettant de s’intéresser à la diffusion des concepts en Sciences de gestion au travers des discours managériaux émis. L’analyse s’est portée sur la Gazette des Communes pour la France et la Local Government Chronicle pour le Royaume-Uni (Tableau 1).

21Tableau 1 - La présentation des revues étudiées (Source : site internet des revues)

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23Outre la publication de la revue, ces acteurs ne se limitent pas à la description et l’analyse des pratiques managériales. Ces revues organisent et relayent également des évènements chargés de soutenir et valoriser les pratiques de management dans les collectivités (ex. : organisation de conférences). L’analyse des articles présents dans ces revues ne permet cependant pas d’obtenir les discours tenus par les décideurs publics (managers et hommes politiques) dans le déploiement des outils d’évaluation, même si leurs discours justifiant l’évaluation peuvent être présents dans les extraits d’entretiens publiés dans les revues.

1. 2. Le recueil et l’analyse des données

24La méthode de recueil des données consiste à sélectionner à l’aide des sommaires, les articles abordant potentiellement le thème de l’évaluation des SPL par la satisfaction des usagers défini à partir de mots-clés prédéterminés (Tableau 2).

25Tableau 2 - Les mots-clés utilisés pour la collecte des données

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  • 11 Créée par la Loi du 6 février 1992, cette commission est par exemple consultée préalablement à une (...)

27Ces mots-clés prédéterminés portent à la fois, sur les thèmes du contrôle, de la performance et de l’évaluation mais également sur la participation des usagers et des citoyens dans le cadre des SPL. La mise en œuvre de l’évaluation s’inscrit en effet, dans un cadre juridique et législatif portant sur la démocratie de proximité avec le déploiement d’instances de concertation comme par exemple en France, les Commissions consultatives des SPL11.

28L’étude consiste ensuite à analyser les articles sélectionnés pour chaque revue sur la période 1980-2007. Cette recherche identifie 108 articles dans la GC (sur près de 600 Gazettes étudiées, soit environ 2 % des articles). Concernant la LGC, 148 articles sont étudiés, soit environ 1.5 % des articles publiés. Un graphique des articles étudiés par année figure ci-dessous (Graphique 1).

29Graphique 1 - Le nombre des articles de la GC et LGC étudiés par année

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31La démarche effectue dans un second temps, une lecture approfondie en référençant les extraits par sous-thématiques par un système de codage. La méthodologie d’analyse et de présentation des données collectées s’inspire des travaux de Huberman et Miles (1991) en procédant à un codage des données intégralement enregistrées et retranscrites. Le codage des matériaux est réalisé en fonction d’un dictionnaire des thèmes élaboré sur la base d’une analyse exploratoire (étude des rapports publics en France et au Royaume-Uni). Le processus de codage consiste à découper le contenu d’un article en unités d’analyse (phrases) et à les intégrer au sein de catégories sélectionnées (Tableau 3).

32Tableau 3 - Caractéristiques des codes portant sur l’analyse des discours

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34Ce système de codage permet le traitement des données de chaque extrait et la facilitation de la présentation des résultats. Par cette méthodologie, l’objectif est de comprendre les contenus des discours justifiant son déploiement, leurs évolutions et leurs articulations. Ce codage est réalisé sous tableur comprenant les extraits des discours, les thèmes abordés par l’article et les codes. Les chiffres après chaque citation d’extraits correspondent à la date de publication de la revue dont sont extraits les propos.

2. L’analyse des discours sur l’évaluation

35L’analyse consiste à étudier les contenus des discours de justification, l’évolution des thèmes associés à la prise en compte de l’avis des usagers et les tensions impactant l’évaluation.

2.1. Les contenus des discours de justification de l’évaluation

  • 12 Cet intitulé est également le titre du magazine dont le dossier spécial est consacré au traitement (...)

36Les discours justifiant la mise en œuvre de l’évaluation des SPL par la satisfaction des usagers visent à répondre à la question « pourquoi procéder à une évaluation ? ». L’article publié dans la GC le 18 décembre 1995 et intitulé « Comment bien traiter les plaintes et les réclamations »12 met en avant par exemple, ce qui justifie la mise en œuvre des outils de traitement des réclamations des usagers. Le déploiement de ces évaluations s’appuie sur un discours portant sur la « nouvelle » figure de l’usager (D-MODERN) :

« Toutes les villes d’importance s’enorgueillissent d’enregistrer leurs courriers, manuellement ou informatiquement, d’« accuser reception ». […] Mais les villes peuvent mieux faire. Car l’usager, comme des études en attestent, demande une considération toujours plus forte, et pas seulement en période préélectorale. Il veut certes, des réponses à ses interrogations, et leur contenu parfois importe moins que le retour d’un courrier signé du Maire ou d’un Adjoint ».
[GC, 18 décembre 1995]

37Cette argumentation justifiant l’intérêt d’évaluer les SPL souligne la recherche de la maîtrise des risques associés à une faible prise en compte du point de vue des usagers considérés dorénavant comme « récriminateurs, exigeants, bruyants ». Il s’agit par exemple, d’éviter un sentiment général d’insatisfaction décrédibilisant l’action publique (D-MODERN) :

« Lorsqu’un administré se plaint, ce sont peut-être plusieurs autres qui ont hésité et ont contenu leur rancœur qui s’associeraient, pourquoi pas, à lui pour signer une pétition. De plus, cet usager bruyant risque d’en contaminer d’autres et d’alimenter une animosité préjudiciable, le moment venu à l’élu, quand il proposera des projets où la cohésion est nécessaire ». [GC, 18 décembre 1995]

38Les acteurs interrogés expliquent que le changement de contexte des collectivités soumises à de « nouvelles » contraintes financières, implique l’adoption de « nouvelles » pratiques de management public (ex. : mise en place d’enquêtes de satisfaction des usagers). L’analyse des articles publiés révèle d’ailleurs la multiplicité des arguments mis en avant pouvant s’orienter vers la volonté de « replacer » l’usager dans la gouvernance des services publics en recherchant une meilleure proximité entre usagers et services (D-COG) :

« L’objectif était de replacer l’usager au cœur du service public et de bien le recevoir, quel que soit son mode de contact avec l’institution, détaille C Demory Responsable qualité au Conseil Général ».
[GC, 18 juin 2007]

39Concernant le contexte du Royaume-Uni, l’article publié le 28 juin 2007 et intitulé “The customer is always right” présente le suivi des besoins des usagers comme élément central à la « nouvelle» réforme des services publics. L’article rédigé par Ed Mayo (Chief executive du National Consumer Council) met alors en avant un discours de modernité (D-MODERN) :

“There has never been a time when the role of the consumer in public services has been as central as it is today. While it is welcome that political rhetoric on public services increasingly talks of user engagement, voice and choice, what we need is action by organizations that commission and deliver public services”.
[LGC, 28 juin 2007]

40Cet article prône alors une volonté de changement pour assurer le déploiement de tels outils d’engagement où l’usager ne peut plus être ignoré. Sur la base d’une comparaison avec les entreprises privées, ces discours soulignent le rôle central de l’usager dans la gouvernance des services publics (D-COG) :

“Companies only exist because they provide goods and services that people want in the right manner. Public services are no different. […] Consumers, providers and the government can act to achieve truly citizen-led and user-focused public services”.
[LGC, 28 juin 2007]

41Ces discours de justification prennent appui sur la base de référence à des ouvrages publiés spécialisé dans le domaine public (ex. :livre sur le New Public Management de Osborne et Gaebler publié en 1992) ou non spécialisés (ex. : ouvrage sur le Prix de l’excellence de Peters et Watermann de 1983).

42Les articles soulignent également la mise en avant de la recherche d’amélioration du service rendu. Cette logique apparait dans l’article publié le 22 mars 2007 intitulé « Listen and learn» portant sur la gestion des réclamations présenté comme permettant la mise en avant des services publics par comparaison aux entreprises (D-AMEL) :

“Complaints aren’t all negative – although they need careful handling, they can provide valuable feedback, says Claire Seneviratna. […] How an organization handles complaints is usually a pretty good indicator of how it feels about its customers. In the private sector, poor complaints handling can lead to a shabby reputation among consumers and a downturn in profits. In Local Government, poor service can lead, at best, to general cynicism about public service and at worst, to costly legal repercussions”. [LGC, 22 mars 2007]

43L’étude des contenus des discours de justification révèle des registres orientés vers les logiques de modernité. Ces discours se présentent alors comme cherchant une rupture avec les logiques du passé par la mise en avant d’une évaluation « actuelle» en vue de la modernisation des services publics. Ce registre apparait articulé avec les objectifs d’amélioration et de co-gouvernance en formulant le vœu d’intégrer l’usager afin d’assurer le mouvement des services avec son environnement.

2. 2. Les registres associés aux discours sur l’évaluation

44L’analyse des registres associés à la prise en compte de l’opinion des usagers montre l’évolution des contenus des discours depuis le début des années 1980. La première apparition en France du thème de la satisfaction des usagers associée à l’évaluation des SPL par la satisfaction des usagers date du 10 juin 1991 à l’occasion d’un article consacré à l’inauguration du nouveau centre administratif d’Issy-les-Moulineaux et dont le titre est « Repenser l’accueil en mairie». L’enquête de satisfaction apparaît alors comme un moyen de comprendre le ressenti vis-à-vis du nouvel accueil (R-FIG associé à D-MODERN) :

« Un sondage effectué auprès de 500 usagers montre que 95 % des personnes inter-rogées trouvent le cadre d’accueil agréable et 85 % jugent la signalétique satisfaisante ».
[GC, 10 juin 1991]

45Dans cet article, la prise en compte de l’évaluation est justifiée par un discours sur la nécessité de professionnalisation de la fonction accueil des mairies. La mise en œuvre de formations et de technologies de traitement de l’information constitue des outils à privilégier pour l’amélioration de l’accueil. Par ces pratiques, il s’agit alors de modifier le comportement des agents d’accueil afin de les sensibiliser à l’impact de leur travail sur le service rendu (R-FIG associé à D‑RESP) :

« Pour le responsable de la formation, « cette expérience a sensiblement modifié le comportement des agents, qui se sont sentis concernés par l’accueil. Ils le considèrent maintenant presque comme un défi, alors qu’autrefois c’était plutôt une sanction ».
[GC, 10 juin 1991]

46Le thème de la prise en compte de l’avis des usagers apparaît cependant, sous des formes différentes avant l’article publié en juin 1991. La première mention du terme « usager » émerge par exemple dès septembre 1980, à l’occasion d’un article sur l’informatisation des postes de travail des agents administratifs en contact avec les usagers et dont le titre est « Le bureau sans papier ».

47Les articles publiés durant la période 1980-1991 sont d’ailleurs, marqués par une présence du thème de la prise en compte de l’opinion de l’usager. La figure de l’usager est présentée durant cette période au travers de dispositifs de participation des habitants, l’usager étant associé selon les cas aux figures du citoyen, de l’électeur ou de l’administré dans le cadre d’instances participatives de dialogue. Ces articles révèlent alors les réticences des élus locaux à faire participer les usagers-citoyens aux affaires communales, les élus souhaitant privilégier les dispositifs d’informations (R-DLP associé à D-RESP) :

« Faire participer les usagers à l’élaboration du programme d’aménagement de leur quartier et à la conception de leur logement, est-ce bien raisonnable? Les HLM ont tenté l’essai ».
[GC, 7 juin 1982]

48La prise en compte de la satisfaction des usagers dans les systèmes d’évaluation apparaît en revanche plus importante depuis 1991 où les thèmes du management de la qualité sont associés à l’évaluation (Tableau 4).

49Tableau 4 - Les thèmes associés durant la période 1991-2007 [extrait R-QUAL]

  • 13 Près de 40 % des articles sur la période 2002-2006 traite de la question de la qualité de service.
  • 14 à titre d’exemple, le terme « Usager » est mentionné dans la GC du 26 août 2002 dont le titre est i (...)

50L’évaluation des SPL est appréhendée durant la période 1991-2007 au travers de multiples thèmes du management de la qualité13 (ex. : sondages auprès des usagers, fiches de dysfonctionnements, chartes d’engagement, cercles de progrès, récompenses qualité). L’usager est ainsi positionné durant cette période, en couverture de magazines et en titre d’articles14.

51La première apparition au Royaume-Uni de ce thème date du 25 octobre 1996 à l’occasion d’un article intitulé « Serving the public interest » synthétisant les résultats d’une enquête pilotée par l’institut de sondage MORI. Cet article souligne l’importance de la figure de l’usager associé à la recherche d’une information sur l’image des services publics (R-FIG associé à D-INF) :

“National surveys in 1988, 1991 and 1995 looking at satisfaction with local government showed a slight rise overall, masking a drop in 1991 – a result of the damaging publicity surrounding the poll tax. At the same time, autorities’ overall image is improving; they are now more likely to be seen to give good Value for Money than they were a decade ago”.
[LGC, 25 octobre 1996]

52Dans cet article, l’exposé des motifs de satisfaction des usagers à l’égard des SPL s’appuie sur un graphique comparatif des perceptions des usagers reliant les niveaux de satisfaction en ordonné et les différents domaines de services en abscisse (ex. : libraries, sports and leisure, care for elderly). Le terme user est d’ailleurs utilisé en étant associé indifféremment au terme de consumer, resident, people et public.

53Cette première apparition du thème de l’évaluation est soulignée dans le contexte du Royaume-Uni après d’autres associations confirmant les multiples facettes de la figure de l’usager également public (1984, 1985), resident (1986), customer (1987) et consumer (1989). La prise en compte de l’opinion apparait également au travers de multiples outils identifiés de contrôle (ex. : polls, measurement).

54Le thème de la prise en compte de l’opinion des usagers est cependant mentionné avant l’article publié en 1996. La première apparition du terme user est référencée lors d’un article publié le 10 avril 1987 par Jim White en tant que membre du National and Local Government Officers Association. Ce discours sur la place à donner à l’usager s’inscrit alors dans le contexte du débat sur les moyens alloués et sur le processus de privatisation des SPL. Les articles publiés entre 1980 et 1996 sont ainsi marqués par une présence du thème de la prise en compte de l’opinion des usagers en étant présenté comme un acteur de la gouvernance des organisations publiques. Le rôle du contexte institutionnel apparait avec notamment le souhait d’un développement des systèmes de garantie des prestations au profit des usagers initié lors du débat sur le Charter Citizen Initiative avec plusieurs articles publiés suite au rapport de la LGMB (1987).

55L’évaluation des SPL apparait orientée après 1996, vers un système d’évaluation globale des performances permettant classement et comparaison des collectivités, appelé League table connecté au problème de Value for Money (R-PERF associé à D-AMEL) :

“The last round of council tax rises appears to have had little impact on how councils are viewed. An analysis of council tax bills and best value performance indicator user satisfaction data [source: MORI 2004] shows that the relationship between council tax levels and overall satisfaction with council is weak. So is it better to concentrate on pushing home the message that your council stands for Value for Money and quality service delivery?”.
[LGC, 17 septembre 2004]

  • 15 Il convient de souligner l’importance des enquêtes MORI sur la période 2001-2003 avec une enquête p (...)

56Ce système de comparaison des performances est présenté dans l’espace (ex. : entre secteurs d’activité) et dans le temps (ex. : reconduction d’une enquête à deux moments). Les discours de justification portent alors sur la nécessité d’avoir une appréhension de la performance afin de comparer les perceptions des usagers et l’évaluation des prestations réalisées15. Les enquêtes de satisfaction des usagers sont alors présentées comme s’intégrant dans les systèmes de contrôle des performances Best value user satisfaction surveys (R-PERF associé à D-MODERN) :

“Last’s monthy’s Best Value user satisfaction surveys were examples of what could be described as an « über-performance indicator». […] The surveys showed that when asked about individual services, more and more people were satisfied with what they received. However, when asked for their overall opinion of the council, more and more people expressed dissatisfaction”.
[LGC, 1 mars 2007]

57L’étude des discours associés montre l’évolution des thèmes associés à l’évaluation. Appliqués au contexte de la France, ces discours passent du registre des démarches de démocratie locale dans les années 1980 aux outils de management de la qualité (milieu des années 1990). L’analyse des registres associés au Royaume-Uni révèle une apparition plus tardive du sujet du contrôle de la satisfaction. Une étude approfondie montre cependant que les savoirs sur la satisfaction des usagers sont associés antérieurement à de multiples figures, y compris relevant du domaine privé. Ce registre est transformé à la fin des années 1990 autour du problème de la performance publique avec la recherche d’un meilleur couplage des indicateurs de satisfaction avec les systèmes de mesure des performances.

2.3. Les tensions des discours portant sur l’évaluation

  • 16 Ce thème correspond au dossier spécial et au titre du magazine consacré au sujet de l’évaluation de (...)

58La phase de déploiement du contrôle apparait comme une étape importante en vue d’assurer une évaluation efficace du service. L’article publié le 17 mai 1999 intitulé « Modernisation des administrations. Des pistes pour améliorer la relation à l’usager16 » présente, l’expérimentation de la mesure de la satisfaction des usagers à la ville de Chalon-sur-Saône. Dans cet article, l’évaluation se déploie au travers de plans d’amélioration des performances réalisés à l’aide d’un cabinet-conseil. Cet article souligne alors la difficulté de mobiliser les acteurs dans l’élaboration de l’outil en mettant par exemple, en avant les réticences des responsables publics à l’association des usagers ou de leurs représentants. Cet article présente les aspects à prendre en considération lorsqu’une collectivité s’engage dans une démarche de mesure de la satisfaction des usagers en mentionnant les multiples difficultés de la phase de sollicitation (T-IMPLIC) :

« Braquer les agents, aller à contresens de ce qu’attendent, plus ou moins confusément, les usagers … quelle méthode utiliser, et puis évaluer, bien sûr, les progrès faits pour garder une dynamique – mais qui le fera? Et quelle publicité donner aux résultats? Un modernisateur rencontre de nombreuses résistances, que ce soit le manque d’enthousiasme des personnels, l’absence de moyens ou de méthodes, enfin la maigre adhésion des élus».
[GC, 17 mai 1999]

59Cet article relate également l’organisation par la GC d’une table-ronde portant sur la qualité du service public. En synthèse de ce débat, l’article formule des conseils pour éviter les « pièges » de la mesure de la satisfaction des usagers (Encadré).

Les conseils formulés concernant la mesure de la satisfaction des usagers [extrait]

« Avoir informé préalablement les usagers : il faut expliquer à l’usager ce que peut lui apporter le service public » [conseil n° 1].
« Se méfier des « jeux d’acteurs » : il est plus simple dans une enquête, de faire porter la responsabilité des dysfonctionnements sur le fournisseur de service » [conseil n° 3].
« Adopter une méthodologie et des indicateurs sans faille : ce serait dangereux de « bricoler » et il est recommandé de faire appel à des aides de l’extérieur (ministère, consultants …) » [conseil n° 6].

60Ce travail met en avant la nécessité d’appréhender la phase de construction des évaluations notamment au travers de la gestion des relations entre acteurs-partenaires. Les conseils formulés soulignent le rôle de l’information des acteurs comme élément central dans l’élaboration des outils en vue de les impliquer à la démarche et l’importance des aides extérieures dans le processus d’évaluation (ex. : ministère, consultant).

  • 17 A titre d’exemple, l’article publié le 18 décembre 1995 portant sur le traitement des réclamations (...)

61Les articles publiés mettent en évidence les tensions associées à l’élaboration des évaluations où le processus de mise en œuvre est caractérisé par un contrôle partenarial associant de multiples acteurs17. Ces articles soulignent alors l’importance de l’implication des agents, des usagers (ou de leurs représentants) et des élus comme source de réussite des démarches de construction des pratiques d’évaluation en prônant la mise en place d’une démarche de travail formalisée par étape afin de ne pas bouleverser le fonctionnement des services. Par ce travail de mobilisation, il s’agit alors de dépasser les réticences à la démarche de contrôle et de valoriser la participation des acteurs à la qualité du service rendu à l’usager par exemple en maitrisant le vocabulaire utilisé. Ces articles soulignent alors la volonté des décideurs de ne pas normaliser les propos (T-NORM) :

« Nous n’avons pas été informé de ce questionnaire et nous récusons la notion d’habitants-clients des services municipaux. Pour nous, ce sont des usagers à qui l’on va d’ailleurs présenter un matériel qui ne reflète pas la réalité de ce que nous avons réellement dans les services ».
[GC, 19 octobre 1998]

62Ces tensions apparaissent également dans le contexte du Royaume-Uni. L’article publié le 18 mai 2006 intitulé « Planning for the future » (titre apparaissant également en première page du magazine), présente la mise en place d’une charte de service au sein de la ville de Restormel BC. Cet article met en avant l’importance des pratiques d’implication des usagers en recherchant à dépasser leurs réticences par le recours à des consultants externes. Cet article souligne alors l’importance de la phase de concertation dans le déploiement du contrôle en valorisant la participation des acteurs-partenaires à la qualité du service rendu. (T-IMPLIC) :

“The [Planning Advisory Service] is provided by the improvement and development agency. Its main tasks are: to support continuous service improvement; assist councils whose service is failing; promote best practice and to give direct support to councils delivering large housing developments or regeneration projects”.
[LGC, 18 mai 2006]

63Les articles publiés soulignent également la subjectivité des données prises en compte avec notamment le problème de la comparaison entre les données issues du système d’évaluation des performances et la perception de satisfaction des usagers. Ces articles mettent alors en évidence l’importance de la phase d’élaboration des mesures de la satisfaction des usagers devant éviter la multiplication des indicateurs de performance (T-COMP) :

“A reduction in the number of indicator is the way forward. They would have more impact and the reduction in the huge amount of officer and audit time currently spent would allow for more targeted use of comparable information. […] In the paper, the commission comments on the need for best value indicator – particularly in areas covering access, user satisfaction, costs, efficiency and effectiveness”.
[LGC, 25 septembre 1998].

64Ces articles publiés soulignent également les réticences à la logique « up-bottom» relevant des incitations des institutions nationales. Les acteurs mettent alors en avant l’importance de la prise en compte des contextes internes locaux comme favorisant l’appropriation des outils de contrôle (T‑IMPLIC) :

“Users can help improve public services, says Mike Bartram. […] The National Consumer Council has spent two years working with councils and their communities, seeking to involve users in setting and monitoring standards and targets and in introducing improvement. We concluded that the « bottom-up» approach is the only way councils can hope to achieve best value”.
[LGC, 21 juillet 2000]

65L’analyse des tensions portant sur l’évaluation révèle l’importance de la gestion des équilibres à assurer en vue d’un contrôle efficace (implication interne et externe ; incitation nationale et locale ; qualité perçue et réalisée ; normalisation et interprétation). La phase de construction apparait comme une étape importante en vue d’assurer le déploiement et l’appropriation de l’évaluation par les acteurs-partenaires (agents, usagers) et ainsi dépasser leurs réticences.

Conclusion

66Comment a évolué l’intérêt porté à l’évaluation des services publics par la satisfaction des usagers entre 1980 et 2007 en France et au Royaume-Uni ? A cette question, l’analyse comparative révèle l’importance des discours de modernité soulignant l’importance du contexte « actuel» dans l’adoption des pratiques d’évaluation. Ces discours relevant de la logique NPM justifiant une forme particulière d’évaluation, formulent l’objectif de rupture avec les modes de gestion publique développés par le passé. La volonté d’évaluer les services publics apparaît ainsi avec le souhait d’une « nouvelle» gestion publique dans un contexte de développement d’outils de suivis des performances. Ce travail met en lumière un discours faisant référence par exemple, à la figure de l’usager devenu « plus exigeant» envers les services publics ou à la nécessité « actuelle » de moderniser les services publics par référence à des pratiques développées dans les entreprises. Ce registre de la modernité apparait articulé avec les objectifs d’amélioration et de co-gouvernance en formulant le vœu d’intégrer l’usager afin d’assurer le mouvement des services avec son environnement.

67Ce travail révèle cependant un discours de modernité évolutif et adapté dans le temps (1980-2007) et dans l’espace (France et Royaume-Uni) et montre des différences d’association des discours (Figure 1).

68
Figure 1 - L’évolution de l’intérêt porté à l’évaluation des SPL par la satisfaction des usagers

69L’analyse dans le temps permet de mettre en évidence l’évolution des thèmes associés pouvant passer des registres de la démocratie de proximité et de la participation des citoyens à l’action publique (début des années 1980 en France) à la rhétorique du management de la qualité interne des services (années 1990 en France). Ce travail révèle ainsi l’évolution d’un discours visant l’implication des usagers-citoyens dans l’action publique vers un problème de management des équipes dans la relation de service soumis à la contrainte d’un travail efficace et de qualité. Au Royaume-Uni, ce sont les termes de client ou de resident qui sont apparus les premiers associés à l’évaluation. Cette logique consumériste s’est développée dans le contexte des années 1980, de débat sur le périmètre de gestion du service public.

70L’analyse de l’espace révèle également des différences dans les discours émis entre les contextes. Ce travail souligne par exemple, l’interrelation des discours des institutions nationales au Royaume-Uni incitant à la mise en place de certaines formes particulières de contrôle (ex. : enquête de satisfaction par questionnaire afin d’assurer la comparaison des collectivités). Ces discours s’appuient sur un discours de non-différenciation avec le management des entreprises. A contrario, cette logique comparative n’apparait pas en France, laissant chaque collectivité mettre en place leurs outils d’évaluation (logique bottom-up avec des discours sur la spécificité des prestations publiques).

71Cette recherche souligne ainsi l’importance du travail d’adaptation des discours portant sur l’évaluation et des équilibres à gérer (implication interne et externe ; incitation nationale et locale ; qualité perçue et réalisée ; normalisation et interprétation). C’est en évitant le développement de discours pré-formatées que la justification est susceptible de favoriser les apports habilitants et contraignants. L’objectif de ces discours de modernité est de minimiser les effets contraignants de l’évaluation par un discours orienté vers les logiques d’amélioration (mise en avant de la fonction apprenante où l’évaluation sert à accumuler des connaissances et prendre des décisions) et de proximité (souligner la figure de l’usager présenté comme « légitime» pour évaluer le service) en vue du dépassement des réticences des acteurs-partenaires à l’évaluation (décideurs publics, managers, agents, usagers). Ce point rejoint d’ailleurs le travail de Lascoumes (2007) mettant en évidence que « l’usager n’est pas plus au centre du système de soin que le client n’est roi » ou de Waechter (2003) précisant que cet « énoncé collectif » intervient dans la gestion du changement des services publics. Ces discours de modernité empruntent également les caractéristiques des discours identifiés par Bourguignon (2003) sur le « nouveau » contrôle de gestion poussant la légitimation des décideurs et masquant la réalité du contrôle.

72Loin d’être sans impact sur les pratiques des managers, ces contextes adaptés et équilibrés poussent à l’assimilation des concepts d’évaluation et de mesure reflétant une gestion « modernisée » des collectivités, les mécanismes de mesure étant présentés comme essentiels à la rationalité de l’évaluation. Ces discours portant sur un idéal de neutralité et d’objectivité des indicateurs tendent à favoriser l’adoption des pratiques de mesure des services publics. La mise en œuvre d’indicateurs de satisfaction des usagers est ainsi vue comme le moyen d’un contrôle efficace avec un échantillon maîtrisé et représentatif de la population. Ce point révèle un discours managérial résultant davantage du registre des croyances d’une époque donnée que d’un contrôle « rationnel » de décision publique. Chaque mesure peut générer des comportements inefficaces (ex. : responsable travaillant uniquement les aspects faisant l’objet de mesure) et s’effectue à partir d’un point de vue qui dépend de l’utilisation que les acteurs veulent en faire, impliquant des choix sur les critères. Ce discours de modernité justifiant une forme particulière d’évaluation emprunte ainsi les caractéristiques d’un « discours autorisé », expression développée par De Vaujany (2003). Le travail sur les liens entre ces discours présents dans les revues et ceux développés dans le cadre du déploiement des évaluations constitue d’ailleurs une perspective de recherche.

73Cette étude inscrit donc son analyse dans le renouvellement des recherches en Sciences de gestion dont les travaux tendent à associer les pratiques d’évaluation aux mécanismes de mesure selon la logique « Contrôler, c’est mesurer ». Cette association prend son actualité plus particulièrement, dans les services publics avec le déploiement de mécanismes de notation et d’évaluation (ex. : baromètre de satisfaction des étudiants dans les Universités, notation des Ministres). Cette présentation permet ainsi de relativiser ces discours émis régulièrement à l’occasion du développement des pratiques d’évaluation apparaissant comme une idéologie au service du déploiement de pratiques spécifiques de contrôle.

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Bibliographie

Articles et ouvrages académiques

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Notes

1 Propos d’un responsable public à l’occasion d’un travail de recherche sur le déploiement d’enquêtes de satisfaction des usagers.

2 A titre d’exemple, le Premier Ministre François Fillon dans sa Déclaration de politique générale pour l’année 2007 a formulé le vœu suivant : « Je veux que la satisfaction des usagers soit une préoccupation constante des services publics en ville comme en milieu rural » (séance du 4 juillet 2007 devant le Sénat).

3 Cette évaluation apparaît dans certains secteurs spécifiques comme par exemple, dans les règles régissant la gestion des hôpitaux. Depuis les Ordonnances du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée, les établissements de santé ont l’obligation d’évaluer la satisfaction des patients.

4 LOLF n° 2001-692 : La LOLF s’inscrit dans la perspective d’introduction dans le secteur public, d’une logique de management par les objectifs et les résultats plutôt que par les moyens. Des indicateurs qualité et de satisfaction peuvent ainsi être introduits à l’occasion du déploiement de la LOLF.

5 à titre d’exemple, l’association France Qualité Publique a organisé une conférence sur le thème de « L’évaluation de la qualité et des performances publiques » en novembre 2006 à Paris. De même, la fondation Institut de la Gestion Déléguée a lancé en 2009 une initiative de consultation citoyenne dont la restitution a eu lieu le 26 mars 2009 dans les locaux de l’Assemblée Nationale. Des citoyens ont alors présenté leurs propositions pour développer l’implication des administrés dans l’amélioration des services.

6 Circulaire Ministérielle du 23 février 1989 relative au « Renouveau du service public », Journal Officiel du 24 février 1989, p. 2526.

7 Circulaire datée du 18 mars 1992 portant sur la « Charte des usagers », signée du Premier Ministre Edith Cresson

8 à titre d’exemple, c’est le cas du contexte de l’enseignement supérieur où les Universités au Royaume-Uni sont évaluées et classées à partir des résultats de satisfaction des étudiants (The National Student Survey).

9 L’expression fut popularisée par le travail d’Osborne et Gaebler (1992) dans leur ouvrage formulant le vœu de mettre en place un « New Public Management » (NPM). L’expression s’est imposée au début des années 1990 pour désigner les réformes de modernisation des services publics souhaitant notamment faire entrer la « voie de la satisfaction du client dans les services publics ». Le déploiement d’outils d’évaluation de la satisfaction des usagers figure parmi les préconisations d’Osborne et Gaebler (1992).

10 Je tenais à remercier la FNEGE (CEFAG) et l’AFC pour leurs soutiens à la réalisation de cette recherche.

11 Créée par la Loi du 6 février 1992, cette commission est par exemple consultée préalablement à une délégation de service public ou à un projet de création de service public.

12 Cet intitulé est également le titre du magazine dont le dossier spécial est consacré au traitement et à l’analyse des réclamations et des plaintes des usagers.

13 Près de 40 % des articles sur la période 2002-2006 traite de la question de la qualité de service.

14 à titre d’exemple, le terme « Usager » est mentionné dans la GC du 26 août 2002 dont le titre est intitulé « Sites Internet : Cap sur les services aux usagers ». Il convient également de noter que l’article du 08 septembre 2003 intitulé « Evaluer la qualité du service rendu à l'usager » fait explicitement référence à l’évaluation par les usagers.

15 Il convient de souligner l’importance des enquêtes MORI sur la période 2001-2003 avec une enquête publiée quasiment toutes les semaines.

16 Ce thème correspond au dossier spécial et au titre du magazine consacré au sujet de l’évaluation des SPL.

17 A titre d’exemple, l’article publié le 18 décembre 1995 portant sur le traitement des réclamations met en avant la nécessité de gérer les réticences des agents.

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Pour citer cet article

Référence papier

Aurélien Ragaigne, « L’évolution des discours sur l’évaluation des services publics par la satisfaction des usagers : une analyse comparative France et Royaume-Uni sur la période 1980-2007 »Politiques et management public, Vol 29/3 | 2012, 325-342.

Référence électronique

Aurélien Ragaigne, « L’évolution des discours sur l’évaluation des services publics par la satisfaction des usagers : une analyse comparative France et Royaume-Uni sur la période 1980-2007 »Politiques et management public [En ligne], Vol 29/3 | 2012, mis en ligne le 02 février 2015, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pmp/5332

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Auteur

Aurélien Ragaigne

Maître de conférences en Sciences de gestion
CEntre de REcherche en GEstion - Université de Poitiers
20, rue Guillaume VII Le Troubadour - 86022 Poitiers Cedex
Auteur-correspondant : ARagaigne@iae.univ-poitiers.fr

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