1Les lagunes appartiennent au domaine paralique, espace de transition instable entre les écosystèmes continentaux et marins (O. GUELORGET et J.P. PERTHUISOT, 1983 ; J. CASTAINGS, 2008 et 2012). Malgré la montée actuelle du niveau marin (environ 5 mm/an et même probablement plus, les experts tablant sur 5 à 20 mm/an pour le siècle en cours), la plupart des lagunes sont menacées de comblement par les dynamiques terrestres et/ou marines, éoliennes, biologiques, ou par des remblaiements artificiels (J.L. GIRARD, 1992 ; J. CASTAINGS, 2008 ; R.W. DUCK et J.F. DA SILVA, 2012). C'est le cas, dans le Golfe du Lion, de celle de La Palme, lagune "semi-fermée" d'après la classification de M. NICHOLS et G. ALLEN (1981), qui est reliée à la Mer Méditerranée par le grau intermittent de La Franqui (Fig. 1). Pour montrer l'évolution hydro- et morpho-dynamique récente, nous avons utilisé des méthodes indirectes qui comparent la surface en eau de la lagune et la position du grau à des dates différentes et des méthodes directes en analysant les dépôts lagunaires. Les documents cartographiques existant depuis la carte des CASSINI (1797) permettent de visualiser l'évolution de la surface en eau. Les mesures GPS (R.A. MORTON et al., 1993) sont une technique efficace pour suivre l'évolution récente du trait de côte et la localisation des ouvertures du grau. Les objectifs de l'article sont de dégager et d'expliquer les principales étapes de l'évolution de la lagune, puis d'exposer les conséquences de cette évolution.
Figure 1 - Image Google Earth de l'étang de La Palme le 1er septembre 2014.
Le tireté rouge matérialise les limites du bassin versant de la lagune.
2L'étang de La Palme est situé au pied des Corbières, entre Port-la-Nouvelle et Leucate. Séparée de la mer par un lido sableux, la lagune est une vaste étendue d'eaux saumâtres, de faible profondeur (la profondeur moyenne du plan d'eau est de 0,47 m environ ; plus de 60 % de la surface de la lagune se situe à des profondeurs inférieures à 0,50 m et moins de 5 % à des fonds supérieurs à 1,20 m). La surface en eau couvre actuellement 475 hectares et les abords de l'étang sont constitués de marais périphériques plus ou moins vastes (enganes, prés salés, roselières).
3Malgré un bassin versant de taille réduite (65 km2), la lagune est bien alimentée en eaux douces de bonne qualité grâce à plusieurs résurgences karstiques localisées dans la partie nord-ouest. Le bilan hydrologique (Fig. 2) a été établi par M. WILKE et al. (2000). Au niveau 0 m NGF, l'étang contient 2,6 Mm3 d'eau et son bilan annuel implique 38 Mm3 : en entrées, 27 Mm3 sont fournis par les sources karstiques et les ruisseaux, 3 Mm3 par les précipitations (en prenant en compte 600 mm en moyenne), 1 Mm3 par les canaux drainant les Salins et 7 Mm3 par les apports maritimes ; en sorties, 30 Mm3 partent en mer et 8 Mm3 s'évaporent (l'évapotranspiration potentielle atteint 1700 mm/an). Ainsi les apports d'eau représentent-ils 12 fois le volume moyen de l'étang, ce qui témoigne d'un bon renouvellement de l'eau, meilleur toutefois l'hiver que l'été. La lagune est de type poly-euhaline "restricted", car le temps de résidence des masses d'eau est court du fait de la circulation rapide des eaux sous l'action des vents. Les échanges entre la lagune et la mer s'effectuent à travers et par-dessus le cordon littoral sableux et aussi par le grau de La Franqui lorsqu'il est ouvert. La hauteur d'eau de part et d'autre du grau, qui définit le sens des échanges, dépend des forçages météorologiques, pression atmosphérique et vents. Les vents de terre provoquent un basculement du plan d'eau lagunaire qui s'élève vers le grau et repousse la mer vers le large : les débits dans le grau deviennent sortants quel que soit le moment de la marée, qui oscille entre 15 et 25 cm. Au contraire, en période de vents marins, l'entrée d'eaux marines est favorisée. Par "petit temps", elle s'effectue par le grau ouvert, mais par "gros temps", l'essentiel des entrées se produisent par submersion du cordon littoral (B. ANSELME et al., 2011).
Figure 2 - Fonctionnement hydrologique de l'étang de La Palme (d'après M. WILKE et al., 2000).
4Situé dans le territoire du Parc naturel régional de la Narbonnaise, la lagune a été récemment désignée site Natura 2000 (Directives Habitats et Oiseaux) et inscrite en février 2006 à la convention de Ramsar sur la liste des zones humides d'importance internationale. La Directive Cadre sur l'Eau (DCE) du 23 octobre 2000 donne obligation de préserver l'état écologique de cette masse d'eau à l'horizon 2015. Le rapport de qualité de l'environnement (EQR), établi à partir de la mesure du phytoplancton, fixe le seuil de bonne qualité de l'eau de cette lagune à 0,27 (MEDDE, 2013). Mais les aménagements réalisés dans le passé ayant des impacts sur le fonctionnement hydrodynamique de l'étang, il convient de les analyser afin de voir si la lagune ne risque pas de perdre ses caractéristiques lagunaires. En effet, les fermetures prolongées du grau peuvent accélérer le comblement de la lagune et favoriser les phénomènes d'eutrophisation.
5L'évolution récente peut être retracée à l'aide des documents cartographiques qui permettent de mesurer les surfaces en eau à des dates différentes. La carte des CASSINI au XVIIIème siècle (Fig. 3) présente un étang plus vaste (796 ha) qu'actuellement (475 ha), communiquant avec la mer par deux graus permanents à chaque extrémité : au nord, le grau de la Jongrausse et, au sud, le grau de la Franqui, qui avait une position un peu plus au nord qu'aujourd'hui. En outre, la présence de cônes de tempête entre ces derniers suggère le fonctionnement de graus temporaires lors des évènements extrêmes. Les travaux de M. GUY (1987) et de M. WILKE et al. (2001) confirment l'existence de deux graus supplémentaires dans le lido. La carte d'État Major au XIXème siècle (Fig. 4) montre une surface en eau d'environ 1045 ha et révèle la progression des marais au sud-ouest, la présence d'un seul grau, celui de la Franqui, et un lido dont le trait de côte est en retrait par rapport à la situation actuelle, surtout au droit de La Palme. Cette surface en eau plus vaste qu'au XVIIIème siècle peut faire douter de la fiabilité de la carte des CASSINI concernant la mesure des surfaces (C. PLUMEJEAUD, 2013). La phototypie des Frères LABOUCHE (Photo 1), à la charnière des XIXème et XXème siècles, montre que le grau de La Franqui est ouvert en été et que le Grazel (partie de l'étang, située juste en amont du grau) communique librement avec le reste de l'étang. La station balnéaire est embryonnaire : aucune villa n'est encore construite et la plage est alors dans son état naturel. Si l'exploitation du sel en bordure de l'étang a toujours existé, la mise en place d'une exploitation à large échelle à partir d'une concession attribuée en 1927 aux Salins du Midi a soustrait 400 ha de plan d'eau à la lagune. Séparés du reste du bassin par des digues, les salines qui couvrent 454 ha ont été exploitées jusqu'en 2005. Après huit ans d'abandon, elles ont été remises en état par la Société des Salins de l'Aude qui a fait sa première récolte de sel en septembre 2014. Au total, la lagune a perdu environ la moitié de sa superficie depuis le XVIIIème siècle suite au développement de marais bordiers (environ 170 ha) et aux aménagements (400 ha à cause des salines).
Figure 3 - Carte des CASSINI, du XVIIIème siècle (source : Géoportail, IGN).
Figure 4 - Carte d'État Major, au XIXème siècle (source : Géoportail, IGN).
Photo 1 - Phototypie des Frères LABOUCHE montrant la station de La Franqui à la charnière des XIXème et XXème siècles. [scan: Jean ROUQUET]
6Des mesures GPS ont été effectuées depuis 2002 pour localiser le point d'ouverture du grau en rapport avec la position du trait de côte. Les marges d'erreur liées aux méthodes d'acquisition des traits de côte sont de 5 à 20 cm pour le levé au DGPS (L. SEROU, 2005). La figure 5 révèle une forte mobilité du grau et aussi deux ensembles de localisation : de 2002 à 2007, puis en 2014, l'ouverture du grau se fait vers le nord, alors que de 2009 à 2013, elle s'effectue plus au sud. En 2005, deux graus se sont ouverts, un localisé dans l'ensemble nord et un autre situé à environ 800 m plus au nord. En 2014, le grau s'est déplacé du sud vers le nord sur de plus de 100 m. En 2015, le point d'ouverture indique une légère progradation du trait de côte et une migration vers le sud. Ces migrations peuvent être liées aux dérives littorales dont la résultante se fait tantôt vers le nord, tantôt vers le sud, sans périodicité nette.
Figure 5 - Relevés GPS de la localisation de l'ouverture du grau de La Franqui entre 2002 et 2015.
Les points indiquent la position de l'entrée du grau aux dates marquées (seuls les deux derniers chiffres de l'année sont portés, exemple 02 pour 2002). L'image satellite visualise le trait de côte et le rivage de la lagune le 1/9/2014.
7Selon M. WILKE (2006), le grau de La Franqui s'ouvre s'il y a une augmentation du niveau de l'eau, de 0,32 m au-dessus du niveau de la mer en moyenne, conjuguée à des vents de terre forts, d'une vitesse d'environ 100 km/h. Les sédiments expulsés de la lagune créent, côté mer, un delta sableux en général immergé, qui peut parfois, comme en octobre 2013, former une petite île en arc de cercle (Photo 2). Quand la plage est balayée par la tramontane pendant plusieurs jours, une grande quantité de sable est projetée dans la mer et la plage est alors très basse : il faut alors très peu de chose pour que s'ouvre le grau dans le point le plus bas. Une fois amorcé, l'écoulement de l'eau crée très vite un chenal en quelques heures. Mais le grau peut aussi être ouvert artificiellement, cela s'est produit trois fois au printemps, en 2004, 2007 et 2012, afin de vidanger le lido inondé et ainsi de permettre la pratique d'activités sportives et de loisirs. Ces interventions ont conduit à l'assèchement de la partie centrale de la lagune. Une cellule de gestion du grau a été mise en place pour éviter ces problèmes.
Photo 2 - Photographie du 3 octobre 2013 : le grau de La Franqui est ouvert et, côté mer, le delta émerge sous la forme d'une île arquée. [cliché : Jean-Pierre LARUE]
8Le suivi du fonctionnement du grau depuis 1998 montre que la durée de son ouverture, principalement hivernale, varie beaucoup d'une année à l'autre (Tab. I). Resté fermé durant toute la saison froide 2003-2004, le grau a été ouvert artificiellement en mai 2004. En 2006, le grau a été fermé tout l'été et, après un printemps chaud et un début d'été caniculaire, l'étang s'est en grande partie asséché, y compris le Grazel, provoquant des mortalités importantes de poissons et des odeurs nauséabondes à La Franqui. Des travaux de curage de la partie sud-est de l'étang de La Palme ont été effectués en septembre 2007 dans le but de favoriser l'ouverture du grau par une meilleure évacuation des eaux de la lagune. La durée d'ouverture a été faible en 2007 (15 semaines, au printemps principalement) et en 2008 (12 semaines, au printemps et au début de l'été), puis elle a augmenté de 2009 à 2011 (de 33 à 40 semaines), avant de fléchir à 21 semaines en 2012 et de remonter à 33 semaines en 2013 et 2014. Le 15 mars 2014, trois graus se sont ouverts sur une distance de 150 m, à la faveur d'un étang plein et d'une forte tramontane.
Tableau I - Suivi du fonctionnement du grau de La Franqui de 1998 à 2014.
D'après : un dossier technique du Parc Naturel régional de la Narbonnaise, juin 2007 ; J.P. LARUE et al., 2009 ; et des observations personnelles des auteurs. X : ouverture artificielle.
9Compte tenu de son faible volume, l'étang de La Palme est très dépendant des apports d'eau douce (en lien direct avec les précipitations via les résurgences) et du rythme d'ouverture et de fermeture de son grau, ce qui a pour conséquences des variations très importantes de salinité dans l'étang.
10Les données obtenues au pont des Coussoules par le Réseau de suivi lagunaire (Fig. 6) indiquent que de mai à septembre ou octobre, la salinité augmente et le niveau d'eau diminue, alors que d'octobre à avril, la salinité décroît et le niveau d'eau fluctue. La forte évapotranspiration associée à une diminution des apports d'eau douce et souvent à la fermeture du grau explique l'évolution estivale. Le maximum de salinité (75 à 80 g/l) est atteint en septembre, voire en octobre. Pendant la saison hivernale, la salinité diminue (moins de 30 g/l et même 15 g/l en février 2012) en raison de l'augmentation des apports d'eau douce, mais le niveau d'eau varie en liaison avec la succession de phases d'ouverture et de fermeture du grau, mais aussi en fonction des vents. Les niveaux d'eau fluctuent entre 30 cm hydrographique (comme en juin-juillet 2012) et 130 cm, comme en février 2010.
Figure 6 - Variations des hauteurs d'eau NGF (H) et de la salinité (S) au pont des Coussoules, de septembre 2006 à octobre 2014 (d'après les données du réseau de suivi lagunaire).
11Comme l'ont montré J.L. GIRARD (1992), J. CASTAINGS (2008, 2012), R.W. DUCK et J.F. DA SILVA (2012), ces facteurs sont multiples. Les lagunes ont vocation à être comblées naturellement avec les dynamiques terrestres, marines, éoliennes et biologiques, mais les aménagements jouent également leur rôle.
12Les lagunes sont le siège d'une sédimentation active et continue, favorisée par la présence de la végétation et des êtres vivants. Les volumes de sédiments piégés dans la lagune dépassent en général ceux qui s'en échappent. Ces sédiments sont des sables venus de la mer, mais aussi des limons et de l'argile apportés par les rivières drainant le bassin versant, auxquels s'ajoute une quantité importante de matière organique. Les sables qui s'accumulent dans la partie orientale de la lagune sont relativement grossiers (environ 1 mm de diamètre moyen) et apparaissent bien émoussés (Photo 3). D'après leur morphoscopie, mais aussi leur granulométrie et leur composition en minéraux lourds, ils ont une origine essentiellement marine (J.P. LARUE et al., 2009). Ils peuvent provenir d'apports directs par washovers (dépôts de tempête) depuis le cordon actif lors des tempêtes ou alors être issus de cordons reliques en partie submergés et détruits. Une redistribution des sédiments dans la lagune est possible à la faveur des nouvelles conditions morpho-bathymétriques. L'érosion du lido est responsable de sa forme surbaissée (voir Photo 2) : sa faible hauteur favorise les submersions par la mer et l'eau de la lagune peut aussi le franchir localement lors de fortes tramontanes. Cet ensablement important de la partie sud de la lagune explique que les périodes d'ouverture du grau se soient progressivement réduites jusqu'en 2007, la force des courants devenant insuffisante pour percer le lido et maintenir un chenal ouvert suffisamment longtemps pour permettre un bon renouvellement des eaux de la lagune. Ce blocage sédimentaire est aussi responsable du confinement de la partie nord de l'étang, qui subit depuis 2003 des débuts d'eutrophisation.
Photo 3 - Sables prélevés dans les dépôts de remblaiement du Grazel, vus à la loupe binoculaire. [cliché : Jean ROUQUET]
La prédominance des émoussés-luisants témoigne de leur origine marine.
13La progradation du lido (J.P. LARUE et al., 2009 ; Cerema, 2015) rend aussi plus difficile l'ouverture du grau, car l'eau doit franchir une largeur de sable de plus en plus importante. Les conditions hydrodynamiques auxquelles est soumis le littoral ont été dégagées par P. DURAND (1999) à partir du traitement de séries statistiques sur les vents et les houles durant cinquante ans (1949 à 1998). Le régime de houle et de dérive littorale est lié à l'antagonisme entre vents de terre dominants (tramontane et mistral) et vents marins. La houle engendrée par les vents de terre est la plus fréquente, mais ce n'est pas la plus efficace en raison de son fetch limité. La houle créée par les vents marins, essentiellement de SE, est beaucoup plus agressive, car son fetch est plus long. Elle accompagne toutes les tempêtes qui affectent le littoral. La houle a le plus souvent des hauteurs moyennes inférieures à 2 m, un tiers des valeurs étant inférieures ou égales à 1 m, principalement en juillet et août, période estivale calme (P.M. CLIQUE et al., 1984). Les épisodes où la houle est supérieure à 4 m sont rares et ont lieu entre septembre et mars. En décembre 1997, un pic exceptionnel a atteint presque 7 m. On note aussi une extrême variabilité interannuelle avec, par exemple, des années plus calmes (1990, 1993) et des années où les tempêtes ont été plus fréquentes (1994, 1997, 1999, 2003). Les fortes houles mettent en suspension les sédiments fins de la plateforme : ainsi la tempête du 12 novembre 1999, qui a généré une houle de 7 m, avec une période de 10 secondes, a-t-elle remanié les dépôts jusqu'à 34 m de profondeur, soit au delà du contact entre les sédiments sableux et les sédiments vaseux, situé à environ 30 m de profondeur (C.F. JAGO et J.P. BARUSSEAU, 1981 ; B. FERRÉ et al., 2005). Une grande partie de ces sédiments sableux a été projetée dans la lagune. Cette tempête a aussi provoqué la submersion du front de mer à La Franqui et l'échouage de trois cargos sur le lido au sud de Port-la-Nouvelle. Les très fortes houles font fortement reculer la plage en quelques heures. Le sable érodé est en majeure partie déplacé vers le large par la nappe de retrait et les courants perpendiculaires au rivage (courants orbitaux et localement courants de retour), mais une partie est entraînée vers la partie de la lagune proche de la mer, le Grazel, par le grau et par la submersion du lido ; en revanche, les petites houles ont tendance à engraisser la plage et à fermer le grau, en conjugaison avec les transferts longitudinaux décrits ci-dessous.
14Les transferts longitudinaux effectués par les dérives littorales, s'organisent depuis le littoral roussillonnais et le littoral languedocien (entre le Cap d'Agde et Saint-Pierre) en direction des rivages du Narbonnais, avec en résultante une convergence des deux dérives littorales aux environs du grau de Vieille-Nouvelle (C. BRUNEL et al., 2014 ; N. ALEMAN et al., 2015).
15Les aménagements ont réduit la superficie lagunaire, mais ils ont aussi modifié l'hydrodynamisme de la lagune. Ce dernier a été perturbé par l'installation des salins qui ont renforcé l'isolement du bassin nord, mais aussi par les infrastructures ferroviaire et routières :
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La construction de la voie ferrée en 1850 a nécessité la mise en place d'une digue qui a condamné trois des quatre graus reliant l'étang à la mer. Seul un étroit passage de 10 m de large dans le remblai de la voie ferrée est maintenu au niveau du grau de la Franqui. La dynamique lagunaire est alors complètement modifiée et des atterrissements se développent à proximité de l'ouvrage jusqu'à former des îlots en amont et en aval. Un creusement se produit dans le rétrécissement sous la voie ferrée, du fait de l'effet VENTURI, et des accumulations sableuses se développent de part et d'autre.
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L'aménagement dans les années 1980 de plusieurs infrastructures routières (RD 709, RD 427, route des Coussoules) a nécessité la mise en place de différentes digues et ponts qui limitent les échanges au sein de la lagune. De par l'abri qu'ils génèrent localement face aux vents, ils vont également rendre le plan d'eau plus calme. Ainsi la sédimentation et la conquête terrestre peuvent-elles être accélérées. Cela se traduit par le développement de bancs de sable qui allongent dans la partie centrale de la lagune et freinent encore plus le parcours des eaux. Il s'agit surtout de réorganisation interne des volumes sableux déjà en place, mais une fois émergés et colonisés par la végétation, ces bancs sont autant de surfaces retirées au plan d'eau.
16 Selon M. WILKE et al. (2000-2002), la cause la plus importante de comblement a été le remblaiement anthropique (principalement dû aux salines) qui a provoqué la perte d'environ 40 % de la superficie entre le XIXème siècle et le milieu du XXème siècle. Les apports terrestres sont limités du fait de la faible superficie du bassin versant, de la faible teneur en particules argileuses des sols et de l'importance des sources karstiques (71 % des apports) peu chargées en matières solides. Ces sédiments contribuent néanmoins à la progression régulière des marais sur les rives ouest et sud de la lagune. La production biologique de l'étang est relativement faible comparée à d'autres systèmes lagunaires. Cette situation est à mettre en rapport avec le bon état de l'étang vis-à-vis de l'eutrophisation (IFREMER, 2008). Cependant les plantes aquatiques fixent les sédiments par leurs racines et par un effet de peigne ralentissent les mouvements de l'eau, ce qui favorise la sédimentation et donc un exhaussement à leur niveau. Dans la lagune, la forte turbulence des eaux a tendance à fragmenter les agrégats et à favoriser l'érosion, alors que la faible turbulence et l'augmentation de la salinité sont propices à la floculation et à l'accumulation. Aujourd'hui, l'accumulation l'emporte sur l'érosion du fait principalement des entrées de sables marins par le grau ou par submersion lors des tempêtes. Le processus de conquête continentale est à l'œuvre sur certaines rives, notamment celles situées au nord-ouest, et sur certains îlots. C'est un processus lent qui entraîne le comblement et la perte de surface de l'étang.
17Les blocages sédimentaires décrits sont responsables du confinement de la partie nord de l'étang. Les apports sédimentaires terrestres sont limités, cependant ils augmentent sensiblement au cours des dernières décennies, en raison de l'accroissement de l'érosion des sols dans le bassin versant du fait de la progression de l'urbanisation, aux pratiques culturales peu soucieuses de l'environnement et aux ravinements sur les pentes suite à des incendies. Ces apports sont aussi favorisés par l'endiguement des rivières du bassin versant et le mauvais entretien des ripisylves le long des cours d'eau débouchant dans la lagune, mais également par les rejets de la station d'épuration de La Palme qui ont augmenté jusqu'en 2009, date à laquelle les algues vertes filamenteuses (cladophores) ont envahi la totalité de l'étang entraînant un déclassement de l'état vis-à-vis de l'eutrophisation (Photo 4). En effet, lorsque la quantité de sels nutritifs apportée par le bassin versant de la lagune est importante, le phytoplancton et les macroalgues opportunistes (genres Ulva, Enteromorpha, etc.) se développent. La prolifération du phytoplancton engendre une augmentation de la turbidité des eaux lagunaires, défavorable aux macrophytes, qui disparaissent progressivement (K.A. MOORE et R.L. WETZEL, 2000), ainsi que les espèces qu'elles abritent. Au niveau des sédiments, la quantité de matière organique issue des végétaux en décomposition, et l'activité des bactéries aérobies augmentent. Progressivement, la quantité d'oxygène dissoute dans l'eau devient alors incompatible avec le maintien des organismes vivants. Les bactéries sulfato-réductrices poursuivent le processus de minéralisation, en utilisant les sulfates comme oxydant à la place de l'oxygène. Cela conduit à un dégagement d'hydrogène sulfuré à l'origine des odeurs d'œuf pourri perçues dans la partie sud-est de la lagune.
Photo 4 - Algues vertes près de la station d'épuration de La Palme en juin 2009. [cliché Jean-Pierre LARUE]
18Selon l'étude de l'IFREMER (2013), entre 2002 et 2008, les suivis des concentrations en ammonium dans la colonne d'eau témoignaient de dysfonctionnements sur la station d'épuration de La Palme. Après les travaux de réhabilitation de cet ouvrage au printemps 2009, ces concentrations sont restées inférieures au seuil "Très Bon - Bon" durant les deux étés suivants. Or des niveaux élevés d'ammonium dans la colonne ont été enregistrés à deux reprises durant l'été 2012 sans qu'aucun dysfonctionnement n'ait été signalé sur la station d'épuration. Si cet ouvrage n'est pas responsable de ces pollutions ponctuelles, d'autres sources devront être recherchées sur le système d'assainissement afin, si possible, d'en limiter les rejets. En effet, l'ammonium peut provenir de nombreux produits nettoyants et désinfectants utilisés par l'homme. Par ailleurs, les déjections des chevaux du ranch touristique situé à la pointe sud des Coussoules, sur la rive nord du Grazel, ne peuvent qu'accroître les apports d'éléments nutritifs dans la lagune.
19La lagune de La Palme enregistre un lent colmatage et une réduction de sa surface en eau, mais le grau de La Franqui continue à fonctionner par intermittence chaque année, sa fermeture définitive n'apparaît pas comme une menace proche. Le comblement général de la lagune semble peu inquiétant ; au début des années 1990, le Service Maritime et de Navigation du Languedoc (SMNLR) estimait l'échéance de remplissage sédimentaire de la lagune à environ 200 ans (J.L. GIRARD, 1992). Selon la même source, les lagunes voisines mettraient plus longtemps à se combler, 700 ans pour celle de Bagès-Sigean au nord, et 30000 ans pour celle de Salse-Leucate au sud. Le calcul des volumes d'eau de la lagune, à partir de mesures à des dates successives de la profondeur du bassin au radar, permettrait d'obtenir des données plus précises sur la vitesse récente du comblement.
20En revanche, l'ensablement lié à des remaniements de sables déjà en place dans la partie moyenne de la lagune, située entre la voie ferrée et la route des Coussoules, risque de perturber les échanges entre les eaux douces de l'amont et les eaux salées de l'aval. Les travaux effectués en 2007 ont amélioré la situation, mais les effets commencent à s'atténuer car le chenal creusé s'ensable à nouveau. Les risques d'eutrophisation apparaissent comme le problème le plus préoccupant. Le plus important est de faciliter la communication entre la partie sud-est de l'étang (le Grazel) et le reste de la lagune. Une intervention sur le grau doit être aussi envisageable dans le cas d'une très longue fermeture et d'un risque de désastre écologique comme ce fut le cas en 2006. Ainsi les aménagements et interventions de l'homme ont-ils joué, et jouent encore, un rôle prépondérant dans l'évolution de la lagune.
GIRARD J.L. (1992) - Le comblement des étangs. Édit. Service Maritime et de Navigation du Languedoc-Roussillon, 62 p.
Remerciements : Nous remercions Teddy AULY pour avoir repris la figure 2. Cet article a bénéficié des suggestions et critiques constructives de Jean-Paul BARUSSEAU, de Jean-Noël SALOMON et d'un relecteur anonyme.