1Quelle que soit la définition que l’on donne du management public et la finalité qu’on lui assigne, la confrontation des logiques managériale et politique constitue en elle-même un objet scientifique (Gibert, 2015). Les caractéristiques du management public découlent, pour une bonne part, de la confrontation, dans le champ des affaires publiques, d’une logique politique caractérisée notamment par le flou et l’ambiguïté de nombreux objectifs (Chun et Rainey, 2005), l’importance accordée aux symboles, l’inconstance des politiques publiques due à la forte volatilité des priorités, la force du court terme qui s’impose aux gouvernants… et celle d’une rationalité gestionnaire structurée en principe par une stratégie, par des priorités et les renoncements qui vont avec, par les anticipations qui les sous-tendent, par la cohérence entre les moyens utilisés et les objectifs poursuivis, par un minimum de stabilité des objectifs et des priorités… (Crête, 2014)
2À suivre cette vision, les « progrès » du management public se feraient-ils nécessairement aux dépens de la logique politique ? Quels seraient alors les points d’équilibre pour faire progresser la rationalité managériale tout en ménageant à la logique politique son inévitable primauté ? Il y a derrière la question de l’émergence du management public et de sa mise en œuvre effective, le problème de sa distance avec le politique.
3La première façon d’œuvrer pour l’extension de la rationalité managériale est de tenir les gouvernants à distance de l’action publique quotidienne en créant des agences préservées de la pure logique politique par le mode de désignation de leurs dirigeants et la longueur de leur mandat, ainsi que par le recrutement de managers à leur tête. Ce fut une voie privilégiée au Royaume-Uni en particulier par les tenants du New Public Management (N.P.M).
- 1 L’un des juges assesseurs à la Cour suprême des États-Unis, emporté par son lyrisme, posait déjà en (...)
4La seconde façon de procéder est de discipliner le politique en lui imposant des pratiques et des standards managériaux. On veut dire par là le contraindre, par la loi, à adopter des règles de « bonne gestion ». Il s’agit ici de poser la question de la force obligatoire des règles de « bonne gestion » publique et de leur censure par le juge. La managérialisation du droit ou la juridisation du management (Chevalier, 1993 ; Bezes, 2005, 2008) qui a suscité, dans la période précédente, de nombreuses contributions de la part des juristes, des sociologues du droit ou des politiques publiques (Duran, 1993 et 2009) n’est effective que si les règles en question se situent à un niveau élevé dans la hiérarchie des normes juridiques et que le juge fait des outils, des méthodes, des standards du management, un sujet de droit1.
5Quelle portée, le juge donne-t-il donc aux pratiques et aux outils de « bonne gestion publique » inscrits dans le droit positif ? Le juge prend-il au mot le législateur lorsque celui-ci exprime vouloir discipliner- managérialement parlant- le politique ?
6Le contrôle de la décision politique s’est construit en France, on le sait, autour d’une doctrine forte de la séparation des pouvoirs (Jan, 2012 ; Troper, 1973, 2014). Mais paradoxalement, l’autonomie des pouvoirs exécutif et législatif s’est adossée au dualisme juridictionnel qui institue un juge administratif aux côtés du juge de droit commun pour connaître des litiges nés de l’action publique. Il s’agit ici pour le juge administratif non pas de censurer la loi dans ses finalités et son exigence de conformité à la Constitution, mais de s’assurer de sa correcte application à l’action quotidienne de l’administration (Kelsen, 1996).
- 2 Jacques Caillosse, 2003 : « En soumettant, globalement, l’exercice de la fonction administrative, o (...)
7Les territoires respectifs étant tracés entre les fondements du politique et le contrôle juridictionnel de l’action publique, il reste à constater que les faits soulevés devant la juridiction administrative ont, encore récemment et à de multiples occasions, interrogé la rationalité managériale, fût-ce parfois de biais, et souvent en la frôlant. Mais ce processus de managérialisation du droit renforce l’effectivité de la règle et la capacité du juge à s’approprier le thème de la bonne gestion2 (Caillosse, 2003).
- 3 CE, 28 mai 1971, req. 78825, Ministre de l’équipement et du logement c/Fédération de défense des pe (...)
8De fait, l’émergence dans la jurisprudence administrative de la proportionnalité de la décision publique avec ses impacts prévisibles, et notamment l’examen du bilan coûts/avantages, a tôt posé la question de la capillarité du contrôle de légalité interne et du solde systémique, fondement de la rationalité managériale : le bilan coûts/avantages, apparu dans les décisions du Conseil d’État en 1971, semble en apparence poser la question de l’évaluation des inputs et des outputs, central pour tout processus managérial, et fondement reconnu des bonnes pratiques de gestion. La décision connue sous le nom de Ville nouvelle Est3, par son audace, avait suscité de larges espoirs dans la sphère des praticiens du management public. Le droit positif allait se mettre en phase avec les exigences instrumentales de l’évaluation au moment même où le management public commençait à émerger en France.
- 4 CE, sect., 7 octobre 1977, Syndicat des paludiers et al., req. 99986, Rec. p. 380.
- 5 CE, 12 avril 2013, Association coordination interrégionale stop THT, réq. N° 342409.
- 6 Caillosse J., 1989 : « Avec l’intérêt général, on tient probablement le lieu principal par où le ch (...)
9Malgré les limites que le juge fixa lui-même à son propre contrôle, notamment en interdisant la comparaison avec les projets alternatifs portés par les requérants4, la décision Ville nouvelle Est a vite montré son extraordinaire faculté d’adaptation : de récentes décisions illustrent la capacité du juge administratif à transposer la théorie du bilan coût/avantages dans des domaines où elle n’était pas prévue à l’origine, tel que le principe de précaution contribuant désormais à la notion d’utilité publique5 (Godard, 2000). Certains tempéraments inquiets avaient un moment redouté un basculement managérial du juge administratif et la dénaturation de la notion d’intérêt général qui constitue le fondement traditionnel de l’action publique6. Mais, on semble en réalité encore bien loin, avec le bilan coûts/avantages, d’une véritable « acculturation managériale » entreprise par le juge administratif (Verrier, 1985).
- 7 CE, ass., 21 juillet 1970, Lambert, req. 76230, 76231, 76235.
10L’erreur manifeste d’appréciation, quant à elle, constitue une discipline du politique et un contrôle de l’action publique7. Du moins, l’a-t-elle revendiquée. Sans doute, cette appréciation est-elle largement conditionnée par le fait que l’erreur manifeste d’appréciation est apparue dans le champ du contrôle restreint du juge, précisément là où la décision politique se fait discrétionnaire, libre de ses appréciations.
- 8 CE, 3 décembre 1990, Ville d’Amiens, Rec. p. 344.
- 9 CE, 10 janvier 1992, Association des usagers de l’eau de Peyreleau, Rec. p. 13.
11Mais, le juge administratif, soucieux de ne pas s’immiscer sur le terrain de la décision, a limité ici considérablement son contrôle en s’interdisant l’exploration de champs entiers de l’action publique. Ainsi, le choix entre deux tracés de lignes de chemin de fer n’est pas susceptible d’être porté devant la juridiction administrative8. De même, le choix entre deux modes de gestion d’un service public ne peut faire l’objet d’un recours9.
- 10 En novembre 2003, à quelques semaines de la mise en œuvre de la LOLF, un haut fonctionnaire de l’ad (...)
12Alors, lorsque la loi exige la mise en place d’un indicateur de performance par l’État, cette obligation est-elle prise au mot par le juge ? À l’inverse, la managérialisation du droit ne reposerait-elle que sur une « soft law » d’interprétation très large et peu contraignante, alors même que la production juridique des nouvelles normes managériales emprunte des voies de plus en plus solennelles. Ce fut d’abord la circulaire, puis le décret, la loi et enfin la loi organique10. On assiste en effet à une véritable montée de ces innovations dans la hiérarchie des normes juridiques, ce qui devrait en toute logique conduire à leur plus grande effectivité en droit positif.
13Notre étude est fondée sur l’examen des disciplines instaurées par trois textes promulgués depuis le début de ce siècle : la loi organique relative aux lois de finance (LOLF), la loi organique instaurant l’obligation d’une étude d’impact à l’appui de (presque) tous les projets de loi déposés par le Gouvernement, et l’ordonnance créant les marchés de partenariat (voir Encadré 1). Dans la première partie de notre article nous présenterons les dispositifs qui semblent, au sein de ces textes, relever de la rationalité managériale avant d’analyser ce que leurs origines, les insatisfactions du monde politico-administratif quant à leur mise en œuvre ainsi que les propositions de réformes qui en sont avancées peuvent révéler comme ambiguïtés, multiplicité voire contradictions d’objectifs et incertitude sur la nature réelle de la discipline demandée (Partie 1). Dans un second temps, nous illustrerons à partir de la jurisprudence constitutionnelle et/ou administrative, l’idée selon laquelle la position prudente du juge renforce le caractère managérial très relatif de la discipline instaurée (Partie 2).
Encadré 1 - Indications méthodologiques
Choix de trois obligations instaurées par le législateur organique ou le législateur tendant à faire expliciter par le pouvoir exécutif (niveau national) et les exécutifs des collectivités territoriales les raisons des choix qu’ils proposent au pouvoir législatif ou aux assemblées délibérantes (en ce qui concerne les collectivités territoriales).
Pour l’obligation en matière d’explicitation d’objectifs et d’indicateurs pour chaque programme ainsi qu’en matière de comptabilité et d’analyse des coûts (Projets annuels de performance annexés aux projets de lois de finances initiales) :
- Étude de la jurisprudence du Conseil constitutionnel
- Utilisation des recherches de Benzérafa et al. (2011), Benzérafa et Gibert (2015), Benzérafa, Garcin et Gibert (2016), en ce qui concerne la qualité des liens entre stratégie, objectifs et indicateurs
Pour les études d’impact devant accompagner le dépôt d’un projet de loi :
- Étude de la jurisprudence du conseil constitutionnel,
- Étude de la position du conseil d’État dans son rôle de conseiller du gouvernement.
- Analyse du débat en cours sur les modifications apportées à la procédure (AN 2014, CE 2016).
- Analyse qualitative de trois études d’impact.
Pour l’étude préalable aux contrats puis marchés de partenariat :
- Étude de cas sur deux exemples
14Forts sans doute d’une distanciation supérieure, ce sont les non gestionnaires qui s’efforcent de cerner la rationalité managériale. Dans une approche inspirée par Foucault (1975), Le Texier (2011) l’assimile à la « gouvernementalité » managériale en la caractérisant par quatre principes cardinaux : l’efficacité à travers la mise en exergue de la production d’effets, l’organisation structurée par la recherche des résultats attendus, le contrôle sous forme d’« influence », prescription et injonction centrées sous la soumission à des normes objectivées, et finalement le savoir remontant par la collecte d’informations et son traitement et s’imposant par la standardisation, par la planification et par la formation technique des individus.
15Dans une approche plus instrumentaliste, Vigour (2006) résumant la pensée de Philippe Bezes (2002) pose que « la mise en œuvre d’une rationalité de type managérial se caractérise par l’attention aux outils de gestion, à la mesure des performances (grâce à la création d’indicateurs), à l’évaluation de l’action (par la mise en place de contrôles ex post), à l’efficience, à la maîtrise des coûts de l’action publique (impliquant un raisonnement fondé sur le calcul coûts/bénéfices), à la relation à l’usager et à la gestion du personnel » (p 428).
16Quel que soit le sentiment qu’un gestionnaire peut avoir sur ces visions de la rationalité managériale et sur le fait qu’elles paraissent mélanger vision ontologique et vision normative du management (Gibert, 2015), on doit les prendre en grande considération car c’est sur elles que se fondent généralement les appréciations des analystes qui mettent en avant une managerialisation de la chose publique. Cependant, s’agissant des affaires publiques, ces présentations de la rationalité managériale ne suffisent pas à la différencier de la rationalité politique ou à l’opposer à celle-ci. Pour ce faire, il convient de rajouter l’analyse de système ; analyse de système conçue d’un point de vue essentiellement économique comme cela a pu être reproché à celle qui imprégnait le PPBS (Planning Programming Budgeting System américain, et par décalque la rationalisation des choix budgétaire (RCB ) française, ou bien élargie par la prise en compte des sciences sociales ce qui pour certains (Dror, 1967, Wildavsky, 1968) était la base de l’analyse de politique (dans sa version utilitariste). Cette analyse soulignant le caractère non mécanique mais plutôt interactionniste de la chaîne de causes à effets, la multiplicité et la variété possible des effets non recherchés voire pervers engendrés par toute action publique, leur importance dans les résultats à attendre d’une décision, ainsi que la vision que peuvent en avoir les parties (volontairement ou non) prenantes s’oppose en effet au simplisme d’une vision politique trop centrée sur un effet, au détriment de tous les autres, ou sur un moyen auquel est attaché trop de valeur.
17Mettons à présent en exergue dans les lois sur lesquelles notre étude a été centrée les dispositions qui peuvent être interprétées comme visant à renforcer la rationalité managériale des décideurs publics.
- La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001 a été qualifiée de « Constitution financière de l’État », cette appellation, juridiquement fausse, a le mérite de souligner l’importance de la novation qu’elle a introduite dans la présentation, le vote et l’exécution du budget de l’État, instrument essentiel de la vie et de la gestion publiques dans toute démocratie. Le budget est désormais voté par mission et selon l’article 7 de la loi : « Une mission comprend un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie » et « Un programme regroupe les crédits destinés à mettre en œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions relevant d’un même ministère et auquel sont associés des objectifs précis, définis en fonction de finalités d’intérêt général, ainsi que des résultats attendus et faisant l’objet d’une évaluation ». La LOLF dispose dans son article 51 que les annexes du projet de loi de finance sont accompagnées « du projet annuel de performances de chaque programme précisant : la présentation des actions, des coûts associés, des objectifs poursuivis, des résultats obtenus et attendus pour les années à venir mesurés au moyen d’indicateurs précis dont le choix est justifié ». L’article 54 de la LOLF énonce que parmi les pièces jointes au projet loi de règlement -qui vise à obtenir l’approbation du Parlement pour les comptes d’une année- figurent « Les rapports annuels de performances, faisant connaître, par programme, en mettant en évidence les écarts avec les prévisions des lois de finances de l’année considérée, ainsi qu’avec les réalisations constatées dans la dernière loi de règlement : a) Les objectifs, les résultats attendus et obtenus, les indicateurs et les coûts associés… ».
18Projets annuels de performance (PAP) et Rapports annuels de performance (RAP) incluent également des données issues de la comptabilité analytique des coûts (CAC). Selon l’article 27 de la LOLF « L’État tient une comptabilité des recettes et des dépenses budgétaires et une comptabilité générale de l’ensemble de ses opérations. En outre, il met en œuvre une comptabilité destinée à analyser les coûts des différentes actions engagées dans le cadre des programmes. Les comptes de l’État doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière ». L’article 51 de la loi organique dispose que les projets annuels de performance incluent « la présentation des actions, des coûts associés » ; ceux-ci doivent également être présentés dans les RAP. L’examen des PAP et de RAP montre l’importance de l’enjeu théorique que cette présentation revêt. Si les crédits sont attribués pour des programmes, une présentation indicative en est effectuée par action. Le fait que la structuration des programmes et des actions ait largement été conditionnée par des considérations de structure organisationnelle, bien plus que par une structure par objectifs, implique qu’une action peut consommer des ressources très largement différentes des crédits qui lui sont affectées. Une action peut ainsi disposer de ressources correspondant à des crédits enregistrés pour une autre action, voire pour un autre programme…
- 11 La loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 (...)
- 12 De façon expérimentale par une circulaire du 21 novembre 1995, de façon généralisée par une circula (...)
19- La loi du 15 avril 200911 vise à la mise en œuvre de dispositions nouvelles introduites dans la Constitution par la révision de celle-ci opérée en 2008 (voir Encadré 2). Comme telle, elle se présente comme un effort de rééquilibrage en faveur du pouvoir législatif, sérieusement amputé par le texte initial de la Constitution de la Ve République. Son article 8 rend obligatoire l’étude d’impact, précédemment pratiquée en matière d’environnement et par ailleurs en vertu de normes de niveaux inférieurs12 pour les projets de loi déposés par le Gouvernement. Cet article prévoit que l’étude d’impact doit comprendre « l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées en indiquant la méthode de calcul retenue ». Cela laisse entendre une obligation pour le pouvoir exécutif d’accompagner tous ses projets d’une véritable évaluation a priori – type d’évaluation qui était au premier rang de la rénovation annoncée de la gestion publique du temps de la Rationalisation des Choix Budgétaires, dont la pratique a perduré dans certains domaines : routes, lignes de chemin de fer à grande vitesse… mais qui, dans l’agenda politique, a cédé la place depuis longtemps à l’évaluation a posteriori.
Encadré 2 - Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Chapitre II : dispositions relatives à la présentation des projets de loi prises en vertu de l’article 39 de la constitution
Article 8
Les projets de loi font l’objet d’une étude d’impact. Les documents rendant compte de cette étude d’impact sont joints aux projets de loi dès leur transmission au Conseil d’État. Ils sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent.
Ces documents définissent les objectifs poursuivis par le projet de loi, recensent les options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles et exposent les motifs du recours à une nouvelle législation.
Ils exposent avec précision :
…/…
- l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ;
- l’évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public ;
- les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d’État ;
20De son côté, l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, a changé le contrat de partenariat, lui-même régi par plusieurs vagues législatives différentes, issues de majorités politiques elles-mêmes différentes en marché de partenariat et en a donné une définition relativement large : « Un marché de partenariat est un marché public qui permet de confier à un opérateur économique, une mission globale ayant pour objet : 1° La construction, la transformation, la rénovation, le démantèlement ou la destruction d’ouvrages, d’équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public ou à l’exercice d’une mission d’intérêt général ; 2° Tout ou partie de leur financement. (…/…) II. – Cette mission globale peut également avoir pour objet : (…/…) la gestion d’une mission de service public ou des prestations de services concourant à l’exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée ».
21Les marchés de partenariat, aujourd’hui rangés dans la catégorie des marchés publics, aménagent les modalités classiques sur lesquelles reposent la passation et la gestion des marchés publics essentiellement sur trois points : leur durée, inhabituellement longue pour des contrats de la commande publique (20 à 30 ans dans la pratique, car les textes ne fixent comme limite de durée que la durée des amortissements et/ou les modalités de leur financement) ; la dérogation à la règle de l’appel d’offres ; l’introduction dans les marchés de partenariat de clauses de paiement différé, interdites par l’article 60-I du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.
22Afin de dissiper les craintes exprimées par la doctrine et nombre de praticiens, mais également pour discipliner les décideurs qui souhaiteraient recourir aux marchés de partenariat, les pouvoirs publics ont inscrit, dès l’ordonnance du 17 juin 2004 et plus encore dans l’ordonnance du 23 juillet 2015, des conditions de recours aux marchés de partenariat, et en particulier l’obligation d’une étude préalable justifiant ce recours (voir Encadré 3).
Encadré 3 - Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics (extrait)
« Article 74 – Évaluation et études préalables
La décision de recourir à un marché de partenariat, quel que soit le montant d’investissement, doit être précédée de la réalisation de l’évaluation du mode de réalisation du projet prévue à l’article 40. L’acheteur réalise également une étude de soutenabilité budgétaire qui apprécie notamment les conséquences du contrat sur les finances publiques et la disponibilité des crédits.
Article 75 - Conditions de recours
I. – La procédure de passation d’un marché de partenariat ne peut être engagée que si l’acheteur démontre que, compte tenu des caractéristiques du projet envisagé, des exigences de service public ou de la mission d’intérêt général dont l’acheteur est chargé, ou des insuffisances et difficultés observées dans la réalisation de projets comparables, le recours à un tel contrat présente un bilan plus favorable, notamment sur le plan financier, que celui des autres modes de réalisation du projet. Le critère du paiement différé ne saurait à lui seul constituer un avantage. (…/…) II. – Les acheteurs ne peuvent recourir au marché de partenariat que si la valeur de ce marché est supérieure à un seuil fixé par voie réglementaire en fonction de la nature et de l’objet du contrat, des capacités techniques et financières de l’acheteur et de l’intensité du risque encouru. »
23L’examen des trois textes étudiés imposant une discipline, ainsi que des documents conçus pour leur mise en œuvre, révèle des emprunts significatifs, explicites ou implicites suivant les cas au langage managérial public.
- 13 Premier Ministre, Circulaire du 15 avril 2009 relative à la mise en œuvre de la révision constituti (...)
- 14 Article 55 de la LOLF « Chacune des dispositions d’un projet de loi de finances affectant les resso (...)
- 15 Suppression de fait du dispositif interministériel et du Conseil national de l’évaluation instaurés (...)
24Le premier trait commun aux trois disciplines instituées est la référence à la notion d’évaluation. Pour l’étude d’impact le projet de loi présenté par le gouvernement prévoyait initialement « un ou plusieurs documents qui rendent compte des travaux d’évaluation préalable réalisés », c’est par un amendement proposé en commission que ces travaux d’évaluation préalable sont devenus « étude d’impact » au motif que cela avait été le terme utilisé dans les dispositifs antérieurs (AN 2009). Ce lien avec l’évaluation est confirmé dans un texte d’application « La loi organique définit le contenu de l’étude d’impact. Cette étude n’est pas assimilable à un exposé des motifs enrichi, mais constitue un outil d’évaluation et d’aide à la décision »13. Dans le contrat devenu marché de partenariat (cf. Encadré 3), c’est d’évaluation du mode de réalisation du projet dont il s’agit. En ce qui concerne la LOLF, s’il n’est question que de « présentation » des résultats attendus » à l’article 51 l’expression d’évaluation apparaît pour les mesures proposées au sein du projet de lois de finances14, donc pour les changements envisagés ayant un impact sur les charges ou ressources de l’année à venir. Les trois dispositifs étudiés se rattachent donc au principe d’évaluation ex ante à une époque où l’évaluation ex post connaît diverses vicissitudes15.
25Pour deux des trois instruments la logique affichée est une logique d’optimisation. Optimisation en creux pour l’étude d’impact dont les documents qui la constituent « définissent les objectifs poursuivis par le projet de loi, recensent les options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles et exposent les motifs du recours à une nouvelle législation. » (Article 8 de la loi organique), optimisation explicitement réclamée comme conclusion des études préalables des marchés de partenariat puisqu’il convient de faire apparaître que « le recours à un tel contrat présente un bilan plus favorable, notamment sur le plan financier, que celui des autres modes de réalisation du projet. » (Article 75 précité). Les PAP, quant à eux, ne s’inscrivent pas dans une perspective d’optimisation, mais dans celle d’une performance par nature éclatée puisqu’estimée au moyen d’indicateurs généralement non agrégeables et non agrégés. La différence est de taille mais doit être relativisée compte tenu du fait que dans les cas de référence implicite ou explicite à l’optimisation, celle-ci se fait sur une pluralité de critères dont l’identité non plus que la logique d’articulation ou de pondération ne sont précisés.
- 16 Mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat ; guide méthodologique, 2009.
26La référence explicite à l’analyse de système n’a été faite dans aucun des dispositifs étudiés, mais les idées principales de cette analyse se retrouvent dans les textes en question. Ainsi, pour l’étude d’impact le guide de légistique pose que « Il s’agit d’une méthode destinée à éclairer les choix possibles, en apportant au Gouvernement et au Parlement les éléments d’appréciation pertinents : nature des difficultés à résoudre, avantages et inconvénients des options possibles en fonction de l’objectif poursuivi, évaluation détaillée des conséquences qui peuvent être raisonnablement attendues de la réforme pour chacune des catégories de personnes concernées comme pour les administrations elles-mêmes… ». Dans le cas de l’étude préalable au marché de partenariat, le centrage sur un projet d’équipement dont la raison d’être n’a pas à être justifiée contrairement au mode de réalisation choisi, la référence implicite à l’analyse de système est moins visible mais non absente dès lors que l’évaluation comparative doit mettre l’accent non seulement sur les coûts mais aussi sur une performance qui peut être multiforme, sur le partage des risques entre la personne publique et son co-contractant privé, ainsi que sur les préoccupations (environnementales, sociales et de développement durable16). L’absence de référence à l’analyse de système dans le cas des PAP n’est pas étonnante dans la mesure où le recours à cette analyse de système se justifie beaucoup plus dans des logiques de prise de décision et de mise en exergue intertemporelle ou transtemporelle de ses effets que dans une logique de redevabilité périodique d’une entité dont les résultats sont affectés par les conséquences de nombreuses décisions prises dans un passé plus ou moins proche.
- 17 À leur place, seulement au niveau des documents d’application de la loi organique et sans référence (...)
27Le vocabulaire utilisé dans les trois « lois » ou leurs documents d’application ne se réfère que très partiellement au vocabulaire managérial dominant : ainsi, pour l’étude d’impact il n’est pas question de « théorie d’action » ou de « théorie du changement social » ou de « modélisation » pour désigner les chaînes supposées de relations de cause à effet entre moyens utilisés et résultats (de tous niveaux) attendus. De la même façon, les notions (assez constructivistes) intégrées dans la Balanced scorecard (Kaplan et Norton, 2001) par l’intermédiaire de la carte stratégique qui ordonnent, et différencient les objectifs et les indicateurs de différents niveaux ne sont nulle part évoquées17, ni mis en œuvre dans les projets annuels de performance (Benzérafa et Gibert, 2015).
- 18 À ceci près que l’isomorphisme est renforcé pour les programmes de soutien (gestion du personnel, g (...)
28Le principe de contextualisation paraît éclipsé par un fort isomorphisme coercitif. Pour l’étude d’impact aucune distinction n’est faite à l’intérieur des projets de loi redevables d’une étude. Alors qu’une typologie multidimensionnelle pourrait être invoquée : loi à champs d’action large vs loi à dispositif très focalisé, loi bouleversant la politique dans un domaine déterminé vs loi amendant marginalement une politique existante, différents domaines concernés : culture, économie, justice, libertés publiques…, différenciation suivant les instruments de gouvernement utilisés : interdiction, réglementation, subventions… Cette indifférence au contexte, au périmètre concerné, aux outils mobilisés etc. apparaît de la même façon quant aux prescriptions de la LOLF en matière de présentation des programmes. Quel que soit le domaine d’action des programmes, quelle que soit leur nature (programme de « politique publique » (c’est-à-dire final) ou de « soutien »… les obligations sont les mêmes18, mais aussi dans l’ordonnance relative aux contrats-marchés de partenariat. On pourrait penser que cette adaptation à chaque cas serait traitée dans les textes d’application mais ce n’est pas le cas. Paradoxalement, pour l’étude d’impact c’est le conseil constitutionnel qui a fait preuve de relativisme dans l’une des deux réserves interprétatives qu’il a émises lorsque le texte de la loi organique lui fut soumis (cf. infra).
- 19 L’objet frontière est « un concept analytique de ces objets scientifiques qui d’une part sont prése (...)
29Les trois instruments de discipline étudiés ne peuvent être rattachés à la seule rationalité managériale, sauf à étendre à l’extrême le sens de celle-ci. Le texte de la LOLF a pu constituer un objet frontière19 pour d’importants groupes sociaux (Social worlds) poursuivant des objectifs différents. Le premier d’entre eux était celui des parlementaires désireux de regagner une partie du pouvoir budgétaire qui avait été rogné par l’ordonnance de 1959 et intéressés par une amélioration de l’accountability gouvernementale à leur égard. Le gouvernement de l’époque soucieux d’afficher une opération de modernisation de la gestion publique au champ large qui faisait défaut depuis la mise en sommeil et la fin de l’opération renouveau du service public constituait le deuxième groupe social. Un autre était le monde, principalement académique, de spécialistes en finances publiques désireux de dynamiser une matière peu évolutive, en particulier du fait de l’échec des nombreuses tentatives de réformes avortées de l’ordonnance organique de 1959. Un autre univers composite était celui de fonctionnaires et d’académiques demandeurs d’une modernisation tendant à une meilleure finalisation de l’action publique. On trouvait encore l’univers des fonctionnaires exerçant ou ayant exercé dans l’administration territoriale de l’État et demandeurs d’une plus forte déconcentration au profit des services la composant et de leurs responsables. Un autre monde était celui des tenants de l’isomorphisme mimétique, de l’idée selon laquelle « l’État doit être géré comme une entreprise » des adeptes du « New public management ». Il n’est pas étonnant dès lors que la mise en œuvre de la LOLF, objet frontière, ait entraîné dans sa partie PAP comme pour le reste tant de déceptions parmi des alliés aux motivations si diverses.
- 20 Le mouvement pour la simplification s’appuyant de plus en plus sur l’idée selon laquelle la « quali (...)
- 21 « Le premier élément de la dégradation de la norme réside dans le développement des textes d’affich (...)
- 22 Assez marginalement dans le système français actuel ou chacun peut adresser ses remarques sur l’étu (...)
30L’obligation d’effectuer une étude d’impact pour la grande majorité des projets de lois se rattache suivant le temps et les documents à divers paradigmes, celui du rééquilibrage entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, (rapport Balladur 2007), problème de gouvernance par excellence, celui des processus de la confection des normes, paradigme de la légistique qui met l’accent sur les différentes activités et sur la chronologie à respecter pour arriver à une « bonne rédaction » des textes (guide de légistique, fiche 1.1.1), celui de la simplification administrative (AN 2014) (CE 2016) qui part du constat de la multiplication, de la complexification des normes et des coûts qu’elles engendrent pour les administrés et plus particulièrement pour les entreprises20. L’obligation de l’étude d’impact peut être aussi rattachée à la lutte contre la « loi bavarde », paradigme cher aux juges administratif et constitutionnel s’élevant contre le développement de passages sans portée normative dans les textes législatifs21. L’idée de l’étude d’impact relève également de la montée en puissance de la redevabilité des gouvernants à l’égard des citoyens ou des différentes parties prenantes à l’application d’une norme, voire de la démocratie participative quand les intéressés sont conviés à participer au processus de l’étude22. L’étude d’impact peut donc, elle aussi, être considérée comme un objet frontière dont les alliés ont des motivations qui sont loin de se ramener à la seule rationalité managériale. La question de la compatibilité entre ces différentes attentes, et en particulier avec celle d’une meilleure rationalité managériale, est bien évidemment cruciale quant à l’appréciation de ce que l’on entend par « qualité » des études.
31La filiation de l’étude préalable pour les marchés de partenariat paraît plus simple dans la mesure où il s’agit de légitimer le recours à un instrument dérogatoire au droit commun. La supériorité désormais affichée de la rationalité managériale ne supprime cependant pas les difficultés engendrées par l’appréciation multicritère des avantages et des coûts du marché à un stade précoce du projet et aux traductions difficilement objectivables des notions de complexité et d’urgence.
32Pour essayer de préciser la portée réelle des disciplines et des contraintes instaurées, il est utile de se référer aux diagnostics énoncés quant aux causes des imperfections constatées par les observateurs ainsi qu’aux idées d’amélioration que ceux-ci ont avancées.
- 23 En particulier par le Comité interministériel d’audit des programmes (CIAP), composé de membres des (...)
33Pour les PAP, le diagnostic avancé23 a eu trait à un savoir insuffisant en particulier dans l’explicitation d’une stratégie mettant en perspective les objectifs, dans le choix entre les différentes catégories d’objectifs (de qualité de service, d’effets socio-économiques et d’efficience), dans la définition complète des indicateurs, en résumé dans une technique de finalisation et de la métrique qu’on doit lui associer pour cerner la performance (Benzérafa et Gibert, 2015).
- 24 Secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
- 25 Secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche et précédemment Secrétaire d’État à (...)
- 26 Interview donnée au Journal du dimanche du 22 mai 2016 : « Il faut revoir la façon dont on dirige l (...)
- 27 En principe, car des fuites peuvent en transparaître dans les médias, et le Gouvernement est toujou (...)
34Généralement, la qualité des études d’impact réalisées après la mise en œuvre de la loi organique de 2009 a fait l’objet de critiques nombreuses d’origines variées et parfois très sévères. Ces critiques émanent des parlementaires qui soulignent parmi les mauvaises conditions de la préparation de la loi « l’évaluation insuffisante —voire inexistante— de son impact social, économique, environnemental… » (rapport AN 2014), de la haute administration « les études d’impact ressemblent davantage, à l’heure actuelle, à un exposé des motifs enrichi qu’au modèle de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), pour laquelle l’étude d’impact sert à ajuster le dispositif qui sera retenu » (Serge Lasvignes, Secrétaire général du gouvernement in ibidem), de membres de l’exécutif même, Jean-Marie Le Guen24 expose ainsi que les études d’impact « apparaissent aujourd’hui comme un exercice imposé et prennent parfois la forme d’un “exposé des motifs bis” (ibidem), Thierry Mandon25 regrette que l’expertise qui existe dans la société ne soit presque jamais utilisée dans la phase d’élaboration des textes et concède à propos de la loi El Khomry que l’impact social de son article 2 qui fait l’objet de deux lignes aurait à l’évidence mérité des développements beaucoup plus substantiels26. Les remarques effectuées par le Conseil d’État méritent une place particulière puisque celui-ci doit donner son avis sur tous les projets de loi avant soumission des dits projets au parlement. Si ces avis sont en principe secrets27, les rapports annuels du Conseil donnent un aperçu de leur contenu et en particulier depuis 2010 de l’appréciation des études d’impact qui y figurent. Les appréciations un peu détaillées sont souvent moins sévères que la formulation du Vice-président du Conseil qui relie les défauts des dites études à « notre goût des villages Potemkine » (Conseil d’État, 2016), goût auquel il convie à renoncer, elles sont cependant préoccupantes. Dans le rapport public 2013, à côté de la reconnaissance de progrès, le Conseil d’État souligne la nécessité d’améliorations sensibles, en particulier dans le domaine de l’« évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales » des projets de loi. Les rapports 2014 et 2015 sont l’occasion pour le Conseil de souligner les « domaines d’insuffisance constatées dans les projets qui lui sont soumis ». Insuffisance dans l’exposé des objectifs de la réforme envisagée, insuffisance dans l’exposé des raisons des choix retenus, insuffisance de l’évaluation des conséquences des mesures proposées sur les démarches administratives et la complexité procédurale, insuffisance de l’évaluation des conséquences du texte sur le nouvel ordonnancement juridique qui en résultera, insuffisance du chiffrage des mesures proposées (Rapport CE 2015).
35Les causes d’imperfections des études ont été imputées au manque d’expertise, au manque de temps dont souffriraient aussi bien les auteurs des études, que le Conseil d’État, saisi souvent trop tardivement pour exercer un contrôle efficace ou encore les parlementaires pour s’intéresser de près aux dites études, ainsi que par la complaisance que mettraient certains fonctionnaires à aller trop vite dans le sens des choix de leur ministre (Rapport AN 2014).
36Pour les trois instruments, les palliatifs aux imperfections notées ont été trouvés dans des renforcements de la portée ou du périmètre de la discipline demandée. En matière de PAP, par des instructions budgétaires de plus en plus complètes quant aux exigences qu’elles mentionnent (Benzérafa et Gibert 2015). Pour l’étude d’impact l’idée du renforcement s’est incarnée dans la demande de suppressions des moyens de contournement de l’obligation de la dite étude (propositions de loi téléguidées par l’exécutif, amendements substantiels, en particulier gouvernementaux apportés aux projets de loi). Pour l’amélioration du contrôle de la qualité du respect de l’obligation il a été également demandée que soit rendue publique la partie de l’avis du Conseil d’État relative à l’étude (AN 2014), (Conseil d’État, 2016). Pour l’étude de partenariat, le renforcement de la discipline peut être vu dans la suppression de la complexité et de l’urgence comme motifs légitimant le recours au contrat de partenariat (même s’ils sont implicitement réintroduits dans les critères au titre desquels la solution du marché de partenariat peut être considérée comme la meilleure.) La discipline exigée des promoteurs des contrats de PPP, devenus désormais marchés de partenariat, ne ressort pas uniquement du juge administratif qui ne dispose pas d’un pouvoir d’auto-saisine. Un contrôle ex-ante a longtemps été exercé par la Mission d’appui aux PPP (MAPPP), transformée en 2016 en Mission d’appui au financement des infrastructures, sur les critères de recours aux contrats de partenariat, mais également sur la qualité des études concourant au choix de ce mode de passation. De même, les Chambres régionales et territoriales des comptes se sont saisies ex post de nombreux dossiers de PPP dans des domaines aussi différents que les équipements sportifs ou culturels, l’éclairage public, les espaces verts, les transports urbains, les technologies de l’information et de la communication, mettant fréquemment en relief le défaut et les lacunes des études préalables et les écarts en résultant entre les estimations financières initiales et les montants atteints in fine.
- 28 Rapport public de la Cour des Comptes, 2015, les partenariats public-privé des collectivités territ (...)
37Le rapport public annuel 2015 de la Cour des Comptes28 en dressant un constat plus que nuancé sur le recours aux contrats de partenariat, mettait en relief le rôle ambigu de la MAPPP sur la période 2004-2014, à la fois expert, contrôleur et promoteur des partenariats public-privé… La Cour pointait précisément la difficulté à faire respecter la discipline managériale que la loi instituait pour les collectivités territoriales. Il est intéressant de relever que cette étude, centrée sur les seuls contrats de partenariats conclus par les collectivités territoriales, considérait que les sommes engagées étaient encore relativement faibles et le risque peu élevé : « (…/…) le montant cumulé par les investissements réalisés en contrats de partenariat (État et collectivités locales), s’établit pour 2005 à 14,7 Md€. Les 149 contrats signés par les collectivités territoriales sur 10 ans ne représentent que 27 % du total des investissements concernés, soit 4,1 Md€. ». La discipline requise semblait ainsi poser une proportionnalité entre le niveau de discipline et les sommes engagées…
38Des parlementaires de l’opposition d’alors ont, dès le premier budget établi en mode LOLF (loi de finances pour 2006) et dès le premier recours avant promulgation de la loi de finances devant le Conseil constitutionnel, fait figurer parmi les griefs d’inconstitutionnalité du budget adopté l’insuffisance de l’information qui leur était donnée par les indicateurs de performance. Les 60 députés de l’opposition d’alors signataires du recours énonçaient leurs griefs dans les termes reproduits dans l’Encadré 4.
Encadré 4 - Les indicateurs de performance
De façon générale, le nombre d’indicateurs de performance non renseignés dans les documents budgétaires transmis au Parlement et détaillant les crédits de chacune des missions est inacceptable et remet en cause la qualité même de l’autorisation parlementaire. Cette défaillance est en contradiction directe avec l’esprit même de la loi organique relative aux lois de finances. Le Gouvernement, qui à de nombreuses reprises a appelé les parlementaires à ne pas se focaliser uniquement sur la progression - souvent négative - des crédits d’une année sur l’autre pour se consacrer à l’étude de la performance et des résultats prive ainsi le Parlement de la capacité d’exercer son contrôle sur l’efficacité des politiques menées et la réalisation, par les responsables de programmes, de leurs objectifs. Comment juger en effet la performance quand les indicateurs qui permettent de l’évaluer ne sont pas construits ou pas renseignés ? Cette absence de renseignement des indicateurs met à mal l’autorisation parlementaire et aura des conséquences dommageables également lors de la discussion du projet de loi de règlement pour l’année 2006. La responsabilisation des gestionnaires publics voulue par la loi organique doit trouver une contrepartie constante dans la nécessité pour eux de s’engager sur des objectifs précis accompagnés des indicateurs permettant d’en mesurer l’achèvement.
À défaut, la qualité du contrôle parlementaire sortirait amoindrie et non renforcée de la réforme…/…
39Ce raisonnement faisait appel à l’esprit de la LOLF et à l’idée qu’en contrepartie des libertés budgétaires accrues dont les gestionnaires de l’administration bénéficiaient grâce à la loi organique et grâce en particulier à la fongibilité des crédits qu’elle leur procurait, ces gestionnaires étaient soumis à une redevabilité accrue. Les auteurs du recours critiquaient tout autant le caractère lacunaire de certains indicateurs que l’absence de renseignement d’autres indicateurs. Le Conseil constitutionnel a repris l’idée de l’importance des indicateurs, mais n’a pas fait sienne l’appréciation portée par les députés sur l’ensemble des indicateurs présentés :
40Considérant, en l’espèce, qu’il n’est pas établi que les indicateurs de performances associés à la loi de finances pour 2006 soient entachés d’un défaut de sincérité ; que, si quelques retards ou déficiences ont pu être constatés et devront être corrigés à l’avenir, ils ne sont, ni par leur nombre, ni par leur ampleur, de nature à remettre en cause la régularité d’ensemble de la procédure législative ; que, dès lors, le grief invoqué doit être écarté.
41Il y avait, à l’époque de cette décision, deux façons de l’interpréter : la pessimiste revenait à considérer que, compte tenu de l’imperfection réelle des indicateurs présentés, soulignées par ailleurs dans les travaux du C.I.A.P et des commissions parlementaires, le Conseil constitutionnel avait réduit à peu de chose ses exigences en matière de qualité des ambitions affichés par le Gouvernement et de reporting de la performance. L’optimiste consistait à noter que si le raisonnement invoqué par les requérants s’était révélé inefficace en l’espèce, il avait été considéré comme valable par le Conseil constitutionnel car les indicateurs devaient être sincères (restait à définir alors la notion de sincérité d’un indicateur, plus délicate encore à cerner que la sincérité d’un budget) et les déficiences ne devaient être ni nombreuses ni flagrantes. Dans cette seconde interprétation, la présentation au Parlement des indicateurs de performance par l’exécutif devenait chose des plus sérieuses.
42La lecture des saisines ultérieures du Conseil constitutionnel ne révèle pas que le moyen concernant le budget pour 2006 ait été utilisé à nouveau, ce qui empêche de trancher entre les interprétations pessimiste et optimiste. Or, malgré d’incontestables améliorations touchant à la définition même des indicateurs, à la disparition des indicateurs non alimentés et à la suppression d’indicateurs d’activité, fort éloignés de la traduction opérationnelle des objectifs, les faiblesses fondamentales du volet performance des PAP et des RAP demeurent avec des « présentations stratégiques » qui le sont peu, des objectifs souvent très vagues et des liens entre objectifs et indicateurs par voie de conséquence très discutables (Benzérafa et Gibert, 2015). Il était donc toujours possible de soutenir qu’en de maints endroits le Parlement ne pouvait « se prononcer en connaissance de cause ».
43En ce qui concerne la comptabilité d’analyse des coûts, le problème est particulièrement aigu chaque fois que les dépenses de personnels ont été centralisées dans une action au sein d’un programme, et plus encore dans un programme au sein d’une mission. Le chiffrage des seuls crédits directs d’une action ou d’un programme peut donc être très peu représentatif de la réalité des ressources à la disposition de l’action ou du programme. Pour une bonne information du Parlement quant à l’usage prévisionnel des crédits, une ventilation des dépenses indirectes par rapport à une action était donc nécessaire et ce fut-là la première fonction de la CAC. L’enjeu s’est révélé de taille puisque l’on a pu constater que le ratio dépenses complètes (après réception des dépenses indirectes) sur dépenses directes pouvait varier entre des chiffres peu supérieurs à un et des chiffres de l’ordre de la trentaine (Gibert, 2011). Au niveau du constat (loi de règlement et RAP qui lui sont associés), à ce problème s’ajoute la nécessité de doubler l’information sur l’exécution budgétaire (en termes de dépenses et de recettes) par une information en termes de charges et de produits, raisonnement qui est celui de la comptabilité générale de l’État. La présentation ex post doit donc faire passer de la notion de dépenses à celle de charges, et ainsi enregistrer les charges non décaissables (dotation aux amortissements en particulier), tenir compte des variations de stock éventuelles, exclure les dépenses d’investissement et tenir compte des variations des comptes tiers et des charges restant à payer.
44La mise en œuvre de ces principes a été effectuée d’une façon que l’on peut qualifier de simple et modeste (Gibert, 2011). La conséquence en est que les déversements effectués peuvent être facilement critiqués en raison des clés utilisées et de la volonté de ne pas opérer de déversements croisés, en raison également du caractère embryonnaire des amortissements opérés et des éventuelles lacunes des comptes de stocks.
45Dans le recours exercé contre le premier budget voté en mode LOLF, les auteurs du recours avaient intégré parmi les motifs invoqués à l’appui de leur demande d’annulation le caractère trompeur des dépenses affectées à certaines des politiques en particulier pour la mission « Écologie et développement durable ». Dans son mémoire en défense, le Gouvernement évoquait l’existence de ventilation d’une politique à une autre figurant dans les projets annuels de performance qui permettait selon lui de pallier les inévitables biais pouvant survenir dans la prise en compte des seules dépenses directes. Le Conseil constitutionnel ne s’est pas réellement aventuré sur ce terrain se bornant à poser que « Les choix opérés par le Gouvernement pour déterminer l’architecture des missions (comme d’ailleurs celle des programmes et la définition des actions) ou pour rattacher une mission à un ou plusieurs ministères comportent une part incontournable de subjectivité et d’opportunité. Ne pourrait donc être sanctionnée qu’une erreur manifeste d’appréciation dont l’ampleur remettrait en cause l’esprit de la LOLF et la sincérité même de la loi de finances. Tel n’est pas le cas en l’espèce. » (Conseil constitutionnel, 2005). Depuis lors, la question du caractère sincère et donc significatif des coûts affichés n’a pas été abordée, mais il semble clair que le Conseil constitutionnel a tranché en faveur d’un contrôle minimal de sa part en le faisant rentrer dans la sanction éventuelle de la traditionnelle erreur manifeste d’appréciation.
46Le législateur organique n’a pas, quand on lit l’article 8 de la loi de 2009, lésiné sur les contraintes imposées au pouvoir. Le profane est donc très surpris à la lecture des études d’impact (toutes publiques et disponibles sur le site des assemblées parlementaires) par la légèreté et le caractère lacunaire des documents produits.
47Le juge constitutionnel a pourtant compétence pour faire respecter les dispositions de la loi organique précitée, puisqu’aux termes de l’article 39 de la Constitution : « Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l’assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours » et que de surcroît les parlementaires (60 sénateurs ou 60 députés au moins ont toujours la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel avant promulgation de la loi pour en faire censurer les dispositions qu’ils jugent inconstitutionnelles ou contraires aux lois organiques (Article 61 de la constitution). La conjonction de ces deux possibilités n’a cependant pas, jusqu’à présent, favorisé la qualité des études d’impact au regard des exigences de la loi organique.
- 29 Décision n° 2014-12 FNR du 1er juillet 2014.
48La conférence des présidents de la première assemblée, saisie du projet de loi, reste liée au phénomène majoritaire. En effet, si les membres —tous ex officio— de la conférence sont d’origine politique variée, le nombre de voix dont dispose chaque groupe politique au sein de cette conférence est de facto fonction de l’importance numérique des groupes politiques dans l’assemblée considérée. Un conflit entre la conférence des présidents et le Gouvernement sur la « méconnaissance des conditions de présentation fixées par la loi organique » est donc un conflit entre le Gouvernement et sa majorité, du moins s’agissant de l’Assemblée nationale. La probabilité que ce conflit naisse des seules conditions de présentation, et en particulier de l’étude d’impact est relativement faible. La première et, jusqu’à ce jour, seule saisine du Conseil constitutionnel avant vote de la loi, s’est produite en 2014 seulement (Combrade, 2014)29, et a été due à la position du Sénat à l’égard de l’étude d’impact accompagnant le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Les opposants à un projet de loi n’ont donc, très généralement, comme solution que de déférer au Conseil constitutionnel la loi adoptée par le Parlement avant promulgation. De fait, cette solution a été maintes fois utilisée, 14 fois depuis la mise en place de l’étude d’impact en 2009 jusqu’en mai 2014 (Huttier, 2015).
- 30 Décision n° 2009-579 DC du 9 avril 2009.
49Dès l’examen de la constitutionnalité de la loi organique30, le Conseil révélait qu’il apprécierait de façon souple le respect des dispositions de l’article 8 en formulant deux réserves, l’une pour préciser que l’exigence de procéder à une étude correspondant à chacune des rubriques énumérées par cet article ne s’imposait que pour celles de ces rubriques qui apparaissaient pertinentes au regard de l’objet de la loi, l’autre pour indiquer que « dans le cas où un projet de loi serait déposé sans être accompagné d’une étude d’impact satisfaisant en totalité ou en partie aux prescriptions de l’article 8, il apprécierait le respect de ces dispositions au regard des exigences de la continuité de la vie de la Nation ». Si la première réserve d’un point de vue managérial ne pose aucun problème, la seconde avançait que la raison d’État doit l’emporter sur la rationalité managériale, ce dont on pouvait se douter dans la ligne constante tracée depuis longtemps par le juge administratif, soulignant souvent le caractère second de la rationalité managériale dans la conduite des affaires publiques.
- 31 À plusieurs reprises, le Gouvernement dans ses observations avait fait valoir auprès du Conseil con (...)
50De surcroît le conseil Constitutionnel a durci sa jurisprudence en ce qui concerne l’acceptabilité d’une requête d’annulation au titre d’une insuffisance de l’étude d’impact lorsqu’il est saisi en vertu de l’article 61 de la constitution. Alors que jusqu’en 2015 il avait, à plusieurs reprises accepté de contrôler l’étude d’impact même quand la conférence des présidents de la première assemblée n’avait pas été saisie de la question de la qualité de celle-ci, il conditionne désormais (Décision 2015-718 DC du 13 août 2015) son contrôle à cette saisine31. Sans enlever aux membres de l’opposition parlementaire la possibilité de voir leurs griefs en la matière examinés par le Conseil constitutionnel cela la rend pour eux plus difficile à exercer.
51En tout état de cause jamais jusqu’ici le Conseil constitutionnel n’a censuré tout ou partie d’un texte de loi au motif d’une insuffisance de l’étude d’impact déposée par le gouvernement. Jamais non plus il n’a explicité les critères sur lesquels il se fondait pour conclure au caractère admissible de l’étude d’impact au regard des exigences de la loi organique tempérées par ses deux réserves interprétatives.
- 32 Les marchés de partenariat ont remplacé les contrats de Partenariat Public-Privé (PPP) à la faveur (...)
- 33 « Pour les marchés de partenariat, l’acheteur réalise, avant le lancement de la procédure de passat (...)
52L’évaluation préalable, validée dès 2004 par le législateur et réinscrite au cœur de l’ordonnance du 23 juillet 2015, est désormais considérée comme une formalité substantielle engageant la licéité des opérations réalisées au titre des marchés de partenariat. Cette évaluation préalable, par les méthodes à mobiliser, notamment par l’approche en coût global et le recours à l’analyse de risques, suggère une maturité managériale de la personne publique, et évoque sa capacité à réaliser des valorisations rationnelles, et pour le moins à s’assurer de la soutenabilité budgétaire, condition de la rigueur des projets et… de la discipline de leurs promoteurs politiques33.
53Cette conversion du juge constitutionnel à une nécessaire approche managériale des marchés de partenariat — guidant plus de dix années plus tard la rédaction des textes actuels —, est-elle consacrée dans la réalité ? Le juge administratif, garant de la licéité de l’action et non plus seulement de la conformité des intentions, prend-il au mot la loi ? Censure-t-il, lorsqu’il en est saisi, les projets de contrats, et bientôt de marchés de partenariat, pour défaut d’évaluation préalable, ou faiblesse dans la méthode de comparaison de ses avantages et de ses inconvénients avec d’autres modes de dévolution ?
- 34 Article 163 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 : « La part minimale que le titulaire s’engage à (...)
54Depuis la promulgation de l’ordonnance du 17 juin 2004, première consécration des partenariats, 558 projets de contrats, puis de marchés de partenariat, ont fait l’objet d’un avis d’appel à la concurrence, 150 ont été réalisés ou sont en cours de réalisation. Un certain nombre de projets de contrats de partenariat ont fait l’objet de recours contentieux, formés dans la plupart des cas par des associations créées pour en contester le bien-fondé, parfois par des élus locaux d’opposition, et le plus souvent, avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions, par les syndicats du second œuvre qui voyaient là une restriction à l’accès des PME à ces marchés globaux. Le décret du 25 mars 2016 a anticipé ce dernier reproche en faisant obligation aux administrations d’imposer à leurs partenaires le recours aux PME34.
55Au total, nombre de ces recours reposent sur la problématique classique de l’atteinte aux règles de transparence et de publicité, d’autres malheureusement plus rares, sont fondés sur des considérations de fond tenant à l’absence des critères objectifs de recours aux contrats de partenariat (urgence, complexité), ou au défaut de l’évaluation financière et technique préalable.
56L’analyse comporte ici nécessairement les limites que les requérants fixent à leurs propres recours par leur nombre, par les moyens exposés, par leurs finalités mêmes.
- 35 Conseil d’État, 7e ss. sect., 30 juillet 2014, req. 363007, Biarritz Océan.
- 36 CAA de Paris, 3 avril 2014, Ass. La justice dans la cité, n° 13PA02769, N-766, N-770, confirmé par (...)
57Nous choisirons donc, parmi les recours présentés récemment devant le Conseil d’État, deux cas exemplatifs volontairement très différents : le recours sur le projet de réalisation de la Cité de l’Océan et du Surf à Biarritz35, et le recours sur le projet de construction du nouveau Palais de justice de Paris36.
- 37 La théorie jurisprudentielle de l’acte détachable interdit, sur le seul fondement du recours pour e (...)
58Le premier projet est un projet territorial important à l’échelle de la ville de Biarritz mais réduit au niveau national avec un coût global estimé à près de 41 millions € in fine. Le montage en CP a été contesté dès son origine par un élu d’opposition au Maire de la ville. Par sa décision du 30 juillet 2014, le Conseil d’État a annulé la délibération37 autorisant la signature du contrat de partenariat prenant à la lettre les exigences légales liées à la qualité de l’étude préalable comme condition substantielle du contrat de partenariat :
« Le respect des conditions posées par la loi s’apprécie au vu de la qualité de l’évaluation préalable qui a donné lieu à la délibération. (…/…) La seule invocation de la complexité des procédés techniques à mettre en œuvre ne peut suffire à justifier légalement le recours au contrat de partenariat. »
Si l’évaluation préalable du projet « Biarritz-Océan » (…/…) faisait apparaître de nombreux éléments de complexité technique, il ne ressort pas des pièces du dossier que (…/…) la commune aurait été dans l’impossibilité de définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet. »
- 38 La Chambre régionale des Comptes (CRC) avait livré, par son rapport du 26 janvier 2010, sa position (...)
59Le respect de la discipline managériale, qui découle ici de l’exigence d’une évaluation préalable du projet, est rappelé sans détour ni timidité au politique. Sans doute devons-nous, pour éviter un procès en naïveté, considérer que cette solution offre au politique, et en l’occurrence à la nouvelle municipalité, l’heureuse opportunité de sortir à bon compte d’un contrat de partenariat qui n’est plus considéré aujourd’hui comme la solution la plus pertinente38. Un certain opportunisme du juge administratif (Loschak, 1972) peut avoir partiellement dicté, dans les limites de son contrôle, la solution. Il n’en reste pas moins, que les moyens retenus sont ici très clairement orientés vers la qualité et les méthodes mobilisées par l’évaluation préalable, outil managérial de discipline du politique.
60Le second exemple est bien différent quant à son ampleur et ses implications politiques à l’échelle nationale. Il s’agit du projet de transfert du Palais de justice de Paris sur la ZAC de Clichy-Batignolles, promise en son temps à la construction de la cité olympique dans le cadre de la candidature de Paris aux JO 2012. Le projet, confié à l’Établissement public du Palais de justice de Paris (EPPJP), prévoit la conception, la construction, le financement, l’entretien et la maintenance du futur Palais de justice de Paris. Le projet est conclu pour une durée de 27 ans, et un montant global actualisé évalué in fine à 2,4 milliards €. L’association « La Justice dans la Cité », ayant pour objet le maintien du TGI de Paris dans l’Ile de la Cité, a formé un recours devant le tribunal administratif (TA), puis devant la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris. C’est l’arrêt de la CAA de Paris que le Conseil d’État a confirmé en juillet 2014.
61Certains éléments figurant dans l’arrêt de la CAA de Paris peuvent surprendre les observateurs :
- L’approbation de l’évaluation préalable du ministre garde des Sceaux en 2010 était requise avant de définir le périmètre géographique exact du projet par l’EPPJP ? Peu importe qu’elle ait été tacite, répond la CAA. « Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable n’est pas de nature à entacher d’illégalité la décision prise (…/…) »
- Les comités techniques paritaires (CTP, à l’époque, aujourd’hui CT), aux termes du statut général de la fonction publique, sont saisis des questions touchant aux problèmes généraux d’organisation, et aux conditions de fonctionnement des administrations. Mais dans le cas d’espèce, peu importe que le CTP du ministère de la justice n’ait pas été saisi du projet, répond la CAA de Paris : « La création, dans le ressort de la Cour d’appel de Paris, d’un nouveau Palais de justice rassemblant toutes les juridictions du ressort, ne constitue pas une question générale d’organisation ou de fonctionnement (…/… et n’avait donc pas à être soumise au CTP du ministère de la justice. »
- Le recours à un contrat de partenariat doit être justifié par des conditions particulières d’urgence ? La dispersion des services du TGI de Paris ne permet pas un fonctionnement normal de la juridiction, répond la CAA de Paris : « Le recours au contrat de partenariat se trouve en l’espèce justifié par l’urgence qui s’attache à la nécessité de mettre fin à une situation particulièrement grave et préjudiciable à l’intérêt général affectant le bon fonctionnement de la justice à Paris… »
62La licéité de la procédure fut confirmée par le Conseil d’État, qui ne trouva pas plus à redire que la CAA de Paris, à la conclusion d’un accord dit autonome signé entre l’État, le groupement privé et les établissements financiers, et prévoyant une cession de créance irrévocable à la hauteur du montant in fine. Cet accord autonome fixait les modalités d’indemnisation par l’État de son partenaire privé en cas d’annulation, de résolution, de déclaration de nullité ou de résiliation du contrat de partenariat ou de l’un de ses actes détachables…
63« Selon que vous serez puissant ou misérable… ». Sans doute, la perspective d’une indemnisation délétère du groupement privé par l’État a-t-elle rendu à la CAA sa puissance créative. Épargner le contribuable national, reste un mobile louable et… d’intérêt général, en quelque sorte. Mais, pour le dessein qui nous occupe ici, la managérialisation du droit en sort considérablement affaiblie.
64Ces deux décisions, prises dans un domaine commun et à peu de distance, évoquent une approche des pratiques de bonne gestion et de leur traduction législative à très faible écho, et différentes selon les cas. Le juge administratif semble bien plus attentif à l’effectivité de la règle managériale lorsqu’il s’agit des collectivités territoriales. Le dispositif apparaît moins serré lorsqu’il s’agit de projets par essence, nous ne le contestons pas, très politiques et à très forts enjeux financiers et fonctionnels. Faut-il dans ces conditions inverser notre proposition : N’est-ce pas plutôt le juge qui est discipliné, en termes de management, par le politique ?
- 39 S’agissant de la localisation de ce projet, la Cour des comptes indique dans ses conclusions que « (...)
65Malgré (à cause…) des montants exceptionnels en jeu (2,4 milliards pour le Palais de justice, 4,2 milliards quant au siège du ministère de la Défense, réalisé également en marché de partenariat39), les exigences d’évaluation de l’ordonnance du 17 juin 2004, et désormais de l’ordonnance du 23 juillet 2015, ne sont pas à la hauteur. Tout se passe comme si, inhibé par les enjeux nationaux, le juge n’imaginait pas pouvoir imposer au politique le respect de la rationalité managériale inscrite dans la loi. Ces pratiques gestionnaires de bon usage des deniers ne sont pourtant pas des Soft Law par nature, mais elles le deviennent par destination.
66La loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques (2011-2014) dans un premier temps, l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics dans un second temps, viennent considérablement limiter le recours aux marchés de partenariat pour les administrations publiques centrales (APUC) autres que les ministères eux-mêmes. Ainsi, les établissements publics de santé, les EPST (ex CNRS, INSERM, INRA, INRIA…), les Agence régionales de Santé, les Universités, les musées et théâtre nationaux… ne peuvent plus recourir directement aux marchés de partenariat. Il leur est néanmoins désormais possible d’y recourir indirectement par la médiation de leur ministère de tutelle à la condition que ce dernier soit chargé de l’évaluation préalable et que la soutenabilité budgétaire et financière du projet soit garantie. Faut-il voir dans cette limitation le ferment d’une autodiscipline managériale, ou plutôt celui d’une mise sous tutelle de la stratégie des opérateurs ?
- 40 Un seul autre instrument est en fait mobilisé à côté de l’étude d’impact : l’exposé des motifs.
- 41 Décision n° 2014-12 FNR du 1er juillet 2014, « Il ne saurait en particulier être fait grief à cette (...)
67La revue de la jurisprudence relative aux trois dispositifs examinés peut déboucher sur un tableau synoptique confrontant les instruments de gestion requis par la législation et la nature du contrôle exercé par le juge compétent. Suivant la distinction rapportée par Aggeri et Labatut (2010), et en dépit du flou sémantique observable dans la littérature, on considérera que « l’instrument est le produit d’une opération de pensée d’ordre supérieur et comporte « une dimension politique, implicite ou explicite, susceptible d’être révélée dans le cadre d’actions organisées et finalisées alors que l’outil apparaît essentiellement comme un concept technique » (page 9). On a posé ici que les trois dispositifs examinés s’appuient sur des instruments qui, eux-mêmes, font explicitement référence à des outils. Dans les deux premiers cas de figure les instruments doivent être mobilisés pour des objets auxquels ils ne font que concourir : la loi de finance initiale ou la loi de règlement pour les PAP et les RAP, les conditions fixées pour « la présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat » en ce qui concerne l’étude d’impact.40 En ce qui concerne le contrat de partenariat, il y a identité entre l’instrument et l’objet visé. Tant pour les PAP et RAP que pour les études d’impact, il apparaît que le juge s’en tient à un contrôle minimum ; il en résulte qu’en règle générale, l’exigence par le juge du respect de la discipline attendue du pouvoir est relativement peu contraignante. Un effet pervers apparaît même, attisé par la conjonction entre l’effort de discipline demandé à l’exécutif et le mode de contrôle du juge : ainsi, seuls les objectifs explicites du projet de loi devraient entrer dans le périmètre de l’étude d’impact41, si bien que la sagesse commanderait à être le plus prudent possible en évitant de mettre en relief un trop grand nombre d’objectifs.
68La saisine du juge se cantonne pour les PAP-RAP, ainsi que pour l’étude d’impact à la conformité du contenu des instruments-outils à la loi organique les régissant. Dans le cadre du marché de partenariat, s’est ajouté à ce problème récurrent de conformité, celui de la constitutionnalité de l’ordonnance instaurant le contrat de partenariat et de sa loi modificative. Il ressort du tableau ci-dessous qu’en règle générale, l’exigence par le juge du respect de la discipline attendue du pouvoir est relativement peu contraignante à l’exception près des contrats de partenariat conclus par des collectivités territoriales. Ce constat interpelle quant à l’apport de l’institutionnalisation des instruments-outils de gestion par rapport à une absence d’institutionnalisation au sens commun du terme.
- 42 Si la LOLF est issue d’une proposition de loi déposée par deux parlementaires MM. Lambert et Migaud (...)
69Lorsqu’une discipline destinée à l’appareil d’État est instaurée par voie réglementaire (Décret, arrêté, voire circulaire), ce qui est le cas à l’heure actuelle des études d’impact relatives aux projets de décrets, elle peut être considérée aussi bien comme une autodiscipline du pouvoir (ce qu’un décret peut faire un décret peut le défaire) que comme une discipline imposée par le pouvoir à l’appareil administratif, dans ce cas on met l’accent sur l’aide à la décision que constitue la discipline en question. Lorsqu’une discipline est instaurée par le moyen d’une loi organique ou ordinaire le doute est permis. En effet, le législateur est décideur en la matière, mais dans la pratique, c’est bien l’exécutif qui est à l’initiative des mesures proposées42. En d’autres termes, l’exécutif est à l’origine d’une discipline qui pourra certes être amendée, y compris dans le sens d’un renforcement, par les parlementaires mais que par construction, il accepte pour lui aussi bien que pour ses successeurs. Si l’on exclut l’hypothèse du masochisme des gouvernants, il reste à déterminer les motivations de ceux-ci : besoin d’effectuer une contribution minimale (tokenism) à un principe qui se développe dans la société (meilleure transparence de la gouvernance, plus sérieuse redevabilité des gouvernants) authentique souci de développer la démocratie fut-ce aux dépens des caractéristiques discrétionnaires du pouvoir, croyance en une sorte de concordantisme (ce qui est bon pour la démocratie est bon pour le pouvoir), gage de rééquilibrage des pouvoirs, donné au législatif par un exécutif affaibli… L’autodiscipline, au moins apparente, peut s’accommoder de multiples explications.
70En 1968, la Rationalisation des Choix budgétaires fut lancée par un simple arrêté ministériel du MINEFI conforté deux ans plus tard par un décret créant la commission interministérielle des choix budgétaires. C’est dire que le substrat juridique était à l’époque faible et limité à un règlement émanant du pouvoir exécutif s’imposant à lui-même une discipline interne révocable ad nutum.
71Quarante années ans plus tard, la budgétisation par programme est consacrée par une loi organique qui ne le cède dans la hiérarchie des normes qu’à la Constitution ; l’obligation d’une évaluation a priori est instaurée pour (presque) tous les projets de lois par une autre loi organique, et l’évaluation préalable pour tous les projets de contrat de partenariat est, quant à elle, rendue obligatoire par voie d’ordonnance. C’est dire qu’au premier abord, des principes de bonne gestion ont été institutionnalisés là où ils étaient précédemment laissés aux initiatives du pouvoir exécutif et de ses services.
72Cette institutionnalisation est d’autant plus notable qu’elle reste l’exception s’agissant des instruments de gestion utilisables par l’administration. La parution en 2012 du décret de gestion budgétaire et comptable publique (GBCP) a permis de constater que, par rapport au décret sur la comptabilité publique de 1962 qu’il remplace, la référence à la comptabilité analytique est toujours aussi succincte comme si en un demi-siècle la doctrine de l’État en la matière n’avait pu être établie, en dépit de mises en œuvre localisées de comptabilité de gestion et des réflexions de groupes de travail internes à l’administration.
- 43 Ce qui paraît être la conception de l’OCDE pour laquelle l’analyse d’impact de la réglementation « (...)
73Avec l’étude d’impact (mais mutatis mutandis on pourrait énoncer la même chose pour les deux autres instruments) s’agit-il de passer d’un pouvoir qui affirme (ce qu’est le bien supposé commun) à un pouvoir qui démontre, et dans ce cas quel mode de « démonstration » est-il admis ? Un mode hypothético-déductif serré, ce qui renvoie à des démonstrations mathématiques à partir de prémisses fortes ou un mode fondé sur des preuves (Évidence based)43 ce qui renvoie à des analyses statistiques, seulement possibles sous la condition d’une disponibilité effective d’informations pertinentes. S’agit-il plutôt d’obliger le pouvoir à passer d’affirmations très globales pour ne pas dire grossières à des explications plus fines, plus désagrégées ?
- 44 Celle-ci est de facto prépondérante dans le guide de légistique rédigé par le Secrétariat général d (...)
74Dans le premier cas de figure c’est le côté discrétionnaire du pouvoir qui est attaqué ainsi que les croyances qui peuvent être les siennes et/ou le recours à une idéologie et/ou au sens commun comme fondement(s) des politiques publiques. C’est l’approche instrumentale des politiques publiques44 qui est au moins implicitement mobilisée par l’accent mis sur le travail à effectuer pour que la recherche des effets ou des conséquences débouche sur une efficacité et une efficience. L’exercice de l’étude d’impact est une véritable contrainte pour le pouvoir.
- 45 Sur un exemple de référentiel érigé en dogme prohibant une véritable analyse « Le livre n’est pas u (...)
75Dans le second cas de figure, seule une image de cohérence interne est requise du pouvoir. La conception cognitive des politiques publiques (Muller, 2000) n’est pas frontalement mise en cause, le sens, les symboles, les représentations… ont encore leur place, mais au prix d’une mise en scène plus précise que la seule évocation de référentiels (Muller, 2000) érigés en dogmes45. On peut penser que la discipline peut aider à légitimer le pouvoir et qu’elle est tout autant, sinon plus, ressource que contrainte.
76Bien évidemment, on vient d’opposer deux cas extrêmes, il n’y a nulle raison d’exclure des situations intermédiaires explicables par la diversité des inspirations, les luttes des acteurs lors de la mise en œuvre de la discipline ou la faiblesse de la réflexion préalable à l’instauration de la discipline. En tout état de cause le degré d’exigence réel doit pouvoir informer sur la nature même de la discipline. Comme on l’a suggéré plus haut ce degré d’exigence renvoie au contenu même des textes, à l’application qui en est faite, aux réactions que cette application peut soulever ainsi qu’à la réaction du juge compétent aux recours qui lui sont soumis.
77En réalité, les instruments de gestion sont aujourd’hui « convoqués » pour donner une image modernisée et rationalisée des rapports entre l’exécutif et le législatif. La juridisation des instruments en question crée des contraintes pour l’exécutif puisqu’elle l’oblige à évaluer davantage le lien entre objectifs et moyens. Cette injonction de transparence met à mal, au premier abord, l’ambiguïté et le flou considérés comme des caractéristiques essentielles de la gestion publique. Mais, s’inscrivant dans le cadre d’un rapport entre les deux pouvoirs, ces instruments changent de finalité : d’instruments de gestion, à proprement parler, ils deviennent des instruments de gouvernance (Hood, 1983 ; Halpern, Lascoumes, Le Galès, 2014), plus précisément des instruments de plaidoyer d’un pouvoir auprès d’un autre, et le cas échéant de l’opinion publique qui peut aisément y avoir accès. C’est là un mode d’appropriation parmi bien d’autres (Vaujany, 2006).
78Cette fonction d’advocacy a naturellement des conséquences sur la nature des documents produits. On peut, par exemple, difficilement attendre d’une étude d’impact qu’elle valorise objectivement les solutions alternatives à celle retenue par le Gouvernement, ou qu’elle insiste sur les effets pervers d’un projet de loi. Il ne pourrait en être autrement que si la rigueur du juge constitutionnel dans l’interprétation de la loi organique était reconnue. Mais cette rigueur est, on l’a vu, improbable, en raison du problème de légitimation permanente auquel se heurte tout juge constitutionnel, ensuite parce que la matière managériale est semée d’embuches pour un juge qui ne saurait se voir reprocher son manque d’expertise pour apprécier le périmètre d’un objectif ou la pertinence d’un indicateur, la réalité d’un effet pervers ou le biais introduit par une analyse hypothético-déductive.
- 46 Pour une vision plus optimiste des choses, dans un environnement juridique différent cf. Des Rosier (...)
79Le repli sur l’erreur manifeste d’appréciation comme critère de censure apparaît donc comme une solution « sage », même si elle entérine de facto l’acceptation d’une interprétation assez formelle des contraintes posées par la loi organique et d’une contribution souvent symbolique aux travaux que celle-ci oblige l’exécutif à faire. Dès lors, la contrainte apparaît bien légère et la logique politique finalement peu gênée. L’étude d’impact pousse seulement le Gouvernement à communiquer sur le fait qu’il ne fait pas n’importe quoi (pas de « garbage can » au sens de Cohen, March et Olsen, 1972), que son action n’est pas motivée par de l’idéologie pure ou le seul désir de donner satisfaction à telle ou telle partie de son électorat, ou à un groupe de pression qu’il courtise ou craint. En d’autres termes, l’étude d’impact est un instrument de légitimation de l’action du Gouvernement qui ré-enchante, par la référence à l’avantage coût, la mythologie de l’intérêt général, s’inscrivant par-là dans la continuité de la construction jurisprudentielle de la théorie du bilan, sans risques excessifs pour lui.46
80Dans le cas des PAP et des RAP, la (maigre) jurisprudence constitutionnelle n’a pas conduit aux mêmes extrémités, sans doute en raison de l’importance même du dispositif de mise en œuvre de la LOLF et du contrôle interne à l’administration (Cour des comptes, CIAP, direction du budget). Elle a même pu, au même titre que la manière dont les programmes ont été définis, aboutir à une certaine routinisation, une amélioration technique beaucoup plus que stratégique, et une résistance assez forte des documents produits aux changements politiques (Benzérafa, Garcin et Gibert, 2014).
- 47 L’emphase dont est coutumier la rhétorique managériale dans l’administration cache parfois des reto (...)
81Beaucoup plus que la technologie des outils, ce qui importe pour les acteurs dans les exemples étudiés, c’est l’image de rationalité au service de la performance que ces outils véhiculent. Si le management public est un langage (Laufer et Burlaud, 1979), le langage politico-administratif sait lui emprunter opportunément des termes à connotation positive tout en leur donnant un sens différent. De là, des malentendus volontaires ou non. Les organisations publiques sont un terrain fertile pour les optimisations euphémisantes47 s’ajoutant à la collection des oxymores contemporains… Ainsi, quand le politique prétend effectuer une analyse coût/avantage de l’action publique, il ne s’agit pas d’en identifier les effets désirables ou non, d’en prévoir le volume ni de les valoriser chaque fois que possible, mais bien de légitimer le projet en insistant sur ses avantages, et en gommant les effets indésirables. Quand il convient de présenter des objectifs dans le cadre des lois de finances, et de traduire une absence de choix, des pseudo-objectifs purement triviaux suffisent. Comme le législateur et le juge ont en partage le même langage politico-administratif, l’institutionnalisation des instruments de gestion qui pouvait apparaître comme une tentative de discipliner managérialement le pouvoir, repose en fait sur l’incorporation de « managérialismes », de la même manière que la langue française incorpore de plus en plus d’anglicismes.
- 48 Ce qui ne veut pas dire qu’à la longue le vocabulaire ne finira pas par recouvrir une réalité.
82Si le managérialisme, qui apparaît le plus souvent comme une expression polémique utilisée pour dénoncer l’arrivée de la rationalité managériale qui menacerait la nature même des objets auxquels on voudrait abusivement l’appliquer, est une expression abondamment utilisée fût-ce dans des acceptions très variées (Tandilashvili, 2016), l’idée de managérialismes est peu mise en avant ; pour nous, il s’agit de souligner l’importance de l’utilisation du vocabulaire du management à la place de la sémantique administrative traditionnelle sans que ce changement ait un impact réel sur les comportements ou les façons de penser : baptiser un service centre de responsabilité sans qu’il y ait eu une réflexion sur les marges d’autonomie de ce service et la redevabilité (accountability) qui doit lui être associée est un managérialisme, qualifier de stratégie un document qui ne fait que répertorier les compétences juridiques d’un service est un autre managérialisme48. C’est l’existence de nombreux managérialismes qui fait que, nouveaux Don Quichotte des anti-managérialistes croyant s’attaquer à des géants, ils s’attaquent à des moulins à vent.
83Cet angle de vue ne saurait conduire à exclure les explications plus traditionnelles (comme celle de l’hypocrisie organisationnelle (Brunsson, 1986), ni à conclure systématiquement à une forme d’insincérité des réformateurs de la gouvernance publique. Elle incite cependant à ne pas surestimer ni l’importance de la managérialisation du droit, ni celle de l’illusion rationalisatrice (Rouban, 1993) à laquelle auraient succombé tant de modernisateurs de la gestion publique depuis un demi-siècle.
84Nous avons examiné les problèmes soulevés par la mise en œuvre de trois prescriptions incarnées par des lois organiques dans deux cas et ordinaire dans le dernier et visant à discipliner le pouvoir en lui prescrivant d’expliciter les objectifs des choix qui sont les siens et la raison des moyens qu’il compte utiliser pour atteindre ces objectifs. Nous avons observé directement (on veut dire par nos propres études) dans le cas de la LOLF, de façon indirecte en analysant les réactions du milieu politique ainsi que du Conseil d’État dans le cas de l’étude d’impact des projets de loi, par analyse d’un petit nombre de cas en ce qui concerne le cas de l’étude préalable aux contrats (devenus marchés) de partenariat que l’observation de ses prescriptions laissait pour le moins à désirer et que l’examen de la jurisprudence du conseil constitutionnel et des juridictions administratives révélait un degré d’exigence pour le moins modéré au regard des textes prescriptifs. Nous avons ainsi illustré l’idée selon laquelle l’institutionnalisation de normes managériales se heurte à la force d’une rationalité politique qui s’accommode mal de la précision des objectifs, de l’explicitation d’une véritable théorie d’action reliant objectifs recherchés et moyens retenus. Nous avons également illustré l’idée que le juge constitutionnel ou administratif sensible aux difficultés de la gouvernance fait preuve pour cela, en ce qui concerne l’État du moins d’une mansuétude par une interprétation minimaliste de son contrôle sur l’application des règles managériales.
85La première tient au fait qu’il a été centré sur le seul cas français, on ne peut exclure que dans des pays étrangers où l’idée d’instrumentalité des politiques publiques est moins concurrencée qu’en France par les approches cognitives, où l’accent sur les conséquences des politiques publiques est prédominant, où la vision du droit paraît plus instrumentale, où la culture évaluative est plus prégnante le degré réel d’exigence et de respect des normes managériales soit plus élevé. C’est ce que semblent penser les juristes du Conseil d’État quand ils notent « la conception française… s’attache tant à la clarté de la norme qu’à son caractère lisible et compréhensible par le plus grand nombre. Dans d’autres États comme aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, l’accent est davantage mis sur les effets de la norme sur l’individu ou sur l’activité économique et la charge administrative qu’elle représente… Sans renoncer à sa traduction d’excellence juridique notre pays doit lui aussi partager cette ambition » (CE 2016 b).
86La deuxième limite tient aux méthodes utilisées pour l’appréciation de l’étude d’impact des projets de loi et de l’étude préalable au contrat-marché de partenariat. On ne dispose pas d’une revue systématique des études réalisées dans l’un et l’autre cas, dès lors les limites énoncées à l’égard des études effectuées sont fondées sur des exemples illustratifs mais pas forcément statistiquement significatifs ou sur des opinions de personnes ou d’autorités qui peuvent avoir d’importants biais de jugement (utilisation consciente ou non de critères à proprement parler politiques ou bien corporatistes…). Des études statistiques sur échantillonnage et à partir de l’objectivisation de critères au regard des prescriptions législatives seraient les bienvenues dans les deux domaines mentionnés.
87Une troisième limite pourrait tenir à la relative nouveauté de l’obligation instaurée au moins en matière d’étude d’impact et d’étude préalable. L’explication d’imperfections et de lacunes qui seraient dues à l’inexpérience et qui pourrait s’atténuer, avec le temps, en fonction d’une capitalisation de l’apprentissage est en effet, une hypothèse concurrente - mais partiellement compatible avec celle que nous avons privilégiée d’opposition entre rationalité politique et rationalité managériale. La validation de cette hypothèse suppose elle aussi des travaux ultérieurs. Nous noterons cependant que l’examen de l’évolution du respect des prescriptions de la LOLF dans le domaine de la présentation des objectifs et d’indicateurs sur une période déjà un peu longue de 9 ans s’est traduite davantage par une précision du genre que constitue le volet performance des PAP qui fait diminuer l’hétérogénéité de présentation en la matière des PAP que par un réel effet d’apprentissage. (Benzérafa, Garcin et Gibert, 2016)
88La quatrième limite tient au fait que la faible effectivité de la législation quant à l’introduction récente d’instruments de gestion, ne saurait faire conclure à l’inanité des tentatives de « modernisation de la gestion publique ». À côté en effet de l’institutionnalisation de certains instruments de gestion, se poursuit le déploiement d’instruments non portés véritablement par le droit : Indicateurs, tableaux de bord, systèmes de contrôle, continuent à se développer au sein des ministères, des établissements publics ou des collectivités territoriales de la même manière que se développent des évaluations essentiellement ex post. Certes, l’ensemble est moins visible de l’extérieur que ne le sont les instruments « juridicisés ». Par nature, cet ensemble est plus en prise avec la gestion quotidienne, et les problèmes qu’elle pose aux managers publics. Simplement, aucun instrument du management public n’est assuré de sa pérennité. L’avenir des instruments dépend essentiellement des modes ; il est tributaire des changements de responsables, de leur mode personnel de gestion, et des aléas politique. Si la discipline subie est d’une portée faible, l’autodiscipline peut être d’une pérennité limitée…