Dubois, N. (1996). Le locus of control. La psychologie sociale Tome II. Des attitudes aux attributions. Sur la construction de la réalité sociale. J.-C. Deschamps et J.-L. Beauvois, (ed.) Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 227-236.
L’évolution différentielle des processus de vieillissement
Texte intégral
1L’article qui nous est proposé dresse un bilan exhaustif du phénomène du vieillissement sous l’angle de deux principales unités d’analyse : la population active et le travailleur dans son milieu de travail. On décrit l’importance des changements qui affectent la pyramide d’âge dans les populations industrialisées, et leurs effets sur la distribution de la population active par âge et les conséquences de celle-ci. Malgré la richesse du contenu de cet article, et peut-être même en raison de la diversité des aspects abordés et de la profondeur avec laquelle ils sont traités, plusieurs questions surgissent dans mon esprit.
2D’une part, il semble que les connaissances scientifiques dont on fait état abordent la question de l’avancement en âge comme un phénomène linéaire tout en reconnaissant la variation inter groupes de ses manifestations. Tout apparaît comme si, avec l’accroissement du nombre des années, la majorité des caractéristiques des travailleurs subissaient une détérioration. Ces connaissances reflètent-elles la réalité ou encore l’angle sous lequel le milieu scientifique a tenté de décrire les effets de l’avancement en âge ? En d’autres termes est-il possible que les chercheurs aient avant tout tenté de cerner la nature et les processus de dégradation des capacités avec l’âge plutôt que de dégager un portrait global de leur évolution ? Je suis tentée de répondre par l’affirmative. Pourtant, s’il est vrai que certaines caractéristiques de l’humain se dégradent avec le temps, force est de constater que d’autres atteignent tout leur potentiel avec l’âge, avant d’entreprendre une courbe descendante. Alors pourquoi a-t-on mis l’accent sur l’étude des effets délétères qui accompagnent l’accroissement de l’âge biologique ? Probablement pour tenter de les réduire. Malheureusement, je crains que les résultats de ces études aient eu un effet pervers non négligeable sur la perception des individus d’un groupe d’âge à l’égard des capacités de ceux qui appartiennent à des catégories d’âge supérieures : on décrit souvent les aînés comme des individus dont les capacités sont diminuées et les idées dépassées. Je souhaiterais voir apparaître des études qui parviendraient à décrire l’évolution des courbes de l’ensemble des capacités humaines avec l’âge. Leurs résultats permettraient probablement de prendre plus de recul et de rendre vétuste l’utilisation du concept de « personne vieillissante » car il serait alors beaucoup plus difficile de classer des humains dans une telle catégorie.
3D’autre part, le concept de vieillissement physiologique différentiel a également retenu mon attention. Des conditions de travail semblent accroître le rythme avec lequel les capacités physiques diminuent. Certains groupes de travailleurs voient leurs capacités altérées plus rapidement. Plutôt que de reconnaître les effets de tels facteurs environnementaux, et de tenter de les éliminer afin de favoriser la rétention de leur personnel, la majorité des organisations tentent de pallier la diminution des capacités des travailleurs par des politiques de remplacement. Il est vrai que les questions de santé au travail comptent rarement parmi les priorités des gestionnaires et des écoles dans lesquelles ils ont été formés. Les travailleurs sont encore trop souvent perçus comme des outils de production qu’on doit remplacer pour accroître, sinon maintenir la productivité. De telles pratiques sont pourtant contraires aux principes de gestion efficace des ressources humaines. Elles sont basées sur des analyses coûts/avantages simplistes telles que celles qui ont présidé à la décision de certaines organisations d’accélérer le départ à la retraite afin de réduire la masse salariale. Il serait pertinent d’identifier non seulement les effets directs mais aussi indirects de telles pratiques, tels que l’absentéisme, les conflits de travail et le taux de roulement. Le contexte actuel dans lequel les entreprises tentent d’optimiser leurs performances se prête à de telles recherches. En effet, les organisations qui ont misé sur l’utilisation de nouvelles technologies prennent actuellement conscience que leur plus fort avantage compétitif réside dans la qualité des compétences de leur main d’œuvre. Par conséquent, leurs dirigeants et des chercheurs en gestion des ressources humaines s’interrogent sur les facteurs déterminants de la productivité et de la rétention du personnel. Les résultats des quelques études sur le sujet semblent indiquer que la qualité de la vie au travail, et plus spécifiquement les manifestations de respect à l’égard du personnel, permettent de réduire les absences et le taux de roulement. Souhaitons que ces résultats soient diffusés dans les écoles de gestion.
4Le phénomène du vieillissement accéléré, lié aux conditions de travail, m’amène à soulever une dernière question. Comment se fait-il que les plus jeunes générations de travailleurs qui sont témoins du vieillissement accéléré de leurs collègues plus âgés ne se sentent pas solidaires de leurs conditions ? Ne seront-ils pas les prochaines victimes ? Je possède une seule piste de réponse qui s’inscrit dans la théorie de l’attribution. L’attribution est
« une explication, un jugement porté, une inférence faite a posteriori sur un événement précis » (Dubois 1996).
5Elle porte sur les lieux de causalité de cet événement qui peuvent être d’ordre interne (la cause étant attribuée à l’individu impliqué dans l’événement) ou externe (les causes étant d’origine environnementale). Des résultats de recherche indiquent que les individus qui sont victimes d’un événement entraînant pour eux des conséquences négatives ont tendance à l’attribuer à des causes externes. A contrario, les témoins de tels événements auraient tendance à rechercher dans les caractéristiques des victimes les facteurs explicatifs de la survenue de l’événement. Ces résultats ne seraient valides que dans certaines cultures et plus particulièrement dans les pays occidentaux. Ainsi, il serait possible que les travailleurs des plus jeunes générations attribuent la diminution de certaines capacités de leurs collègues plus âgés à des causes individuelles plutôt qu’environnementales, ce qui réduirait leur motivation à réclamer une amélioration de leurs conditions de travail. Un tel phénomène appelle non seulement l’implantation de programmes de formation sur les processus du vieillissement différentiel au travail mais aussi sur les stratégies d’actions collectives pouvant être menées par l’ensemble des travailleurs pour améliorer les conditions de travail.
Pour citer cet article
Référence électronique
Diane Berthelette, « L’évolution différentielle des processus de vieillissement », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé [En ligne], 3-1 | 2001, mis en ligne le 01 mai 2001, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pistes/3752 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pistes.3752
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page