1Depuis le début des années 1980, le paysage institutionnel français s’est considérablement modifié et l’on assiste à des transformations profondes des approches, des méthodes et des outils de la gestion publique. De nombreuses réformes ont remodelé l’architecture des institutions du pays. Au titre des grandes étapes, signalons tout d’abord les premières lois inaugurant la décentralisation (1982), suivies de multiples privatisations partielles et totales d’entreprises publiques, des lois instituant les EPCI et les pays (1999), l’instauration de la Lolf (2001), les deuxièmes lois de décentralisation (2005), sans compter la création de multiples agences, l’installation de médiateurs dans les ministères et en région… et plus récemment le lancement de la Révision générale des politiques publiques (RGPP, 2007).
2De l’intérieur, la réforme de l’État s’est accélérée avec l’affirmation des droits pour l’usager (1978) et les textes sur le renouveau du service public à la suite des circulaires Rocard (1989) et Juppé (1995) : l’implantation des TIC, l’introduction de la qualité publique, la recomposition des services déconcentrés de l’État en région et en département… Sans oublier les réformes instituées au sein des grandes administrations depuis les années 1990 : le ministère des Armées, la Poste, l’Équipement, la Sécurité sociale et les hôpitaux… mais aussi les tentatives avortées de réforme à Bercy (1989 et 2000).
- 1 Placée sous la tutelle du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, la DGME résulte (...)
3L’organisation du pilotage de ces réformes a été progressivement revue. Des missions d’animation se sont succédées : mission Réforme et prospective administrative (1981), Commissariat à la réforme de l’État (1995), Direction interministérielle à la réforme de l’État (Dire) et Conseil de modernisation de l’État. Sous leur impulsion, on leur doit le grand chantier de la simplification du droit avec la codification des lois, la déconcentration des décisions individuelles, l’allègement de centaines de procédures… Depuis 2005, la Direction générale de la modernisation de l’État (DGME) a pris le relais1.
4Depuis Napoléon, la France avait-elle jamais connu un tel train de mesures ? Ces réformes structurelles ont été l’occasion incontournable de repenser la gestion des pouvoirs publics, depuis l’État jusqu’à la commune rurale. Un objectif est lancé – la recherche d’une meilleure performance publique – avec l’obligation de résultats et la maîtrise des dépenses budgétaires.
5Quel tribut doit-on à l’Europe pour tous ces bouleversements de la vie et de l’organisation publique ? Il est de bon ton de passer sous silence les multiples directives européennes transposées dans le droit français, parfois avec beaucoup de retard, ou les rappels à l’ordre pour le non-respect de ses engagements… Toutefois, au-delà de l’encadrement juridique des administrations des pays membres, l’Europe a été souvent un facilitateur des réformes, en particulier dans les domaines de l’environnement : lois sur l’eau, loi Barnier introduisant le développement durable (1995), loi sur le traitement des déchets, participation au réseau Natura 2000… Sans compter le rôle décisif et contesté que l’Europe a joué, sous l’impulsion de l’OCDE, par son insistance à mettre en avant les principes du New Public Management, dans la fin programmée des monopoles publics.
6Ces changements profonds conduisent à affirmer que les modes de gestion des services de l’État et des collectivités territoriales ont subi des transformations certaines, prises séparément, mais dont les articulations entre elles ne semblent pas toujours maîtrisées. Les réformes ont pesé sur plusieurs points du système administratif, créant des effets de synergie mais aussi d’inertie en raison de leur accumulation. Des cadres se sont investis, entraînant très largement les personnels, réagissant parfois de manière dubitative ou résignée, mais infirmant largement l’idée d’une incapacité des organisations publiques à mettre en œuvre des changements.
7Au terme de ce rapide panorama, plusieurs grands traits, reliés entre eux, seront abordés successivement : l’évolution du périmètre et des structures des différentes entités composant les pouvoirs publics ; les changements dans les règles fondamentales structurant la gestion publique et les transformations dans les méthodes, les outils et les démarches de gestion qui leur sont associées.
8C’est toute l’architecture de l’action publique qui est repensée dans un climat politique où la gauche a progressivement conquis les leviers de commande dans presque toutes les régions, dans la plupart des grandes agglomérations et dans un nombre croissant de départements alors que la droite semble bien adossée à l’échelon national. Cette situation bipolaire fait que toutes les réformes s’engagent dans une épreuve de force peu propice aux concertations sereines.
- 2 Référendum de 1969 sur la réforme du Sénat et la régionalisation repoussé par 52,4 % des voix.
9Les projets de décentralisation de l’État unitaire ont une longue histoire : le général de Gaulle s’était heurté au problème2 et c’est avec l’élection de Mitterrand et les lois Deferre de 1982-1983 que le processus de décentralisation voit le jour. Si la création des conseils régionaux constitue une innovation majeure, le transfert de compétences reste limité au logement, à la formation professionnelle et à l’aménagement du territoire et, pour ce qui est des communes, à l’urbanisme. Le grand changement tient à l’allègement de la tutelle de l’État puisque ce dernier concède au département et à la région l’autorité exécutive assurée auparavant par le préfet.
- 3 Voir les ouvrages collectifs publiés par le GRALE (Groupement de recherche sur l’administration lo (...)
10Il faudra ensuite attendre la révision constitutionnelle de 2003 et la loi relative aux libertés et responsabilités locales de 2004 pour assister à une modeste deuxième vague de transferts de compétences qui a soulevé une tempête de protestations. Néanmoins, si le RMI/RMA échoit aux conseils généraux qui en assuraient déjà l’intendance, et les personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) aux départements et régions, la petite révolution tient à la passation des pouvoirs sur une partie des routes, des ports et des aéroports3.
11Pourquoi avoir attendu vingt années alors que le mouvement était lancé dès 1981 ? La première explication tient à l’absence d’une profonde réforme fiscale qui aurait logiquement transféré aux collectivités territoriales des impôts rénovés leur apportant une manne financière qu’elles contrôleraient en contrepartie de ces nouvelles compétences. Mais l’État devrait alors renoncer à la dotation globale de fonctionnement (DGF) qui lui donne actuellement un pouvoir certain d’incitation et de redistribution.
- 4 L’article n’a pour but d’aborder le contenu de ces propositions.
12La seconde raison tient au délicat problème du statut du conseil général qui revient en débat à chaque fois que de nouveaux transferts sont envisagés. La commission Balladur mise en place en novembre 2008 par le président de la République a fait des propositions pour résoudre l’empilement, voire l’enchevêtrement, des structures infra étatiques dont la situation du Grand Paris offre un exemple extrême4.
13Si la grande décentralisation, celle des régions et départements, avance à pas de sénateurs, l’intercommunalité a, elle, fortement progressé sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur Chevènement. Alors que les projets d’intercommunalité s’enlisaient dans les querelles locales, la loi relative au renforcement et à la simplification de l’intercommunalité de 1999 instaura un choix entre trois structures, assorti d’une incitation financière à condition d’opter avant une date butoir. Par magie, presque toutes les communes, des grandes aux plus modestes, ont mis les bouchées doubles pour adopter leur régime et le territoire est aujourd’hui presque entièrement couvert d’établissements publics de coopération intercommunale (ÉPCI) dont le nombre ayant choisi la taxe professionnelle unique (TPU) a été multiplié par onze en moins de dix ans (tableaux 1 et 2).
Tableau 1 - Répartition des Établissements publics de coopération intercommunale (ÉPCI)
France - 31/03/2009
|
nombre d'unités
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|
1 999
|
2 008
|
Communautés urbaines
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12
|
14
|
Communautés d'agglomération*
|
0
|
171
|
Communautés de communes
|
1 347
|
2 393
|
Districts**
|
305
|
0
|
Communautés de villes**
|
5
|
0
|
Syndicats d'agglomération nouvelle
|
9
|
5
|
Ensemble
|
1 678
|
2 583
|
* Nouvelles structures de la loi de 1999
** Anciennes structures supprimées par la loi de 1999
Source : DGCL
Tableau 2 – Recours à la Taxe professionnelle unique (TPU)
France - 1/01/2009
|
nombre d'unités
|
|
1999
|
2008
|
Nombre d’ÉPCI
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111
|
1 224
|
Nombre de communes regroupées
|
1 058
|
11 337
|
Source : DGCL
- 5 Ces constats sont tirés de l’étude menée par l’Observatoire de la décentralisation du Grale dans u (...)
14Cette réforme a permis, sans remettre en cause l’échelon communal, de doter les aires urbaines de compétences qui ne peuvent valablement s’exercer qu’à ce niveau. Cependant, le choix des périmètres et la répartition des compétences présentent encore bien des anomalies5 : des intercommunalités trop petites constituées pour faire échec à de plus grandes ; des marchandages de compétences ne respectant ni la logique ni l’esprit de la loi avec une tendance à la hausse de la fiscalité locale ; des moyens qui n’ont pas toujours suivi les compétences transférées, alourdissant globalement les dépenses de fonctionnement là où une meilleure utilisation des ressources devrait permettre des économies... Mais le mouvement se poursuit par le haut cette fois, surtout en milieu urbain, avec la course à l’annonce de la transformation de communautés d’agglomération en communautés urbaines dans quelques grandes aires métropolitaines (Nice, Rouen, Toulouse…).
15Une autre petite révolution a relancé la négociation et la coopération du côté du monde semi-urbain et rural avec la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT) de 1999, dite loi Voynet, qui s’est imposée grâce encore à une incitation financière par la possibilité de bénéficier des crédits du contrat de plan État-Région. Le pays est une délimitation territoriale pour laquelle les communes adoptent une charte de développement pouvant intégrer toutes les dimensions de l’économique au culturel. Le pari était de réussir à faire travailler ensemble, autour d’un projet global, des communes rurales sans créer une nouvelle structure. L’évolution de la carte des pays depuis la promulgation de la loi atteste de la réussite de ce nouveau dispositif. Il peut cependant paraître curieux qu’il faille des lois successives, assorties de carottes financières, pour que les élus se décident à bâtir des projets de territoire à une échelle cohérente et à coopérer pour le bien de leur population.
16Plusieurs lois sont revenues sur les questions d’urbanisme, de protection des terres agricoles et de l’environnement. Pour mettre fin à l’anarchie des plans locaux d’urbanisme (PLU), l’État a instauré dès 1995 les directives territoriales d’aménagement (DTA) qui sont élaborés par les services déconcentrés sous la houlette d’un préfet coordonnateur. Un comité interministériel surveille leur progression. Les DTA – cinq ont été approuvées jusqu’à fin 2008 - fixent des orientations et examinent les projets de localisation des infrastructures de transport et des grands équipements, ainsi que les projets de préservation des espaces naturels.
17La grande nouveauté réside dans la hiérarchie des normes imposée en matière d’urbanisme afin de rendre les schémas de cohérence territoriale (Scot), institués sur le territoire élargi des grandes agglomérations par la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU, 2000), en conformité avec les DTA, les PLU devant l’être eux-mêmes avec les Scot.
18Il n’est pas sûr toutefois que le « principe d’urbanisation en continuité » et les contraintes liées à l’occupation des sols entraveront le mitage du territoire qui réduit l’accès aux services publics, supprime des terres agricoles et dégrade chaque jour davantage les sites et les paysages. Cette question reste pourtant essentielle pour promouvoir une mobilité durable des personnes et des marchandises dans le sillage des propositions du Grenelle de l’environnement.
- 6 Les services déconcentrés comprennent aujourd’hui 96 % des deux millions d’agents de l’Etat et ces (...)
19Le mouvement de décentralisation au profit des collectivités territoriales ne pouvait se poursuivre sans que l’État lui-même se mette au diapason par une profonde réorganisation de ses services déconcentrés. D’une part, il n’était guère tenable d’assurer depuis Paris un pilotage fin de multiples services mettant en œuvre des dispositifs complexes, nécessitant coordination et capacité d’adaptation aux contextes locaux. D’autre part, la décentralisation rendait nécessaire l’existence d’interlocuteurs de l’État qui puissent dialoguer avec les nouveaux acteurs locaux et engager des actions concertées6.
20Une première étape est intervenue en juillet 1992 avec la Charte de la déconcentration qui fixait pour objectif d’appliquer à l’État le principe de subsidiarité. Mais surtout, deux textes de 2004, établis en lien avec la Lolf, ont consacré le caractère stratégique de l’échelon régional, en prévoyant :
-
l’élargissement des prérogatives du préfet de région qui devient « le garant de la cohérence de l’action des services de l’État dans la région » avec l’appui du secrétaire général pour les affaires régionales et de son service – le SGAR ;
-
l’établissement de Projets d’action stratégique de l’État (PASÉ), déclinés dans chaque région avec les PASÉR et dans chaque département avec les PASÉD. Ceux-ci retiennent quatre à cinq grandes orientations, essentiellement à dimension interministérielle, déclinées en objectifs et en indicateurs de performance ;
-
le regroupement des services déconcentrés enhuit pôles régionaux afin de favoriser l’unité de l’action de l’État. Chacun de ces pôles transversaux regroupe de un à plusieurs services déconcentrés, auxquels sont adjoints les établissements publics concernés ; il appartient au préfet de proposer des fusions à la carte de ses services déconcentrés afin de les rendre plus opérationnels.
21Enfin, le préfet de région dispose d’une structure consultative : le comité de l’administration régionale (CAR) qui regroupe, outre lui-même et les préfets de département, le secrétaire du SGAR et les huit chefs de pôle. Ces CAR deviennent l’outil de pilotage de l’État en région.
22Un tel dispositif vise donc à dépasser l’architecture traditionnelle des services déconcentrés et à développer l’interministérialité. Ainsi, la réforme de l’administration départementale, après une expérimentation dans le Lot, n’a retenu, à côté de la Préfecture, que trois directions départementales interministérielles. Au niveau central, une préoccupation analogue accompagne la mise en place en 2007 du dispositif de Révision générale des politiques publiques (RGPP) prévoyant de multiples projets de réforme transverses aux organisations existantes. On peut évoquer l’instauration des secrétaires généraux, la réduction du nombre des directions centrales, des centres de responsabilité et des services à compétence nationale… Le changement est bien à la fois organisationnel et stratégique.
- 7 Cf. Herzog R. (2003), « Le ménage à trois : Etat, collectivités locales et sécurité sociale, ou po (...)
- 8 Le projet de suppression de la taxe professionnelle est de plus un pavé dans la mare. Si la reform (...)
23Force est alors de constater que la France est un bien curieux pays avec son architecture complexe des pouvoirs ! Ni unitaire, ni composite, c’est un État hybride où les pouvoirs publics territoriaux se distinguent de l’État, au point d’être en perpétuelle opposition politique alors que sur le terrain, par nécessité et par ruse, la coopération va souvent bon train. Les pouvoirs publics sont donc écartelés entre un centre qui contrôle le portefeuille des crédits et leur utilisation, et une périphérie très morcelée à laquelle l’État concède de grands lambeaux de compétences, dans un contexte financier où la DGF est devenue la variable d’ajustement des déficits publics7. Dans cette situation, l’État se trouve contraint de garder la main sur l’essentiel des prélèvements obligatoires au titre de l’impôt, au détriment des collectivités territoriales, afin de maîtriser les compensations nécessaires face aux dérapages des comptes sociaux. L’autonomie fiscale des collectivités territoriales et la création de grandes régions, dotées de compétences accrues, assorties d’un transfert de personnels de la fonction publique d’État, ne sont sans doute pas pour demain8 !
- 9 Il faut noter une nette tendance en sens inverse pour le retour à la régie, en particulier pour de (...)
24Les pouvoirs publics ne pouvant être partout, il fallut aussi déléguer nombres de services collectifs à des organisations privées, autant à des entreprises qu’à des associations. Les collectivités locales ont depuis longtemps joué de ces possibilités de « faire-faire » grâce à l’externalisation de la gestion des services publics locaux9.
25Ce qui est apparu de nouveau en revanche, c’est la volonté de l’État d’opérer sur la base d’un contrat négocié avec les collectivités territoriales sans que les obligations aient un caractère contraignant. Il s’agit d’engagements réciproques négociés sous la houlette du préfet qui oblige chacun des contractants à faire des concessions, à accepter des compensations pour obtenir une part de financement étatique pour ses projets. En dernier ressort, le ministre arbitre.
- 10 Les premiers contrats de plan entre l’Etat et les Régions ont été institués par la loi du 29 juill (...)
26Cette modernisation par l’action publique conventionnelle fut instituée en 1982 avec les contrats de plan entre l’État et les Régions (CPÉR)10. Le contrat de plan – devenu contrat de projet - est un engagement financier pluriannuel et librement consenti, découlant d’une réflexion prospective en vue de sélectionner les priorités stratégiques de l’État et des partenaires régionaux et de les mettre en cohérence. Les CPÉR ont été un instrument de recherche de l’équité territoriale. Les grands services d’infrastructure ont trouvé par ce mécanisme une régulation jugée efficace mais les marges de manœuvre de l’État se sont amoindries avec la dégradation de la situation budgétaire.
- 11 Dans l’Education nationale, le médiateur national et les médiateurs académiques dénouent des milli (...)
27Dans le même temps, suivant en cela un modèle anglo-saxon, plus d’une quarantaine d’agences ont vu le jour. Elles sont investies par l’État d’une mission de service public de régulation. Leur indépendance est relative car la plupart des membres de leurs conseils d’administration sont nommés en conseil des ministres sur proposition des ministères de tutelle. Leur existence évite à l’État de créer de nouveaux services mais elles sont financées sur fonds publics. Si les plus emblématiques sont reconnues pour leur travail et leur résultat, certaines ont une existence dont la justification est contestée. Les médiateurs ont fait une entrée en scène bien tardive alors qu’ils constituent une institution particulièrement efficace de personnalisation des relations souvent conflictuelles entre les usagers et les services11.
28Cette évolution significative des structures a été de pair avec la mise en place de multiples démarches de modernisation.
29On ne change pas l’enveloppe sans changer le contenu. Le passage d’une pure gestion administrative, voire bureaucratique, à un positionnement stratégique de l’État à tous les carrefours décisionnels de l’action publique demandait quelques efforts de clarification et de logique. Ainsi en est-il de la simplification administrative - allègement des démarches, suppression de formulaires, accès par Internet… -, de la codification des textes de 8 000 lois et de 90 000 décrets…
30Mais surtout, le souci de résultats amène à mettre en place de multiples démarches de gestion portant aussi bien sur les orientations budgétaires que sur le renforcement des services à l’usager et la mise en place de nouvelles pratiques de GRH. Toutes ces démarches nécessitent des informations nombreuses et fiables et donc un renforcement considérable des systèmes d’information.
31La grande affaire budgétaire est apparue soudainement avec la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) du 1er août 2001. Cette modernisation du processus budgétaire sur la base d’un nombre limité de programmes transversaux est entrée en vigueur avec le budget de 2006. Son adoption a été un modèle de concertation puisque le vote parlementaire fut unanime. Deux interrogations demeurent : les ministères vont-ils savoir coopérer pour préparer les programmes et en suivre la bonne fin ? Le ministère des Finances va-t-il accepter de s’effacer pour laisser les autres ministères se concerter ?
32L’obligation de résultats figurant dans les programmes doit être précisée dans des indicateurs adaptés, traduisant des objectifs tangibles, afin de fournir l’information nécessaire au travail des parlementaires. Présentée comme une révolution budgétaire, puisque qu’auparavant les élus ne contrôlaient qu’à peine 10 % du budget de l’État, la Lolf peine à trouver ses marques en raison de la grande difficulté à construire ces batteries d’indicateurs pour chaque programme.
33Cette réforme devrait supprimer les transferts financiers non intégrés dans des programmes précis. Comme les fonds transférés aux collectivités territoriales sont importants – en particulier les dotations globales de fonctionnement (DGF) - et qu’il faudra bien les répartir au sein de ces programmes, l’octroi de ces importantes dotations risque à terme d’être en contradiction avec le principe de libre administration des collectivités territoriales.
- 12 L’Italie a procédé ainsi au cours de la décennie 1990-2000. Bassani F., « Réformes de l’Etat : la (...)
34Toutefois, tant que les collectivités territoriales françaises dépendront de l’État pour boucler leur budget à hauteur de plus de 50 %, elles seront dans une logique du « toujours plus » peu propice aux économies, même dans le cadre de la Lolf. Le transfert des ressources et des impôts correspondants créerait certainement d’autres incitations12.
- 13 Réforme du Code des marchés publics par décret du 1er août 2006.
- 14 Voir Sénat (2006-2007).
35Décentraliser et déconcentrer conduit à réorganiser les rôles en conférant aux acteurs plus de liberté, tout en veillant aux économies d’échelle et à un contrôle efficace. Sur le premier point, l’État a sérieusement simplifié et allégé les contraintes pesant sur les marchés publics13. Les seuils ont été remontés permettant aux collectivités de passer plus de marchés de gré à gré. Parallèlement d’autres évolutions intervenaient dans les pratiques d’achat : centralisation des achats de même nature au sein de différents ministères14, professionnalisation de la fonction achats, traitement dématérialisé des commandes, externalisation de la gestion des véhicules de la gamme civile aux Armées, projet de créer une agence des achats de l’État et de disposer d’un responsable unique des achats dans chaque ministère.
- 15 Ordonnance du 17 juin 2004, reprise dans la loi relative aux contrats de partenariat du 4 juillet (...)
- 16 Guerrero I., Pissaloux J-L. (2008), « Contribution des contrats de PPP à la modernisation du secte (...)
36Une autre innovation est intervenue en 200415 avec les contrats de partenariat public privé (PPP) permettant à une collectivité de confier à une entreprise la mission globale de concevoir, construire, entretenir, gérer et financer des ouvrages ou des équipements publics et des services dans le cadre de missions de service public et cela dans la longue durée grâce à un paiement étalé dans le temps. Cette possibilité reste cependant trop récente pour qu’on puisse en mesurer l’impact16.
- 17 Voir par exemple Sénat (2006-2007) et les projets RGPP.
37D’autres réalisations et projets de changement concernent la gestion du parc immobilier de l’État17 : centralisation de la fonction propriétaire, instauration progressive de loyers budgétaires, mise en place d’un programme de cession d’actifs immobiliers prévoyant de verser une part du produit de la cession au ministère qui était l’utilisateur des locaux…
- 18 Sur ce sujet on peut se reporter aux actes du colloque « L’action publique au risque du client » p (...)
- 19 Lois de 1978 créant des droits pour l’usager, décret du 28 novembre 1983, loi du 12 avril 2000.
- 20 Pour un exemple voir Munoz (2006).
- 21 Voir CECRSP (2006).
38Progressivement, l’usager est placé au cœur de la relation de service public. Différents textes19 ont encadré ces actions et les pratiques ont évolué : l’accueil a connu des changements sensibles d’organisation, des centres d’appel20 équipés de dispositifs d’assistance informatique, venant en appui du travail des téléconseillers et des portails Internet, ont été mis en place. Des réflexions sur les attentes du public et leur recueil sous forme d’enquêtes de satisfaction se sont multipliés21. Des démarches d’engagements de service sont l’objet d’une large communication et du suivi de leur respect. Des maisons de service public ont été créées dans les zones rurales, des maisons de la Justice et du Droit dans les quartiers défavorisés.
39Les échanges d’information ont été simplifiés et les formalités facilitées pour les usagers par de nombreuses formalités d’administration électronique, comme avec la mise en place de la carte Vitale et de la télédéclaration fiscale, les procédures de télépaiement. Par ailleurs, les processus de communication se sont renforcés et professionnalisés. Différents projets dans le cadre de la RGPP prévoient une extension de l’amélioration de l’accueil dans les services publics.
40Ces changements, parfois qualifiés de « client-centrisme »22, ont eu des conséquences non seulement sur la relation avec l’usager, mais aussi sur l’évolution des métiers des agents en contact avec le public et sur l’organisation des processus internes.
- 23 Voir Strobel (1994).
- 24 Voir Bartoli et Hermel (2006).
41La complexité des relations que les administrations entretiennent avec leurs usagers, tantôt qualifiés de « client », de citoyen, de contribuable, d’assujetti ou de pétitionnaire, montre bien que, derrière la relation de service, apparaît la présence de la puissance publique23. La spécificité de la relation demeure et le rôle de l’usager ne saurait se ramener à celui de client. En témoignent les questions que pose l’articulation entre démocratie représentative24 et consultation directe des citoyens-usagers dans le cadre des démarches de e-gouvernement.
42Cette transformation des front office s’est naturellement accompagnée d’une transformation des back office. Les démarches qualité, la recherche de certification ISO 9001, ont conduit à expliciter les processus, à travailler à leur amélioration et à identifier les risques associés pour mettre en œuvre des plans capables de les maîtriser.
- 25 Voir Bartoli et Hermel (2006).
43Ces approches ont pu être complétées par des analyses de coût par processus et par activité qui, dans des organisations de taille importante ayant de multiples implantations géographiques, ont permis des comparaisons entre sites. Ces dernières constituent des bases d’actions d’amélioration et de définition de tailles critiques pouvant conduire à des regroupements d’unités ou à des mutualisations d’activités. De nombreux indicateurs opérationnels ont été construits pour suivre ces processus. Cette tendance est particulièrement sensible dans des organisations ayant des traitements administratifs de masse, comme les caisses d’assurance maladie, mais également dans des organisations ayant des activités diversifiées comme les communes25.
- 26 Cas de la CNAF, par exemple, et de la branche famille dans les comptes de la Sécurité sociale en 2 (...)
44Toutefois, il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine de la qualité des processus et de la maîtrise des risques comme le confirment les procédures de certification des comptes. Les chambres régionales, s’appuyant sur la qualité du contrôle interne et sur le degré de maîtrise des risques des processus comptables et financiers, ont certifié des comptes assortis de nombreuses réserves et même décidé, dans certains cas, de l’impossibilité de les certifier26.
- 27 Voir Demeestère et Lalu (1983).
45Dès le début des années 80, quelques grandes villes27 avaient initié des démarches de programmation des équipements, de mise en place de tableaux de bord et parfois d’une comptabilité de gestion, accompagnées de la création de fonctions de contrôleur ou de conseiller de gestion.
46Le contrôle de gestion a gagné également des établissements publics et des administrations comme l’Équipement. Il visait à mettre l’accent sur les résultats de l’action publique, à renforcer l’efficience et l’efficacité en mettant en place une gestion par objectifs, des dispositifs de mesure des résultats et des revues de gestion pour assurer le suivi et développer des plans d’amélioration.
- 28 Pour une discussion sur ce sujet, voir page 26 du numéro spécial PMP, Volume 20, n° 3, septembre 2 (...)
- 29 Voir Gibert dans PMP, volume 20, n° 3, septembre 2002, p. 27.
47Une des caractéristiques de ces démarches était qu’elles étaient le plus souvent conduites séparément de la négociation et du suivi budgétaire28 et surtout assurées par des fonctions différentes ce qui les distingue fortement des pratiques en entreprise. Une autre caractéristique est qu’elles étaient ascendantes plutôt que descendantes29 : constatant la difficulté d’expliciter des objectifs stratégiques clairs dans le contexte d’ambiguïté propre au management public, elles partaient le plus souvent des services pour les équiper en instruments de gestion, pour construire progressivement une finalisation de la gestion autour de quelques objectifs d’amélioration et, pas à pas, amener des améliorations d’efficience et d’efficacité. Ce processus partant du terrain assurait une meilleure acceptation par les personnels puisque les indicateurs de performance et leur mesure étaient établis avec leur participation.
48La Lolf a marqué une rupture à cet égard puisqu’elle associe gestion budgétaire et pilotage de la performance et qu’elle se situe dans un cadre typiquement descendant, partant d’objectifs globaux et les déployant au travers de programmes et d’actions au niveau des services de l’administration. Elle a donc donné une impulsion nouvelle à la gestion de la performance par l’État. D’autres organisations publiques se sont inspirées de la Lolf pour mettre en œuvre de nouvelles procédures de finalisation de la gestion articulées avec l’allocation des ressources.
- 30 Voir Benzerafa (2007).
- 31 Voir Brunetière (2006).
- 32 Pour des exemples, voir Brunetière (2006) et Gilbert (2009).
49Cependant, les démarches contribuant à relier la gestion opérationnelle des services à des objectifs stratégiques d’organisation semblent avoir connu un développement relativement limité. Ainsi, la mise en œuvre d’une méthode comme le Balanced Scorecard, fort développée en gestion d’entreprise, semble rester l’affaire de quelques cas d’espèce si l’on se limite aux administrations françaises30. Quant à la construction d’indicateurs effectuée dans le cadre de la Lolf, elle semble encore dans beaucoup de cas avoir été faite en central31, ce qui pose évidemment la question de la bonne articulation entre ces indicateurs centraux et la gestion opérationnelle des services déconcentrés. Le déploiement d’objectifs stratégiques centraux en objectifs opérationnels locaux s’avère un exercice complexe. De plus, la construction des indicateurs eux-mêmes n’est pas toujours évidente32 ; le choix parmi une pléthore d’indicateurs opérationnels disponibles dans le système d’information, délicat à effectuer, conduit parfois à une surabondance.
50De même, le développement de comptabilités de gestion semble assez inégal. Il existe une grande exception dans la gestion hospitalière où la mise en place d’une comptabilité analytique par groupe homogène de séjour (GHS) sert de base à l’allocation des ressources par une tarification à l’activité. Par ailleurs, au niveau de l’État, la mise en place de comptabilité(s) de gestion a été jugée non prioritaire par les promoteurs de la Lolf, exception faite d’une analyse de coûts par programme reposant sur un système simple de clés de répartition.
51Une organisation, quelle qu’elle soit, ne vit que par les hommes et les femmes qui l’animent. Ces acteurs devraient être l’objet de toutes les attentions. Qu’en est-il en pratique ?
52On peut tout d’abord noter qu’au sein des fonctions publiques, la gestion des ressources humaines reste marquée par l’existence de nombreuses règles codifiées dans les statuts de fonctionnaire, ce qui n’empêche pas l’existence d’une certaine flexibilité de gestion au sein de ces règles33.
53Les évolutions ces dernières années34, sous l’impulsion en particulier de la circulaire Rocard de 1989 sur le renouveau du service public, ont été marquées par différents efforts qui ont été inégalement couronnés de succès :
54Ces questions restent toujours d’actualité dans le contexte actuel marqué par deux enjeux supplémentaires : la tension très grande dans les ressources budgétaires et le départ à la retraite d’un grand nombre de fonctionnaires dans les années présentes et à venir37.
- 38 La fongibilité - le glissement des crédits d’un compte à un autre - est sans limite au sein des pr (...)
- 39 Voir Jeannot (2008).
- 40 Voir par exemple le rapport du CECRSP sur la notation et l’évaluation (2001).
55A cet égard, la Lolf a eu un impact sur les questions de GRH. En effet, la fongibilité asymétrique des crédits budgétaires38 confère des marges de manœuvre qui doivent être conciliées avec la gestion par corps et les équilibres entre emplois et ressources à trouver à ce niveau39. De plus, le renforcement de la culture de la performance que privilégie la Lolf va de pair avec le souci d’un suivi individualisé des agents et le développement d’une rémunération au mérite. Ce point représente évidemment une innovation majeure dans un contexte marqué par une résistance traditionnelle à la différenciation, comme le montrent les pratiques de notation40.
56De fait, de multiples réflexions et projets d’évolution sont en cours à l’heure actuelle, portant sur différents thèmes :
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- 41 Voir Lévêque et Clergeot (2008).
- 42 Parfois qualifiée de « revue de talents » voir Enjeux Les Echos, novembre 2008.
l’individualisation de la gestion des agents41 avec la mise en place d’entretiens annuels portant sur les résultats professionnels obtenus, faisant le point des besoins de formation, des perspectives de carrière42et de mobilité ;
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- 43 Voir Sénat (2006-2007) et Lévêque et Clergeot (2008).
- 44 Par exemple, la prime de fonction et de résultat (PFR) prévue pour environ 200 000 fonctionnaires (...)
la rémunération au mérite a fait l’objet de nombreux débats ; différentes dispositions ont été mises en place pour les cadres dirigeants43, d’autres sont imminentes44 ;
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- 45 Voir Enjeux Les Echos, novembre 2008.
le renforcement de la mobilité et la facilitation des passages entre privé et public avec, par exemple, le projet de loi destiné à faciliter le passage d’un corps à un autre et comportant la possibilité de mettre à la retraite ou en disponibilité sans solde un agent qui refuserait trois postes correspondant à son grade et à son profil45 ;
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- 46 Voir le projet retenu dans le cadre de la RGPP.
l’ouverture à une diversité des recrutements46.
57Les orientations actuelles vont donc dans le sens de l’individualisation et de la flexibilité permettant de couvrir les emplois en quantité et en qualité avec des ressources ayant les compétences voulues. Il est certainement trop tôt pour apprécier quelles seront les conséquences concrètes de ces différentes dispositions.
- 47 Voir PMP (2002). L’Ordre national des experts-comptables a réitéré récemment auprès du gouvernemen (...)
58Autre chantier important, la mise en place des réformes comptables portant sur la comptabilité générale vise à améliorer la qualité de l’information fournie au public sur la situation financière des organisations publiques. Elles sont complétées par des dispositifs de contrôle interne destinés à s’assurer de la qualité de l’information produite et de la maîtrise des risques. Différentes étapes restent encore à franchir pour parvenir à une certification de ces comptes à l’image des organisations privées47.
59Toutes les démarches évoquées précédemment créent de forts besoins en information fiable et cohérente. Des systèmes d’information intégrés (PGI) ont été implantés et les applications de l’informatique décisionnelle ont permis de dégager des analyses et des informations de synthèse pouvant faciliter le pilotage. Cela a conduit à de lourds investissements qui posent toujours la délicate question de leur maîtrise d’ouvrage : comment apprécier les « besoins réels » des utilisateurs finaux ? Comment concilier de multiples objectifs parfois contradictoires ?
- 48 Voir par exemple Lévêque et Clergeot (2008).
60Ces évolutions ont été de pair avec la création de nouvelles fonctions : contrôleur ou conseiller de gestion, responsable qualité, auditeur interne… Les fonctions achats et GRH48 se sont également professionnalisées. D’une façon générale, une nouvelle technicité dans l’exercice de ces fonctions d’expertise est devenue nécessaire. Ainsi, par exemple, la fonction financière dans les collectivités locales connaît une complexité accrue ne serait-ce qu’en raison d’une offre de produits bancaires d’une grande variété qui pose de vraies questions d’analyse du risque.
61Dans l’évaluation de ces méthodes, la part la plus difficile - qui demanderait des études de terrain sur longue période pour être pleinement convaincante - reste celle de l’appréciation de leurs impacts réels. Ainsi, la mesure des coûts et des services rendus est une étape certainement utile, voire nécessaire, mais elle n’est pas en soit suffisante pour garantir leur maîtrise effective. L’observation de quelques exemples et contre-exemples montre la nécessité d’une conduite du changement qui sache associer ces différents volets dans une véritable démarche de management.
62Ce souci intégrateur apparaît dans les différents projets de changement qui ont pu être conçus dans le cadre des stratégies ministérielles de réforme, des audits de modernisation et maintenant dans le cadre de la RGPP. Mais, au delà des discours sur le changement, la culture et les comportements doivent évoluer. Cela est vrai pour les dirigeants comme pour les cadres intermédiaires, les agents et les organisations syndicales.L’étape critique de ces projets reste l’acceptation, l’appropriation et la mise en œuvre de la démarche par les différents acteurs concernés. D’où le nécessaire développement d’une véritable culture de management dans laquelle les échelons intermédiaires, au delà du rôle de spécialiste de leur domaine, assument la responsabilité d’un fonctionnement collectif et disposent des ressources et des leviers d’action leur permettant d’avancer dans le cadre des orientations globales fixées par ces projets.
63Au terme de ce rapide panorama de 25 ans de gestion publique, quelles remarques de portée générale peut-on formuler ?
64La première est que, sans conteste, il est difficile de faire un bilan complet et de mesurer les conséquences concrètes de réformes aussi nombreuses et multiformes, s’étendant sur plusieurs décennies et ce, d’autant plus que ces réformes se sont accélérées depuis les élections présidentielles de 2007 dans un contexte de crise économique qui n’en facilite pas la mise en œuvre.
65Néanmoins, cette circonstance perturbante ne dispense pas de tenter de relier les deux grands pans de cet article que constituent les transformations de la structure et les évolutions de la gestion. Sur de multiples aspects soulevés, les réformes sont restées à la moitié du gué : décentralisation timide et lente retardant à conférer aux régions des compétences de chef de file et s’accompagnant d’une déconcentration accélérée pour renforcer le poids de l’État en région, instauration de la Lolf à l’usage quasi exclusif des ministères qui ne représentent qu’une part du secteur public, diffusion d’une culture de la performance et du résultat sans que les gestionnaires disposent toujours des leviers d’action nécessaires…
66Deux sources de difficultés méritent particulièrement d’être soulignées. La première tient à la méthode de mise en œuvre des réformes qui est moins l’œuvre du Parlement que de l’exécutif. Certes, des rapports sont régulièrement demandés à de multiples commissions et pourtant ces réformes semblent ressortir de la volonté quasi-exclusive de l’exécutif et s’accompagnent de sérieuses résistances de la part des partenaires institutionnels et sociaux. Il serait souhaitable que les réformes, à l’instar de la Lolf, soient conçues d’une manière plus consensuelle.
67La seconde tient aux moyens de contrôle de l’État. Certes, chacun attend le rapport annuel de la Cour des comptes, dont la presse se fait largement l’écho, mais en quoi cela entraîne-t-il des modifications de la gestion, ou même des sanctions, dans les organisations contrôlées ? Les corps spécialisés des ministères ne sont guère davantage en mesure d’exercer des contrôles d’une manière régulière et sereine. S’agissant des comptes publics et de leur gestion, l’État ne dispose que des chambres régionales des comptes. Les administrations et les établissements publics ne voient passer des audits que de façon épisodique et la certification de leurs comptes laisse beaucoup à désirer.
68Les pouvoirs publics sont souvent à la fois juge et partie ; ils ne peuvent donc avoir le recul nécessaire pour suivre et contrôler d’une main ferme la façon dont les services publics sont produits et les crédits dépensés. L’État central détient les cordons de la bourse, impose sa présence partout par un renforcement de son pouvoir en région, mais finalement il n’accorde de l’autonomie aux collectivités territoriales qu’avec parcimonie… Il ne peut donc véritablement contrôler ce qu’il impose sauf à alterner promesses et reniements. Le partage territorial et politique fait le reste. A quelques exceptions près, la défiance règne.
69Ces difficultés devront être surmontées car l’avenir s’avère sombre. Le défi environnemental devra être relevé, ce qui nécessite un État fort capable de prendre des décisions et de contrôler l’application de la loi, mais aussi une action concrète des citoyens, des entreprises et des collectivités territoriales qui doivent disposer pour cela d’une autonomie suffisante.
70Enfin, du point de vue du citoyen, on ne peut que constater une faible transparence de l’action publique, malgré toutes les réformes accomplies : la responsabilité des élus sera-t-elle un jour jugée par les citoyens à tous les échelons ? Déjà en 1840, Alexis de Tocqueville pensait que la France n’était pas encore mûre pour une démocratie active !