Sept siècles d'histoire hydroclimatique du Rhône d'Orange à la mer (1300-2000) : climat, crues, inondations, Georges PICHARD et Émeline ROUCAUTE, 2014
Sept siècles d'histoire hydroclimatique du Rhône d'Orange à la mer (1300-2000) : climat, crues, inondations,2014, numéro hors-série de la revue Méditerranée, 192 p.
Texte intégral
1Ce numéro hors série de la revue Méditerranée constitue, selon le dire des auteurs, un guide préalable à l'utilisation de la base de données sur l'histoire hydrologique du Rhône HISTRHÔNE (http://histrhone.cerege.fr). Mais l'ouvrage n'est pas seulement une introduction à la base de données, il constitue aussi un garde-fou permettant à l'utilisateur de ne pas se perdre dans la masse des informations disponibles et de replacer les éléments historiques isolés dans l'espace et dans le temps.
2La première partie "Présentation générale de la Base HISTRHÔNE" (p. 19-21) vient après une présentation synthétique de la démarche et de l'ouvrage (p. 15-17), elle donne quelques brèves indications sur le projet HISTRHÔNE, sur l'interface Web et sur l'atlas cartographique associé à la base. Au total, 1484 évènements hydroclimatiques ont été recensés depuis le XIVème siècle : 1068 crues et inondations, 234 étiages, 174 épisodes de glace et 8 submersions marines. Réduit à 54 pour le XIVème siècle, le nombre des évènements archivés atteint 421 au XIXème siècle et 369 au XXème. De plus, si les évènements récents sont datés et décrits avec précision, ceux plus anciens sont souvent mal renseignés. Pour les auteurs, la gestion de telles distorsions rend indispensable le recours à l'analyse critique historique.
3La deuxième partie "Prospections. Les sources historiques et techniques : critique et utilisation" (p. 23-39) pose l'objectif de la recherche : trouver les ruptures de continuité, mais en allant au delà des informations spécifiques sur les épisodes climatiques et hydrologiques remarquables. Les types de sources documentaires (des délibérations communales et des livres de raison jusqu'aux observations et mesures récentes) sont brièvement passés en revue et critiqués. Une première représentation des évènements répertoriés pour chaque siècle est établie en distinguant leur nature et leur ampleur. Avec le développement des mesures hydrologiques aux XIXème et XXème siècles, le nombre des évènements relatés augmente considérablement, mais pas celui des crues débordantes. Ce chapitre est complété par des fiches, sur Pierre VÉRAN, un érudit arlésien (1744-1819), et sur les premiers ingénieurs ayant travaillé dans le bas Rhône.
4La troisième partie "Perspectives 1. Les dynamiques hydrologiques : le fleuve et son chenal" (p. 41-100) entre véritablement dans le vif du sujet.
Pour le Rhône, quatre types de crue sont distingués (C1 à C4) par ordre de gravité croissante. Pour les crues anciennes, pour lesquelles la discrimination peut être délicate, les critères sont discutés. Les auteurs adoptent en outre un indice de fréquence-gravité, somme établie pour chacune des classes de gravité C2 à C4 des produits du nombre d'évènements recensés par le chiffre du rang considéré. Les données sont traitées par décennies. La très intéressante figure 10, à la légende malheureusement assez peu claire, montre une augmentation de l'occurrence des crues moyennes à très fortes (C2 à C4) à Arles aux XVème et XVIème siècles (début du petit âge glaciaire). Certaines années sont particulièrement mémorables, par l'inondation de la cité d'Avignon (1433, crue C4) ou par celle des grands domaines camarguais (1541 à 1544, crues C3). La fin du XVIème siècle connaît une hydrologie très active accompagnée de dépôts de sédiments abondants près de l'embouchure, ce qui provoque, en 1587, la migration vers l'ouest du débouché du grand Rhône. Après quelques décennies d'accalmie, la succession des crues reprend de plus belle en 1647 et devient même très problématique à la fin du siècle et au début du suivant (phase MAUNDER d'atonie solaire), avec des crues C4, de très violentes tempêtes marines et des épisodes de glaces qui figent la surface du fleuve. La fin de la phase MAUNDER (1705) ne marque pas l'arrêt des grandes crues, et une défluviation se produit en 1711 suite à la rupture d'une écluse.
En 1816, débutent les mesures journalières des hauteurs d'eau à Beaucaire. Celles-ci seront traduites en débit par Louis FRANÇOIS (1937) pour la période 1892-1901 et par Maurice PARDÉ (1942) pour la période 1877-1936. En utilisant la courbe de tarage établie par Maurice PARDÉ, les auteurs complètent les données pour la période 1817-2000. Les évènements sont documentés de manière précise, ce qui permet de suivre la répartition saisonnière des écoulements, les étiages et les crues. Pour les étiages, la comparaison des hauteurs d'eau mesurées à Arles et à Beaucaire sur la période 1830-1994 met en évidence des écarts liés à l'instabilité des lits. À Arles, le lit s'est enfoncé de plus de 1 m entre 1830 et 1922 ; le creusement est depuis ralenti, mais il peut être réactivé lors de grosses crues, comme en 1994.
L'étude se poursuit par une rapide évocation des apports duranciens (p. 58-59). Douze crues C4 ont été dénombrées, depuis celle de novembre 1396 jusqu'à celle de novembre 1886. L'hydrologie a été particulièrement violente aux XVIIIème et XIXème siècles. Le XXème siècle apparaît beaucoup plus calme, avec cependant quatre crues C3. Les barrages, dont celui de Serre-Ponçon, assurent maintenant un certain contrôle des crues faibles et moyennes, mais n'empêchent pas les submersions par forte crue, comme ce fut le cas en novembre 1994.
L'exposé traite ensuite (p. 59-66) de l'histoire des mesures des débits sur le Rhône et la Durance, depuis leurs balbutiements au début du XVIIIème siècle. Le premier véritable jaugeage a été réalisé en 1783, à Arles, sous la conduite de Pierre VÉRAN. Mais les progrès décisifs furent accomplis avec Alexandre SURELL, qui publia son Mémoire sur les embouchures du Rhône en 1847. D'autres ingénieurs prirent le relai, faisant évoluer les courbes de tarage. La crue de mai-juin 1856, considérée comme "milléniale" (p. 97), fut détaillée par l'ingénieur BERNARD. Les années 1860 virent une amélioration des suivis journaliers. En 1875, le Service du Rhône calcula les écoulements mensuels et annuels à Beaucaire depuis 1840, prolongeant ainsi le travail de SURELL. Un problème restait en suspens, celui de la prise en compte des modifications du fond du lit au droit des échelles. Mais son importance est apparue toute relative par rapport aux conséquences de l'aménagement du cours (suppression des méandres et endiguement). Le Service de la Navigation conclut que pour disposer d'une chronique homogène, il convenait de ne calculer les débits journaliers qu'à partir de 1920, et la Compagnie Nationale du Rhône s'en tint ultérieurement à cet avis.
La fin de cette partie (p. 66-100) est consacrée à l'évolution de la basse vallée du Rhône. De nombreuses cartes sont présentées et commentées. La Carte de Camargo (sans doute de 1592 dressée par des ingénieurs piémontais accompagnant les troupes du duc de Savoie Charles-Emmanuel) et l'Accurtissima Patriae Provinciae Descriptio (1592 dite carte de BOMPAR, mais en fait certainement levée par Jules-Raymond de SOLIER) montrent, l'une, "une plaine deltaïque en période de crise et d'accumulation de crues" (p. 69) et, l'autre, la "grande puissance du fleuve" et "la force constructrice par apports sédimentaires" (p. 70). Les cartes du début du XVIIème siècle, notamment celle de FLOUR (1636), témoignent d'un affaiblissement des dynamiques hydrologique et sédimentaire. À la même époque, les rares représentations de secteurs en amont de la Camargue mettent en évidence des dépôts de sédiments bordiers et la formation d'îles, lesquels sont encore bien identifiables plus d'un siècle plus tard (cartes des GRANDVOINET, 1781-1785). Avec le petit âge glaciaire et le retour des épisodes majeurs, les cartes se multiplient, car les transformations sont rapides, en particulier aux embouchures, et posent des problèmes à la navigation. Ainsi est-il possible de reconstituer la progression des embouchures vers la mer à partir de la carte de FLOUR. La défluviation de 1711, venant après celle de 1709, aboutit à la formation d'une nouvelle embouchure (aménagement du canal de Launes de 1711 à 1724). Mais les apports sédimentaires continuaient d'affluer ; ils firent l'objet d'évaluations dès le début du XVIIIème siècle (Henri GAUTIER). S'appuyant sur toutes les cartes levées à la fin du XVIIème siècle (ADVIZARD), ainsi que sur leurs propres observations, les ingénieurs du Rhône ont dressé une reconstitution détaillée des avancées et reculs des terres jusqu'en 1854. Le lien est manifeste avec les épisodes de crue : l'avancée rapide de la fin du XVIIIème siècle est mise en rapport avec une succession de crues duranciennes, alors que celle après 1840 répond à la multiplication de grandes crues rhodaniennes. Pour finir, les auteurs s'appuient sur les cartes du Rhône de Laurent DIGNOSCYO (1845) pour évoquer le chenal du Rhône au milieu du XIXème siècle ("le fleuve divague encore dans la plaine, méandrant autour des îles", p. 92) et sur un état des digues en 1857 dressé par l'ingénieur RONDEL pour traiter brièvement de la défense contre les débordements ("une histoire changeante au gré des crues et des travaux", p. 95).
Après 1860, les interventions humaines s'accentuent : correction du chenal, endiguement. Les hauteurs de crue augmentent dans un lit resserré, provoquant des débordements dans une plaine de plus en plus anthropisée.
5La quatrième partie "Perspectives 2. Les dynamiques du climat et le fleuve : lignes de force" (p. 101-126) s'attache à déceler les phases climatiques. La faible densité des postes de mesure anciens interdit le plus souvent de relier étroitement épisodes de crue et conditions pluviométriques, mais la réflexion s'appuie sur l'exploitation d'autres sources d'information, en particulier narratives.
L'approche part des périodes les plus récentes, pour lesquelles on dispose de nombreuses données chiffrées. Les mesures pluviométriques anciennes, remontant jusqu'à 1704 (Lyon), ont été compilées par Victor RAULIN dans les années 1870-1890. Parmi ces données, après analyse critique, les auteurs ont retenu huit postes méditerranéens et sept autres postes rhodaniens. Le traitement des données a été mené sur la base d'indices décennaux de variation relative par rapport à la normale. Les indices calculés pour les stations méditerranéennes ont été comparés avec ceux correspondant aux hauteurs moyennes du Rhône à Beaucaire. Si les variations des pluies et des hauteurs sont en accord d'une période décennale à l'autre, sauf pour la décennie1881-90 (déstabilisation du lit), la correspondance générale n'est pas parfaite, les hauteurs d'eau étant plus fortes à pluies méditerranéennes égales au XXème siècle. On reprochera ici aux auteurs de faire de l'hydrologie avec les seules hauteurs d'eau. La critique aurait pu leur être adressée avant, mais elle est inévitable dès lors qu'il est question des relations entre la pluie et les écoulements. Les hauteurs d'eau auraient dû être traduites en débits ! Certes, les incertitudes sur les résultats auraient été fortes, mais celles sur la représentativité de moyennes de hauteurs d'eau le sont bien davantage.
Mais suivent des développements intéressants sur les données pluviométriques : pluies à Marseille depuis 1748 et surtout sécheresses depuis le XIVème siècle. Pour les périodes anciennes, ces dernières sont étudiées soit par des témoignages écrits, soit par des sources historiques indirectes (processions pour la pluie à Aix-en-Provence ; dates d'ouverture des vendanges sur le plateau de Valensole et le Comtat Venaissin répertoriées dans la base OPHÉLIE ; indications dans les archives sur les invasions de sauterelles, notamment en Camargue). Les données dendrochronologiques apportent des informations complémentaires : dans le Sud de la France, confirmation de l'optimum climatique médiéval, qui, après 1180, cède assez rapidement la place au petit âge glaciaire, lui-même entrecoupé de quelques périodes plus chaudes (Françoise SERRE-BACHET, 1994) ; dans les Alpes, l'optimum médiéval se serait prolongé jusque vers 1500 (Christophe CORONA et al, 2010).
La sécheresse fut particulièrement sévère en Provence, en Languedoc et dans le Dauphiné de l'automne 1638 à l'été 1639. L'impact sur le niveau du Rhône fut considérable ; le Rhône ne mesurait plus que 15 m de large à Arles à l'été 1639. Mais d'autres étiages remarquables ont été observés jusqu'au début du XIXème siècle, en particulier ceux de juillet 1802 et de janvier 1812. À Beaucaire, les mesures effectuées depuis 1818 montrent des eaux particulièrement basses en novembre 1921 et, plus encore, en octobre 1906.
De 1300 à 2000, 174 épisodes de glaces (flottantes ou arrêtées) se sont produits sur le Rhône. Peu fréquents du XIVème au XVIème siècle, ils deviennent ensuite de plus en plus nombreux, jusqu'à atteindre un maximum de 62 épisodes (dont 30 de glaces arrêtées) au XIXème siècle. Même si le recul du petit âge glaciaire est daté de 1860, les épisodes de glaces sont encore nombreux à la fin du XIXème siècle (à l'exception de la décennie 1981-90) et au début du XXème siècle (jusqu'à la décennie 1911-20 comprise). Leur fréquence diminue ensuite ; l'épisode de janvier-février 1963 (25 cm d'épaisseur sur le Rhône à Avignon) est le dernier connu. L'étude est poussée jusqu'au nombre de jours de glaces arrêtées chaque année (l'englacement a duré plus de deux mois en 1363-64 et en 1753-54) et elle fait le lien avec les gels de la mer Méditerranée.
6La cinquième partie "Perspectives 3. Monographies d'évènements extrêmes" (p. 127-179) analyse onze épisodes remarquables.
Le premier d'entre eux, la crue du 15 novembre 1548 a soulevé bien des controverses, disputant même à celle de mai-juin1856 le rang de plus forte crue connue. Son interprétation, ou plus exactement celle des textes anciens qui la relatent, est délicate.
Les invasions de sauterelles de 1611-1618 en Camargue. Malgré les dégâts occasionnés, au pic d'invasion, les années 1613 et 1614 fournirent des récoltes exceptionnelles de blé.
L'inondation du 16 novembre 1674 submergea et ruina le pont Saint-Bénezet à Avignon. Elle aurait atteint la cote NGF 1884 de 6,62 m à Arles.
Le grand hiver de 1709 fut très rigoureux et ses conséquences sur l'agriculture furent responsables de famines et d'épidémies qui tuèrent près de 630000 Français (Emmanuel LE ROY LADURIE, 2009). Le froid s'installe le 6 janvier, les températures descendent jusqu'à 17,55 °C à Montpellier et -11,45 °C à Marseille (11 janvier). Le Rhône, la Durance, etc. sont pris par les glaces. Les températures remontent à la fin du mois, provoquant la débâcle du Rhône et des inondations au sud d'Avignon.
L'inondation des 30 novembre et 1er décembre 1755 est bien documentée. Cela en fait "la crue la mieux connaissable (pas forcément la mieux connue) des crues du Rhône avant le XIXème siècle" (p. 135). Elle surpassa ou rompit les chaussées protectrices en de nombreux endroits, envahissant les villes riveraines, comme Avignon, Beaucaire et Tarascon, et dévastant les plaines du bas Rhône et la Camargue. À Arles, les eaux atteignirent la cote NGF 1884 de 6,63 m le 1er décembre (ingénieur Pierre VÉRAN).
La connaissance des épisodes d'octobre-novembre 1840 bénéficie des progrès des réseaux d'observation météorologiques et hydrologiques. Ils ont du reste été minutieusement décrits par M. PARDÉ dans sa thèse (1925). Tout le bassin du Rhône fut touché par des précipitations abondantes de septembre à novembre. La montée de crue s'est véritablement déclenchée le 29 octobre, puis la crue a atteint son paroxysme du 31 octobre au 4 novembre. La décrue fut très lente, entrecoupée de nouvelles crues, les cotes restant très élevées jusqu'à la fin novembre. Dans la nuit du 2 au 3 novembre, les digues ont cédé de toutes parts et la situation s'est trouvée aggravée par les surcotes de la mer Méditerranée (+0,76 m à Port-de-Bouc, le 3 novembre). À Arles, le Rhône monta jusqu'à la cote NGF 1884 de 6,43 m, le 2 novembre, mais une partie des eaux put alors contourner la ville du fait de l'ouverture intentionnelle de brèches dans les digues. Cette fois encore, les dégâts furent partout impressionnants. De toutes les crues les mieux connues, celle de 1840 provoqua, de très loin, l'inondation la plus étendue en Camargue.
La crue de mai 1856 doit beaucoup au bassin du Rhône, au Rhône supérieur lui-même, à l'Ain, la Saône et l'Isère, même si les affluents méridionaux, en particulier l'Ardèche et la Durance, y contribuèrent. Elle est considérée (peut-être indûment) comme la référence absolue. Les cotes ont atteint 7,95 m à l'échelle de Beaucaire (contre 6,87 m en 1840) et 6,96 m NGF 1884 à Arles (soit 53 cm de plus qu'en 1840). Mais ces mesures n'ont qu'une faible signification, compte tenu de tous les facteurs à prendre en compte, et surtout bien sûr des écoulements par les nombreuses brèches ouvertes dans les digues à chaque grande crue. Toujours est-il que les ingénieurs ont estimé le débit global en pointe de crue à 11000, puis 12000 m3/s [remarque : en fait, 11640 m3/s fausse précision !], dans le secteur Beaucaire-Arles, valeur poussée à 12500 m3/s par Maurice PARDÉ (1925). À titre de comparaison, les ingénieurs avaient estimé le débit de pointe de la crue de 1840 à10500 m3/s. La considération accordée à la crue de 1856 immédiatement après sa survenue ressemble fort à une sorte d'hommage à Napoléon III, venu visiter la région encore sous les eaux. Sur ce point, bien que les auteurs aient qualifié cette crue de "milléniale", on sent que leur conviction n'est pas inébranlable. Du reste, l'inondation d'octobre-novembre 1840 s'est révélée plus forte que celle de 1856 à Avignon (alors que la Durance et surtout le Gardon, qui confluent en aval, sont restés relativement sages) [remarque : Maurice PARDÉ attribue à la crue de 1840 un débit de pointe de 13000 m3/s à Beaucaire !]. Et que dire du sort fait à la crue de novembre 1548 ? Dans ce cas, un repère de crue apparemment fiable trouvé à Villeneuve-lès-Avignon, et donnant un niveau supérieur de 26 cm à la crue de 1856, valut à l'historien Maurice CHAMPION les foudres des ingénieurs du Rhône et du pouvoir politique. Même si sa prééminence peut être contestée, il reste que la crue de 1856 est une très grande crue et qu'elle a été suivie de nombreuses études techniques. Les ingénieurs en tirèrent des conclusions raisonnables : une défense totale contre le Rhône aurait un coût exorbitant au regard des dépenses occasionnées par les inondations et elle mettrait en péril les villes sur le cours aval du fait de la disparition des zones d'expansion ; une telle solution n'apparaissait donc envisageable qu'en aval de Beaucaire et Arles.
L'épisode de glaces arrêtées de l'hiver 1890-91 dura du 10-12 au 22-25 janvier. Le fleuve était recouvert de glace (25 cm) sur tout son cours, de Donzère à la mer.
Avec un débit de pointe estimé à 8800 m3/s environ à Beaucaire le 2 novembre, et malgré quelques inondations et dégâts, les épisodes de l'automne 1896 sont loin d'être parmi les plus mémorables. En revanche, ils sont originaux par les modalités de leur alimentation, sans fortes précipitations sur le bas Rhône.
La crue de novembre-décembre 1935 a été minutieusement étudiée par Maurice PARDÉ (1942). La cote monta à 7,68 m le 14 novembre à Beaucaire (9500 m3/s). Dégâts et inondations (notamment celle d'Avignon) créent un traumatisme : la modernité prise à contre-pied… déjà.
Les crues et inondations de 1993-94 voient, pour la première fois sur le bas Rhône, les moyens modernes de prévision et d'annonce de crue confrontés à un évènement majeur. La connaissance de cette crue est la plus parfaite (images satellitaires, nombreuses stations météorologiques et hydrométriques). Au cours de mois de septembre et octobre très pluvieux sur une bonne partie du bassin rhodanien, deux crues importantes se produisent, avec des pics respectivement dans la nuit du 23 au 24 septembre et les 9 ou 10 octobre. À Avignon, le pic atteint 8200 m3/s, assez loin derrière les grandes crues de 1840 (10800 m3/s !) et de 1856 (près de 9700 m3/s). En revanche, à Beaucaire le débit s'élève à près de 10000 m3/s [remarque : en fait, 9800 m3/s] en raison des apports de la Durance et du Gardon. La rupture de digues provoqua l'inondation de 13000 ha en Camargue [remarque : sur un total de plus de 25000 ha inondés]. Les enseignements de septembre-octobre n'étaient pas encore tous tirés que se produisit un autre épisode majeur en janvier 1994, suite à des précipitations méditerranéennes très abondantes du 5 au 7 janvier (jusqu'à 300 mm sur les pentes du Mont Ventoux). Sur le Rhône, cet épisode ne se fit vraiment sentir qu'à partir de Valence (influence de l'Isère) et surtout de Viviers, après les confluences de l'Eyrieux, de la Drôme et du Roubion. Le débit atteignit 9600 m3/s à Avignon dans la nuit du 7 au 8 janvier et 11000 m3/s à Beaucaire le 8 en début d'après-midi. Plus de 25000 ha furent de nouveau inondés, dont 4500 en Camargue. Une nouvelle prise de conscience des problèmes environnementaux et des erreurs de gestion se fit jour, que la crue de 2003 allait encore mettre en lumière [remarque : pour cette dernière, un débit de pointe de 11500 m3/s a finalement été retenu pour Beaucaire, alors que la première estimation faisait état de 13000 m3/s c'est dire l'incertitude sur tous les débits].
7La courte conclusion (p. 181) revient sur la base de données HISTRHÔNE, dont l'ouvrage a pour double vocation d'en faire la promotion et d'en faciliter l'accès.
8À vrai dire, ce double objectif est parfaitement atteint. Certes, l'ouvrage n'est pas exhaustif (il manque, par exemple, l'évocation de la très forte crue du 12 novembre 1886 ou de celle, plus récente du 22 novembre 1951). Certes, il n'est pas non plus à l'abri de quelques reproches : on peut regretter l'absence d'une description du bassin versant, la grosse hésitation sur le choix de la crue la plus forte (en oubliant la position de PARDÉ pour celle de 1840), une qualification de "milléniale" accordée bien à la légère à la crue de novembre 1856 et d'autres imprécisions plus anecdotiques (par exemple, pages 176 et 177, la représentation sans explication des hydrogrammes et non limnigrammes très problématiques de la Saône en 1994). Mais il fournit une masse d'informations qui donnent envie de visiter la base de données et qui, par elles-mêmes, éclairent bien des aspects des fluctuations climatiques régionales et de l'évolution du delta du Rhône et de la Camargue. Bien sûr, les données hydrologiques sont pour beaucoup très douteuses. Les comparaisons entre les crues sont donc difficiles pour le bas Rhône, en raison des modifications du lit au droit et en aval des points d'observation, de l'aménagement des berges, des surcotes marines et des ruptures de digue. Pour autant, les données existantes permettent de comprendre le déroulement des crues et leur traitement fournit des informations précieuses sur le climat. Dans un contexte aussi peu favorable à la science hydrologique, l'analyse des inondations apparaît finalement plus intéressante que la confrontation des débits extrêmes. Des biais existent là-aussi, bien sûr, mais ils ne sont pas de même nature et n'enlèvent rien au caractère implacable des faits. Il faut toutefois noter que les pertes humaines sont le plus souvent passées sous silence. Problème de sources documentaires ou volonté délibérée ? Sans justification exprimée, cela est assez surprenant.
9Cet ouvrage de 192 pages, illustré de 123 figures, dont beaucoup en couleur, et de 26 tableaux est une porte ouverte sur HISTRHÔNE, mais peut aussi se suffire à lui-même. Je conseille vivement de le découvrir. Il vous donnera certainement envie d'aller plus loin dans la découverte de l'histoire hydroclimatique du bas Rhône, mais vous le ferez en bénéficiant d'une solide mise en perspective. Cela ne sera pas inutile : la fiche HISTRHÔNE pour la crue de mai 1856, par exemple, ne fait pas moins de 261 pages à ce jour !
Pour citer cet article
Référence papier
Claude Martin, « Sept siècles d'histoire hydroclimatique du Rhône d'Orange à la mer (1300-2000) : climat, crues, inondations, Georges PICHARD et Émeline ROUCAUTE, 2014 », Physio-Géo, Volume 9 | -1, 1-7.
Référence électronique
Claude Martin, « Sept siècles d'histoire hydroclimatique du Rhône d'Orange à la mer (1300-2000) : climat, crues, inondations, Georges PICHARD et Émeline ROUCAUTE, 2014 », Physio-Géo [En ligne], Volume 9 | 2015, mis en ligne le 14 janvier 2015, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/physio-geo/4336 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/physio-geo.4336
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