Cette étude s’inscrit dans le projet Les stratégies favorables au développement et au maintien de mesures de santé au travail dans les petites entreprises du centre urbain montréalais embauchant une main-d'œuvre immigrante (0099-6820) qui a obtenu une subvention de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).
- 1 Groupe I : Bâtiment et travaux publics; industrie chimique; forêt et scieries; mines, carrières et (...)
1De nos jours, la majorité des pays fonctionnent selon un modèle d’autorégulation de la législation en matière de santé et sécurité au travail (SST) (Marchand et coll., 1996). Dans ce modèle, le rôle de l’État est réduit et la prise en charge de la SST est réalisée conjointement par les employeurs et les travailleurs. Au Québec, la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST), adoptée en 1979, est venue proposer un ensemble de mécanismes de prévention. Ces mécanismes sont : 1) le programme de prévention ; 2) le programme de santé spécifique à l'établissement (PSSE - inclus dans le programme de prévention) ; 3) le comité de santé et de sécurité (CSS) ; 4) le représentant à la prévention. En 1980, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a réparti les 32 secteurs d’activité économique en six groupes prioritaires1 en fonction de la fréquence et de la gravité des lésions professionnelles. Elle a également déterminé un ordre de priorité pour implanter ces mécanismes. Par règlement, les groupes I et II ont été assujettis aux quatre mécanismes de prévention alors que le groupe III est seulement assujetti au programme de prévention et au PSSE.
2L’article 68 de la LSST prévoit la mise en place d’un CSS pour les entreprises des groupes I et II qui comptent plus de 20 salariés. Lorsque ces deux conditions sont remplies, la loi prévoit, et non oblige, la mise en place d'un CSS paritaire. L’article 69 de la LSST précise certaines conditions pour lesquelles une entreprise peut être tenue (obligée) de former un CSS, soit : a) si un avis écrit à cet effet est transmis à l’employeur par une association accréditée ou, s’il n’y en a pas, par au moins 10 % des travailleurs (dans une entreprise de moins de 40 travailleurs, par au moins quatre d'entre eux), ou b) si un représentant de la CSST juge opportun la formation d’un comité, peu importe le nombre de salariés.
3En 2000, les travaux de Simard indiquent que le Québec accuse un important retard en regard de la législation en matière de prévention. En effet, le Québec, l’Alberta et l’Île-du-Prince-Édouard adoptent une approche volontaire, alors que les autres provinces et le niveau fédéral adoptent une approche contraignante qui s’applique à tous les secteurs et aux entreprises de taille moindre (Simard, 2000). Dans un rapport préparé pour la CSST, Simard (2000) insiste sur le fait que les autres provinces et le niveau fédéral offrent beaucoup plus de mesures d’appui pour la formation des membres du CSS.
4En 2010, un mémoire préparé par Baril-Gingras et coll. (2010) compare 63 juridictions canadiennes et étatsuniennes en ce qui a trait à la législation en matière de prévention. Le Québec obtient la dernière position de ce palmarès (63e). Les auteurs de ce mémoire recommandent, entre autres : 1) que les dispositions de la LSST concernant les CSS s’appliquent à tous les secteurs d’activité ; 2) que les dispositions concernant les CSS et le représentant de SST ne soient pas dissociées de celles concernant le programme de prévention et le PSSE et 3) que le terme « peut » soit remplacé par « doit », rendant ainsi la mise en place d’un CSS obligatoire. Le mémoire de Baril-Gingras et coll. (2010) ainsi que 56 autres mémoires ont été présentés au groupe de travail qui a préparé le Rapport Camiré (2010). Ce groupe, qui était mandaté par la CSST, devait ouvrir une discussion en vue de faire des recommandations sur la modernisation du régime québécois de SST (Camiré, 2010).
5À la suite du Rapport Camiré (2010), la CSST a publié un autre document intitulé « La modernisation du régime de santé et sécurité au travail » (CSST, 2011). Dans ce document, la CSST recommande que la mise en place d'un CSS soit obligatoire pour les entreprises qui sont déjà assujetties (groupes I et II) et pour les entreprises des groupes III, IV, V, et VI de 35 salariés et plus. En avril 2012, la ministre du Travail a déposé le projet de loi n° 60 (Gouvernement du Québec, 2012) qui ne tient pas compte des recommandations de la CSST concernant la mise en place des CSS dans les conditions mentionnées précédemment. Quelques mois plus tard, par voie électorale, le Québec a connu un changement de gouvernement faisant en sorte que ce projet de loi n'a pu être adopté. En 2013, la nouvelle ministre du Travail a annoncé la constitution d'un autre groupe de travail. Le gouvernement en place souhaite créer un groupe composé de membres du ministère du Travail et de la CSST. Cette alternative viserait à remédier à l'absence de consensus entre les représentants syndicaux et patronaux sur les recommandations du rapport Camiré (2010).
6Ainsi, plus de trente ans après l'adoption de la LSST, les dispositions légales concernant la mise en place d’un CSS ne sont toujours pas obligatoires et ne s'appliquent pas à l'ensemble des groupes prioritaires, et donc des travailleurs. En fait, elles ne s'appliquent même pas à la majorité des travailleurs. En 2000, seulement 15 % des travailleurs œuvraient dans des entreprises des groupes I et II (Baril-Gingras et coll., 2010). Or, 77 % des dossiers de lésions professionnelles acceptées par la CSST en 2009 concernaient les autres groupes (CSST, 2010).
7En France, on tente aussi de moderniser la contribution des CSS comme outil démocratique à la participation des travailleurs, avec le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), une structure qui existe aussi depuis plus de trente ans. Un rapport préparé pour le gouvernement dresse un bilan des forces et des faiblesses des CSS et présente 33 propositions destinées à moderniser cette structure (Verkindt, 2014). Soulignons qu'en France le CSS est obligatoire pour les entreprises de 50 salariés et plus de tous les secteurs d'activité. Or, même s'il est obligatoire, il n'est pas toujours présent. En effet, seulement 72 % des entreprises censées avoir un CSS en ont réellement un (DARES, 2007). Selon cette étude, 96 % des entreprises de 500 salariés et plus ont un CSS, comparativement à 59 % pour les entreprises de 50 à 100 salariés et 17 % pour celles de 20 à 49 salariés (DARES, 2007). La taille, le secteur d'activité, la conflictualité de l'entreprise et la présence d'un syndicat seraient des facteurs qui influencent la présence des CSS dans les entreprises françaises (DARES, 2007 ; Thobois, 2011). Des facteurs qui s’apparentent à ceux documentés dans les travaux du Québec.
8Au Québec, de façon générale, quatre facteurs ont été identifiés comme favorisant la présence d'un CSS : 1) la taille de l'entreprise (> 20 salariés), 2) le secteur d'activité (groupes I et II), 3) la présence d'un syndicat (Simard et coll., 1986 ; Desmarais, 1994, 2004 ; Pedneault, 2004 ; Parent et Sabourin, 2009 ; ASPHME, 2010) ; 4) la présence de valeurs favorables à la prévention (Pouliot, 2001). De façon plus spécifique, les travaux de Champoux et coll. (1999), de Simard et coll. (2002) et de Desmarais (1994, 2004) se sont intéressés à la présence, au fonctionnement et à l'efficacité des CSS dans les petites et moyennes entreprises.
9De ces travaux se dégagent trois grandes catégories de facteurs liés à l’efficacité des CSS :
-
Facteurs liés à l’entreprise : la présence d’un syndicat, la taille de l'entreprise (> 20 salariés), les incitatifs économiques, le mode de gestion, la présence de valeurs favorisant la prévention, la volonté d’intégration de la prévention, le climat organisationnel et la participation volontaire des deux parties.
-
Facteurs liés au fonctionnement du CSS : le rôle du CSS (consultatif ou décisionnel), la composition paritaire, le nombre d'années d'existence du CSS, un mandat et des règles de fonctionnement claires, la composition du CSS (nombre suffisant de membres, participation constante des gens au sein de l’entreprise), l’appui de la direction, l’autonomie nécessaire pour réaliser son mandat, l’esprit de collaboration et de confiance au sein du CSS, les activités mises en œuvre, l'exhaustivité des objets d'enquête, la capacité d’obtenir l'information et la formation pour ses membres (normes minimales).
-
Facteurs liés aux caractéristiques des membres du CSS : le rôle de chaque membre est clairement défini, la présence d’un représentant des travailleurs désigné par les travailleurs, la présence d’un représentant de l’employeur ayant un pouvoir décisionnel, la scolarité et le statut des membres du CSS, la présence de membres ayant une expérience ou une formation antérieure en SST, l’ancienneté des membres dans l’entreprise, les qualités personnelles (bon communicateur, intérêts envers la SST, respect, etc.) et le fait que les membres ne soient pas liés au syndicat.
- 2 Les équipes de SAT des CSSS ont le mandat d’élaborer et d’appliquer le PSSE dans les entreprises de (...)
10En 2008, les professionnels de SAT2 de Montréal ont constaté que la prise en charge de la SST était absente ou négligée dans les PE qui embauchent des immigrants (Gravel et coll., 2008). Or, les travaux sur la SST et les CSS ont généralement été réalisés dans la moyenne et la grande entreprise syndiquée alors qu'elles ne sont pas représentatives de la majorité des lieux de travail.
11En effet, les petites entreprises (< 50 salariés) représentent plus de 90 % des lieux de travail dans tous les pays (Eakin et coll., 2000). Ces entreprises sont un milieu d'insertion économique considérable pour les travailleurs et les entrepreneurs immigrants (CAMO-PI, 2007). Notons que les PE sont aussi associées à une exemption de réglementation en SST, à un niveau de risque plus élevé et à un niveau inférieur de participation des travailleurs (Champoux et coll., 1999 ; Eakin et coll., 2000 ; Lansdown et coll., 2007).
- 3 Personne née à l'extérieur du Canada.
12Les immigrants représentent aussi un levier important pour la croissance économique et démographique du Canada et du Québec. Le Québec, qui compte maintenant près d'un million d'immigrants3 (Statistique Canada, 2011), a même atteint un record en accueillant 55 036 immigrants en 2012 (MICC, 2013). De ce nombre, 70 % ont choisi de s'établir sur l’île de Montréal, 8,1 % en Montérégie, 5,8 % à Laval et 5,1 % à Québec (MICC, 2013). En 2008, 29 % des PE montréalaises employaient des travailleurs n’ayant pas une connaissance fonctionnelle du français et 20,3 % de celles-ci étaient administrées par des propriétaires parlant une langue autre que le français et l'anglais (Bouchard, 2008).
13À Montréal, les immigrants travaillent souvent dans des entreprises où il y a un risque accru de subir une lésion (Premji et coll., 2008). La non-reconnaissance des diplômes étrangers, l’absence d’expérience de travail canadienne, la précarité des réseaux interpersonnels, la discrimination et la méconnaissance des langues officielles contribuent à exclure les immigrants des emplois les mieux rémunérés et pourvus de meilleures conditions de travail (Premji et coll., 2008). Beaucoup de ces travailleurs proviennent de pays où la culture de SST est récente ou absente (Gravel et coll., 2011).
14Malgré l'importance des immigrants, peu de ressources en SST leur sont destinées et sont adaptées à leurs besoins (Kosny et coll., 2011). Récemment, des chercheurs de Toronto ont comparé les provinces en fonction du nombre d'immigrants admis et du nombre de ressources en SST destinées aux nouveaux arrivants ou aux immigrants (Kosny et coll., 2011). Au Québec, on déplore le petit nombre de ressources, le fait qu'elles soient presque exclusivement offertes en français et le fait qu'elles mettent surtout l’accent sur l’adoption d'une culture québécoise (Kosny et coll., 2011).
15Parmi les quelques études québécoises, Simard et coll. (2002) et Desmarais (1994, 2004) ont étudié la participation des travailleurs et les CSS dans les PE, mais sans égard aux travailleurs immigrants et aux facteurs susceptibles de favoriser la présence et le fonctionnement des CSS dans les PE multiethniques. Cette étude tente de répondre aux questions suivantes : 1) Est-ce que les CSS sont présents dans les PE montréalaises qui embauchent des immigrants ? 2) Quels sont les facteurs qui favorisent la présence des CSS dans ces entreprises ? 3) Quelles sont les caractéristiques de ces CSS ? 4) Est-ce que les travailleurs immigrants participent aux CSS ?
16Le cadre d’analyse de cette étude est une adaptation du cadre de l’étude initiale (Gravel et coll., 2008, 2013). Il s’inspire également d’autres travaux qui s’intéressent aux CSS (Pedneault, 2004 ; Desmarais, 1994, 2004 ; Simard et coll., 2002). Nous y retrouvons quatre axes pour illustrer les dimensions étudiées, soit : 1) les caractéristiques de l’entreprise, 2) les acteurs internes, 3) les acteurs externes et 4) la prise en charge de la SST.
Figure 1. Cadre d’analyse pour étudier la présence et le fonctionnement des CSS
17Rappelons qu'il s'agit d'une analyse secondaire spécifique aux CSS, qui s’inscrit dans un projet sur les stratégies favorables de prise en charge de la SST (Gravel et coll., 2008, 2013). Afin de mieux comprendre les facteurs qui sont susceptibles de favoriser la présence et le fonctionnement des CSS dans les PE multiethniques de Montréal, nous avons opté pour un devis par étude de cas multiples (Yin, 2003). Les études de cas permettent d’effectuer des analyses approfondies d’un phénomène en lien étroit avec son contexte afin d’observer, de comprendre et de décrire un phénomène contemporain complexe alors que les frontières entre le contexte et le phénomène ne sont pas claires (Yin, 2003 ; Contandriopoulos et coll., 2005).
18La population à l’étude est celle des PE de 10 à 50 travailleurs du secteur privé, syndiquées ou non, et qui embauchent une main-d’œuvre composée d’au moins 25 % de travailleurs immigrants, c'est-à-dire de travailleurs nés à l'extérieur du Canada.
19L’échantillon est composé de 28 PE qui sont divisées en deux groupes à des fins de comparaison :
-
Le groupe à l’étude (n = 19) est composé d’entreprises ayant au moins 25 % de travailleurs immigrants ;
-
Le groupe de comparaison (n = 9) est composé d’entreprises qui ont plus de 75 % de travailleurs nés au Canada.
20La sollicitation des entreprises s’est faite avec l’aide des équipes de SAT de deux CSSS de Montréal. Les entreprises de l’échantillon devaient appartenir à l’un des deux territoires couverts par les CSSS et avoir bénéficié d’au moins une intervention de l’équipe de SAT de ces CSSS. Une liste de 67 entreprises correspondant à ces critères a été fournie par les professionnels de SAT. Au total, 31 entreprises ont été exclues. Les motifs d’exclusion sont variés. Certaines entreprises n’avaient reçu aucune intervention, d'autres avaient fermé leurs portes ou ne répondaient plus à notre critère de sélection (ex. taille). Le taux de refus est de l’ordre de 22 %, soit un total de 8 entreprises sur les 36 qui ont été sollicitées (pas intéressées à participer et manque de temps).
21Cette étude utilise trois sources de données : 1) les entrevues avec les répondant(s) de SST des 28 entreprises ; 2) les dossiers administratifs des 28 entreprises ; 3) les entrevues avec les 26 professionnels de SAT qui interviennent dans ces entreprises. La cueillette des données a eu lieu de novembre 2008 à janvier 2011. Les données ont été saisies, traitées et analysées à l’aide du logiciel Nvivo 8 et du logiciel Excel. La codification des données a été réalisée à partir des dimensions et des variables du cadre d’analyse.
22Compte tenu de la taille de notre échantillon (n = 28), les données n'ont pas été soumises à des tests statistiques. Il s'agit plutôt d'observations récurrentes au sein des 28 cas d'entreprises mises à l'étude.
- 4 Les dispositions légales de la LSST, concernant la mise en place du CSS, s'appliquent aux entrepris (...)
23Voici un sommaire du profil des 28 PE mises à l’étude, incluant les caractéristiques concernant le groupe et le secteur d’activité de l'entreprise, la taille de l'entreprise (nombre de salariés)4, la composition ethnique de l'entreprise ( % de travailleurs immigrants) et la présence d’un CSS dans l'entreprise.
Tableau 1. Portrait des 28 cas à l’étude
No
|
Groupe prioritaire et secteur d’activité économique
|
Taille
|
Composition ethnique
|
Présence d’un comité SST
|
|
20
|
I – Fabrication de produits en métal
|
< 20
|
≥ 50 %
|
Oui
|
2
|
I – Fabrication de produits en métal
|
21-50
|
≥ 50 %
|
Oui
|
5
|
I – Fabrication de produits en métal
|
21-50
|
≥ 50 %
|
Oui
|
18
|
I – Fabrication de produits en métal
|
21-50
|
25-49 %
|
Oui
|
45
|
I – Fabrication de produits en métal
|
21-50
|
25-49 %
|
Oui
|
46
|
I – Fabrication de produits en métal
|
21-50
|
25-49 %
|
Oui
|
54
|
I – Fabrication de produits en métal
|
21-50
|
< 25 %
|
Oui
|
3
|
I – Fabrication de produits en métal
|
> 50
|
< 25 %
|
Oui
|
51
|
I – Industrie chimique
|
21-50
|
< 25 %
|
Oui
|
105
|
I – Industrie chimique
|
> 50
|
< 25 %
|
Oui
|
|
1
|
II – Bois (sans scieries)
|
21-50
|
≥ 50 %
|
Oui
|
4
|
II – Bois (sans scieries)
|
21-50
|
25-49 %
|
Oui
|
16
|
II – Bois (sans scieries)
|
21-50
|
25-49 %
|
Non
|
28
|
II – Bois (sans scieries)
|
21-50
|
≥ 50 %
|
Oui
|
53
|
II – Bois (sans scieries)
|
21-50
|
< 25 %
|
Non
|
101
|
II – Caoutchouc, matières plastiques
|
< 20
|
≥ 50 %
|
Non
|
39
|
II – Caoutchouc, matières plastiques
|
21-50
|
25-49 %
|
Non
|
52
|
II – Caoutchouc, matières plastiques
|
21-50
|
≥ 50 %
|
Non
|
104
|
II – Caoutchouc, matières plastiques
|
21-50
|
≥ 50 %
|
Oui
|
47
|
II – Caoutchouc, matières plastiques
|
> 50
|
< 25 %
|
Oui
|
50
|
II – Équipement de transport
|
> 50
|
25-49 %
|
Oui
|
6
|
II – Première transformation des métaux
|
21-50
|
< 25 %
|
Oui
|
103
|
II – Première transformation des métaux
|
21-50
|
< 25 %
|
Oui
|
|
36
|
III – Industrie des aliments et boissons
|
> 50
|
≥ 50 %
|
Non
|
106
|
III – Industrie du papier et articles divers
|
< 20
|
< 25 %
|
Non
|
102
|
III – Industrie du papier et articles divers
|
21-50
|
25-49 %
|
Non
|
55
|
III – Transport et entreposage
|
> 50
|
≥ 50 %
|
Oui
|
|
44
|
V – Fabrication de produits électriques
|
< 20
|
≥ 50 %
|
Non
|
Taille de l'entreprise (< 20, 21-50, > 50 salariés)
Composition ethnique de l'entreprise (< 25 %, 25-49 %, ≥ 50 % de travailleurs immigrants)
Présence d’un comité de santé et de sécurité dans l'entreprise (Oui, Non)
24Dans notre échantillon de 28 PE, 68 % des PE possèdent un CSS (19/28). Si les CSS sont bien présents au sein de notre échantillon, qu’en est-il lorsque l’on découpe l'échantillon en fonction de la composition ethnique des entreprises ? Les CSS sont-ils aussi présents dans les PE du groupe à l’étude (≥ 25 % de travailleurs immigrants) ? Nos résultats indiquent que 63 % des PE du groupe à l’étude possèdent un CSS (12/19). De plus, si on redécoupe notre échantillon en trois catégories (< 25 %, 25-29 % ; ≥ 50 d’immigrants), on constate que les CSS sont présents dans 64 % des entreprises qui présentent un pourcentage élevé de travailleurs immigrants (≥ 50 % de travailleurs immigrants).
25Rappelons que les PE sollicitées devaient avoir bénéficié d’au moins une intervention de l’équipe de SAT. Ainsi, il est probable que ces PE étaient déjà sensibilisées à l’idée d’implanter des mesures de SST. De plus, compte tenu que les équipes de SAT, qui sont les intermédiaires à la sollicitation, interviennent généralement dans les entreprises des trois groupes prioritaires, les PE de l’échantillon appartiennent en grande partie à ces groupes.
26Les dispositions légales de la LSST, concernant la mise en place d’un CSS en fonction de la taille (> 20 salariés) ou du secteur d’activité (groupes I et II) de l'entreprise, sont effectivement des facteurs susceptibles de favoriser la présence d'un CSS. Parmi les quatre entreprises de 20 employés ou moins, une seule entreprise (no 20) possède un CSS. Or, cette entreprise appartient au groupe I et est syndiquée, ce qui peut expliquer ce constat. Parmi les 23 entreprises appartenant aux groupes I et II, 18 possèdent un CSS. Notons que les cinq PE qui n'ont pas de CSS ne sont pas syndiquées.
27L’influence de la présence d'un syndicat sur la présence d’un CSS est évidente. Dans notre échantillon, toutes les PE qui sont syndiquées possèdent un CSS (9/9). Parmi les 19 PE non syndiquées, dix d’entre elles possèdent un CSS. Ces dix PE ont plus de 20 salariés et œuvrent dans les deux premiers groupes. La majorité des PE syndiquées possèdent un CSS paritaire. Ainsi, la présence d’un syndicat favoriserait la présence d’un CSS où le principe de parité est respecté. En effet, la mise en place d’un comité paritaire est une disposition qui est fortement appuyée par les syndicats.
28Le type d’entreprise (manufacture industrielle unique ; filiale/succursale ; entreprise familiale) semble avoir une influence sur la présence des CSS. En effet, parmi les 10 PE qui sont des filiales ou des succursales de groupes nationaux ou internationaux, neuf possèdent un CSS. Nos résultats indiquent que ces dernières ont accès à plus de ressources financières, humaines et matérielles que les PE manufactures uniques et familiales. Elles sont aussi plus nombreuses à avoir un responsable des ressources humaines ou de la SST, ce qui peut expliquer ce constat.
29Les responsables de la SST des PE ont été questionnés sur les arguments de SST favorables et défavorables entendus dans l'entreprise. Les deux entreprises qui ont soulevé le plus grand nombre d’arguments défavorables emploient une forte proportion d'immigrants (75-80 % de travailleurs immigrants). L’entreprise no 05 embauche 75 % de travailleurs immigrants. Cette entreprise est non syndiquée et elle possède un CSS non paritaire qui est formé de cinq représentants de l’employeur. Selon le responsable de la SST, le propriétaire dirigeant, les acteurs internes (dirigeant, superviseurs et travailleurs) trouvent que les mesures de SST « demandent des compétences que l’entreprise n’a pas », « demandent trop de temps et ralentissent la production ». Ces acteurs considèrent que les mesures de SST « sont des contraintes qui nuisent à l’aisance des travailleurs ». L’entreprise no 36 a aussi soulevé un grand nombre d’arguments défavorables. Dans cette entreprise non syndiquée, 80 % des travailleurs sont issus de l'immigration. Cette entreprise saisonnière qui embauche principalement des femmes (80 %) ne possède pas de CSS. Selon la responsable de la SST, la directrice de la production et des RH, les acteurs internes trouvent que les mesures de SST « augmentent le coût de production », « demandent trop de temps », « ralentissent la production », « risquent d’augmenter les déclarations des accidents et des maladies », « sont des contraintes qui nuisent à l'aisance des travailleurs » et « ne servent pas à grand-chose ». L’entreprise qui compte le plus grand nombre d’arguments favorables est l’entreprise no 103, une fonderie qui possède un CSS paritaire et un coordonnateur SST à temps plein. Cette entreprise est syndiquée et ne compte aucun travailleur immigrant. Ainsi, on observe que la présence d'arguments favorables en SST serait liée à celle des CSS.
30Le fait que le responsable de la SST occupe un poste relié à la gestion des ressources humaines (GRH) ou à la SST, qu’il ait une formation universitaire en administration, en GRH ou en SST, est aussi un facteur qui favoriserait la présence des CSS. Selon nos résultats, les PE dont les responsables correspondent à l’une ou l’autre de ces caractéristiques avaient mis en place des CSS. Dans ces entreprises, on constate que les CSS étaient mieux organisés en ce qui concerne la division des tâches des membres du CSS. Malheureusement, la majorité des PE n’avaient pas de ressource à temps plein en GRH ou SST. En fait, c’est souvent le propriétaire dirigeant qui était le responsable de la SST.
31Contrairement à nos prémisses initiales, le fait que le propriétaire dirigeant soit issu de l’immigration ne semble pas influencer la présence des CSS. En effet, toutes les PE où le propriétaire dirigeant est issu de l’immigration ont un CSS. Or, ces propriétaires dirigeants sont majoritairement au Canada depuis plus de dix ans. La caractéristique des propriétaires dirigeants qui semble avoir le plus d’incidence est le fait d'avoir acquis une formation universitaire au Canada. En effet, les cinq PE dont les propriétaires dirigeants ne possèdent pas de diplôme universitaire canadien n’ont pas de CSS.
32Enfin, pour ce qui est des acteurs externes en SST (ex. équipes de SAT, CSST, mutuelles de prévention, associations sectorielles paritaires, etc.), on constate que les PE qui utilisent leurs services sont plus suceptibles d'avoir implanté un CSS. Les auteurs externes ayantle plus d'influence sur la prise en charge de la SST sont les équipes de SAT. Notons que plusieurs responsables de la SST ne savaient pas s'ils faisaient partie d'une mutuelle ou d'une association sectorielle paritaire. Certains ne connaissaient pas ces services alors que d'autres les confondaient. La majorité des PE utilisant les services d’une mutuelle (10/14) ou d'une association sectorielle paritaire (9/10) possèdent un CSS. Les quatre PE qui utilisent les services de ces deux acteurs possèdent un CSS. Notons que les entreprises qui sont dans une mutuelle de prévention doivent généralement respecter certains critères, comme la mise en place d’un CSS, pour être admissible et bénéficier des avantages financiers.
33Même si la majorité des PE du groupe à l’étude ont des CSS paritaires (7/12), on note que les PE ayant un CSS non paritaire ont généralement 50 % et plus de travailleurs immigrants (4/5). Pour ce qui est de l’ancienneté des CSS, la majorité des PE ont un CSS depuis environ sept ans. Néanmoins, les PE du groupe à l’étude et celles qui ont 50 % et plus de travailleurs immigrants sont moins propices à posséder un CSS paritaire et un CSS implanté depuis plusieurs années.
34Selon les responsables de la SST, les CSS seraient non paritaires à cause du manque d’intérêt des travailleurs à y participer et non en raison de l’absence de volonté des employeurs d’y faire participer les travailleurs. Toutefois, il faut interpréter cette donnée avec prudence, car la majorité des entrevues ont été réalisées avec des personnes qui représentaient l’employeur, et donc reflètent leur perception.
35Pour ce qui est de la participation des travailleurs immigrants aux CSS, on constate que les travailleurs immigrants membres du CSS ne sont pas des immigrants récents. Ils sont tous au Canada depuis plus de cinq ans. Notons que dans les PE où les travailleurs immigrants participent aux activités du CSS, le CSS est généralement piloté par un responsable de la SST qui occupe un poste lié à la GRH ou à la SST.
36Un phénomène intéressant est ressorti de nos analyses soit la présence d’une homogénéité ethnique entre les différents paliers hiérarchiques des PE de l'échantillon. En effet, on remarque que l’origine des propriétaires dirigeants ou des superviseurs favoriserait l’embauche de travailleurs provenant des mêmes pays (ou continents). Cinquante-quatre pour cent des PE de l'échantillon (15/28) présentent une homogénéité ethnique entre les différents paliers hiérarchiques (propriétaires, superviseurs et travailleurs). Par exemple, dans l’entreprise no 28, les deux propriétaires, un des quatre superviseurs et sept des 34 travailleurs sont originaires du Liban. On retrouve aussi deux superviseurs et 17 travailleurs qui viennent du Ski Lanka.
37On retrouve également huit PE mixtes (8/28). Dans ces entreprises, les travailleurs viennent généralement de plusieurs pays, tandis que le ou les propriétaires et superviseurs sont canadiens. Par exemple, dans l’entreprise no 36, les deux propriétaires et les trois superviseurs sont nés au Canada, tandis que dix des douze travailleuses sont nées à l’étranger (Amérique latine, Asie, Europe de l’Est, etc.). Enfin, on retrouve six PE majoritairement canadiennes (6/28), c'est-à-dire que le pourcentage de travailleurs immigrants varie entre 0 % et 15 %. Trois d’entre elles n’ont aucun travailleur immigrant.
38Nos résultats indiquent que les entreprises présentant un phénomène d'homogénéité ethnique sont moins propices à posséder un CSS paritaire et un CSS implanté depuis plusieurs années. De plus, près de la moitié (44 %) des PE qui n’ont pas de CSS (4/9) sont dans le groupe des entreprises mixtes. Ce qui laisse croire que ces PE seraient moins portées à mettre en place un CSS.
39En ce qui concerne la présence des CSS dans les PE, nous pouvons dire que nos résultats vont dans le même sens que ceux de Desmarais (1994, 2004), de Champoux et coll. (1999) et de Simard et coll. (2002) qui observent que les CSS sont présents dans les petites et moyennes entreprises du Québec. En effet, nos résultats indiquent que les CSS sont présents dans la majorité des PE de l'échantillon (68 %), des PE du groupe cible (63 %) et des PE qui ont un pourcentage plus élevé de travailleurs immigrants (64 %).
40En ce qui a trait aux facteurs favorisant la présence et le fonctionnement des CSS, nos résultats viennent confirmer ceux de Simard et coll., (1986), de Desmarais (1994, 2004), de Pedneault (2004), de Parent et Sabourin, 2009, de l'ASPHME, 2010 et de Pouliot (2001) pour : 1) la taille de l’entreprise, 2) le secteur d’activité, 3) la présence d'un syndicat et 4) la présence de valeurs ou d’arguments favorables à la SST. Toutefois, nos résultats indiquent que d’autres facteurs pourraient favoriser la présence et le fonctionnement des CSS dans les PE multiethniques : 5) le type d’entreprise, 6) la présence d’un responsable de la SST ayant un poste relié à la GRH ou à la SST et/ou possédant une formation universitaire en administration, en GRH ou en SST, 7) la formation universitaire du dirigeant et 8) l'utilisation des services des acteurs externes en SST. Notons que ces données doivent être interprétées en considérant que les PE de l'échantillon devaient avoir bénéficié d’au moins une intervention de l’équipe de SAT. Il est donc probable que les PE de l'échantillon soient déjà sensibilisées à la SST, qu'elles soient plus ouvertes à implanter des mesures de SST et qu'elles appartiennent aux groupes I et II.
41Les données recueillies ne permettent pas de mesurer l’efficacité des CSS selon les mêmes termes que les travaux de Desmarais (1994, 2004) et de Pedneault (2004) où l’efficacité des CSS était mesurée selon le taux d’incidence des accidents du travail, la gravité des lésions professionnelles, le pourcentage d’atteinte des objectifs et le nombre de mesures correctives appliquées. Ces données n’étaient pas disponibles dans l'étude initiale (Gravel et coll., 2013), mais elles pourraient constituer une piste pour de futures recherches sur l’efficacité des CSS dans les entreprises embauchant une main-d’œuvre immigrante.
42Un autre apport de l’étude initiale et de cette analyse spécifique aux CSS est d'avoir classifié les PE de l'échantillon en fonction de l’homogénéité ethnique des propriétaires dirigeants, superviseurs et travailleurs. Ce phénomène est la manifestation des réseaux d’insertion sur le marché du travail des immigrants. Cette caractéristique des entreprises pourrait aussi servir de cadre pour une analyse comparative.
43Nos résultats confirment ceux de Desmarais (2004) quant au manque de motivation des travailleurs concernant la SST. En effet, il semblerait que la non-parité des CSS soit liée à l’absence de travailleurs qui désirent participer. Enfin, même si les CSS sont présents dans les PE multiethniques de Montréal, les observations des professionnels de SAT indiquent que certaines sont aux prises avec des problèmes de gestion de la SST liés à la diversité ethnique.
44Bien que les PE de notre échantillon proviennent de secteurs assez variés comparativement aux autres travaux sur les CSS, notre échantillon exclut les PE de certains secteurs reconnus pour l'embauche de travailleurs immigrants, notamment ceux de la construction, de l’entretien domestique, des soins aux personnes à domicile, de la confection de vêtements, de l’hôtellerie et de la restauration. Il aurait été intéressant d'avoir des entreprises qui ne sont pas dans les groupes I et II pour comparer nos données. De plus, il aurait été préférable d’avoir un échantillon plus grand pour faire des tests statistiques et pouvoir généraliser les résultats de cette étude.
45Enfin, la forte proportion de PE de notre échantillon ayant 50 % et plus de travailleurs immigrants devrait nous inciter à reconsidérer l’image francophone québécoise que l’on peut avoir des PE montréalaises. En effet, l’équipe de recherche a eu de la difficulté à trouver des entreprises pour constituer son groupe de comparaison (< 25 % immigrants).
46Même si la majorité des PE de notre échantillon avaient un CSS, nous croyons que les résultats de cette étude viennent appuyer les propos des autres chercheurs quant à l’importance de mettre en place des dispositions légales plus contraignantes. Or, au-delà de la mise en place d'une mesure obligatoire, la CSST et les autres acteurs de la SST devraient suivre l’exemple des autres pays et des autres provinces en s’engageant davantage dans la formation des membres de CSS, surtout dans les PE qui embauchent ou qui sont dirigées par des immigrants.
47Les résultats de cette étude devraient fournir aux acteurs de la SST un ensemble d’observations pour mieux comprendre et adapter leurs interventions aux particularités des PE multiethniques de Montréal.