1Les ressources en eau des aquifères côtiers sont très convoitées en raison des fortes densités démographiques et des activités agricoles. Il en découle une vulnérabilité marquée face au risque de pollution nitrique. Très solubles dans l'eau, les nitrates constituent aujourd'hui la cause majeure de pollution des réservoirs d'eau souterraine au Maroc et partout dans le monde. En conditions naturelles, la teneur en nitrate des eaux souterraines est généralement inférieure à 1 mg/l. Mais dans les régions de culture, elle dépasse souvent aujourd'hui 50 mg/l, seuil retenu par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme limite de potabilité. Cette pollution est imputée à l'excès des apports de nitrates sous forme d'engrais par rapport aux besoins des plantes.
2Au Maroc, la nappe phréatique de Mnasra, partie intégrante du grand complexe aquifère qui caractérise la plaine et le littoral du Gharb, au Nord-Ouest du Maroc, est considérée de nos jours comme une référence en matière de modernisation du secteur agricole. Depuis les années 1980, le secteur a connu une forte intensification agricole basée sur l'irrigation et l'introduction de nouvelles techniques culturales faisant appel à l'apport massif d'intrants chimiques, notamment d'engrais azotés. Or la recharge de l'aquifère, par infiltration et percolation de l'eau à travers la zone non saturée, favorise l'entraînement des ions nitrate et augmente ainsi plus ou moins rapidement leur concentration dans la nappe, qui ne cesse de se détériorer.
3Dans une région où l'activité agricole est la source quasi exclusive du nitrate dans les eaux, l'étude vise deux objectifs :
-
évaluer la sensibilité de la nappe de Mnasra par rapport à la pollution nitrique ;
-
expliquer la répartition spatiale des concentrations du nitrate dans cette nappe.
4Pour répondre à ces objectifs, il a été fait appel à la modélisation couplée aux Systèmes d'Information Géographiques. Deux méthodes paramétriques ont été utilisées, la méthode DRASTIC standard (L. ALLER et al., 1987), modèle physique qui définit la sensibilité potentielle du milieu à la pollution, élément de compréhension de la pollution et de sa dynamique, et la méthode SI (L. RIBEIRO, 2000), destinée à fournir une image de l'état de pollution effectif en intégrant, en plus des paramètres physiques, le facteur occupation du sol.
5La zone d'étude correspond aux communes rurales de Mnasra, Sidi Mohamed Benmansour et Benmansour. Elle s'étend sur une superficie de l'ordre de 488 km2 entre la ville de Kénitra au sud et la lagune de Moulay Bousselham au nord (Fig. 1).
Figure 1 - Localisation de la zone d'étude.
6Il s'agit d'un espace côtier au paysage dunaire peu imposant, les altitudes ne dépassant que rarement 60 m. Cette zone présente une forme allongée parallèlement à la ligne de la côte. Longue de 60 km environ, elle est moins large dans la partie sud (7 km environ) que dans la partie nord (12 à 15 km).
7Au total, la population des trois communes considérées dépasse aujourd'hui 97000 habitants (HCP, 2014), alors qu'elle avoisinait 30600 habitants seulement en 1971
8Jusqu'à la fin des années 1980, la mise en valeur des terres reposait sur une agriculture vivrière à base de céréales associée à un élevage ovin extensif sur parcours naturels. Seule la partie sud, proche de Kénitra, se distinguait par des cultures maraichères. L'agriculture intensive de haute technicité qui s'est développée depuis, fait un usage généralisé de l'arrosage à partir des eaux souterraines, facilement accessibles.
9Le climat est de type méditerranéen. Avec une pluviométrie moyenne de 564 mm à la station de Mnasra (Fig. 2), la zone se situe parmi les régions moyennement arrosées du Maroc. Mais les pluies sont très irrégulières d'une année à l'autre. Au cours de l'année, la période pluvieuse dure d'octobre à avril, avec un maximum en décembre (110 mm). Pour ce mois, de 1973 à 2010, les valeurs varient de 0 (en 1974) à 338 mm (en 1997). Les mois de juin à septembre sont très peu arrosés et ceux de juin à août reçoivent chacun moins de 5 mm en moyenne.
Figure 2 - Précipitations annuelles à la station de Mnasra (de septembre 1973 à août 2011).
10La température moyenne à Mnasra est de 18°C, avec des valeurs mensuelles moyennes variant de 11,8° C en janvier à 23° C en août. Ces conditions thermiques modérées sont à mettre en relation avec l'influence de l'Océan Atlantique.
11Sur le plan géologique, la zone correspond à la bordure occidentale du bassin subsident du Gharb. Celui-ci est situé dans la zone de contact entre les deux grands ensembles structuraux du Maroc : la meseta occidentale primaire qui plonge progressivement du sud vers le nord, et le domaine rifain qui appartient au domaine alpin circumméditerranéen (MEM, 2004). Depuis le début de sa formation au Néogène, le bassin a été le siège d'une épaisse sédimentation à caractère détritique (M. COMBE, 1975 ; P. CIRAC, 1985 ; J.F. FLINCH et P.R. VAIL, 1998 ; M. KILI et al., 2006).
12La série sédimentaire est constituée de couches globalement peu inclinées (Fig. 3). À la base, sur un socle de schistes et de quartzites, repose un épais niveau de marnes du Miocène supérieur, surmonté par des sables argileux du Pliocène moyen. Ces deux couches constituent ensemble la série des "marnes bleues". Celle-ci est recouverte par des formations plio-quaternaires essentiellement constituées de matériaux gréso-sableux (avec intercalation d'une couche argileuse, au nord, ou argilo-sableuse, au sud), de calcarénites, de sables et, vers l'intérieur, d'argiles sableuses.
Figure 3 - Coupe géologique NO-SE de la zone côtière du Gharb (Mnasra).
D'après M. COMBE (1975), figure redessinée.
13À l'affleurement, n'apparaissent que des terrains quaternaires et récents (Fig. 4) :
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La bande littorale est formée par les dépôts sableux meubles ou consolidés des dunes et plages récentes et anciennes du Quaternaire, disposés en une bande de 1 à 2 km de large parallèle à la côte. Ces formations sont très perméables.
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En retrait, on trouve des merjas (dans le Gharb, ce terme désigne les bas fonds susceptibles de retenir, temporairement des eaux de ruissellement, d'inondation et de pluie) et les terrains sableux des dunes intérieures. Les affleurements sableux couvrent la majeure partie de la zone.
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Enfin, près de la plaine du Gharb et sur les bords de l'oued Sebou, les sables laissent la place à des alluvions du Quaternaire récent riches en argile et/ou en limons.
Figure 4 - Carte géologique simplifiée de la zone côtière du Gharb.
Source : carte géologique Souk El Arba Beni Hessane au 1/100000 (MEN, 2004).
14M. KILI et al. (2008) distinguent une nappe d'eau superficielle d'une nappe profonde. Mais ils reconnaissent la continuité entre les deux, si bien que cette distinction n'est guère justifiée. De plus, les intercalations argileuses au sein des dépôts de la fin du Pliocène et du Quaternaire sont discontinues. On a donc une nappe libre dans un aquifère monocouche constitué par les formations essentiellement gréso-sableuses surmontant les "marnes bleues" (B. BOUYA et al., 2011). Cette nappe est en continuité avec celle du Gharb, dont l'aquifère est beaucoup plus épais et plus complexe (M. KILI et al., 2008).
15Les connaissances sur la piézométrie de la nappe de Mnasra reposent sur le réseau de mesure de l'Agence du Bassin Hydraulique du Sebou (ABHS). Les données ont été exploitées par B. BOUYA et al. (2011) dans un article détaillé sur l'hydrogéologie et la modélisation hydrodynamique de la nappe. Abstraction faite des fluctuations au cours de chaque année, cette étude révèle une baisse générale, de 2 à 4 m, du niveau piézométrique après le début des années 1980. Elle met en outre en évidence une inversion de la circulation des eaux, qui vont maintenant vers l'est, du fait de l'exploitation très active des eaux souterraines pour l'irrigation. Le rabattement de la nappe est resté faible près de la côte (0,5 m), où les prélèvements pour l'irrigation sont limités (B. BOUYA et al., 2011), mais qui est aussi bien sûr très proche de l'océan.
16Dans l'ensemble, la nappe de Mnasra est voisine de la surface (Fig. 5), ce qui accroît sa sensibilité à la pollution. Le plus souvent, la profondeur est comprise entre 5 et 50 mètres. Sur 63 % du terrain d'étude, et tout particulièrement au nord, elle est de 5 à 8 mètres. La zone côtière, marquée par la présence d'un cordon de dunes sableuses, présente des profondeurs supérieures à 18 m.
17Du point de vue piézométrique (position des eaux au-dessus du niveau de la mer), la figure 6 montre qu'en décembre 2007, le niveau était inférieur à un mètre sur 65 % de la zone étudiée. Au sud du barrage de garde sur l'oued Sebou, la surface piézométrique est à la fois basse et horizontale. Au nord, elle présente des intumescences qui doivent alimenter des écoulements soit vers l'océan, soit vers la plaine du Gharb.
Figure 5 - Profondeur (en m) de la nappe de Mnasra par rapport à la surface topographique, en décembre 2007.
D'après les données de l'ABHS (2010).
Figure 6 - Position de la nappe de Mnasra au-dessus du niveau de la mer, en décembre 2007.
D'après les données numériques de l'ABHS (2010).
18Il est bien sûr difficile d'établir le bilan hydrique de la nappe de Mnasra. En 1994, la Direction de la Recherche et de la Planification des Eaux avait conclu à un bilan équilibré (DRPE, 1994). Mais, en 1996, l'Office Régional de Mise en Valeur Agricole du Gharb aboutissait à un bilan négatif (ORMVAG, 1996). Dans le cas d'un déstockage, l'intrusion saline mise en évidence par la DRPE (ORMVAG, 1996) serait en progression. Toujours est-il que, selon B. BOUYA et al. (2011), les eaux salées s'étendraient jusqu'à 11 km à l'intérieur des terres dans la partie sud du terrain d'étude. Ces eaux se trouvent à plusieurs dizaines de mètres de profondeur, mais l'interface eau douce - eau salée remonterait à la vitesse de 2 à 3 m/an (M. BATCHI et al., 2014).
19La pollution nitrique de la nappe phréatique de la zone côtière de Mnasra est suivie depuis 1993 par l'Office Régional de Mise en Valeur Agricole du Gharb (ORMVAG). 161 puits ont été identifiés dans le but de diagnostiquer l'état de pollution des eaux souterraines par les nitrates (I.A. IDRISSI, 2007). D'une série d'analyses à l'autre, les concentrations du nitrate ont fortement augmenté : la valeur moyenne pour les 161 puits s'est élevée de 107,2 mg/l en 1993, à 120,4 mg/l en 2003 et 146,5 mg/l en 2007 (I.A. IDRISSI et al., 2007, 2009 ; M. BATCHI, 2014). De 1993 à 2010, pour 159 puits, le pourcentage de la superficie du terrain d'étude où la teneur des eaux en nitrate est inférieure à 50 mg/l est passé de 20 à 7 % et celui où elle est supérieure à 250 mg/l, de 12 à 52 % (A. RHIDOUANI et al., 2012). Ces évolutions sont à mettre en liaison avec une activité agricole très intense (surexploitation de la nappe et utilisation excessive des engrais).
20L'étude menée à l'aide des modèles DRASTIC et SI, a conduit à produire, selon chaque méthode, une carte de sensibilité à la pollution. Ces cartes ont été confrontées entre elles et à des mesures disponibles des concentrations du nitrate dans les eaux souterraines.
21La modélisation et la comparaison des résultats sont basées sur l'évaluation des nombreux paramètres pris en considération par les modèles (Tab. I).
Tableau I - Paramètres requis par les méthodes DRASTIC ET SI.
22Ce modèle, de type paramétrique, a été développé dans les années 1980 par les services de l'Agence Américaine de Protection de l'Environnement (USEPA ‒ L. ALLER et al., 1987). Pour tout point d'un terrain d'étude, il permet d'évaluer la vulnérabilité à la pollution d'une nappe phréatique en considérant les conditions observées sur un axe vertical. Cette méthode a déjà fait l'objet de plusieurs applications à travers le monde (M.R. MENANI, 2001, l'a utilisée pour étudier l'aquifère alluvionnaire de la plaine d'El Madher, dans le Nord-Est algérien ; V. MURAT et al., 2003, l'ont testée au Québec ; J.P. JOURDA et al., 2007, l'ont adoptée pour évaluer le degré de protection des eaux souterraines et la vulnérabilité à la pollution de la nappe de Bonoua dans le Sud-Est de la Côte d'Ivoire ; K.J. KOUAMÉ, 2007 l'a appliquée à la Gestion Intégrée des Ressources en Eaux du District d'Abidjan en Côte d'Ivoire). Les résultats obtenus montrent l'intérêt de l'usage de la méthode DRASTIC pour délimiter les zones à risque et vulnérables à la pollution, quelle que soit son origine.
23DRASTIC combine sept paramètres considérés comme facteurs de vulnérabilité : profondeur du plan d'eau de la nappe souterraine (D), recharge nette de la nappe (R), nature lithologique de l'aquifère (A), texture du sol (S), topographie ou pente du terrain (T), impact de la zone non saturée (I) et enfin conductivité hydraulique ou perméabilité de la zone saturée (C).
24À chaque paramètre est attribué un index n, en fonction du caractère de ce paramètre (classe) sur le terrain. La valeur 1 correspond aux conditions de plus faible vulnérabilité à la pollution et la valeur 10 à celles favorisant le plus une forte vulnérabilité (Tab. I).
25Une pondération (p) est attribuée à chacun des paramètres en fonction de son influence relative sur la vulnérabilité (Tab. I). Les poids les plus élevés (5) sont attribués à la profondeur de la nappe, l'impact de la zone non saturée et la recharge nette. Les poids les plus faibles (1 et 2) sont attribués à la topographie et à la texture du sol.
26L'indice final (Di), qui permet de caractériser le degré de vulnérabilité d'un secteur donné de la nappe, est la somme pondérée des sept paramètres selon la formule suivante :
27Pour établir la carte de vulnérabilité de la nappe à la pollution, nous avons adopté le regroupement des valeurs de l'indice DRASTIC (Di) proposé par B.A. ENGEL et al. (1996).
28Développé au Portugal par L. RIBEIRO (2000), SI est une version modifiée du modèle DRASTIC.
29Cinq paramètres sont pris en considération par cette méthode. Quatre (D, R, A et T) sont communs à la méthode DRASTIC, mais les valeurs attribuées aux classes (LU) sont ici dix fois plus fortes.
30Le cinquième paramètre traduit les activités anthropiques, à travers l'occupation du sol OS (Fig. 7). Une valeur comprise entre 0 et 100 est attribuée à chaque classe d'occupation du sol. Le tableau II présente les classes d'occupation du sol considérées par le modèle SI, les classes identifiées dans le secteur d'étude et les valeurs qui leur ont été assignées après adaptation.
Figure 7 - Carte de l'occupation du sol en 2012 (M. BATCHI, 2014).
La classification utilisée est celle de CORINE Land Cover (1993).
Tableau II - Valeurs LU attribuées à l'occupation du sol dans SI et adaptation à la zone de Mnasra.
Les cultures sous serre ont été assimilées aux cultures irriguées de la classification CORINE Land Cover ; l'arboriculture aux zones artificielles couvertes et aux zones vertes ; les cultures en sec aux pâturages et aux zones d'agroforesterie. Les autres zones ne participent pas à la pollution nitrique.
31Comme dans la méthode DRASTIC, l'équation fait intervenir les poids (dont le cumul atteint 1) attribués aux différents paramètres :
32Différents chercheurs dans le monde ont trouvé une bonne corrélation entre la susceptibilité estimée et la réalité du terrain (S. BATISTA, 2004 ; A. FRANCÈS et al., 2002 ; M. OLIVEIRA et J.P. LOBO-FERREIRA, 2005 ; T.Y STIGTER et al., 2006), notamment en Afrique (M.H. HAMZA et al., 2007, 2008, pour la nappe côtière alluvionnaire de Meltine-Ras Jebel-Raf Raf dans le Nord-Est tunisien ; G.É AKÉ et al, 2010, pour la nappe de Bonoua dans le Sud-Est de la Côte d'Ivoire). La méthode SI est ici appliquée pour la première fois au Maroc.
33Du fait de l'introduction du paramètre OS, et donc de la prise en compte des apports de produits polluants en surface, la méthode SI dépasse la notion de vulnérabilité pour se rapprocher de celle de risque. On notera toutefois que, l'une comme l'autre, ne prennent en compte que les mouvements verticaux, sans se préoccuper de la migration latérale des éléments. En ce sens, elles ont pour objet les sources de contamination des eaux, plus que l'état de pollution lui-même.
34Un système d'information géographique (SIG) a été utilisé pour calculer et modéliser les différents paramètres.
35Les valeurs de vulnérabilité obtenues pixel par pixel vont de 70 à 173.
36Les zones de faible vulnérabilité (Di < 101) ne représentent que 19 % du terrain d'étude (93,2 km2) (Fig. 8). Elles correspondent aux anciennes merjas, secteurs où les sols, argileux, sont peu perméables.
Figure 8 - Carte de vulnérabilité à la pollution des eaux souterraines obtenue par la méthode DRASTIC.
37Les zones à vulnérabilité moyenne (140 > Di 101) couvrent 24 % du terrain d'étude (117 km2) : les espaces inter-dunaires au sud, les sols hydromorphes intra-merjas et les vertisols encadrant l'oued Sebou.
38Les zones de forte vulnérabilité (200 > Di 140) occupent 57 % du terrain d'étude (278 km2). Elles correspondent aux cordons dunaires sableux et aux dunes intérieures couvertes de sables remaniés récemment. Les eaux sont peu profondes, les pentes sont faibles et les matériaux sont très perméables.
39Les valeurs de susceptibilité Si sont comprises entre 40 et 82.
40Le degré de faible susceptibilité (SI < 45) couvre 41 % du terrain d'étude (201 km2) (Fig. 9). Elle correspond aux vertisols, argileux et peu perméables, le long de l'oued Sebou, et aux dunes mobiles situées à l'ouest, où les altitudes sont plus élevées, ce qui donne une plus grande profondeur à la nappe. Les cultures maraichères, reboisements, cultures en sec et parcours que l'on pratique dans ces secteurs, ne présentent a priori pas de risque élevé pour les eaux souterraines.
Figure 9 - Carte de susceptibilité de pollution des eaux souterraines obtenue par la méthode SI.
41La susceptibilité moyenne (64 > Si 45) occupe 21 % du terrain d'étude (105 km2) : l'espace inter-dunaire situé au sud et les zones occupées anciennement par les merjas. La profondeur de la nappe y est généralement moyenne (entre 11 et 20 m), ce qui a permis le développement d'une agriculture et d'une arboriculture irriguées, avec des ilots de cultures sous serres. Ces pratiques s'accompagnent de l'utilisation d'éléments nitriques pour assurer la productivité.
42La susceptibilité forte (84 > Si 64) couvre 37 % du terrain d'étude (182 km2), au nord, dans les dunes internes de Benmansour. Dans ce secteur, la profondeur de la nappe (entre 5 et 8 m) et la pente sont très faibles, alors que la perméabilité est très forte. Les cultures sous serre, qui se sont développées pour le marché national et international, utilisent de fortes quantités de nitrates.
43Comme pour DRASTIC, le niveau le plus élevé (très fort) n'est nulle part atteint.
44Les deux méthodes donnent des résultats très différents pour le degré de vulnérabilité/ susceptibilité faible, celui-ci représentant 19 % de la superficie totale selon DRASTIC, contre 41 % selon SI. Dans ce cas, la zone de recouvrement entre DRASTIC et SI (89,9 km2) représente 44 % de l'ensemble de la surface où l'un au moins des modèles indique un degré faible (204 km2).
45Pour le degré de vulnérabilité/ susceptibilité moyen, les superficies fournies par DRASTIC et SI sont proches (respectivement 117 et 105 km2), mais le taux de recouvrement entre les deux modèles n'est que de 41 % (64,2 km2 communs, pour une surface totale correspondant à ce degré de 157 km2).
46Le degré de vulnérabilité/ susceptibilité élevé est très représenté selon DRASTIC (57 % du terrain d'étude), sensiblement moins selon SI (37 % du terrain d'étude). Le taux de recouvrement atteint 63 % (178 km2 communs, pour une surface totale de 283 km2). La correspondance est particulièrement bonne dans les dunes internes de Benmansour (voir Fig. 1). On notera aussi que la superficie correspondant au degré élevé de SI n'est que très légèrement supérieure à la surface de recouvrement des deux modèles.
47Les cartes ont été confrontées aux concentrations du nitrate mesurées par l'ORMVAG en décembre 2007 sur 161 puits. À cette date, les concentrations dans la nappe de Mnasra variaient entre 25 et 250 mg/l, mais elles dépassaient 50 mg/l (norme adoptée par l'OMS) dans 81% des cas.
48Sur la carte produite par la méthode DRASTIC, on constate une mauvaise adéquation entre le degré de vulnérabilité et les concentrations mesurées (Tab. III ; Fig. 10). La meilleure correspondance est trouvée pour les concentrations supérieures à 150 mg/l, qui se trouvent dans la zone à vulnérabilité élevée dans 73 % des cas.
Tableau III - Comparaison de la carte obtenue par le modèle DRASTIC avec les concentrations du nitrate mesurées en décembre 2007.
Figure 10 - Superposition des concentrations du nitrate mesurées en décembre 2007 sur la carte de vulnérabilité à la pollution obtenue par le modèle DRASTIC.
49La relation avec les concentrations est un peu meilleure pour la carte établie à partir de la méthode SI (Tab. IV ; Fig. 11) : 42 % des concentrations inférieures à 50 mg/l sont mesurées dans une zone de faible susceptibilité ; 32 % des valeurs entre 50 et 150 mg/l dans une zone de susceptibilité moyenne (et 83 % dans des zones de susceptibilité moyenne ou élevée) ; 75 % de celles supérieures à 150 mg/l dans une zone de susceptibilité élevée. Au total, 52 % des puits (soit 83) se trouvent correctement typés (13 en faible susceptibilité, 21 en moyenne susceptibilité et 49 en forte susceptibilité). En revanche, 42 % des concentrations inférieures à 50 mg/l coïncident avec le degré de susceptibilité élevé et 6,1 % des concentrations supérieures à 150 mg/l avec celui de faible susceptibilité.
Tableau IV - Comparaison de la carte obtenue par le modèle SI avec les concentrations du nitrate mesurées en décembre 2007.
Figure 11 - Superposition des concentrations du nitrate mesurées en décembre 2007 sur la carte de susceptibilité à la pollution obtenue par le modèle SI.
50Dans la partie nord du terrain d'étude, on note une bonne correspondance, d'une part, entre les deux cartographies, qui indiquent une vulnérabilité/ susceptibilité élevée, et, d'autre part, entre les cartographies et les analyses, lesquelles révèlent de fortes concentrations du nitrate. Toutefois la bordure côtière nord, classée par DRASTIC comme fortement vulnérable, n'est que faiblement susceptible selon SI, ce qui est en accord avec les analyses des eaux des puits.
51Au sud, DRASTIC accorde une large place aux degrés de vulnérabilité fort et moyen, alors que SI classe cette zone comme à faible ou à moyenne susceptibilité.
52Selon le modèle DRASTIC, 81 % de la zone d'étude présente une vulnérabilité moyenne ou forte en cas de pollution nitrique en surface. Le modèle SI, plus complet, qui prend aussi en compte l'occupation du sol, attribue à 59 % du terrain d'étude une susceptibilité moyenne ou forte.
53Les cartes obtenues par les deux méthodes montrent des correspondances, mais qui sont loin d'être très nettes. En effet, DRASTIC indique seulement la possibilité pour une pollution nitrique éventuelle d'atteindre la nappe phréatique, alors que SI donne une image des phénomènes de pollution susceptibles de se produire pour telle ou telle occupation du sol. Les cartes fournies par DRASTIC et par SI ne sont donc pas forcément superposables. Si elles manifestent quelques ressemblances dans le cas de la plaine de Mnasra, c'est que les activités agricoles soumettent ici les eaux à une pollution nitrique quasi généralisée.
54La carte établie par la méthode SI correspond en partie seulement avec la répartition des concentrations des ions nitrate mesurées dans les eaux des puits en 2007. De fait, la comparaison de la carte dressée par la méthode SI ne saurait être vraiment validée ou infirmée à travers une comparaison avec les concentrations mesurées :
-
D'une part, il faut tenir compte de l'effet cumulatif et donc de la durée de la pollution subie. La méthode SI est conçue pour traduire la dynamique possible de la contamination des eaux souterraines (en fonction d'une utilisation supposée des nitrates en surface) ; elle ne donne pas une image de l'état réel de la pollution.
-
D'autre part, SI prend en compte les apports d'éléments polluants à travers l'occupation des sols. Mais ce paramètre vient simplement s'additionner aux autres. Le coefficient multiplicateur qui lui est attribué (0,222 ‒ pour une somme des coefficients des différents paramètres égale à 1) n'en fait pas un facteur particulièrement contraignant. Ainsi, même en l'absence d'apports de nitrate en surface, le degré de vulnérabilité pourra-t-il atteindre le niveau "fort". Sans doute faudrait-il développer une méthode où les facteurs interagiraient sous la forme d'une multiplication, au moins entre, d'une part, un paramètre représentatif des conditions physiques du milieu et, d'autre part, les sources d'ions nitrate.
55Enfin, SI (comme DRASTIC) n'intègre pas la migration latérale des eaux et des ions. La prise en compte des seuls mouvements per descensum fait des cartes établies par cette méthode, une représentation des sources de pollution des eaux souterraines, plus qu'une cartographie de la dynamique de la pollution au point considéré.
56Malgré leurs limites, les modèles DRASTIC et SI sont des outils utiles, souvent utilisés, d'aide à la décision. Mais ils sont certainement perfectibles, et en particulier le modèle SI.
Remerciements : Nous sommes reconnaissants à l'Office Régional de Mise en Valeur Agricole du Gharb (ORMVAG) d'avoir mis à notre disposition les résultats des analyses d'eau effectuées en décembre 2007 et à l'Agence du Bassin Hydraulique du Sebou (ABHS) pour les documents sur le niveau de la nappe.