Le positionnement adopté, comme la prise de recul sur l’expérimentation décrite dans cet article doivent beaucoup aux échanges entretenus avec Catherine Vourc’h et Laure Veirier, médiatrices et formatrices au CNAM, ainsi qu’avec Monique Sassier, médiatrice de l’Éducation Nationale et de l’Enseignement Supérieur.
1La vague de rationalisation affectant le secteur public depuis plusieurs années transforme en profondeur les administrations (Demeestere et Orange, 2008), et les travaux alertant sur la souffrance des personnels sont nombreux (Timsit, 2004 ; Le Lay, 2012). Les universités ne sont pas épargnées et vivent depuis 2007 et la loi LRU – Liberté et Responsabilités des Universités – une véritable révolution culturelle en raison du transfert de responsabilités nouvelles faisant suite à l’acquisition de leur autonomie (Forest, 2012 ; Cour des comptes, 2012 ; Gaulejac, 2012 ; Sénat, 2013). À ces mutations s’ajoutent les « Investissements d’avenir », vaste programme d’emprunt initié en 2009 dont la finalité est de financer des projets dits d’excellence, mobilisant toute la communauté scientifique pour contribuer à la fédération d’universités, établissements, et organismes de recherche au niveau territorial.
2Les équipes de direction peinent à accompagner ces changements internes tant elles se trouvent sollicitées de toute part, de l’intérieur comme de l’extérieur, au centre d’enjeux politiques complexes, jouant le rôle d’acteurs, quelquefois malgré elles, d’une profonde modification du paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche français (Mignot-Gérard, 2012). Elles font alors appel à des consultants en organisation pour se prémunir contre ce qu’il est convenu d’appeler la résistance au changement (Soparnot, 2004), ces derniers apportant la caution d’un professionnalisme (Boussard, 2009), que d’aucuns décrient quand il s’agit d’intervenir dans le secteur public (Belorgey, 2014).
3Les résultats sont au mieux insatisfaisants, quand ils ne sont pas qualifiés d’échecs, amenant certains à rappeler des dimensions oubliées, en particulier l’importance de la parole et du collectif, pourtant mis au jour il y a longtemps (Chanlat, 1990 ; Dejours et al., 1994).
4C’est dans ce contexte qu’en 2012, une université décide de créer un dispositif d’intermédiation, initialement conçu comme un outil d’amélioration de l’organisation et des procédures internes. Le dispositif est à créer de toutes pièces, et doit permettre au Président de recueillir l’expression des personnels sur les dysfonctionnements qui handicapent leur quotidien, dans l’objectif d’y apporter des réponses sur le long terme. Carte blanche a été donnée au chargé de mission.
5Le présent article s’attache à discuter des fondements sur lesquels reposent les choix qui ont été faits pour façonner le dispositif de sorte qu’il réponde à l’ambition politique ayant présidé à sa création. Un panorama des situations traitées par cette mission d’intermédiation permettra ensuite de discuter de la validité de l’hypothèse de base, pour terminer sur des perspectives générales.
6L’élaboration en 2012 du projet d’intermédiation dont il est question ici, s’est appuyée sur trois corpus de références.
7Le premier est clairement celui de la médiation interne, un accord ayant été signé depuis peu (décembre 2009) entre la Médiatrice de l’Éducation Nationale et de l’Enseignement Supérieur d’une part, et la Conférence des Présidents d’Universités d’autre part, pour le déploiement de conciliateurs internes au sein des universités (Rapport du médiateur de l’ENESR, 2010).
8Le second se positionne dans le champ de la santé au travail. L’université en question expérimente en effet depuis 2 ans son autonomie, les chantiers organisationnels sont multiples, et les manifestations de souffrance du personnel sont visibles. L’ambition est donc de retrouver un climat de travail favorable à la santé, en s’attachant à la suppression des dysfonctionnements.
9Le troisième corpus est celui sur lequel repose le parti pris par le chargé de mission, celui de l’importance de la communication au sein des organisations. Nous verrons qu’il fait se rejoindre les objectifs de « bonne gouvernance » et de santé au travail.
10Le terme de médiation est familier, et dans le même temps, les débats qu’il suscite attestent de la difficulté à en cerner les véritables contours. L’acception la plus fréquente, en particulier en entreprise, fait référence à un mode alternatif de résolution de conflits dans lequel un médiateur aide au rétablissement du lien entre deux parties (Stimec, 2011 ; Malarewicz, 2011). Pour autant, on parle de médiation dans bien d’autres situations (Faget, 2010 ; Milburn, 2012), dont le point commun repose sur la place de tiers tenue par le médiateur.
11Concernant les universités en France, le dispositif de médiation s’appuie sur un médiateur national et ses relais académiques. Créé à l’origine dans l’éducation nationale fin 1998, son périmètre est étendu en 2008 à l’enseignement supérieur. Ses principes relèvent de la médiation institutionnelle (Revillard, 2012), dont l’objet est de permettre aux usagers et/ou aux personnels de faire entendre leur voix et de concourir à leur niveau à une bonne administration (Fellous, 2007 ; Mendes, 2009), c’est-à-dire de disposer d’un certain pouvoir d’agir vis-à-vis des décisions qui les concernent. Il s’agit d’une illustration concrète de l’ambition démocratique que peut porter la médiation, ainsi que l’exprime Jacques Faget (2006) : la médiation « ne consiste pas seulement à mettre de l’huile dans des rouages grippés. Elle comporte aussi un projet de transformation sociale et politique ».
12La littérature américaine décrit, quant à elle, de longue date des médiateurs internes aux organisations, publiques ou privées (Rowe, 1987 ; Gadlin, 2000), qualifiés le plus souvent d’ombudsman, vocable sous lequel la fonction est née en Suède il y a deux siècles. Leur cadre de référence peut être multiple (Shubert et Folger, 1986 ; Shelton, 2000 ; Moore, 2016) car leurs interventions relèvent autant de la résolution de conflit interne que de la bonne gouvernance.
13Si en France, la médiation institutionnelle met davantage l’accent sur l’amélioration de l’administration, aux États-Unis, l’ombudsman est décrit comme un spécialiste du développement de l’organisation (Curran, 1991 ; Wagner, 2000), ce qui s’explique par sa plus grande proximité avec les collectifs de travail en raison de sa position interne. Le point commun entre ces deux conceptions est cependant de corriger des dysfonctionnements pour éviter qu’ils ne se reproduisent dans le futur, et c’est en créant des espaces de délibération que la médiation veut concourir à une telle fin : favoriser l’expression des personnels pour concourir collectivement à l’amélioration de l’organisation.
14Compte tenu de ce qui précède, le dispositif d’intermédiation à créer se situe donc davantage du côté de l’ombudsman, son périmètre d’intervention étant a priori limité à des problématiques collectives et organisationnelles, tandis que les questions individuelles procédurales, jusque-là de la compétence du médiateur national, sont maintenues en dehors du périmètre du dispositif.
15Au-delà de leurs différences, les médiateurs institutionnels et ombudsman partagent les mêmes valeurs d’indépendance, de neutralité, d’impartialité. Pour accomplir leur mission, ils sont de façon similaire amenés à assumer de multiples rôles, ce qui contribue à brouiller l’image de ce que l’on entend véritablement par médiation. La forte suspicion de non-indépendance qui pèse sur eux les conduit à redoubler d’exigence envers eux-mêmes et vis-à-vis du cadre au sein duquel ils œuvrent. Les questions d’autorité, de légitimité, d’efficacité, sont au cœur de la réflexion sur leurs pratiques.
16Depuis plusieurs années, l’accroissement des pathologies liées aux situations de travail a fait naître le concept de risques psychosociaux (RPS), amenant le législateur à instaurer la nécessité de conduire une prévention de ces risques (Article L 4121-2 du code du travail), au même titre que les risques professionnels relevant de la loi de 1991. C’est ainsi que les établissements s’engagent dans une « gestion des risques » comme les y contraint l’accord pour la prévention des RPS dans la fonction publique signé en 2013, à la recherche de « facteurs » de risques à éliminer. Il s’agit d’une approche relevant d’une logique gestionnaire, à laquelle il conviendrait de préférer une démarche de prévention de « troubles » psychosociaux centrée sur l’organisation et son impact sur le travail (Giust-Desprairies et Giust-Ollivier, 2010 ; Lhuilier, 2010).
17Le lien entre organisation du travail et RPS a en effet été montré à de multiples reprises, sous des éclairages différents (Aubert et Gaulejac, 2007 ; Clot, 2010 ; Dejours, 2012 ; Gollac, 2012 ; Richard, 2012 ; Durat et Bartoli, 2014 ; Rolo, 2015). Les auteurs appartiennent à des courants de pensées s’opposant parfois vivement sur le choix du concept au travers duquel la question doit être discutée. Y sont notamment dénoncés la pression individuelle induite par les impératifs de performance, le caractère délétère pour le collectif des systèmes d’évaluation, ou encore la frustration générée par l’empêchement pour le salarié d’effectuer un travail de qualité, toutes questions en lien avec des problématiques de reconnaissance. Au fondement de toutes ces observations, ce ne sont pas des données chiffrées, mais le recueil du travail vécu qui est analysé.
18Il faut en effet souligner l’importance de l’investissement subjectif au travail et de sa destinée vers le plaisir ou au contraire la souffrance, ce que Christophe Dejours appelle le travail vivant (2012a), qui repose sur un constat initial largement partagé aujourd’hui : le travail réel ne peut se résumer au travail prescrit, il résulte d’une adaptation permanente de l’individu aux situations qu’il rencontre, et c’est à ce prix que l’organisation fonctionne. Parler de RPS, c’est considérer la santé physique et mentale. Or, « la santé mentale ne dépend pas que des talents individuels. Elle dépend fondamentalement des autres et de leur solidarité. […] La prévention est essentiellement le fait du collectif » (Dejours, 2013).
19Il s’agit donc de ne pas penser la prévention en termes de risques individuels pour chaque salarié, mais en termes d’organisation impactant le fonctionnement du collectif dans son activité de travail.
20Si la question doit relever d’une préoccupation constante, elle devient critique en période de réorganisation. Des experts sont alors généralement missionnés pour « accompagner le changement » dans l’espoir de minimiser les risques psychosociaux. Parmi les préconisations les plus intéressantes, est fréquemment décrite l’organisation d’ateliers rassemblant le management intermédiaire, ou bien les personnels d’un même métier, pour « co-construire » le projet de réorganisation. L’initiative est à encourager, encore faut-il que son effet ne soit pas ruiné par un simulacre de délibération (Calori, 2003). Le discours des membres de la direction sur la prise en compte de la réalité du travail doit s’accompagner d’une véritable écoute des personnels, et de l’acceptation du risque de devoir amender le projet initial. Il s’agit là d’un exercice difficile, et il est fréquent de constater des conflits de perception vis-à-vis de la façon dont un projet de réorganisation est conduit, les personnels s’alarmant du manque d’information et de l’absurdité de certaines décisions, quand dans le même temps la direction est convaincue d’avoir recueilli le point de vue des personnels et d’avoir largement communiqué et débattu sur les choix entrepris.
21Compte tenu de l’ensemble de ces observations, nous pouvons faire l’hypothèse qu’en s’attachant aux dysfonctionnements organisationnels et en favorisant l’expression individuelle et collective, la mission d’intermédiation devrait concourir à la « prévention primaire des risques psychosociaux » au sein de l’université.
22Dire que la communication revêt une importance considérable dans les organisations est un lieu commun, quand cela fait plus de 20 ans que l’on parle de l’ère de l’entreprise communicationnelle (Detchessahar, 2003). Dans le même temps, si le sujet reste d’actualité, c’est qu’en pratique il ne suffit pas de décréter vouloir se préoccuper de communication pour que celle-ci s’établisse spontanément. Même quand des outils organisationnels sont mis en place pour créer des conditions favorables à la discussion entre pairs (fonctionnement par projet, par processus…), l’échec est fréquent. Selon Detchessahar (2003), ces outils visent moins à une modification quantitative que qualitative de la communication au sein du collectif. Ce changement de nature induit un coût insuffisamment pris en compte, pour chacun de ceux qui doivent s’approprier ces nouveaux modes d’intervention dans l’espace de discussion (un coût cognitif, politique, de responsabilité et social).
23Il s’agit de promouvoir la coopération au sein du collectif, or celle-ci repose sur la construction de règles de travail en commun (Dejours et al., 1994), ce qui suppose le débat de normes (Schwartz, 2010 ; Durrive, 2014) : les manières de faire versus les directives, mais aussi les manières de faire entre elles. Le type de communication dont il est question est donc un acte d’engagement de soi dans le débat public, avec toutes les conséquences que revêtent, notamment, les prises de position ou la transparence des pratiques. Omettre de prendre en compte tant la difficulté que le risque d’une prise de parole dans l’espace public aura pour conséquence au mieux une réduction progressive de l’intérêt du dispositif, jusqu’à son abandon, au pire une dégradation des conditions de travail (Detchessahar, 2003).
24Les capacités communicationnelles d’une organisation seraient donc déterminantes, et pour en appréhender la nature, c’est aux théories de Jürgen Habermas que de nombreux auteurs se réfèrent, qu’il s’agisse de l’agir communicationnel pour appréhender le processus concourant à la compréhension mutuelle (Calori, 2003), ou de l’éthique de la discussion comme fondement d’une démocratie délibérative (Aubert et Flügel, 2008).
25Dans un article fondateur (Dejours, 1991), il apparaît clairement que c’est par une enquête de terrain que peuvent être mis au jour les ressorts conduisant à une « pathologie de la communication », afin de mieux les corriger. Les conditions doivent être réunies pour que s’expriment collectivement et en toute confiance la ruse, la fraude ordinaire, les valeurs partagées, la défiance, les jugements… On comprend mieux pourquoi on ne peut attendre d’un atelier de travail mis en place dans le cadre d’un projet de réorganisation de faire surgir spontanément tous ces éléments pourtant clés pour la compréhension du travail réel.
26Le pari pris lors de l’élaboration du dispositif d’intermédiation dont il est question dans cet article, est qu’en favorisant au quotidien les conditions d’une véritable écoute mutuelle, il devrait être possible d’instaurer des pratiques vertueuses. L’idée est celle d’un apprentissage progressif pour tous de la délibération, et d’une reconnaissance de ses vertus par l’ensemble de la direction.
27Compte tenu des fondements évoqués précédemment, l’hypothèse de travail à vérifier est la suivante : par son rôle de tiers, le médiateur devrait être un facilitateur de la conduite du changement au sein de l’université, à la fois sonde et catalyseur, contribuant in fine à un dispositif de prévention primaire des RPS. En particulier, le dispositif devrait être en capacité d’éviter les écueils des approches usuelles de conduite du changement dans les projets organisationnels. Pour en discuter, l’approche retenue est celle d’un retour d’expérience personnel, conduit dans l’esprit de la recherche intervention (David, 2000 ; David et Hatchuel, 2007 ; Detschessahar et al., 2012 ; Cappelletti, 2010), dans laquelle nous questionnerons la pertinence de la réponse apportée par le dispositif mis en place en regard du besoin finalement exprimé, pour conduire à une interrogation plus générale sur ce que signifie « faire médiation » dans un tel contexte. Le profil de l’auteur, en charge de la mission d’intermédiation entre 2012 et 2016, est le suivant : enseignant-chercheur, précédemment en charge d’une vice-présidence dans la même université, désireux d’être au plus près des personnels, et formé à la médiation via un cursus long (plus de 350 heures). La simultanéité de la mise en place du dispositif et du suivi d’une formation a permis au médiateur/chercheur de bénéficier d’un lieu d’échanges et de supervision.
28Concrètement, nous rapporterons dans un premier temps des expériences variées représentatives des saisines effectuées auprès de la mission d’intermédiation, dans l’objectif d’en faire l’analyse ultérieure. Afin de saisir la difficulté à tenir le rôle espéré, et en conséquence les limites de l’action, les cas seront davantage décrits du point de vue de la perception du chargé de mission, qu’en termes de contenu des dossiers traités, afin de respecter la confidentialité des questions abordées.
29Une première catégorie de saisines s’inscrit parfaitement dans les objectifs assignés au départ : il s’agit de l’expression par les acteurs concernés de ce qu’ils considèrent être des dysfonctionnements devenus insoutenables. Par exemple, le responsable d’une formation manifestera sa colère vis-à-vis du retard récurrent avec lequel ses étudiants en provenance de l’étranger reçoivent leur bourse ; des directeurs d’unités s’impatienteront de la complexité et de la lenteur de certaines procédures administratives qui handicapent le quotidien de la recherche ; d’autres feront des propositions pour simplifier des circuits de validation de documents multi-signataires ; etc. Le point commun entre tous ces dossiers est la multiplicité des services impliqués, l’implication d’une interface entre l’administration et la formation ou la recherche, ainsi qu’une volonté, tout autant qu’un espoir, de contribuer à améliorer la situation.
30La première action du médiateur est de rencontrer les demandeurs afin de comprendre la situation et d’identifier les acteurs de l’organisation concernés par le dysfonctionnement. Dans un second temps, chacun de ces acteurs est écouté afin de recueillir leur point de vue sur la situation et de mieux cerner quelle pourrait être l’origine du problème.
31À ce stade, l’intervention du médiateur relève donc de l’enquête. Sa compréhension de la situation est directement corrélée à sa connaissance de l’organisation, or dans le cas présent, le chargé de mission a été préalablement en charge de démarches qualités et de maîtrise des processus au sein de l’université, ce qui lui confère un atout. Dans le même temps, si le médiateur veut garder sa position de tiers, il ne doit pas se comporter en auditeur ni en consultant, ce qui signifie très concrètement qu’il ne doit pas être l’auteur des analyses et conclusions portées sur la situation. C’est sans doute à ce niveau que la première difficulté apparaît car il doit à la fois s’appuyer sur ses connaissances de l’organisation et savoir les mettre en retrait le moment venu.
32Quand les problèmes soulevés sont récurrents, anciens, et qu’ils touchent à des principes (la prise en compte de la situation humaine d’un étudiant, la mise à disposition des moyens nécessaires à la recherche…), il n’est pas rare de rencontrer des personnes « à bout », fatiguées de faire fonctionner le système à bout de bras, grâce à un réseau implicite de relations et à des écarts aux procédures instituées. Le médiateur peut ainsi se trouver face à des personnes en pleurs, pour lesquelles il se sent dans l’urgence d’agir, par empathie, d’autant plus quand il entend « vous êtes notre sauveur ! ».
33C’est ainsi que pour accélérer les choses, la facilité est de rapporter dans un document à destination de la direction de l’établissement, la synthèse des entretiens conduits avec chacun des acteurs, suivie d’une analyse et de propositions. Ces dernières sont donc formulées par le médiateur lui-même, et bien qu’ayant fait l’objet de discussions en tête-à-tête lors de l’enquête initiale, puis d’une relecture pour validation par chaque personne concernée, il manque une étape cruciale pour la constitution du collectif de travail : la délibération en commun.
34L’étape suivante consiste à faire le lien avec la direction, et là encore par souci d’économie de temps, le médiateur s’est vu le plus souvent préférer deux modes d’action : la navette, ou la réunion d’arbitrage.
35La navette s’est imposée naturellement quand il s’est avéré que les problèmes soulevés par les demandeurs avaient déjà été identifiés par la direction et qu’ils étaient en cours de traitement. Le médiateur clôt alors le dossier par une note d’information adressée au demandeur, et une recommandation auprès de la direction de communiquer sur l’avancée du dossier. La navette remplit ainsi un rôle d’information interne, et doit favoriser la mise en lien directe entre personnels et direction à l’avenir.
36La réunion d’arbitrage consiste à rassembler les acteurs auditionnés sur un dossier donné, en présence de la direction de l’établissement, avec l’objectif de débattre de l’analyse de la situation et des préconisations. Concrètement, la difficulté de libérer dans l’agenda du président un créneau suffisant dans un délai court, peut amener le médiateur à ne pas prêter suffisamment attention à l’horaire, au risque de mettre certaines personnes dans l’incapacité de participer à la réunion, sans qu’elles aient osé le signaler à l’avance. L’expérience montre que lors de ces rencontres, même si les personnes ont exprimé leurs difficultés au médiateur, même si elles ont vu que ces difficultés avaient été rapportées dans un document adressé au président, elles éprouveront le besoin de les « dire » devant le président. Si la durée de la réunion n’a pas pris en compte ce besoin, la phase d’arbitrage sera bâclée, elle ne permettra pas un véritable débat entre tous, et se terminera par un échange entre la direction et le médiateur qui défendra les propositions.
37Avec le recul, pour tous les dossiers de ce type, des décisions ont été prises, qui concrètement ont amélioré la situation. Dans le même temps, les préconisations du médiateur étaient systématiquement d’une envergure plus large avec une ambition de remédier de façon plus pérenne au problème, de « guérir » l’organisation. Le médiateur se trouve alors confronté à un dilemme : doit-il accepter ces solutions à court terme, ou bien insister pour un changement plus profond de l’organisation ?
38Dans un contexte où tous les services sont mobilisés sur différents fronts pour s’adapter à l’acquisition des responsabilités et compétences élargies, il est extrêmement difficile de contribuer à la surcharge de chacun en ajoutant un projet supplémentaire. Le médiateur doit donc s’interroger sur la nature des motivations qui le pousseraient à demander plus : dans son rôle de tiers, si les personnes à l’origine des saisines se disent satisfaites des décisions prises, il devrait considérer le dossier clos. Il s’agit donc ici pour le chargé de mission de faire la part de sa propre ambition pour l’organisation, en regard de la demande exprimée et du rôle qui est attendu de lui. Dans l’expérience rapportée ici, le médiateur a pris la décision de renoncer aux revendications exprimées dans les conclusions de ses enquêtes, pour se satisfaire des petites améliorations apportées.
39Compte tenu du nombre de projets organisationnels en cours au sein de l’université, et du lien entre organisation et santé au travail évoqué précédemment, il était prévisible de voir la mission d’intermédiation saisie pour souffrance collective.
40Trois situations seront prises à titre d’exemple, dans lesquelles le rôle du tiers a été très différent.
41Dans la première, c’est un directeur de service qui sollicite le chargé de mission pour qualifier le mal-être exprimé par certains de ses personnels. Ces derniers lui ont fait part, via leurs représentants syndicaux, d’une « situation de souffrance collective ». Seraient en cause les pratiques du management intermédiaire. Le directeur, attaché au dialogue direct avec les agents, se trouve désemparé dans la situation présente, où la voix des personnels est portée par un représentant. Il est convenu que dans le cas où l’état de souffrance collective serait avéré, une médiation serait organisée entre la direction du service et les représentants du personnel, afin de construire des solutions.
42Le médiateur a alors entrepris la consultation des personnes en souffrance, tout en laissant le soin de l’organisation des rencontres aux représentants syndicaux. Une trentaine de personnes ont ainsi été entendues et le médiateur a eu la nette impression de recueillir un « discours », sans avoir le temps d’explorer au-delà. À de nombreuses reprises, il a éprouvé le besoin de recadrer son rôle, des éléments du discours lui laissant penser que les personnels le considéraient comme un représentant de la direction, voire comme un auditeur commandité par la direction : dans tous les cas, certainement pas comme un tiers neutre. Dans le même temps, le médiateur a également rencontré le management intermédiaire.
43Dans ces conditions, la qualification de souffrance collective a été confirmée, et une médiation a été entreprise. Ce fut un échec, les représentants du personnel ayant choisi de claquer la porte après une heure à peine, refusant de débattre de solutions autres que l’éviction du chef de service.
44Dans cette expérience, la représentation que chacun avait de la position du médiateur, a joué un rôle majeur dans le dénouement, en brouillant les cartes. Si le directeur a fait initialement appel au médiateur, ce n’est pas seulement au titre de la mission dont ce dernier était chargé, mais en raison de la confiance qu’il lui accordait au regard des collaborations passées, à la direction de l’université. Dans son esprit, le médiateur était « à ses côtés ». C’est bien ainsi également que les représentants du personnel avaient tendance à positionner le médiateur, même si les clarifications faites pendant les entretiens préalables permettaient d’accorder à ce dernier le bénéfice du doute. La confiance n’étant pas totale cependant, le recueil de l’accord des personnels vis-à-vis de la médiation finale fut porteur d’un biais, d’autant plus difficile à percevoir que l’échange sur ce point s’est fait par téléphone.
45Un dénouement fut néanmoins trouvé, par arbitrage direct au plus haut niveau, et non dans le dialogue, contrairement à ce qu’aurait souhaité le directeur de service.
46Une seconde expérience permettra d’illustrer un tout autre rôle confié au chargé de mission d’intermédiation, ni enquêteur, ni médiateur dans la résolution de conflit, mais simplement tiers neutre garant du bon déroulement d’un processus. Il s’agit de la conduite d’une enquête décidée en CHSCT, en réaction à plusieurs expressions de souffrance au sein d’un service d’une trentaine de personnes, désignant le management du directeur comme responsable de la situation. Ce sont les représentants syndicaux eux-mêmes qui sollicitent la participation du médiateur pour l’animation de la délégation paritaire chargée de mener l’enquête.
47L’enquête sera jalonnée de divers évènements, et s’échelonnera finalement sur près de 9 mois, une période très longue. Les conclusions de l’enquête ne seront pas à la hauteur des souhaits a priori des représentants du personnel (« seulement » deux situations individuelles avérées, qui seront prises en charge), et dans le même temps, chacun a néanmoins apprécié de pouvoir échanger dans un climat serein tout au long de l’enquête, en l’absence de jugement, en toute confiance (terme particulièrement souligné). Un sentiment de frustration est ainsi resté chez certains représentants du personnel, que l’on peut expliquer par le rôle inhabituel qu’ils ont joué dans la délégation : les choix méthodologiques ont été faits par consensus, et chaque participant a œuvré pour une clarification de la situation. Il n’y a donc pas eu de position à tenir « face » à la direction, il y a eu collaboration le temps de l’enquête. Dans le même temps, les représentants de la direction ont, pour des raisons symétriques, vécu l’expérience comme difficile tout en reconnaissant qu’elle ne pouvait pas mieux se dérouler : accepter de clarifier la situation signifiait ne pas afficher leur solidarité avec leur collègue directeur de service, et jouer la neutralité. Enfin, si le médiateur peut être satisfait du climat établi, sa plus grosse préoccupation a été de faire accepter son rôle par le directeur incriminé, et d’accepter dans le même temps que des liens d’amitié puissent être mis en péril. Ceci explique sans doute pourquoi tant de précautions ont été prises pour garantir la neutralité de l’enquête.
48Enfin, dans un troisième exemple, un conflit au sein de l’équipe de direction d’une entité avait pris des proportions telles qu’il induisait un malaise général et commençait à handicaper le fonctionnement des services. Une délégation de personnels était venue solliciter un arbitrage auprès de la direction de l’université, en vain, cette dernière se refusant à faire de l’ingérence dans les affaires locales. C’est ainsi que diverses personnes sont venues frapper à la porte de la mission d’intermédiation, chacune avec une problématique qui lui était propre, mais avec un point commun : un mal-être important, évoluant soit vers la souffrance, soit vers la colère. Dans ce dossier d’une grande complexité, le médiateur a vite réalisé qu’il ne pouvait agir qu’à distance, aucune confrontation des personnes n’étant possible, et que le meilleur service à rendre était de favoriser « l’empowerment » des personnels, puisque la direction n’interviendrait pas. C’est ainsi qu’au fil des entretiens individuels, les uns et les autres ont pu trouver les ressources pour agir à leur façon. Le médiateur a donc ici joué un rôle de coach, refusant de donner conseil pour ne pas perdre sa neutralité, tout en veillant à ce que les décisions prises par chacun ne les mettent pas en danger (pas de martyre !).
49La situation s’est finalement dénouée favorablement. L’expérience a pour autant été source d’interrogations pour le médiateur : le fait d’accepter d’aider ces personnes, n’était-il pas en soi une prise de position vis-à-vis du conflit qui sévissait ? Est-ce là le rôle d’un tiers neutre ?
50Parallèlement à ces problématiques organisationnelles et collectives, la mission d’intermédiation fut de plus en plus souvent saisie pour des questions individuelles. Le chargé de mission devenait la personne à contacter quand on ne savait pas à quelle porte frapper, ou quand les interlocuteurs habituels se trouvaient démunis, impuissants.
51La médecine de prévention est un acteur majeur, qui bénéficie de la confiance des personnels en raison de l’obligation de secret médical. Quand la source du problème relève de l’organisation du service, les médecins disposent de la capacité d’initier des enquêtes de terrain. Cependant, quand la situation s’enlise, des alternatives sont nécessaires, et c’est ainsi que la mission d’intermédiation a été perçue par les différents acteurs de prévention comme une ressource complémentaire pour aborder les choses avec une approche renouvelée.
52Les problématiques les plus fréquentes sont celle de l’isolement, et du manque de reconnaissance, tant par les pairs que par la hiérarchie. Dans le même temps, sur ces mêmes questions, le management intermédiaire souffre d’une incapacité d’agir, face à des règles complexes, strictes, et souvent mal connues (recrutements, promotions, mais aussi autorité et sanctions disciplinaires, etc.). Il s’ensuit des situations conflictuelles qu’il faudrait pouvoir endiguer très tôt, notamment en s’appuyant sur la communication.
53Quel rôle peut avoir un médiateur à ce niveau ? Ce n’est certainement pas un magicien et il ne sera qu’une personne-ressource parmi d’autres. L’expérience montre que l’écoute est importante : les personnes sollicitant le chargé de mission ont l’impression que leur parole peut atteindre le président de l’université, puisque c’est ce dernier qui a souhaité instaurer un dispositif d’intermédiation. Cette écoute ne doit cependant pas rester sans suite, et c’est là que se situe la plus grosse difficulté. Par exemple, quand des procédures administratives sont en question, il est fréquent qu’elles relèvent elles-mêmes d’un cadre législatif laissant peu de degrés de liberté. C’est donc sur la façon de les mettre en œuvre qu’il convient d’agir. Quand il s’agit plutôt de la non-adéquation entre périmètre et catégorie du poste (A, B ou C), c’est une question de ressources qui est en jeu.
54Quand la situation a engendré une rupture de communication entre 2 ou plusieurs personnes, le médiateur devrait être le mieux à même d’intervenir. Cependant, notre expérience montre que le processus de médiation est mal connu, peut-être fait-il peur, et les personnes à qui cette option a été proposée ne l’ont pas retenue. Certaines ont préféré opter pour une médiation assistée par un représentant syndical, c’est-à-dire en réalité un entretien au cours duquel les agents se sentent davantage à égalité devant leur supérieur hiérarchique (2 pour 1). Cela traduit le fait que la médiation est généralement vue comme un rapport de force « arbitré » par le médiateur, ce qui ne correspond pas à sa définition.
55La difficulté d’agir a posteriori dans les cas de souffrance individuelle est particulièrement frustrante et cela rend d’autant plus nécessaire une réforme en amont de l’organisation et des procédures internes, pour éviter que des situations similaires ne se reproduisent. C’est ainsi que le chargé de mission d’intermédiation s’est retrouvé tout naturellement membre d’un groupe pilote de prévention primaire des RPS, et qu’il lui a été demandé de l’animer.
56La finalité de ce groupe de travail est d’identifier les problématiques transversales sources de troubles psychosociaux, et de proposer des actions de nature à en éviter l’occurrence à l’avenir. Il s’agit d’une émanation du CHSCT, composée d’une grande diversité de catégories de personnels, et le rôle du médiateur a dans un premier temps été de favoriser la parole, l’écoute mutuelle, et le travail d’analyse nécessaire à une priorisation des sujets et à l’émergence de propositions concrètes. Quand le temps est venu de construire un plan de prévention, d’arbitrer, de déployer des actions, le médiateur n’était plus en mesure de tenir sa place de tiers neutre, et le relais a été passé à un gestionnaire RH.
57De ce bref aperçu des situations rencontrées au cours d’une période de 3 ans, il apparaît que l’un des rôles majeurs du médiateur se situe bien du côté de l’intermédiation, en tant que facilitateur, navette, animateur, lanceur d’alerte, etc. Dans le même temps, un certain nombre de sollicitations relèvent plutôt de l’enquête, du conseil, de l’audit, positions difficilement compatibles avec celle de tiers qu’un médiateur se doit de préserver. Les tensions engendrées rappellent celles que vivent les médiateurs institutionnels, au sujet desquels certains auteurs ont une position très critique, affirmant qu’il ne s’agit pas de médiations « même si elles en empruntent le vocable, dans la mesure où elles ne respectent pas la nécessité fondatrice de la posture du médiateur qui est d’être au milieu », critiquant par là le caractère interne du dispositif, et allant jusqu’à dire que les « soi-disant médiateurs s’affranchissent des exigences éthiques et déontologiques minimales de la médiation » (Faget, 2010).
58Dans la lettre de mission qui définissait le cadre du dispositif d’intermédiation, il avait été explicitement posé des limites au rôle du chargé de mission : outre le périmètre dont nous avons déjà parlé, la notion de « problème d’intérêt collectif » était spécifiée, et celle d’audit était exclue, alors que dans le même temps il était demandé au médiateur de rédiger des conclusions et propositions, puis de les transmettre au président.
59Nous venons de voir que sur le terrain, la mise en œuvre de ces principes ne dépend pas que du médiateur. Il lui faut en permanence déceler les tensions à l’œuvre pour procéder à un ajustement constant entre des places instituées, attribuées et revendiquées, que nous proposons de nommer ainsi par analogie avec les concepts d’identités (Gutnik, 2002).
60Par la place instituée, nous entendons le rôle défini par la lettre de mission. Ce dernier s’apparente à celui d’un capteur favorisant l’objectivation de l’état du système, en vue de prises de décisions ultérieures par la direction de l’établissement.
61Le médiateur joue donc le rôle d’intermédiaire, que sa lettre de mission qualifie « de confiance », or son rattachement au Président amène certains à voir en lui un représentant de la direction, susceptible de répondre à leur besoin spécifique : l’un y verra le conseiller du Président qui pourra faire pression pour que les choses avancent, d’autres y chercheront un auditeur qui pourra attester que cela ne fonctionne pas correctement, tandis que certains penseront avoir trouvé leur sauveur. Nous avons vu à quel point ces différentes places attribuées par autrui peuvent être sources de difficulté pour le maintien de sa neutralité par le médiateur.
62Les plus sceptiques, à l’inverse, se méfieront de ce chargé de mission prétendument neutre, antérieurement connu pour avoir été un membre de la direction… Pour abonder dans ce sens, le président pourrait voir en lui un instrument au service de sa politique, au risque de compromettre l’indépendance de la fonction. Par conséquent, conformément aux principes auxquels doit se plier la médiation institutionnelle (Bousta, 2007), il a été prévu que le médiateur rende compte de ses actions auprès du Comité Technique, organe paritaire de l’établissement. C’est un élément important contribuant à la confiance que les représentants du personnel peuvent accorder a priori au chargé de mission : le rôle confié à ce dernier dans la conduite de l’enquête missionnée par le CHSCT évoquée plus haut en est une illustration.
63De son côté, le chargé de mission revendique d’aider à la résolution du problème en privilégiant, d’abord, de donner la parole aux personnels. La place qu’il souhaite occuper est bien celle d’un médiateur interne, et dans sa volonté de renouveler les modalités de la communication au sein de l’établissement, sa pratique peut utilement s’inspirer de la médiation de projet mise en œuvre dans le dialogue territorial (Barret, 2012), dont l’existence repose à l’origine sur la volonté de combattre l’excès de centralisation, le défaut de démocratie, le manque de concertation, etc.
64C’est une démarche qui nécessite, cependant, de prendre le temps nécessaire à la concertation, or nous avons vu, notamment dans le cas des saisines pour dysfonctionnement, que le chargé de mission considérait qu’il y avait urgence à l’égard des personnels. Par souci d’efficacité, la tentation est très forte de procéder à une synthèse écrite, qui, bien que validée par chacun, n’en est pas moins la proposition finale du médiateur. Cette façon de procéder dépossède les personnels de l’élaboration des solutions. Il n’y a alors plus aucune différence entre le médiateur et un consultant externe ou un auditeur.
65Par ailleurs, en raison justement de l’état d’exaspération de chacun, y compris de ceux sur lesquels reposerait la correction des dysfonctionnements, nous avons également vu que le chargé de mission s’est vu abandonner certaines revendications, au profit de correctifs à court terme. Vécue comme un deuil à faire d’une certaine ambition initiale pour le collectif, cette situation éloigne le dispositif de son rôle dans la prévention primaire des RPS en renonçant à des changements plus profonds.
66En pratique, dans un contexte où les chantiers de refonte de l’organisation sont nombreux (mise en place d’un nouvel outil informatique, réorganisation des services support, fusions de laboratoires…), il est fréquent que les demandes formulées auprès de la mission d’intermédiation pointent des dysfonctionnements dont la résolution à long terme ne peut se penser en dehors des autres modifications organisationnelles en cours. Nous sommes alors sur du temps long, voire très long, et c’est pourquoi un « pansement » à court terme ne doit pas être dédaigné. Par contre, cela signifie dans le même temps que la mission d’intermédiation conçue comme un dispositif de veille, ne pourrait réellement atteindre son objectif premier qu’en période de changement de niveau I, c’est-à-dire en période d’amélioration continue (Cedip, 2005).
67D’ailleurs, les saisines relatives à des dysfonctionnements se sont peu à peu raréfiées, au profit des sollicitations individuelles pour souffrance. Alors que les acteurs de prévention sont multiples (médecins, psychologues, assistantes sociales, conseillers RH, conseiller et agents de prévention, CHSCT…), l’expérience a montré que dans un certain nombre de cas, ces derniers se trouvaient dans l’incapacité de mettre en œuvre des solutions durables aux problèmes pour lesquels ils étaient sollicités. Si la mission d’intermédiation semblait pouvoir apporter une option nouvelle, elle n’a cependant pas pour autant eu la capacité de faire des miracles. Son rôle n’étant pas de prendre en charge les personnes en souffrance, pas plus que de décider ni de mettre en œuvre des actions, sa contribution principale peut être d’analyser la situation du point de vue organisationnel, et d’interpeller la direction de l’établissement sous forme d’alertes. Il s’agit là d’une modalité d’intervention que Monique Sassier décrit comme grandissante dans son rôle de médiateur institutionnel (Sassier, 2013). Par sa vision transversale de l’établissement, le médiateur interne peut en effet prendre conscience de la récurrence de certains signaux, et par là, de l’intérêt d’y accorder de l’importance.
68Concernant les problématiques de souffrance collective, nous avons vu à quel point le passé du chargé de mission pouvait influer sur la place qui lui était attribuée par chacun. Or, dans ces situations sensibles, ces jugements a priori peuvent avoir un impact décisif sur le déroulement du processus. À cela s’ajoute le fait que le médiateur doit veiller à repérer l’existence d’une demande cachée. Sous couvert de solliciter le dialogue, la demande réelle n’est-elle pas de conduire la direction à prendre des mesures à l’encontre d’un chef de service par exemple ? S’il accepte de faire un diagnostic, le chargé de mission perd sa place de tiers et court le risque d’être instrumentalisé. La seule chose qu’il puisse faire en réalité, est de jouer un rôle de médiation au sens usuel du terme, dans une réunion rassemblant toutes les parties prenantes (Stimec, 2011), même si les liens de subordination existant entre les personnes rendent l’exercice particulièrement difficile. Dans cette situation, nous considérons que plus le médiateur se sera fait expliquer la situation en amont par les parties prenantes, plus il lui sera difficile de garder la distance nécessaire à son rôle de tiers. Ce n’est cependant pas un point de vue unanimement partagé, certains postulants font l’inverse (Gadlin et Pino, 1997), sans doute parce que leur vision de la médiation relève davantage de la conciliation, voire de l’arbitrage.
69Dans un certain nombre de cas, la saisine est le fait de personnels directement impactés par les projets de réorganisation, et traduit la difficulté sur le terrain d’accompagner les changements, en dépit de tout ce qui peut être mis en place par la direction (affectation d’une personne à cette question pour chaque projet, accompagnement individuel des personnes amenées à être réaffectées à un autre service, réunions d’informations, ateliers, etc). C’est en alertant la direction et en suscitant le débat sur ce qui pourrait être conduit autrement, que le médiateur peut intervenir utilement, à condition toutefois d’user de persévérance pour que ce rôle de facilitateur ait véritablement un impact (Sassier, 2013).
70Si nous devons tenter une synthèse du retour d’expérience critique rapporté dans ce travail, il nous semble que trois grandes problématiques questionnent en boucle le chargé de mission : la pertinence du caractère interne du dispositif eu égard aux questions de neutralité et d’impartialité ; le positionnement entre des rôles multiples ; l’efficacité de l’action.
71Le caractère interne du dispositif présente un avantage pour l’action, le médiateur pouvant s’appuyer sur sa connaissance de l’organisation, tout autant que sur sa compréhension de la culture universitaire pour appréhender les situations (Shelton, 2000 ; Stieber, 2000 ; Volpe et Chandler, 2001). Nous avons en effet évoqué que de nombreuses problématiques se situent aux interfaces entre administration et formation ou recherche : il s’agit là d’un trait culturel fréquemment retrouvé dans le secteur public, une dualité entre deux « corps » qu’un consultant familier du secteur privé peut avoir du mal à appréhender.
72Par ailleurs, la reconnaissance dont le chargé de mission bénéficie dans l’institution pour ses activités antérieures est un atout dans l’instauration de relations de confiance, même si une absence d’expertise peut être contrebalancée par ses qualités de médiateur (Arnold, 2007), et c’est bien sur la base de ses caractéristiques personnelles (Rowe, 1987) que l’institution doit choisir son médiateur interne.
73Dans le même temps, au titre des inconvénients, en raison de son rattachement fonctionnel, le maintien de son indépendance nécessite une forte volonté du médiateur (Jacoby, 2000). Pour résister aux pressions, il lui faudra clarifier les enjeux que représente pour lui le fait d’être institué dans cette fonction (Stieber, 2000), et la liberté qu’il s’octroie de pouvoir y renoncer si les conditions de sa mise en œuvre ne sont pas remplies. De la même façon, il pourra lui sembler difficile de respecter la neutralité requise dans sa position de tiers. La fréquence avec laquelle cette question est abordée par la communauté des médiateurs atteste autant de son importance que de la difficulté à en définir les contours (Gadlin et Pino, 1997).
74Etre neutre signifie, pour le médiateur, ne pas faire intervenir ses convictions, ses jugements, ses sentiments. Il ne doit pas avoir d’avis a priori, ne pas influencer, ne pas conseiller, ne pas faire à la place de l’autre, formulé par certains comme « une absence totale d’engagement politique » (Monette, 2000). La neutralité serait donc définie par des injonctions à NE PAS FAIRE or peut-on ne pas faire quand on pense ? Peut-on avoir une éthique quand on n’a pas d’engagement politique au sens noble du terme ? En réalité, il convient davantage de définir la neutralité comme l’absence de position a priori, la façon de se comporter plus que la façon de penser (Bauer, 2000), sachant que l’objectif du médiateur sera d’œuvrer pour la justice et l’équité, en toute impartialité (Gadlin et Pino, 1997). Pour tenir sa position de tiers, il devra donc être capable de suspendre ses jugements (Gadlin, 2011), et suspendre ses projets pour autrui le temps de son action, au risque sinon de vivre l’exigence de neutralité comme une injonction paradoxale. Concrètement, il se refusera à donner des conseils, il veillera à ne pas être en conflit d’intérêts, à s’en tenir aux faits, et il prêtera une vigilance permanente à la rigueur avec laquelle il met en pratique les principes déontologiques de sa fonction (Faget, 2010 ; Fiutak, 2009) de façon à garder sa crédibilité (Gadlin et Pino, 1997). Cela pourra le conduire parfois à renoncer quand le cadre n’est pas tenable. Comment, par exemple, conduire de façon totalement neutre et impartiale une enquête diligentée pour clarifier les sources d’une souffrance au travail quand le médiateur connaît personnellement la personne en souffrance, ou bien au contraire le responsable de service suspecté d’être en cause ?
75C’est à cette condition, qui consiste à s’effacer le temps de l’action, que le projet de redonner la parole à autrui et de favoriser le dialogue, pourra se concrétiser. Ainsi, quand il s’agira d’enquêter pour clarifier une situation, c’est cette exigence de neutralité qui permettra au médiateur de ne pas occuper la place d’expert, d’auditeur ou de consultant. C’est également cette exigence qui devrait le prémunir contre le risque de se laisser envahir par un excès d’empathie (Kolb, 2015) face à toutes les expressions de souffrance qu’il rencontre et auxquelles il va réagir par un mécanisme de contre-transfert (Devereux, 1980), attitude qui va le conduire à adopter une position de sauveur, donc à perdre sa place de tiers. C’est enfin également cette exigence qui devrait l’aider à suspendre le temps de l’action le projet politique de restauration de la coopération qui l’a porté à s’engager dans la mission, un projet pour autrui qui, là encore, peut le pousser à vouloir accélérer les choses en outrepassant ses prérogatives. Ces problématiques posent très précisément la question du mode d’action du médiateur : dans quelle mesure peut-il se permettre d’être proactif ? Quel type d’ambition peut-il se permettre d’avoir ? Chacun s’accorde sur le fait que le médiateur est avant tout le garant du cadre d’intervention et que c’est ainsi qu’il se tient à distance des faits eux-mêmes. Néanmoins, pour orienter la situation vers une solution, un dénouement, ou au minimum des propositions, certains n’hésitent pas à parler du « pouvoir » dont il peut faire usage (Carnevale et Pruitt, 1992 ; Shapira, 2009). Pouvoir et neutralité sont antinomiques, et certains usages (coercition, récompense) sont, de notre point de vue, critiquables. Dans le même temps, une part de ce pouvoir est attribuée par autrui (Raven, 2008), en fonction du regard porté sur le médiateur du point de vue de sa légitimité, ou de son expertise. Ce pouvoir attribué aura un rôle dans le résultat de l’action, sans que le médiateur puisse le nier. Il s’agit donc d’un pouvoir attaché au dispositif lui-même, au rôle institué, qui va à l’encontre d’une neutralité absolue. Refuser d’admettre cette réalité est illusoire et la légitimité est même, au contraire, un critère important dans le choix du médiateur (Rowe, 1987). Celui-ci doit donc s’attacher à faire la différence entre pouvoir et usage du pouvoir (Shapira, 2009), en particulier maintenir une vigilance constante pour éviter tout usage abusif de ce dernier, être lui-même exemplaire pour être en capacité de promouvoir l’équité au sein de l’organisation (Avgar, 2011). Il s’agit ici d’éthique. Si la déontologie est un guide pour l’établissement du cadre, l’action elle-même est stratégie : agir est incertain, il n’est pas possible de maîtriser toutes les dimensions de ses actes, toutes les conséquences possibles, car on ne peut prévoir à l’avance avec certitude la façon dont ces actes vont être reçus, interprétés, et quels actes en retour ils vont induire de la part d’autrui. Le pari éthique consiste à en assumer l’incertitude et à reconnaître ses risques (Morin, 2006).
76La seconde préoccupation très présente dans les pages qui précèdent est le juste rôle à tenir : les saisines sont de nature variée, auxquelles il s’agit de trouver une réponse adaptée sans pour autant disposer de guide a priori. Cette préoccupation fait écho aux critiques des médiateurs s’inquiétant de la diversification des pratiques de médiation aujourd’hui, en raison de la confusion des rôles et de la dégradation du professionnalisme qu’elles génèrent.
77La définition de ce qu’est la médiation emprunte généralement l’angle de la finalité (mettre en lien, aider à la résolution de conflit, établir le dialogue…), ou bien l’angle du processus (la façon dont il convient de procéder), pour définir des catégories. Les frontières établies entre ces catégories séparent, opposent les pratiques (Gadlin, 2000), ce qui conduit à des positions parfois tranchées, comme celle de Jacques Faget évoquée précédemment, alors que dans le même temps les fondements sont communs, exprimés par des règles, un cadre au sein duquel agir. C’est le questionnement incessant du médiateur vis-à-vis du cadre qui en garantit le respect : le plus important pour ce dernier est d’être, être présent dans l’ici et maintenant, être disponible pour accueillir l’imprévu, être créatif, être en concordance avec l’esprit de la mission qui lui a été confiée, amenant certains à en parler comme d’un art (Moore, 2016).
78Concrètement, par similitude avec ce qui est décrit pour l’ombudsman (Rowe, 1995), le dispositif d’intermédiation doit offrir de l’écoute (en particulier celle des sentiments), permettre l’échange confidentiel et informel d’informations, aider à la résolution de problèmes, pour finalement jouer son rôle de promoteur de changement dans l’organisation du travail. Cela signifie donc pour le chargé de mission, occuper tour à tour des rôles de coach, navette, alerte, facilitateur, investigateur, etc. (Rowe, 1987). Finalement, bien que les processus mis en œuvre diffèrent, l’important est que la finalité soit la même (Stieber, 2000) et que chacune de ces modalités d’action y concoure effectivement.
79Cela signifie donc que la finalité du dispositif doit être parfaitement claire, et nous formons l’hypothèse que l’inconfort du chargé de mission vient des contradictions qu’il perçoit dans sa position. Si le président de l’université a des attentes vis-à-vis de l’amélioration des procédures et de l’organisation et a dans ce but voulu instaurer un système de « sonde » et d’intermédiaire, le médiateur a de son côté des attentes complémentaires, partant du lien entre l’organisation du travail, la santé au travail et l’existence d’espaces de délibération. Le chargé de mission est donc porteur d’une ambition vis-à-vis de la qualité de la communication interne, et il a fait le postulat que c’est en recourant à une posture de médiateur qu’il pourrait y contribuer.
80Cet écart entre des représentations différentes de ce que doit être l’action du dispositif d’intermédiation, contribue sans doute au questionnement du chargé de mission quant à l’efficacité de celui-ci.
81Selon le principe qu’un médiateur a une obligation de moyens et non de résultat, il ne devrait pas être préoccupé par l’efficacité ou l’efficience de ses actions. Néanmoins, parce que la mission d’intermédiation elle-même a un objectif opérationnel, celui d’améliorer l’organisation, il est difficile d’éluder cette question de l’efficacité. Nous touchons là à une préoccupation commune aux médiateurs institutionnels, ces derniers n’ayant pas le pouvoir de décider, mais seulement de recommander des actions. C’est grâce à leur persévérance, celle qui consiste à publier année après année le suivi de leurs recommandations dans leurs rapports annuels qu’ils ont le pouvoir de changer les choses (Simon, 2006).
82Wagner (2000) évalue à 70 % la part des interventions des ombuds débouchant sur des recommandations plus générales portant sur l’organisation. Si la façon la plus classique d’exprimer ces dernières est le rapport annuel factuel, l’ombudsman peut contribuer efficacement au changement en formulant des suggestions, ou encore en jouant un rôle de coach, et en accompagnant l’évolution des pratiques tant individuelles que de groupe. L’efficacité du seul rapport annuel ayant des limites, le médiateur peut donner une impulsion au processus de résolution de problèmes en organisant des réunions de travail avec ceux qui détiennent le pouvoir de changer les choses, sans pour autant prendre part aux décisions ni aux votes éventuels, pour ne pas perdre sa position de tiers (Wagner, 2000).
83Si l’on peut comprendre qu’une institution ait le souci d’évaluer l’efficacité de ses dispositifs, nous alertons contre le risque d’une quantification des actions du médiateur en raison des biais que cela générerait (Supiot, 2015), surtout quand on entend des médiateurs expérimentés considérer comme Bauer (2000) que « less is more », signifiant par là qu’il est parfois plus efficient de diriger le demandeur vers un autre interlocuteur. La mesure doit rester qualitative, de façon à préserver l’éthique du médiateur.
84Le contexte actuel des universités justifie que tout soit mis en œuvre pour accompagner les personnels dans les transformations de leur quotidien. La mission d’intermédiation faisant l’objet de cet article, initialement conçue comme une sonde permettant d’identifier les améliorations à apporter à l’organisation, s’avère en réalité jusque-là plus utile en tant que sentinelle qu’en tant que promoteur de changements organisationnels.
85Pour conduire l’analyse de cette situation, nous avons fait le choix d’une méthodologie de recherche-action dans laquelle l’auteur est à la fois l’acteur de la mise en œuvre du dispositif d’intermédiation (donc le sujet) et celui qui en fait l’analyse critique (c’est-à-dire l’expérimentateur). Cela pose inévitablement la question de la pertinence des conclusions, à l’image des interrogations posées par Devereux (1980) dans les recherches ethnographiques. L’interprétation que nous en ferons doit donc prendre en compte le statut professionnel du chercheur, et rechercher les déformations potentielles, à la fois dans la description de la situation a posteriori, et dans la façon dont le chargé de mission a été amené à agir. En même temps, c’est en travaillant à l’analyse des perturbations et de leurs conséquences sur le comportement du médiateur que nous avons tiré les informations les plus précieuses.
86À ce titre, il nous semble important d’avoir en tête que la mission d’intermédiation décrite ici est limitée dans le temps par la durée du mandat du président de l’université qui l’a instituée (au plus 4 ans). Ce court terme a sans doute favorisé le caractère expérimental du dispositif, que la réalité du terrain n’a fait que conforter puisqu’il a fallu en permanence réajuster le cadre initialement prévu. À cela s’ajoute le fait que le chargé de mission n’affectait qu’une partie de son temps à cette activité (au plus un quart-temps), l’amenant à favoriser l’observation et l’analyse, dans la perspective d’être en capacité de faire des propositions pour l’avenir. En outre, le parti pris d’une posture de médiateur excluait toute démarche purement proactive du chargé de mission dans l’action, or Curran (1991) insiste sur le fait qu’un ombudsman sera d’autant plus efficace en tant que promoteur du changement organisationnel qu’il est proactif plutôt que seulement réactif, même si cela peut compromettre sa neutralité (Wagner, 2000).
87Quand une organisation est dans une phase de changements majeurs comme l’était l’université dans notre exemple, le besoin est avant tout de veiller à ce que les projets menés correspondent réellement aux besoins, qu’ils soient conduits AVEC les personnels, et que la feuille de route puisse être remise en discussion en fonction de la réalité du terrain révélée dans la parole des personnels (Dejours, 2013).
88Il est devenu fréquent qu’une personne soit désignée par l’établissement pour prendre spécifiquement en charge l’accompagnement au changement dans un projet de réorganisation. Cependant, quand dans le même temps elle est partie prenante des projets eux-mêmes, il peut lui être difficile de garder la distance nécessaire pour être à l’écoute de tous les signaux qui remontent du terrain. C’est dans ces circonstances qu’un tiers peut avoir un intérêt.
89Nous l’avons évoqué, il est fréquemment fait appel à un consultant externe dans ce but. Cependant, ce dernier est là pour prescrire une méthodologie, et s’il lui arrive d’animer des ateliers pour recueillir la parole des personnels, il lui manquera toute la connaissance de la culture de l’établissement pour faire une restitution fine du matériau qu’il va recueillir. À l’inverse, le chargé de mission d’intermédiation décrit dans cet article sera beaucoup plus efficace pour jouer un rôle d’alerte, de façon similaire à l’ombudsman (Wagner, 2000).
90En dépit des tensions que cela peut générer pour le médiateur, comme nous l’avons montré, sa position interne est en effet un atout en raison de sa proximité, de ses heures d’écoute des personnels (Wagner, 2000), de sa compréhension de l’environnement (Curran, 1991 ; VOLPE et Chandler, 2001), et de sa légitimité fondée sur son indépendance. Compte tenu de la dualité entre administration et recherche/formation rencontrée au sein des universités, il nous paraît important que ce chargé de mission soit choisi parmi les personnes ayant été amenées à se confronter à la réalité du travail au sein de ces deux communautés, c’est-à-dire une personne expérimentée ayant occupé des fonctions d’encadrement, voire de direction. C’est la garantie d’une mise en lien durable, continue, entre la direction et les personnels, afin de veiller à ce que le dialogue soit réel, et le débat possible.
91Pour autant, le dispositif ne doit pas rester seulement « un moyen de contournement des blocages institutionnels et d’adaptation à des réalités complexes ». Il doit aller au-delà : contribuer à une « transformation radicale » des principes de gouvernance qui restent encore trop « marqués du sceau de la verticalité » (Faget, 2010). Tel serait l’enjeu d’un dispositif d’intermédiation dans ce contexte, à condition toutefois que le chargé de mission travaille avec la direction de l’établissement à la capitalisation de l’expérience, de façon à promouvoir des lieux de débat sur le travail à tous les niveaux (métiers, direction, dispositif de prévention). Pour éviter les simulacres de délibération, il sera important de garder à l’esprit que la coopération ne se prescrit pas, elle naît si les conditions sont favorables. C’est ce qui fera toute la différence avec une application formelle des méthodes d’accompagnement du changement aux portées limitées.
92Il s’agit en somme de promouvoir un véritable apprentissage à tous les niveaux de l’organisation, par exemple en favorisant la diffusion de pratiques d’animation de réunion plus respectueuses de l’écoute mutuelle, donc plus propices à faire naître un débat sur le travail, dans l’esprit des deux expériences rapportées dans cet article. Pour répondre à l’ambition formulée dans l’hypothèse que nous avons posée, il s’agit pour terminer de concentrer le dispositif d’intermédiation autour d’une activité de veille et d’alerte, avec toute la persévérance nécessaire pour engager la direction à faire des propositions de changement allant dans le sens d’une prévention primaire des risques psychosociaux.