- 1 Une définition à la fois plus précise, générique et problématisée est proposée en Annexe 1.
1Entre 2002 et 2008, de nouvelles législations ont été introduites en France, permettant aux donneurs d’ordre publics – collectivités locales, services centraux de l’État, établissements publics de santé, ou liés aux grandes infrastructures (RFF, VNF) – de recourir à des outils de commande désignés sous le nom générique de partenariats public privé (PPP)1. Autorisant des mécanismes de préfinancement par le secteur privé, ils apportent une bouffée d’oxygène, en situation budgétaire contrainte, à l’aspect le plus visible et concret de l’action publique: l’investissement dans des bâtiments administratifs, hospitaliers, et universitaires, grands équipements sportifs et culturels et infrastructures.
- 2 Terme plus adéquat qu’AMO (assistance à maîtrise d’ouvrage), car les PPP organisent le transfert d’ (...)
2Libérant la poursuite de la « solution équipement » (Jeannot, 1998), intégrant amont (conception et construction) et aval (en étendant la prestation aux travaux d’entretien-maintenance et de renouvellement), les PPP constituent un relais d’activité et de croissance pour les industries des services délégués basés sur des grands réseaux techniques, et plus encore pour les grandes firmes de BTP – qui depuis longtemps appelaient de leurs vœux la mise en place d’outils de ce type (Campagnac, 2009). Aux côtés de ces « industriels »”, et liés à eux tant dans le montage des projets que par un intérêt commun au bon développement du « marché des PPP » (Deffontaines, 2012), banques et fonds d’investissement spécialisés dans les infrastructures ont fait une apparition remarquée. (Les banques ont certes toujours prêté aux collectivités et à l’État. Elles acquièrent toutefois avec les PPP un rôle accru et une visibilité nouvelle). Ils ne sont pas les seuls représentants du monde financier: avocats d’affaires et « professionnels du chiffre » interviennent en soutien du commanditaire – auquel on associait plus spontanément les seuls architectes ou bureaux d’études – pour une mission officiellement intitulée assistance juridique et financière à la personne publique [APP]2.
- 3 Une fidélité totale aux propos tenus par les banquiers, la MAPPP, ou les intervenants en APP financ (...)
- 4 Notre démarche, la méthodologie, l’origine et le statut des matériaux de terrain à la base de cet a (...)
- 5 Sans parler de l’hostilité des professions et acteurs proches des donneurs d’ordre et classiquement (...)
- 6 L’introduction des PPP est confusément assimilée aux ministres et parlementaires libéraux, sinon « (...)
3L’arrivée de ces consultants3 venus du monde de la finance a pu être accueillie avec méfiance. Ils seraient suspectés de contribuer à la dépossession de compétences des donneurs d’ordre, de véhiculer des normes perçues comme étrangères au secteur public et servant d’autres intérêts, voire de se constituer un marché lucratif aux frais de la personne publique… Tel est ce qui ressort des propos tenus en privé par des décideurs et personnels de la fonction publique4. Telle est, comme il apparaît souvent dans les entretiens, l’impression que les consultants retirent de leur interaction avec leurs clients. Ces critiques sont indissociables de celles formulées à l’encontre des PPP. Leur introduction, menée pour partie au nom de la « modernisation » de la commande et de la sphère publiques, et plus encore au nom du « pragmatisme » face aux contraintes budgétaires, a été reçue avec pusillanimité ou réticence5, par certains responsables de la commande publique, parfois pour des raisons politiques6, mais plus profondément en raison d’une jurisprudence non stabilisée (CGP, 2005).
4Ces réactions à l’arrivée dans la sphère de la commande publique d’acteurs qui lui sont a priori étrangers, font écho aux travaux de sociologie économique et de science politique sur les consultants, qui ont accompagné leur montée en puissance dans la vie économique et leur implication croissante dans la définition et l’outillage des politiques publiques. Un premier type de littérature, reposant sur des auto-analyses critiques menées par d’anciens consultants (Gantenbein, 1993, Villette, 2003), vise à démystifier le monde du conseil en insistant sur la dimension relationnelle et « réputationnelle » d’un secteur d’activité (plus qu’une profession au sens sociologique).excellant dans la construction de discours de légitimation éloignés des pratiques réelles – qui pour être analysées avec acuité nécessitent une connaissance « de l’intérieur » des organisations. (Pour une sémantique moins polémique: Berrebi-Hoffmann, Lallement, 2009). D’autres travaux s’intéressent aux consultants dans la diffusion des principes du New Public Management, et interrogent leur rôle comme vecteur de la « modernisation » – entendre “libéralisation” dénaturante? – du secteur public et des politiques publiques (Saint-Martin, 1999, 2002, 2006). Ils soulignent la naturalisation de l’idée selon laquelle « l’importation d’outils de gestion et de modèles d’organisation issus du privé, d’un discours managérial vécu comme réformateur et moderne » serait synonyme d’adaptation et de progrès de la gestion publique (Berrebi-Hoffmann et Broussard, 2005, Berrebi-Hoffmann, Grémion, 2009). La réforme permanente y est identifiée comme un nouveau marché pour le conseil (Dezalay, 1993, Abiker, 1996).
5Stimulée par la confrontation de ces approches avec le résultat des entretiens et des observations menés auprès de consultants en « représentation » et en action, cette contribution interroge l’intervention en APP, autour de PPP eux-mêmes controversés, de professionnels issus du monde financier, a priori étrangers à la commande publique. Dépassant les discours polémiques de critique ou de promotion, ce papier articule la technicité de l’objet PPP et les fonctions des consultants en APP, pour soutenir que l’intervention de ces consultants ne trouve pas sa seule justification dans l’expertise technique « dure », consubstantielle à la mission officielle d’APP, et à la mission implicite d’élévation de la compétence économique des donneurs d’ordres. Leur présence même en encadrement du client public, à toutes les phases de la procédure, et leur mission pédagogique de transmission fine de normes, servent un objectif qui dépasse ceux du client: le « bon développement du marché des PPP », auquel veille une coalition d’acteurs publics et privés.
6Une fois présentée l’identité des consultants, indissociable de la réflexion sur leur intervention (1), est abordée la raison de leur présence, inscrite dans requise par la complexité les modalités de régulation des PPP (2). Cette mission ne se limite pas à la mise au service du donneur d’ordres de l’expertise technique accumulée par les consultants… ce faisant, elle rassure le secteur de l’offre. En dernier lieu est fin interrogé le sens de cette intervention (3), à travers l’examen de ses modalités pratiques: la modernisation de la commande publique à laquelle participent les consultants ne se limite pas au déploiement d’outils (imposé par la nature même des PPP) propres au secteur financier: la technicité des outils est telle qu’il y a transfert des tâches effectives aux consultants, tandis que l’interaction leur permet aussi de relayer certaines des exigences du monde financier.
- 7 Freshfield, Lovells, Clifford Chance, Allen & Overy, Norton Rose, Landwell… pour la partie juridiqu (...)
7Que de grands cabinets à consonance anglo-saxonne7, spontanément associés au monde des affaires et de la finance, interviennent aux côtés de l’État, des hôpitaux, ou des collectivités lors de la procédure de passation des contrats de PPP, mérite attention.
- 8 Seront laissés de côté les avocats d’affaires, entendus comme les professionnels qui travaillent ha (...)
8La typologie des consultants financiers en APP8 ici proposée s’intéresse principalement au cœur emblématique de ce “marché”, les cabinets d’audit. Par un examen de l’identité et du parcours de ces firmes et de leurs employés vers les PPP, sont nuancés certains présupposés relatifs à leur identité anglo-saxonne ou leur apparente extériorité à la commande publique.
9En fonction de la taille des projets (qui détermine la complexité du montage et des financements), trois types de structures peuvent intervenir aux côtés de la personne publique pour la partie financière :
10• En amont du lancement de grands projets (e.g. le programme de prisons), en APP sur de plus petites opérations, des équipes venues de banques d’affaires ou des départements « banque d’investissement et de financement » de banques universelles ou spécialisées dans les collectivités (HSBC, Société Générale, DEPFA, Dexia…) ont pu, à la création des PPP, conseiller la personne publique. Ces missions a priori antagonistes à leur métier naturel, situé du côté privé – prêter, éventuellement investir en fonds propres et conseiller au montage – présentaient une logique d’apprentissage et d’acquisition de références. Actuellement, les banques sont encore impliquées en APP sur les projets les plus lourds en termes de financement, les plus prestigieux aussi, souvent liés aux infrastructures (LGV): pour ce type d’opérations, les donneurs d’ordres cherchent de bons connaisseurs des marchés financiers.
- 9 La taille des projets est jaugée à l’aune du montant d’investissement de l’équipement. Les honorair (...)
- 10 La littérature sur les « agents de l’économie » (Montlibert, 2007) se focalise souvent sur ces prof (...)
11• Le « cœur » du marché de l’APP, axé autour de projets allant de quelques dizaines à quelques centaines de millions d’euros9, revient aux « supermarchés du conseil » (Henry, 1993) que sont les multinationales de l’audit, surnommées “Big 4”10, suivis par des cabinets de taille moyenne (répliquant en cela la double sphère de l’audit).
12• Parfois fondées par d’anciens banquiers ou consultants venus des « Big 4 », plusieurs « boutiques » proposent du conseil à la personne publique: cabinets spécialisés par secteur qui associent conseil financier à d’autres éléments de pilotage de la procédure et de conseil en organisation; petits cabinets de conseil financier « pur »; spécialistes du conseil aux collectivités pour la passation des contrats de PPP et de DSP (comme le cabinet SP2000, structure associative fondée par l’Association des Maires de France et la FNCCR – Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies). Le marché de ce conseil à moindre coût est essentiellement celui des projets de taille réduite menés par les collectivités locales et hôpitaux.
13La mise en scène de l’offre de cabinets regroupant plusieurs milliers de comptables, auditeurs, fiscalistes, et autres consultants financiers, véhicule l’image d’organisations fortement structurées et monolithiques, vecteurs d’un capitalisme anglo-saxon uniformisateur: le parcours de ces firmes et de leurs employés dans les PPP dessine un tableau plus nuancé.
14La présentation des PPP, dans les documents de promotion, comme une « ligne d’activité » à part entière, distinguant entre types de clients et secteurs, masque pourtant des organisations moins développées que leurs consœurs britanniques. Quand les équipes PPP des cabinets portant même nom à Londres peuvent compter jusqu’à une centaine de personnes, les effectifs dédiés des bureaux parisiens en comptent rarement plus d’une dizaine. Le décalage d’expérience, de taille et de maturité des PPP britanniques aurait pu militer pour un transfert d’expertise plus ou moins direct depuis la « City ». Divers obstacles s’y opposaient, ainsi qu’il apparut lors d’entretiens menés auprès d’associés de deux grands cabinets d’audit, eux-mêmes spécialistes du financement de projet à Londres et Paris, mais qui reconnaissaient n’avoir pas réussi à imposer leur équipe londonienne sur le marché français quand celui-ci se structurait, entre 2004 et 2007 :
• la faible intégration internationale des « Big 4 », qui sont des partenariats entre entités nationales partageant nom, image et normes de qualité, et non des firmes coordonnées hiérarchiquement;
• les spécificités techniques: l’expérience acquise sur les montages financiers aux « transfert de risques ambitieux » des PFI, confiant un périmètre étendu de services au privé, est de peu d’utilité pour les PPP français, souvent limités au paiement pluriannuel d’un équipement, tandis que le droit administratif français et la documentation interdisent de fait l’APP aux non francophones;
• les taux horaires élevés des consultants britanniques, incompatibles avec les usages des clients publics français;
• la sensibilité politique du sujet, qui interdit de donner le signal exact ou erroné, mais répulsif, que le PPP serait un produit anglo-saxon, et donc de mettre des consultants de la City face à des donneurs d’ordres publics français.
15Seule une poignée d’anciens banquiers venus du project finance, ont réussi à faire valoir leur expérience acquise à Londres sur les plus grosses opérations de financement de projet. Plus généralement, rares sont dans cette activité les transfuges de la banque d’affaires (mais aussi, a contrario, de la haute fonction publique) Avant d’acquérir sa dynamique propre, le conseil financier en PPP a été principalement développé en s’appuyant sur des équipes venues de l’audit des firmes de BTP et de utilities, du financement de projet, du conseil au secteur public (audit de collectivités, évaluation de politiques publiques), du conseil en immobilier, des due diligence de transactions. Le cheminement singulier de chaque cabinet d’audit vers le conseil en PPP s’explique par le parcours des « entrepreneurs institutionnels » (Greenwood, Suddaby, 2006) que sont les associés, qui ont voulu ajouter cette activité à leur offre par motivation personnelle plus que par injonction hiérarchique (ce qui a pu aboutir à la présence transitoire de doublons au sein de certains cabinets).
16De par leur parcours professionnel antérieur, les consultants financiers intervenant en APP ne sont donc pas complètement exogènes au monde de la commande publique. Pour autant, en dépit des hiérarchies symboliques qui divisent ce milieu en fonction de la taille des projets, ces consultants sont largement issus du monde de la finance, dont ils partagent le plus souvent les valeurs et représentations (Deffontaines, 2012). Ce constat renforce le questionnement sur les raisons et conséquences de leur présence en APP.
17La nécessité, pour la personne publique envisageant de recourir à un contrat de type PPP, d’être assistée par des experts extérieurs est proclamée aussi souvent que possible par les acteurs liés au développement de ce mode de commande publique afin de réunir les « compétences multiples à un haut degré d’expertise » requises pour les phases cruciales que sont l’évaluation préalable, l’attribution des contrats, et la contractualisation proprement dite (adresse de la MAPPP, juin 2009).
- 11 Cette section procède de notre analyse des liens entre technicité des modes de régulation des PPP e (...)
18Ce point du raisonnement vise à expliciter les raisons pour lesquelles la présence de consultants – et de ces consultants-là – est souhaitée pour qu’ils apportent leur expertise sur une mission inscrite dans les trois strates de régulation des PPP. Simultanément, une lecture plus complexe est proposée, insistant sur le rôle de réducteurs de risques des consultants au service du secteur de l’offre, et au-delà, du marché des PPP, autant que du client public11.
- 12 L’évaluation préalable est un impératif pour les CP et certains autres types de PPP (BEA, AOT-LOA) (...)
19Le recours au PPP est juridiquement fragile. Pour s’accommoder des exigences du Conseil Constitutionnel qui y voyait une menace pour les principes de la commande publique, les concepteurs de l’ordonnance du 17 juin 2004 portant création des contrats de partenariat [CP] ont consenti à en faire un outil dérogatoire, dont le recours doit être justifié ex ante par une « évaluation préalable » [EP]12. Aux termes de l’ordonnance, doivent « apparaître les motifs de caractère économique, financier, juridique et administratif qui conduisent […] à engager la procédure de passation [d’un CP] ». Sur cette base le juge administratif pourra, lors d’une éventuelle régulation ex post, apprécier la licéité du recours au CP.
20L’EP peut exiger une expertise purement juridique. Le recours au CP est autorisé s’il est démontré que, « compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n’est pas objectivement en mesure de définir seule et à l’avance les moyens techniques répondant à ses besoins, ou d’établir le montage financier ou juridique du projet » ou si « le projet présente un caractère d’urgence, lorsqu’il s’agit de rattraper un retard préjudiciable à l’intérêt général affectant la réalisation d’équipements collectifs ou l’exercice d’une mission de service public, quelles que soient les causes de ce retard, ou de faire face à une situation imprévisible ». La rédaction de ces motifs peut paraître de pure forme; elle doit néanmoins être rigoureuse. La personne publique peut difficilement s’y risquer seule.
- 13 Loi 2008-735 du 28 juillet 2008 portant modification de l’ordonnance n°2004-517 créant les CP.
- 14 Il y a pourtant un réel paradoxe à évaluer ex ante les coûts, alors que l’un des principes mêmes de (...)
21La loi de juillet 200813 a ajouté une justification économique comparative, alternative aux critères susnommés: le bilan coûts-avantages. Impliquant de démontrer la supériorité économique du recours au CP sur la MOP, cette démarche a été expérimentée en Grande-Bretagne en mettant en regard le coût global d’un projet mené en PPP avec un Public Sector Comparator estimant le coût du projet mené de manière classique. Critiquée comme exercice de légitimation par les opposants aux PPP, l’EP suscite l’engouement des économistes (Marty et Voisin, 2008, Blanken et de Wulf, 2009, Ménard, Oudot, 2009) et des partisans du NPM. Elle nécessite la construction ex ante de modèles en coûts complets pour mettre en évidence la solution la plus avantageuse14… Peu de donneurs d’ordres publics peuvent se risquer seuls à cet exercice (relativement) technique mais lourd d’enjeux. De manière révélatrice, la MAPPP a élaboré un « modèle » (tableur Excel) comparatif mis à disposition des personnes publiques, mais recommande néanmoins le recours à des experts rôdés à l’exercice.
- 15 C’est arrivé en 2008 quand le Tribunal Administratif d’Orléans a annulé l’un des premiers CP, porta (...)
22Au-delà de l’EP, le risque sur la procédure est partagé par tous les types de PPP. En sus de mauvais attendus de cette justification formelle ex ante, ou d’un recours inapproprié à une forme juridique de PPP (AOT-LOA, BEA…), la régulation ex post par le juge administratif peut sanctionner une procédure d’attribution viciée. Or, plus que des groupements candidats lésés, les adversaires du PPP (architectes, syndicats de petites entreprises du BTP), rechercheront à compromettre une opération sur des motifs juridiques15.
23La technicité des attendus de la justification du recours au PPP impose donc à la personne publique, peu expérimentée, de s’entourer de consultants juridiques et financiers pour atténuer le risque de requalification ou d’annulation. La matérialisation d’un tel risque, il faut le souligner, serait au moins aussi dommageable pour le cocontractant privé que pour le donneur d’ordres public et nuirait à tout le développement des PPP et du marché des PPP.
- 16 Une critique formulée à l’encontre de l’EP, a fortiori quand il est fait appel à des consultants in (...)
- 17 Là où l’urgence s’impose, le donneur d’ordres pourra recourir à un appel d’offres simplifié, mais c (...)
24Si le résultat de l’EP est favorable au PPP16, celle-ci débouche, le plus souvent, pour les consultants juridiques et financiers, sur une mission d’assistance pour la procédure d’attribution du contrat – le mariage du PPP et de la mise en concurrence permettant de « concilier l’inventivité de la finance moderne avec ce qui représente aujourd’hui un modèle unique de transparence et de contrôle: l’appel d’offres au meilleur prix » (du Marais, 2004, p.445). Le régime normal de passation des CP est une procédure appelée dialogue compétitif [DC], où les offres des groupements présélectionnés, censées répondre au programme fonctionnel de besoin, sont étudiées séparément mais comparées, et évoluent grâce aux orientations du commanditaire public17.
25Le DC exige une expertise à même de percevoir les enjeux techniques des offres, mais aussi d’animer une phase d’attribution concurrentielle, de la rédaction des pièces du dossier (avis d’appel à concurrence, règlement de consultation) au maintien de la tension compétitive pendant cette procédure, en utilisant toutes ses ressources sans toutefois la faire basculer dans l’illégalité. Compétence juridico-économique de traduction des besoins en documents de consultation et d’analyse des offres, et compétence « économique » de marché, forgées par l’accumulation d’expérience, ne peuvent se trouver chez un donneur d’ordres dont les équipes verront tout au plus quelques PPP au cours de leur carrière.
- 18 Les membres des groupements y engageront des centaines de milliers voire plusieurs millions d’€.
- 19 Par ailleurs constitués en groupements, effort qui réduit mécaniquement la densité de l’offre.
- 20 La MAPPP et les acteurs privés des PPP mettent en garde, de manière récurrente, contre les risques (...)
26Les possibilités du DC doivent être exploitées pour obtenir le meilleur des candidats, tant sur le contenu que sur le prix. Encore faut-il créer suffisamment de concurrence. Or le coût de fabrication d’une offre18 est tel qu’entreprises et banques19 ne se risqueront pas sur une procédure qu’elles pressentent fragile ou biaisée, où pourrait être malmenée par exemple la confidentialité des offres et l’égalité entre candidats20. Avant de prendre la décision de s’engager dans une procédure fortement consommatrice de ressources internes, elles voudront s’assurer qu’un nom reconnu assiste la personne publique.
27Cette observation valable pour chaque opération l’est pour tout le marché. Le risque n’est pas tant qu’un candidat malheureux recoure au contentieux – au risque de jeter le discrédit sur les PPP dans leur ensemble – mais que des projets ne suscitent pas une concurrence soutenue, nuisant ainsi au marché tout entier, et contredisant l’idée que les mécanismes de PPP amélioreraient la performance de la commande publique. La procédure concurrentielle, outil central de régulation, requiert donc que la personne publique mobilise à ses côtés des consultants qui lui feront bénéficier de leur maîtrise des subtilités de la procédure, mais tout autant de leur crédibilité.
28L’expertise apportée par des consultants aguerris est essentielle pour évaluer et formaliser les contrats qui organisent la gouvernance économique sur la durée de vie des projets.
29Le groupement privé, cocontractant potentiel de la personne publique, sera financé par des banques qui prennent leurs garanties sur l’économie du projet (exempt du risque de fréquentation pesant sur les DSP) et auprès de la personne publique: aux éventuelles pénalités près (pour retard ou insuffisance de qualité du service), le flux de revenu est assez prévisible. Reflétant les obligations liant le porteur du projet et le commanditaire public, un nœud de contrats privés entre les membres du consortium privé organise la gouvernance économique du projet. Des contrats « miroirs » (back-to-back), reportent les obligations définies par le client sur les sous-contractants (constructeur, mainteneur…) de la société de projet, fixant les règles des paiements et pénalités. Cet ensemble met en place un écheveau de répartition des risques et responsabilités, entre des membres soudés par l’intérêt de remporter les projets, mais aux intérêts divergents et aux temporalités diverses. D’où un « bordage » contractuel inspiré par la tradition de common law qui, pour ne rien laisser au hasard, produit des documents d’un volume sans précédent très différents de ceux des DSP (facilement modifiables par des avenants et obéissant à une jurisprudence stabilisée). L’ensemble des contrats est gros de plusieurs centaines ou milliers de pages. Les éléments de cette structure de gouvernance économique et financière sont ébauchés par les APP en amont du DC (par un cahier des charges voire un projet de contrat, modifiable par les candidats, qui organise notamment la définition des performances, les dispositifs de contrôle et de pénalités, la matrice des risques), et évalués lors de celui-ci pour chaque candidat. La grande complexité des propositions de contrats remises par les candidats, formalisant l’information économique et financière, explique le rôle essentiel que vont jouer les consultants, en amont de la procédure concurrentielle, puis pour choisir parmi des offres concurrentes.
30Les offres doivent être comparées, et les expertises juridiques, comptables, fiscales, économiques, financières (économie et montage financier des offres) – en coordination avec l’expertise sur la dimension technique de l’équipement lui-même, maîtrisée par le client public ou confiée à des bureaux d’études – sont mobilisées de la conception du cahier des charges au DC puis à la signature définitive des contrats avec le candidat retenu. Cette dernière phase, dite de closing, est en réalité le théâtre d’un face-à-face entre l’APP et le mandataire, entouré de ses propres conseils. Le recours à des consultants chevronnés est d’autant plus nécessaire que sans eux, l’asymétrie de compétences jouerait en faveur des groupements privés, possédant leurs propres experts internes et externes rompus à la complexité contractuelle, au travestissement des coûts, et aux techniques du financement de projet.
31Mais lors de la procédure de sélection de l’attributaire, et de la finalisation du contrat lui-même, la personne publique n’est de nouveau pas la seule à protéger: les consultants veillent également à modérer ses exigences de transfert de risques vers le privé. La présence de consultants connus dans le milieu exerce ainsi un effet signal pour les candidats potentiels. Dans cette étape de construction de l’architecture de régulation, les consultants travaillent pour leur client, mais aussi, en maintenant l’intérêt du secteur privé pour ce marché, pour un « intérêt général » qui serait le bon développement des PPP.
32Requis comme experts, les consultants font également œuvre de pédagogie, dans la phase actuelle de développement des PPP. Pourtant leur présence en APP est structurelle. Alors que la confrontation avec cette forme de commande complexe devrait rester exceptionnelle dans une carrière de donneur d’ordres, la personne publique, sinon chez les principaux établissements publics et ministères à système de décision centralisé (RFF, Défense, Justice), n’a pas les moyens pour développer en interne ces compétences basées sur la récurrence des opérations. De surcroît, la circulation des profils joue en sa défaveur: les fonctionnaires qui développeraient cette compétence technique peuvent être débauchés par une autre collectivité, voire le secteur privé, aux rémunérations plus attractives, comme cela est parfois exprimé crûment :
« Il y a très peu de techniciens dans le milieu public, et surtout de techniciens de la finance. Aujourd’hui, un spécialiste de ce marché qui travaille dans une banque, ou chez un constructeur, je ne le vois pas aller travailler dans une collectivité, où il ne va faire qu’une opération de temps en temps. Donc la compétence n’est pas chez les acteurs publics. Néanmoins, on ne peut pas demander à un directeur d’hôpital d’être un spécialiste du PPP. Il a une direction juridique, qui est là pour lui donner des éléments juridiques, et ce que je retiens de notre dossier de l’hôpital de […], c’est alors même que le DG n’est pas un spécialiste à la base, c’est quelqu’un qui sait très bien s’entourer, il avait d’excellents conseils dans la transaction, donc il faut que les personnes publiques acceptent de payer du conseil extérieur. On gagne beaucoup à recruter du conseil extérieur à la personne publique plutôt que de recruter en interne des spécialistes qui en plus ne sont pas nécessairement très bons, parce que les très bons n’iront pas dans le statut de la fonction publique. »
Un banquier spécialiste du financement des collectivités, 2007
33Seuls quelques dizaines d’avocats et consultants financiers spécialisés sur la place parisienne sont donc à même d’accumuler durablement l’expertise à déployer face à des fournisseurs rompus à l’exercice. Or même les personnes publiques les mieux outillées ont recours à des consultants: l’asymétrie des compétences ne suffit pas à rendre compte de leur intervention.
- 21 Industriels du BTP et « financiers » interviennent dans les colloques consacrés au PPP aux côtés d’ (...)
34Garante de DC solides et équitables où le secteur privé pourra construire des offres rentables, la présence en APP de consultants reconnus par les entreprises et banques susceptibles de concourir est une condition essentielle de réussite d’une procédure, et par extension, du développement du marché des PPP, lié à la densité et à la qualité de l’offre. Ainsi s’explique l’antienne sur la nécessité de « s’équiper de bons conseils », martelée aux donneurs d’ordre tant par les promoteurs publics ou politiques officiels des PPP que par les intervenants privés, tous intéressés au bon décollage de ce marché (Deffontaines, 2012)21.
35Inscrite dans la technicité des modalités de régulation des PPP, l’intervention de consultants en APP intéresse, bien sûr, le client public en quête d’expertise fiable, sinon démuni, face à une procédure inédite et complexe et face aux groupements candidats, mais a aussi pour fonction de rassurer le « marché », entendu à la fois comme le « secteur de l’offre » et l’élite politico administrative mobilisée, qui souhaite absolument éviter un ratage juridico administratif, ou un échec de la mise en concurrence sur une opération, qui décrédibiliserait le PPP aux yeux du secteur privé et/ou des donneurs d’ordre publics.
36Visant à apporter une expertise structurellement hors de portée du commanditaire public, afin de limiter les risques et de hisser le camp du donneur d’ordres au niveau des groupements privés candidats, dans une procédure complexe et débouchant sur la passation de contrats qui engagent pour des montants importants et sur une longue durée, l’intervention de professionnels principalement issus de la sphère financière crée des formes de tutelle cognitive. Sont ici jaugés, à travers l’apport méthodologique et le travail concret des consultants en APP, la réalité de l’élévation de la compétence économique de la personne publique, et le risque de diffusion de normes exogènes par des identités professionnelles plus proches de la finance que de la commande publique.
37La modernisation de la commande publique par le transfert d’outils, modes opératoires, et normes du secteur privé était un des objectifs plus ou moins explicites de l’introduction des PPP. Lors de la phase de concertation préalable à la publication de l’ordonnance de juin 2004, ou de l’opération de promotion des PPP et d’amélioration de la réglementation, qui a couru de 2004 à 2009, les promoteurs des PPP ont fait valoir l’idée que ces derniers seraient le vecteur d’une amélioration de la gestion des projets et des équipements par l’importation d’outils et méthodes du secteur privé. Ce discours parcourt, plus abruptement, les entretiens menés auprès des consultants financiers: sont évoqués en termes laudateurs les services publics anglais « friands de skill transfers », d’approches « business minded » et autres « best practice ».
38Ce discours est plus contrôlé face au client: c’est par leur travail même et dans l’inter-action de conseil que les consultants transmettent les outils de gestion et de calcul financier. Lors de l’évaluation des offres tout au long du DC, ce transfert au client public tient d’abord de la pédagogie évidente de ce qui est l’espace normal de raisonnement dans le monde financier. Il s’agit de conduire la personne publique, à la culture financière souvent limitée (Lamarque, 2008), sinon chez les grands donneurs d’ordre, à formaliser ex ante ses besoins et ses coûts, à réfléchir en termes de coût global, de coûts actualisés (calcul de la valeur actuelle nette – VAN). Bien sûr, les consultants ne sont ici que les facilitateurs de l’emploi d’outils et méthodes imposés par la logique même du contrat global pluriannuel et du project finance, technique à laquelle se rattachent les PPP.
- 22 Dans le secteur financier, tout tableur de type Excel un peu élaboré est appelé « modèle ». La capa (...)
39Les offres comprenant des états financiers prévisionnels pour la durée du contrat (compte de résultat, bilan, tableau de flux et tableaux de financement), le niveau de compétence initial du client exige le plus souvent de l’assister dans la compréhension :
• des « modèles » (business plan des projets22) ;
• des conditions de financement (term sheet, qui nécessitent une connaissance aiguisée des marchés du financement de projet) ;
• des ratios propres à l’ingénierie financière (TRI, rentabilité des capitaux investis, ratio de couverture du service de la dette…).
40En pratique cependant, seuls les APP “plongent” réellement dans les modèles (dont une copie électronique est jointe aux offres). Traduisant en chiffres les choix fiscaux, comptables et financiers rédigés dans les contrats, les modèles permettent de visualiser les flux prévisionnels sur la durée de vie d’un projet, mais aussi de valoriser les risques, en « testant » des cas de business plan dégradés. Ils sont souvent d’une telle complexité que seuls des experts de l’exercice peuvent en saisir les enjeux, le fonctionnement, et les pièges. Les consultants financiers peuvent même être amenés, sur la base des informations contenues dans les contrats (les seules qui fassent foi), annexes financières et formes contractuelles de couverture des risques, à reconstruire leur propre modèle pour « traduire » sur Excel, expertiser et comparer les propositions financières. Face à la complexité de tels outils, seuls à même d’objectiver et de chiffrer l’ensemble des états possibles, mais d’un abord réservé aux spécialistes, le client public est obligé de s’en remettre au travail fin et aux conclusions de ses consultants: l’assistance et la pédagogie muent souvent en une externalisation complète du travail.
41En sus de l’expertise financière pure, les APP déploient une méthodologie comparative. Celle-ci tend par nature vers une nécessaire simplification. Les éléments chiffrés d’analyse sont eux-mêmes retraduits en critères de choix synthétiques conçus par les consultants. La mise en œuvre de ce type de méthodologie, répliquant ainsi des modes d’intervention développées sur des missions d’audit de transaction (due diligence) au service de clients privés, est l’un des points forts de ces cabinets. Fondée sur une rationalité essentiellement procédurale de sondages, classification de l’information, recalcul, mise en comparaison des prix et de différents indicateurs de classement produits par les APP, elle constitue une garantie de la qualité du travail inscrite dans des investissements de forme (Thévenot, 1986).
42Le travail concret des APP n’est au final pas éloigné ce celui qui est mené lors des grandes opérations capitalistiques propres au monde des affaires, liant une activité sous-jacente « réelle », une structure financière optimisée, des indicateurs synthétiques de décision, et un arbitre décisif: le “prix” :
• sonder, classer, reformater l’information disponible (travail de due diligence typique des cabinets d’audit);
• recalculer sur cette base le prix (travail d’évaluation typique de l’activité de conseil en fusions et acquisitions / évaluation financière);
• la mettre en résonance avec la qualité « intrinsèque », matérielle, d’un projet ou d’une organisation, définie par des contrats (travail de coordination entre client, consultants technique, juridique, financier);
• assurer la dynamique concurrentielle (travail d’animation de mise marché propre au conseil juridique et financier en fusions et acquisitions).
43La difficulté technique et la complexité du travail financier, à coordonner avec celui des autres expertises, conduisent clairement le travail des APP à « s’autonomiser » par rapport au donneur d’ordres public. La modernisation de la commande publique est donc aussi une externalisation de la compétence à des consultants financiers – qui deviennent paradoxalement membres à part entière du processus.
- 23 Ce sont d’ailleurs souvent les chiffres repris par la presse: « le « Pentagone à la française » coû (...)
44Ce sont essentiellement des résultats synthétiques qui seront finalement présentés à des clients publics souvent avides d’une donnée simple: typiquement, le coût actualisé d’un projet (parfois traduit en loyer annuel)23, et/ou une notation comparant les différentes offres. Tandis que le coût prévisionnel actualisé, retravaillé, recalculé, par les consultants dépend fortement de la sensibilité du modèle aux hypothèses retenues, en ce qui concerne la notation multicritères, elle aussi élaborée par les consultants, une rationalité procédurale et des méthodes visant à construire des informations comparables l’emportent sur des analyses plus substantielles. Dans les deux cas, la « représentation du monde » qui découle du modèle et des critères de jugement et influence la décision finale, est fortement dépendante des choix et du travail des consultants.
45Les outils de calcul et de modélisation ne sauraient donc être tenus pour neutres; ils peuvent avoir des effets structurants sur la manière de penser (Berry, 1983): a fortiori quand ils véhiculent des normes présentées comme naturelles. Or l’intervention des consultants ne se justifie pas seulement par l’apport d’outils de calcul, de connaissance des techniques de financement de projet, de méthodes éprouvées ailleurs, mais par leur compréhension des besoins du secteur privé. Le travail pédagogique peut véhiculer des d’objectifs a priori étrangers au secteur public, en naturalisant les exigences des prêteurs et plus encore, investisseurs, qui constituent le cadre de pensée habituel des consultants. Interprètes des offres auprès de la personne publique, les consultants prêchent la nécessité de respecter deux exigences essentielles relatives aux fonds propres: la possibilité de « cession » des parts dans la société de projet, et les taux-cibles de rentabilité des capitaux investis (quoique le taux visé est moins élevé, le principe est le même que les fameux « 15% de return on equity » exigés par les actionnaires des firmes cotées).
46• Pour certains investisseurs, l’investissement dans un projet de PPP s’apparente à une opération immobilière ou d’achat d’entreprise en LBO à l’aide d’une structure financière et fiscale optimisée. Leur objectif peut être d’y réaliser une plus value une fois passée la phase risquée du projet. De même, les investisseurs dans les sociétés de projet en PPP souhaitent pouvoir céder leurs titres une fois l’équipement mis en service et « rôdé ». De la même manière, les prêts bancaires ont vocation à être titrisés – mais cette opération n’a pas à être contractualisée dans les conventions de financement.
47• Pour les investisseurs dans les projets, les modèles sont construits autour du taux de rendement interne des fonds propres. Le consultant financier devra justifier à son client cette exigence (qui ne pourra certes se matérialiser qu’une fois les prêteurs remboursés et dans le cas d’un projet ne déviant pas de ses objectifs de performance).
48Légitimant de telles requêtes, les consultants contribuent mécaniquement à transformer des équipements publics en actifs financiers. La nécessité d’un « marché secondaire » des PPP est toutefois défendue par tous les partisans de cette forme de commande – hauts fonctionnaires de la MAPPP au même titre que banquiers ou constructeurs. Mécaniciens de formes de financiarisation, les consultants ne font donc que relayer les nécessités mêmes du bon fonctionnement des PPP, l’une des conditions de leur réussite étant d’attirer sur ce « marché », et si possible sur chaque projet, un nombre suffisant d’acteurs industriels et investisseurs et donc ajuster les prix à la baisse (et, incidemment, désamorcer la critique des PPP pointant le surcoût de financement des PPP, dont le secteur financier serait le bénéficiaire). Selon le point de vue retenu, ces mécanismes, visant à rendre bancables et rentables les PPP, « servent les intérêts du secteur financier », ou améliorent du fonctionnement du marché. La pédagogie sur la « prise en compte des besoins du secteur privé » illustre de nouveau que la mission du consultant revêt une autre dimension que celle d’une simple expertise technique: l’asymétrie cognitive est instrumentalisée pour faire du commanditaire public encadré par son APP, un “bon client” dans un marché durable.
49La fonction des consultants déployés aux côtés d’une personne publique fortement invitée à avoir recours à eux, est donc à interpréter doublement. D’un côté, il y a l’apport évident d’une expertise nouvelle, apport rendu nécessaire par les arcanes d’une procédure technique, risquée, et caractérisée par l’asymétrie cognitive entre les donneurs d’ordres publics et les groupements privés, et par la nature même des PPP: à la fois opérations de financement de projet, et opérations d’investissement imposant des arbitrages entre différentes solutions, ils requièrent des techniques et outils propres au monde financier.
50De l’autre, il y a une fonction implicite de réduction des risques associés à la procédure, de pédagogie sur les attentes du secteur privé, de modération des exigences du client public. Elle peut être interprétée comme le service des intérêts du « secteur de l’offre », ce bon développement du « marché des PPP », étant porté par des promoteurs qui vont de la Mission d’Appui aux PPP du MINEFI, aux industriels, banquiers et… consultants. Dans un espace de raisonnement adapté aux outils du financement de projet, et encadré par les normes cardinales de la finance – rendement, risque, liquidité – la pratique professionnelle de ces consultants peut prendre une dimension normative qui contribue à diffuser dans la commande publique des impératifs qui lui sont a priori étrangers. Mais la bonne diffusion de ces normes sert aussi la nécessité d’améliorer la commande publique…
51Dès lors, les consultants juridiques et financiers intervenant en APP seraient les acteurs d’un meilleur fonctionnement de PPP pouvant être interprétés comme de dévoilement et d’obtention du meilleur prix pour des solutions techniques elles-mêmes poussées à l’optimisation. En ce sens, ils seraient aussi une composante du vaste mouvement de New Public Management, dont l’un des traits est justement de viser à la mise en place de tels mécanismes de marché dans la gestion publique (Gibert, 2008, p. 17).