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La légitimité managériale : le cas des directeurs généraux des services

Managerial legitimacy: the case of local public managers
Laurence Durat et Marc Bollecker
p. 145-165

Résumés

La recherche en gestion consacrée aux dirigeants se focalise principalement sur les entreprises privées. Or, la fragilité de la fonction de dirigeant des collectivités territoriales françaises, conduit à s’interroger sur les stratégies de construction de leur légitimité permettant d’agir efficacement auprès des élus et de l’administration. Après avoir présenté le contexte de ces dirigeants, cet article mobilise la théorie de la légitimité afin d’identifier les leviers de construction de celle-ci. Dans la mesure où les travaux traitant de la légitimité étudient la légitimité organisationnelle et en infèrent une légitimité individuelle des dirigeants sans explorer réellement ce processus, cette question mérite un approfondissement ; celui-ci a été possible par une étude empirique auprès de 25 directeurs généraux des services de collectivités territoriales et de 23 partenaires de leur activité. Les résultats montrent la mobilisation partielle de certains leviers identifiés dans la littérature sur le sujet. Ils permettent également d’identifier une voie de légitimation spécifique au contexte étudié, qui procure une légitimité au dirigeant territorial par l’entremise du chef de l’exécutif politique.

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Texte intégral

Introduction

1De nombreux travaux en sciences de gestion ont été réalisés sur le dirigeant au niveau des caractéristiques de son travail (Mintzberg, 1971, 1975, 1990), du processus de prise de décision (Barnard, 1958, Isenberg, 1984) du style de direction (Blake et Mouton 1969, Lickert, 1974) ou encore des comportements stratégiques individuels pour son enracinement (Pigé, 1998, Schleifer et Vishny, 1989). Ces travaux se focalisent majoritairement sur les dirigeants du privé occultant sensiblement ceux du public. Or, les conditions d’exercice de la fonction de ces derniers peuvent être proches de celles des dirigeants des organisations privées. En effet, contrairement à une idée répandue, les personnels de direction non élus de l’administration publique sont confrontés à des évaluations portant sur des objectifs et à une instabilité de leur fonction voire de précarisation, peu abordée dans la littérature académique. Leurs mandats peuvent être conditionnés notamment aux changements de majorité politique et des préférences des élus (Le Saout, 2009). Comment alors les dirigeants anticipent-ils ce risque politique ?

2Cet article aborde cette question sous l’angle de la légitimité, c’est-à-dire à « la reconnaissance (formelle/informelle ; explicite/implicite) par des parties prenantes internes et externes de son droit à gouverner l’entreprise: cette reconnaissance s’appuie sur la croyance desdites parties prenantes dans la validité du pouvoir du dirigeant au regard de valeurs et de normes partagées à propos de la direction d’entreprise » (Petit et Mari, 2009). Les travaux en gestion consacrés à la légitimité sont la plupart du temps focalisés sur les organisations (Suchman, 1995, Boltanski et Thévenot, 1991) et rarement sur les individus. Or, il ne peut y avoir de pouvoir durable sans légitimité (Hirigoyen, 2002), la cohésion de l’organisation étant en jeu ainsi que la performance de celle-ci (Pigé, 1998).

3Cette contribution s’interroge donc sur les stratégies individuelles des dirigeants des collectivités territoriales françaises, en recherche de légitimité, afin de comprendre en quoi celle-ci est nécessaire comme préalable à leur action de managers et comment le processus de légitimation se construit.

4Une première partie est consacrée aux évolutions récentes de l’environnement territorial en France ainsi qu’à la définition de la légitimité et des processus de légitimation afin d’aboutir à un cadre théorique intégré. Les seconde et troisième parties exposent respectivement la méthodologie et les résultats d’une étude empirique portant sur les leviers effectivement mobilisés par les dirigeants.

1. La légitimité individuelle des dirigeants : une analyse théorique

5Le champ territorial présente un certain nombre de spécificités qui agissent sur l’activité même des dirigeants et leur positionnement face aux élus (1.1). Les modalités de construction de la légitimité des dirigeants publics nécessitent alors d’être identifiées dans la littérature afin de présenter un cadre conceptuel intégré (1.2).

1.1. Responsabilisation et fragilisation

  • 1 Que nous désignerons FPT .

6En France, dans la fonction publique d’Etat et la fonction publique hospitalière, les dirigeants sont soumis depuis longtemps à une tradition de mobilité censée présenter les garanties d’égalité de traitement aux administrés et d’évitement de toute collusion. C’est devenu récemment le cas pour les dirigeants de la fonction publique territoriale1, Une distinction s’opère entre les carrières statutaires et les « emplois fonctionnels » où responsabilités et instabilité sont plus grandes. Si le directeur général des services (DGS) et parfois ses adjoints (DGA), est nommé par le chef de l’exécutif local sur des postes fonctionnels à sa discrétion, il est également révocable par lui.

  • 2 Il est à noter que la première loi est centrée sur le statut des personnels d’encadrement et la sec (...)

7Depuis la loi du 26 janvier 1984 modifiée par la loi du 13 juillet 19872, il peut être mis fin au détachement des directeurs généraux des services sur les « emplois fonctionnels » à tout moment, sauf pendant les six mois suivant leur nomination ou suivant le renouvellement de l’organe délibérant. Une telle décision prise par l’autorité territoriale n’a pas à être motivée. Ainsi, après les municipales de 1995 en France, peu de secrétaires généraux qui avaient servi l’ancienne majorité, étaient encore en fonction après les élections (Lamarzelle, 1997, Roubieu, 1999). Par ailleurs, différents types de problèmes sont susceptibles de fragiliser le dirigeant des collectivités locales :

8• Les élus font remonter aux directeurs généraux des services les problèmes de la population pour qu’ils les résolvent, mais avec des marges de manœuvre restreintes par un budget non extensible (Lamarzelle, 1997).
• Le partage des compétences n’est pas clarifié, une confusion des rôles du dirigeant et de ceux de l’élu peut être constatée, ainsi que des effets d’empiétements. La présence régulière de l’élu au sein de plusieurs institutions politiques lui permet de maîtriser la complexité du jeu politico-administratif local, et de n’accorder qu’une faible place au DGS qui se voit dépossédé des décisions stratégiques (Le Saout, 2009).
• En assistant les élus dans les choix à opérer en matière d’action publique, le directeur général des services s’engage étroitement dans le jeu politique et entretient la porosité des frontières entre les sphères politiques et administratives (Le Saout, 2009).
• Dans certains cas (en matière budgétaire par exemple) le DGS contribue à la définition des orientations fiscales proposées à l’assemblée municipale, ce qui peut faire l’objet de contestations de la légitimité du dirigeant territorial dans la prise de décisions politiques (Vignon, 2005).

9De ce fait, au basculement de majorité, les risques de changement des dirigeants administratifs sont importants. Le statut de fonctionnaire des DGS n’est donc pas de nature à les protéger (et à rendre l’organisation efficace) et on peut douter que leur légitimité leur soit donnée par la seule position qu’ils occupent sans devoir rendre des comptes.

10Les évolutions récentes qu’ont connues et que connaissent encore les organisations publiques dans la plupart des pays développés accentuent la question de la légitimité des dirigeants. Il s’agit de réformes de la gestion publique (Hood, 1995), liés à une crise de légitimité des administrations (Laufer et Burlaud, 1980), qui visent notamment :

11• À mettre les dépenses publiques sous la surveillance des administrations et des citoyens (Mussari et Steccolini, 2006) ;
• À responsabiliser les acteurs sur leur utilisation des ressources, par une obligation de rendre compte (accountability) des résultats.

12Liées en France à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), elles consistent en une décentralisation de la gestion, le développement du pilotage, à travers la fixation et le suivi d’objectifs, l’utilisation d’outils et de systèmes de gestion comme la rémunération des performances, l’évaluation professionnelle, la gestion des compétences, le contrôle de gestion (Desmarais, 2008). Dans ce cadre, les dirigeants publics, de même que dans les entreprises privées, font l’objet d’une évaluation de la part de leurs supérieurs qui conditionne leur rémunération et leur promotion. Les systèmes de contrôle des dirigeants s’avèreraient donc aussi incitatifs ou dissuasifs dans le public que dans le privé (Charreaux, 1990). Appréhender ces dirigeants comme des acteurs dont leur fonction offre de la stabilité n’est plus adapté face à de telles évolutions. Il semble ainsi que la légitimité des DGS ne peut être acquise d’emblée et « une fois pour toute » par le système. Pourtant cette légitimité, devenue cruciale pour le dirigeant souhaitant s’inscrire dans la durée, doit se construire au sein des collectivités territoriales.

1.2. La légitimité : de quoi parle-t-on ?

13Le concept de légitimité est principalement abordé en sciences de gestion dans une perspective organisationnelle. Il s’agit d’une « perception générale sur les actions d’une entité quant à son caractère désirable ou approprié au sein d’un système socialement construit de normes, valeurs, croyances et définitions » (Suchman, 1995). La légitimité résulterait d’un jugement social que les parties prenantes portent sur l’organisation. Autrement dit, il s’agit d’une conformité aux valeurs et aux constructions sociales (Oliver, 1991). La légitimité est donc une contrainte qui pèse sur les organisations soumises aux pressions normatives de l’environnement (DiMaggio et Powell, 1991, Scott, 1995). Cependant, elle peut également être considérée dans une perspective stratégique, comme un état que l’organisation cherche à acquérir, à maintenir ou à récupérer pour assurer sa continuité tout au long de son existence à travers le lien et l’interaction qu’elle développe avec son environnement institutionnel. Elle repose alors sur un contrat social (Shoker et Sethi, 1974) ou sur l’information, l’influence voire la manipulation des perceptions de l’environnement (Lindblom, 1994, Dowling et Pfeffer, 1975, Pfeffer, 1981, 1982).

14Cette conception holistique de la légitimité fait disparaître les pratiques des acteurs, appréhendés comme tels, c’est-à-dire des individus dotés d’une identité, d’une conscience et d’une volonté (Rojot, 2005). Par ailleurs, est-il possible de s’affranchir de la dimension individuelle dans la construction de la légitimité organisationnelle en considérant que la légitimité du dirigeant se confond avec celle de la firme (Pichard-Stamford, 2000: 147) ? L’analyse du comportement et de la position des acteurs semble incontournable pour cerner la dynamique de construction de la légitimité. Il en est ainsi des collectivités territoriales dont le contexte évolutif (supra 1.1) pose des questions de légitimité aussi bien organisationnelle qu’individuelle. En particulier, celle du DGS mérite une attention particulière et notamment les leviers lui permettant de l’acquérir (tableau 1).

15Contrairement au secteur privé, il est évident que la légitimité du dirigeant public ne peut être acquise par la possession en totalité ou en partie d’actions ou de patrimoine de l’organisation, c’est-à-dire par la détention d’un pouvoir de propriété (Petit et Mari, 2009). En revanche, elle peut se construire dans leur relation avec les élus: ce sont bien les élus qui sont responsables du pilotage de l’action publique et qui nomment les dirigeants pour la mettre en œuvre. En effet, en s’engageant étroitement dans une position charnière entre l’administration et le maire, le DGS se place en situation de politiser la fonction (Roubieu, 1999) tout en restant subordonné aux intérêts stratégiques du maire (Desmarais, 2008) ; cela peut être constaté non seulement au sein des communes, mais également dans l’intercommunalité (Le Saout, 2009). Nous nommerons ce levier la légitimité politique par procuration.

16Par ailleurs, son pouvoir d’expertise (Petit et Mari, 2009), sa compétence scientifique et technique (Laufer, 1996, 36) en matière de gestion communale rend le DGS peu contestable devant les élus. La connaissance des procédures et des règles qui régissent la conformité des actes publics ainsi que la maîtrise des savoirs et savoir-faire confèrent une légitimité d’expertise à la profession (Roubieu, 1999).

17Cette dernière est d’autant plus nécessaire que la légitimité structurelle (liée à la position hiérarchique, Petit et Mari, 2009, Laufer, 1996) est affaiblie depuis les lois du 26 janvier 1984 et du 13 juillet 1987: elle fait de l’emploi du DGS une fonction dont les occupants ne bénéficient plus de la protection accordée aux autres personnels des services municipaux. Cependant, le développement de la nouvelle gestion publique et la mise en œuvre de la LOLF peut nuancer ce constat: les DGS jouent en principe un rôle de plus en plus actif, en tout cas tel que le prescrit la loi (Desmarais, 2008).

18D’autres stratégies de légitimation peuvent être mobilisées et en particulier le leadership (Petit et Mari, 2009) ou le charisme (Laufer, 1996), c’est-à-dire la capacité d’influence liée à la personnalité et aux comportements du DGS. Leur capacité de rassemblement, de mobilisation des compétences internes et externes, de mise en synergie des acteurs et de création d’un climat de confiance leur procure une légitimité de leadership dans la mise en œuvre des stratégies urbaines (Favoreu, 2001).

19Le manager public peut développer un comportement relationnel notamment en externe au travers des services personnalisés rendus aux administrés (Roubieu, 1999). En interne, l’évitement du face à face dans l’univers bureaucratique public ferait place à une image de manager homme de réseau (Desmarais et Abord de Chatillon, 2008) lui permettant de fonder une légitimité de réputation (Pichard-Stamford, 2000) ou de prestige (Petit et Mari, 2009).

20Enfin, la référence à des situations déjà connues ou à d’autres acteurs est de nature à leur conférer ce que nous nommerons une légitimité mimétique. Les pratiques du DGS peuvent ainsi être influencées par des filières parallèles externes (Lamarzelle, 1997) à l’instar des dirigeants d’autres communes par le biais de l’intercommunalité, ou de responsables du monde économique par le biais des CCI, du patronat local. Ce sont des stratégies d’imitation d’organisations prestigieuses et de pratiques qui ont montré leur efficacité dans le passé (Pichard-Stamford, 2000). Cette dernière se renforce par le recours extensif aux évaluations externes pour obtenir une légitimation réputée plus objective de leurs politiques (Durat et Tourmen, 2006). Il s’agit de répondre de manière pragmatique aux attentes de performance des acteurs ou de manière symbolique aux valeurs sociales (Ashforth et Gibbs, 1990).

21Tableau 1 – Leviers de la légitimité transposables au secteur public

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23Le tableau 1 synthétise les différents leviers susceptibles d’être actionnés par les DGS, à l’articulation de la légitimité organisationnelle et individuelle, qui seront mis à l’épreuve dans l’étude empirique.

2. Méthodologie de l’étude empirique

24L’étude empirique est basée sur un pluralisme méthodologique (2.1) qui reste cependant qualitatif au travers d’observations et du recueil de traces et de discours (2.2).

2.1. Le pluralisme méthodologique

25La complémentarité des outils de recueil de données était nécessaire pour rendre premier l’objet à connaître plutôt que les méthodes elles-mêmes. Les contraintes qui en découlent sont fortes, mais plus l’objet est complexe, plus le recours au pluralisme méthodologique se justifie. Quelques points fondamentaux sont à souligner :

26• Les situations étudiées sont celles de dirigeants et non de l’encadrement : seuls les titulaires des fonctions de direction entrent dans le champ de la recherche ;
• L’objet est l’activité des dirigeants, appréhendée à partir des actions que ceux-ci conduisent dans leurs contextes de travail ;
• Un relevé de « traces » des actions est fait (enregistrement, observations, documents).

27La méthode de modélisation retenue est inductive et comparative, les hypothèses émergeant de la recherche et le modèle se composant au regard du matériau au regard des théorisations existantes (Quivy et Campenhoudt, 1995). Le cadre conceptuel issu de la littérature a permis d’interroger de manière itérative l’analyse des données recueillies pour en valider la pertinence sans constituer un dispositif hypothético-déductif. Dans cette recherche qualitative, la finalité a été de comprendre les significations que les individus donnent à leurs propres expériences. Signification et interprétation sont donc élaborées dans les interactions sociales où les aspects politiques et sociaux affectent les points de vue des acteurs.

2.2. Les dispositifs méthodologiques

28Pour chaque dirigeant, le recueil de données a porté sur :

29• Le contexte et l’exercice de l’activité du dirigeant dans leurs évolutions ;
• La trajectoire du dirigeant (expérience, choix de carrière, incidents…) ;
• Les représentations du dirigeant relatives à son activité ;
• L’exercice effectif de l’activité ;
• L’identification des actes de direction par le dirigeant et le chercheur.

  • 3 Droit et sciences politiques surtout mais aussi gestion (1) et économie (1).
  • 4 Institut National des Études Territoriales, au sein du Centre National de la Fonction Publique Terr (...)

30L’échantillon est composé de 25 dirigeants membres de Direction Générale (directeurs généraux des services, directeurs généraux adjoints, ‘DGS’ et ‘DGA’) qui sont le cœur de cible de la recherche au motif de leur participation au comité de direction et de leur position en emploi fonctionnel  ; évoluant dans des collectivités territoriales de + de 80 000 habitants, leur rôle dans la conduite de l’action publique et les relations aux élus sont très comparables (tous en lien direct avec 2 à 10 vice-présidents ou adjoints au Maire), malgré la différence de niveaux d’intervention. Ils ont entre 47 et 58 ans, un niveau de formation initiale Bac + 4 ans3 et le concours d’administrateur et en sont à leur 4e au 9e poste exécutifs. Chaque DGS est entouré de 6 à 12 collaborateurs directs (DGA, chargés de mission, assistantes). Par ailleurs, 23 partenaires de leur activité (élus, cabinet, chargés de mission, secrétaire…) ont donc fait l’objet de l’enquête, afin de reconstituer la globalité de l’activité. Pour une telle enquête longue et qualitative, un échantillon de 10 collectivités paraissait idéal pour l’observation, le recueil de traces (CV, fiches de postes, organigrammes) et de discours (entretiens semi-directifs et entretiens de retour sur activité) se déroulant pendant plusieurs jours. Les DGS de 10 collectivités territoriales ont donné leur accord parmi près de 20 (de + de 80 000 habitants) approchées par l’entremise de l’INET4 (qui forme ces dirigeants). Les critères étaient de représenter l’activité dirigeante de grandes collectivités d’une région, de trois départements, de trois villes et trois agglomérations, de différentes couleurs politiques. Le tableau 2 récapitule les méthodes de recueil des données utilisées.

31Tableau 2 – Protocole de recueil de données

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33Nous avons effectué 66 entretiens semi-directifs auprès de 48 interlocuteurs pendant 28 journées d’observation de l’activité réalisées in situ. Cette recherche exploratoire n’a pas consisté en une quantification des données recueillies, mais en une sélection des extraits en rapport avec les unités thématiques pertinentes pour l’analyse. Les données provenant des différents sites ont été synthétisées sur une méta-matrice non ordonnée (tableau 3) qui rassemble des données descriptives provenant de chacun des sites (Huberman et Miles, 1991: 274). Ainsi, avons-nous croisé les différents leviers de légitimité et les réponses obtenues, afin de positionner les énoncés discursifs recueillis.

34Tableau 3 - Extrait de la méta-matrice non ordonnée

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36Nous utiliserons des extraits d’entretiens en spécifiant le statut du locuteur (DGS: directeur général des services ; DGA: directeur général adjoint ; Aut Terr: autorité territoriale, c’est-à-dire chef de l’exécutif politique), ainsi que le repérage des collectivités (A, B, C, D…).

3. Les résultats

37Au regard du cadre conceptuel proposé (tableau 1), les résultats de recherche montrent, dans un premier temps, que les deux premiers leviers (pouvoir structurel, pouvoir de prestige) sont peu ou pas mobilisables (3.1). Puis que le pouvoir d’expertise est enserré dans des contraintes fortes (3.2) et s’appuie sur le mimétisme au milieu pour influencer les choix. Nous présenterons également le levier qui nous semble déterminant dans le contexte territorial, à savoir le leadership, et ses modalités très particulières (3.3). Enfin, nous évaluerons la légitimité politique par procuration à savoir celle octroyée par le chef de l’exécutif politique au dirigeant territorial (3.4).

3.1. Des leviers classiques à relativiser

38Les déterminants traditionnels à l’œuvre dans les entreprises que sont le pouvoir structurel lié à la position hiérarchique, et la réputation semblent peu opérants dans le contexte de l’administration publique.

La légitimité par la réputation

39La légitimité par le prestige tirée de la réputation du dirigeant au travers de l’appartenance à des réseaux professionnels existe bien dans la fonction publique territoriale et fonctionne comme activateur lorsque le dirigeant est en recherche de poste. Selon Pigé (1998), tout dirigeant cherche à accroître son capital social par la constitution de réseaux relationnels, ce qui produit des effets bénéfiques pour l’entreprise (performances commerciales et coordination interne-externe). Ces comportements ont d’autant plus d’importance que l’on se souvient que les membres des équipes de direction auront à gérer leur propre replacement (il ne s’agit pas de mutation comme dans la fonction publique d’Etat): dans ce contexte, il est préférable d’acquérir et de conserver des ressources sociales réutilisables, et la réputation en fait partie. Précisément, l’attention portée à la constitution de son propre capital social nous a semblé être prégnante, particulièrement auprès des directeurs les plus expérimentés.

40Le capital social demande à être entretenu et structuré pour jouer son rôle ce qui représente un coût et une motivation particulière. Hirschleifer (1993) évoque la stratégie du dirigeant d’accroître et maintenir sa réputation de compétence managériale dans l’intention de valoriser son capital humain sur le marché des dirigeants pour obtenir un poste plus intéressant dans une autre entreprise. Cette stratégie est effectivement observable dans la fonction publique territoriale.

41Ce comportement semble d’autant facilité que la nature même des fonctions managériales invite le directeur des services et ses adjoints à être des agents de liaison entre différents partenaires dans et hors de l’organisation. Cette stratégie de maximisation du capital de réputation est compatible avec l’efficacité de l’organisation (Charreaux, 1996). Ainsi un dirigeant peut-il être impliqué sur des thématiques précises et être fer de lance régionalement ou même nationalement, ce qui l’identifie comme spécialiste (en menant une expérimentation sur la mutualisation des services entre ville et communauté de commune, ou sur la question de la territorialisation des services d’un conseil général, pour prendre des exemples actuels). Les DGS observés ont fait référence à cette pratique qui consiste à établir des relations avec des personnes qui peuvent potentiellement apporter une aide pour sa carrière ou son travail, en appartenant par exemple à des réseaux intra-territoriaux (par domaines d’activités ou type de collectivité), des associations professionnelles (par statut ou métier) ou des syndicats.

42Nous devons néanmoins nuancer l’effet de levier sur la légitimation intra-organisationnelle. Si la réputation des dirigeants territoriaux joue lors du recrutement voire de l’attribution de son régime indemnitaire, ainsi les dirigeants rencontrés font-ils état de la mise en avant de leurs expériences spécifiques de pilotage de projet et de responsabilités dans les réseaux, elle peut être mise sous le boisseau lors de son activité managériale interne. Pourquoi? Nous y voyons deux raisons: la première, c’est que le DGS est recruté par le seul chef de l’exécutif politique (le maire ou le Président), et non par les autres élus (mêmes adjoints ou vice-présidents) qui ne connaissent qu’approximativement le parcours du nouveau DGS ; la deuxième, du fait de la très grande disjonction des réseaux professionnels des fonctionnaires territoriaux d’une part et de la sphère politique (qui par définition, mis à part les chefs de l’exécutif qui ont une longue carrière d’élus, ne sont pas des professionnels des politiques publiques) qui ont leurs propres réseaux (partis, type de collectivité, région, associations etc.). Les élus de second rang semblent ignorer de ce fait à la fois la nature des compétences de leurs dirigeants et la valorisation que ceux-ci peuvent avoir acquis en termes de réputation professionnelle sur le marché du travail interne.

43Le haut niveau de formation des postulants, la réussite aux concours, leur expérience préalable, leur sensibilité politique (inférée de l’appartenance des Maires ou Présidents avec lesquels ils ont travaillé) ne semblent pas permettre aux dirigeants d’acquérir la crédibilité nécessaire à leur action. Ces facteurs pourtant décisifs dans leur recrutement par l’autorité territoriale et souvent considérés comme probants dans d’autres sphères socio-professionnelles, paraissent insuffisants dans celle-ci. Le prestige apparaît comme un faible attribut de la légitimité pour les dirigeants territoriaux.

La légitimité par le pouvoir structurel

44Le cas du pouvoir structurel liée à la position hiérarchique qui a été attribué au dirigeant est particulier. On pourrait penser spontanément que la légitimité de l’action est acquise a priori par les dirigeants dans leur rôle d’application des politiques publiques. La réalité est plus complexe et nos observations distinguent le type d’interlocuteurs du DGS, à savoir les services ou les élus. Voyons les enjeux avec ces deux types d’interlocuteurs.

45Le DGS a à interagir constamment avec les élus, mettant en œuvre le projet de mandat proposé lors des élections. Or, ceux-ci montrent une propension au doute et à la suspicion vis-à-vis des dirigeants territoriaux. Son statut au sommet hiérarchique de la collectivité ne paraît pas lui garantir de reconnaissance de facto. Il est courant que l’équipe politique nouvellement élue et leurs collaborateurs expriment de la défiance envers les responsables administratifs (tableau 4), pourtant choisis par le chef de l’exécutif.

46Tableau 4 - Verbatim sur la légitimité par le pouvoir structurel

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48La collaboration entre sphère administrative et sphère politique n’est donc pas acquise d’emblée et la confiance n’est pas offerte au dirigeant par sa simple position hiérarchique. Cela demande au DGS d’avoir une vision claire de la relation non seulement avec le chef de l’exécutif (le Maire ou Président) mais également avec les autres élus, les adjoints, et cela crée la nécessité d’organiser celle-ci: « c’est pas simple, et eux (les élus), par définition, se plaindront toujours de ne pas avoir assez de pouvoir par rapport au couple Maire-DG, puisque aussi le DG contrôle sa direction générale de telle manière que eux ne puissent pas faire leurs petites affaires en direct avec les DGA, donc tout ça c’est un peu, c’est toujours une dialectique compliquée » (Maire d’une ville moyenne).

49Vis-à-vis des salariés et collaborateurs, ce pouvoir fondé sur la position hiérarchique joue cependant son rôle, mais là aussi, il faut tempérer le constat ; en effet vis-à-vis des collaborateurs internes le statut du DGS n’est pas déterminant de sa capacité à entraîner un engagement dans l’action de ses troupes. Pour certains fonctionnaires, la temporalité limitée et le marquage fort de la relation du DGS au Maire ou Président en fait un acteur éphémère voire politisé. Ce qui peut jouer dans deux sens: le fonctionnaire, lui-même citoyen et électeur peut ne pas partager les options de l’équipe politique en place. Mais aussi, il peut considérer le Maire ou Président comme vrai patron de l’administration, ambiguïté volontiers entretenue par certains élus, occultant ainsi le rôle du directeur des services, ce qui fait peser une certaine réticence face aux injonctions des dirigeants qui peut occasionner freins et résistances diverses au plan organisationnel. Le DGS a donc à effectuer de différentes manières un travail constant de construction de sa légitimité managériale, vis-à-vis des élus comme du personnel de la collectivité.

50« La légitimité interne du dirigeant peut se définir comme l’autorité qui lui est attribuée par les autres membres de l’entreprise » selon Pichard-Stamford (2000), mais l’acceptation de l’autorité n’est jamais univoque. Dans le contexte de la fonction publique territoriale, la construction de la légitimité interne et externe du dirigeant est un objet à part entière de son activité, et non pas un donné.

3.2. Deux leviers complémentaires : expertise, mimétisme et validation externe

51Le pouvoir d’expertise du dirigeant lié à sa compétence et sa capacité à contribuer à la performance de l’organisation. La légitimité par l’expertise dépend des champs d’action dans lesquels les dirigeants peuvent évoluer, or ils ne sont pas maîtres de la détermination de leur territoire d’action. En effet, les interventions des élus peuvent être très intrusives dans l’activité des dirigeants (Lamarzelle, 1997 ; Durat, 2007). Deux domaines permettent largement aux dirigeants territoriaux d’exercer leur pouvoir d’expertise: les finances de la collectivité, avec leur retentissement sur la fiscalité du territoire, et le cadre légal et réglementaire dans lequel doit se situer toute politique publique territoriale (tableau 5).

52Tableau 5 - Verbatim sur la légitimité d’expertise

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54Ces périmètres d’action sont d’autant plus investis que les élus sont rarement des spécialistes des subtilités de la comptabilité publique ou des contraintes juridiques. Les dirigeants exercent pleinement dans ces deux domaines leur pouvoir d’expertise. Les dirigeants territoriaux s’autorisent à soutenir un conflit portant sur ces éléments financiers et juridiques, alors qu’ils usent d’une influence beaucoup plus indirecte pour d’autres questions sensibles. Mais les périmètres de l’activité des Directions générales ne sont jamais étanches à celle des élus et par conséquent, leur expertise dans d’autres cas est remise en question ou tout simplement subordonnée à d’autres dimensions de la décision privilégiées par les élus.

55Le contexte de l’action territoriale est lui-même porteur de nombreuses ambiguïtés quant au rôle des acteurs dans le jeu. Les élus qui interagissent avec les fonctionnaires (nous nous en tenons ici à ceux disposant d’une responsabilité: adjoints ou vice-présidents), tiennent leur légitimité des élections et de la délégation d’une des parties des fonctions de la collectivité par l’assemblée délibérante qui s’exerce sous la responsabilité du chef de l’exécutif. Ce sont donc les collaborateurs directs des Maires et Présidents. Pour ceux qui souhaitent s’investir dans leur domaine d’attribution, l’intervention directe auprès des directions est conséquente à leur volonté d’agir et de transformer les situations. La difficulté tient d’abord à ce que la distinction des tâches est assez poreuse entre la sphère décisionnelle politique et la sphère de préparation et de mise en œuvre des décisions. Le dirigeant territorial à ces niveaux d’intervention (les très grandes collectivités) est souvent amené à anticiper les dimensions politiques des projets, son expertise ne peut se réduire à sa dimension technique (tableau 6).

56Tableau 6 - Verbatim sur la dimension politique de l’intervention des DGS

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58De fait, les dirigeants prennent donc en compte la dimension politique de l’activité, mais les élus, à défaut de se positionner dans l’élaboration des orientations, tendent parfois à se substituer aux dirigeants territoriaux dans la conduite des projets (tableau 7).

59Tableau 7 - Verbatim sur la relation élus-services au sein des collectivités

60Le pouvoir d’expertise est donc enserré dans des contraintes fortes: si les dirigeants territoriaux sont bien détenteurs d’un haut niveau d’expertise dans les domaines des politiques publiques, cette expertise ne leur octroie pas une totale légitimité d’expertise. Une des stratégies de légitimation est alors d’adosser les préférences managériales à des pratiques d’autres collectivités ou à des évaluations menées par des partenaires extérieurs (tableau 8).

61Tableau 8 - Verbatim sur le mimétisme et la validation externe

62La littérature de l’évaluation montre bien que les évaluations sont insérées dans des processus stratégiques car « il s’agit bien pour celui qui pilote une évaluation, qui la commande, qui y participe ou qui en est l’objet de défendre voire d’accroître ses propres marges de manœuvre » (Demailly, 2001, p. 21). L’imitation et la validation externe ont ici un double effet: conforter les élus par l’adéquation à l’environnement, au système de normes et valeurs socialement partagé mais également limiter les risques de mise en question de l’influence personnelle des dirigeants.

3.3. Un levier occulte : le leadership invisible

63Malgré la présence sourcilleuse des élus, ou plus justement en raison de cette imbrication constante des interventions des deux types d’acteurs, le levier qui nous semble déterminant dans le contexte territorial est le leadership et les modalités atypiques dans lesquelles il est activé. On entend par leadership, la capacité d’influence que le dirigeant tire de sa personnalité et de ses comportements. Ce travail doit souvent se faire discret pour être accepté et très vigilant à ne pas concurrencer les élus dans leurs prérogatives.

64Si, dans une entreprise, le dirigeant est identifié à l’intérieur comme à l’extérieur comme responsable de la stratégie, dans une collectivité territoriale, il n’en va pas de même pour le directeur général des services dans la mesure où il n’y a pas de reconnaissance pleine et entière du rôle stratégique comme le montre le tableau 9.

65Tableau 9 - Verbatim sur la légitimité par un leadership invisible

66Les discours produits sur ce registre ne manquent pas d’ambiguïtés: un même dirigeant peut affirmer que la décision appartient à l’élu mais aussitôt revendiquer une sphère de décision, comme montrer qu’il est nécessaire que l’élu se forme (voire que le DGS le forme) mais regretter un peu plus loin que les élus soient devenus trop experts. Un autre DGS évoque les conditions idéales de décision: « c’est de pouvoir la prendre sans qu’elle vous soit attribuée », et reconnaît une vraie place au dirigeant territorial dans le processus décisionnel « c’est juridiquement faux, mais politiquement vrai ».

67Cette non-reconnaissance de son rôle stratégique peut sensiblement affecter les modes opératoires des processus décisionnels : il est question de « conseil, négociation, médiation, arbitrage, maïeutique, formation des hommes politiques » mais reste tabou tout ce qui relève de « décision», ou de « politique » ; les zones de non franchissement découlent de cette préoccupation de ménager la susceptibilité des élus - apparaissant plus formels que réels.

68Tableau 10 - Verbatim sur l’intervention des DGS dans les décisions

69Vis-à-vis des élus, la mise en place des conditions de la collaboration semble donc se faire discrètement, par la voie de la conviction et de l’influence puisqu’un rapport d’autorité, même au nom d’une légitimité d’expertise, n’est pas recevable. C’est une forme d’influence indirecte, empreinte de grandes précautions vis-à-vis des élus, mais qui ne renonce pas à exercer un vrai travail de lobbying quasi invisible et de longue haleine.

70Ainsi, il nous apparaît que le dirigeant investit temps et moyens pour tenter d’élaborer des équilibres relatifs, variables selon les situations, les ressources disponibles de ces situations, et surtout les partenaires concernés par l’action, afin de préserver autant que faire se peut à la fois la légitimité professionnelle de ses équipes, les demandes exprimées par les élus et ce qu’il juge pertinent et efficace dans son espace d’activité. Ceci a pour effet notamment de donner plusieurs espaces et plusieurs logiques de signification aux actions entreprises (Barbier, 2000, Durat, 2010). Ces équilibres éphémères sont produits par la résolution de tensions contradictoires entre demandes des élus et réponses des services.

3.4. Un levier indispensable et fragile : la légitimité par procuration

71Nous pouvons observer à travers les résultats de notre enquête le processus fondateur de la légitimité du dirigeant au sein des collectivités territoriales : l’adoubement par le chef de l’exécutif politique, Maire ou Président. Dans les propos des dirigeants (tableau 11), la qualité de la relation avec l’élu est citée comme déterminante de leur marge de manœuvre managériale : compréhension mutuelle, connivence, confiance sont les mots-clefs pour qualifier les interactions entre les deux personnes. Cette confiance nous est apparue doublement impérative, au sens où c’est la seule garantie de légitimité pour le dirigeant territorial ; mais elle doit en plus être manifestée auprès des partenaires dans l’activité pour être activée par le dirigeant territorial dans les interactions quotidiennes.

72Tableau 11 - Verbatim sur la légitimité par procuration

73

74Distinguons entre une simple délégation de responsabilité, de pouvoir, de signature (comme le pouvoir structurel pourrait en produire) qui serait donnée sur un pan d’activité ou pour une durée déterminé, et la légitimité par ‘procuration’ en ce sens qu’elle permet ou entrave toute l’activité managériale du DGS. Sans signes manifestant le soutien du chef de l’exécutif, il ne semble pas y avoir de légitimité intrinsèque à agir du dirigeant territorial. Même le doute sur la confiance peut rapidement conduire à l’empêchement d’agir et par suite, en cas de conflit, au départ du dirigeant. Les signaux, y compris faibles, du maintien ou de la dégradation du lien avec le chef de l’exécutif seront de ce fait des indicateurs de situation déterminants pour le dirigeant.

Discussion et conclusion

75L’ensemble de ces résultats nous conduit à évoquer les apports de notre recherche. Sur le plan théorique, notre recherche contribue aux rares travaux consacrés à la légitimité individuelle des dirigeants. Le cadre conceptuel proposé se trouve validé, tout en restant perfectible. Les résultats révèlent quatre leviers de la légitimité que les DGS peuvent mobiliser, mais de manière limitée : la réputation, le pouvoir structurel et l’expertise couplée au mimétisme et à la validation externe. L’étude montre un déterminant majeur dans le contexte territorial, le leadership, même s’il présente lui aussi des spécificités dans le champ particulier de l’activité observée. Enfin, nous avons identifié une légitimité par procuration, à savoir celle octroyée par le chef de l’exécutif politique au dirigeant territorial qui seule lui permet de dégager la marge de manœuvre nécessaire à l’action managériale.

76Le tableau 12 récapitulatif présente les points saillants de notre grille de lecture.

77Tableau 12 - Les déterminants de la légitimité des dirigeants publics

78

79La portée de ces résultats est bien entendu à relativiser compte tenu des limites méthodologiques de notre étude. Le nombre de sites analysés – 10 collectivités territoriales (48 entretiens) – procure une vision non exhaustive de la réalité des DGS. Une étude complémentaire quantitative sur un plus vaste échantillon serait de nature à confirmer ou infirmer nos premiers résultats. Des investigations théoriques et empiriques complémentaires permettront de définir plus largement les conditions de l’activité des dirigeants généraux des services.

80Les apports managériaux de l’étude se situent au niveau de l’identification et de la compréhension des leviers de légitimation individuelle dont ils disposent. Cependant, la mobilisation de l’un d’entre eux seulement ou, à l’opposé, de tous ces leviers simultanément serait simpliste. Il ressort de l’étude que la fonction de DGS semble être une activité de recherche constante d’équilibres, par définition instables et éphémères, d’un positionnement optimal de la part du dirigeant entre pressions et résistances. Cette recherche fait l’objet d’une négociation du champ d’action du directeur des services pris dans une double contrainte : d’une part, la volonté d’autonomie dans le périmètre d’intervention du dirigeant, mais d’autre part aussi, l’injonction à se conformer aux normes et attentes des politiques (et en premier lieu, du chef de l’exécutif) qui est une caractéristique prégnante de la fonction publique territoriale.

81Selon nos observations, toute la difficulté du dirigeant va être de conquérir une zone d’action dans le système de ces injonctions contradictoires. D’un côté, il ne peut revendiquer une autonomie totale, sans quoi il perd la confiance de l’exécutif politique ; de l’autre, sa légitimité à agir lui étant octroyée par celui-ci, il ne peut non plus complètement faire coïncider son action avec la volonté de cet exécutif, sans tenir compte de la logique structurelle de l’administration qu’il dirige, sans quoi il perd sa crédibilité managériale auprès de son équipe. Il n’a donc comme autre choix que de déterminer entre ces deux pôles sa zone de légitimité managériale en gardant comme priorité absolue la qualité de la relation avec le chef de l’exécutif.

82Ainsi, il apparaît que le travail de construction, de maintien et de conservation de sa légitimité est un objet à part entière de son activité, processus qui lui permet de jouer son rôle. Si cette légitimation est sous-estimée, elle risque d’affaiblir sa position et, à terme, de lui coûter son poste. La tension vers la reconnaissance se présente non comme une activité annexe, mais bien plutôt comme à la fois cadre et objet de l’activité du dirigeant : il se soucie en permanence d’anticiper, de détecter et d’influencer les jugements sur sa personne et ses actions par ses interventions et tactiques de présentation de soi.

83C’est en cela que l’on peut dire qu’il lui est nécessaire de construire sa légitimité professionnelle : le dirigeant doit non seulement agir mais créer lui-même les conditions de l’acceptation de son action par de multiples voies de légitimation.

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Notes

1 Que nous désignerons FPT .

2 Il est à noter que la première loi est centrée sur le statut des personnels d’encadrement et la seconde sur la formation des filières et des statuts particuliers permettant d’intégrer les agents dans les différents cadres d’emplois.

3 Droit et sciences politiques surtout mais aussi gestion (1) et économie (1).

4 Institut National des Études Territoriales, au sein du Centre National de la Fonction Publique Territoriale.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurence Durat et Marc Bollecker, « La légitimité managériale : le cas des directeurs généraux des services »Politiques et management public, Vol 29/2 | 2012, 145-165.

Référence électronique

Laurence Durat et Marc Bollecker, « La légitimité managériale : le cas des directeurs généraux des services »Politiques et management public [En ligne], Vol 29/2 | 2012, mis en ligne le 09 octobre 2014, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pmp/4865

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Auteurs

Laurence Durat

Maître de conférences, Université de Haute-Alsace,
Laboratoire LISEC EA 2310. BP 28, 68790 Morschwiller-le-Bas
Auteur correspondant : laurence.durat@uha.fr

Marc Bollecker

Maître de conférences, HDR, Université de Haute-Alsace,
Laboratoire HuManiS EA 1347, École de Management, Strasbourg

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