L'homme et la dynamique littorale : maîtrise ou adaptation ?, sous la direction d'Yvonne BATTIAU-QUENEY, Yannick LAGEAT et Marie-Claire PRAT, 2014
Dynamiques Environnementales, n° 30, 2014 (http://pub.u-bordeaux3.fr/index.php/revues/dynamiques-environnementales.html)
Texte intégral
1Le numéro 30 de la revue Dynamiques Environnementales (LGPA-Éditions, Université de Bordeaux 3) présente, sous une forme très attrayante (présentation soignée, très nombreuses figures et photographies en couleur), un gros numéro thématique (plus de 200 pages) consacré à l'homme et la dynamique littorale.
2Coordonné par Yvonne BATTIAU-QUENEY, Yannick LAGEAT et Marie-Claire PRAT, ce numéro regroupe 14 articles, auxquels s'ajoute notamment un dossier pédagogique sur le littoral basque (p. 189-198).
3Après un éditorial de Guillemette ROLLAND (p. 5), Déléguée régionale du Conservatoire du Littoral Aquitaine, l'introduction de M.C. PRAT (p. 7-11) pose la problématique générale : "Le littoral : faut-il maîtriser la nature ou s'accorder avec elle ?". À la lutte frontale contre l'érosion marine, se substitue, par la force des choses, un accompagnement de replis stratégiques acceptés ou subis. Mais la relation aux milieux littoraux a également évolué, la "nature littorale" devenant une préoccupation de gestion durable, dans toutes ses composantes, physiques et biologiques.
4L'introduction est complétée par une rubrique de Bénédicte COUDIÈRE et al., "Les échos de l'environnement" (p. 12-16), sur la pollution du littoral atlantique français, et plus particulièrement sur les marées vertes.
5Une première partie, "De l'enregistrement à l'évolution des environnements côtiers", regroupe quatre articles.
Dans une "Note sur l'impact conjectural du tsunami de la Toussaint 1755 en Bretagne" (p. 19-28), Yannick LAGEAT s'interroge sur les effets éventuels du séisme dit "de Lisbonne". Se pourrait-il que le tsunami qui en a résulté, ait été à l'origine de déplacements de mégablocs en Bretagne, notamment à Ouessant ? Cette hypothèse n'est pas corroborée par les archives historiques. La Bretagne semble avoir toujours été à l'abri des tsunamis générés par les séismes portugais.
Martin JUIGNER et al. traitent de la "Cinématique d'un trait de côte sableux en Vendée entre 1920 et 2010 Méthode et analyse" (p. 29-39). L'étude s'appuie sur l'exploitation de huit séries d'images aériennes d'un secteur au nord de Saint-Jean-de-Monts, dont les cinq dernières datent de 2000 à 2010. Cet article offre un caractère méthodologique affirmé : détection du trait de côte à partir du contact sable vif-végétation, transposition aux images aériennes, prise en compte des conditions météo-marines dans l'interprétation des indicateurs, estimation de la marge d'erreur. Entre 1920 et 2010, l'accrétion prédomine sur le linéaire étudié, mais l'érosion a gagné en intensité au cours des dernières années, et le recul a été accentué (de 7 à 8 m) par la tempête Xynthia en février 2010.
L'article de Grégoire MAILLET et Hélène CLOUET, "Potentiel de l'étude des formations sédimentaires superficielles de l'estuaire moyen de la Loire pour la compréhension des processus morpho-dynamiques en milieu estuarien mésotidal" (p. 41-54), se distingue par un intérêt méthodologique encore plus affirmé. Il s'appuie sur des approches "pointues" : mesures bathymétriques multifaisceaux, mesures sismiques THR, cartographie en temps réel de la structure sédimentaire (logiciel RoxAnn et mosaïque sonar)…, dont les performances pour la connaissance des fonds et des sédiments superficiels sont discutées.
Jean-Christophe PELLEGRIN et Julien GARDAIX présentent "Les variations du trait de côte de la Pointe Espagnole (Pointe d'Arvert, Charente-Maritime)" (p. 55-61). Même si ce texte évoque les variations du niveau eustatique depuis le Würm et fait référence à des cartes du XVIème et XVIIème siècles, il est surtout consacré aux modifications récentes du trait de côte entre l'Île d'Oléron et l'estuaire de la Gironde. Des levés ont été effectués depuis les années 1990, d'abord au topofil, puis au GPS, toujours lors de marées de coefficient moyen, autour de 80. Des accrétions se produisent localement, par engraissement à partir de l'érosion d'autres secteurs ou par redistribution du sable de la dune sus-jacente, mais les observations confirment surtout l'importance de la tendance érosive globale.
6La deuxième partie, "L'Homme face à la mer" (p. 63-73), illustre différents thèmes à travers des photographies : "Les activités économiques littorales", "Les témoins du recul du trait de côte" (les blockhaus), "Les ouvrages de protection", "Pollution et préservation ?", "Le mythe de Sisyphe revisité" (tentative de réensablement du front de la dune au niveau de la pointe de la Négade).
7La troisième partie, "Du fonctionnement naturel à sa gestion : maîtrise, adaptation, renaturation…", aborde le cœur même du sujet posé par le titre de ce numéro thématique. Cinq articles la composent.
Sous la plume de Jean-Pierre MÉRIC, se dévoile l'histoire naissante, et balbutiante, des connaissances "sérieuses" sur le littoral et les dunes du Médoc : "Avancées des sciences, avancées des dunes : une mytho-géographie du littoral médocain" (p. 77-87). Ce milieu si particulier, fait d'un littoral fluctuant, de dunes instables, de sols mouvants et de marais, donc isolé car difficilement pénétrable, était évidemment favorable à la naissance de mythes évoquant des cités englouties, dans les eaux ou les sables. L'article part des croyances populaires et montre leur assimilation dans la pensée scientifique des géographes du XIXème siècle et du début du XXème. Entre histoire de la science géographique et histoire des légendes médocaines, le propos est l'occasion de rencontrer des personnages hauts en saveur, dont certains se sont affrontés avec fracas. L'évolution du trait de côte comme la migration des dunes continuent aujourd'hui de susciter bien des recherches… mais les cités perdues du Médoc n'ont toujours pas été trouvées.
Yvonne BATTIAU-QUENEY compare trois exemples d'évolution du littoral en bordure de la Manche et du sud de la mer du Nord : "Les plages de la Côte d'Opale : maîtriser la nature ou agir avec elle" (p. 89-104). À Merlimont, dans un secteur protégé de l'urbanisation, l'ONF a choisi de laisser faire la nature, en excluant tout ce qui pourrait entraver les échanges entre la plage et l'avant-dune. Ici, le haut de plage montre une extrême mobilité, mais le trait de côte est relativement stable. Au Touquet, fortement urbanisé et longtemps en proie à une volonté de maîtriser la nature par des opérations conçues sans une vision d'ensemble, l'érosion marine a fini par devenir critique en bordure de la baie de la Canche. Mais depuis 2001, une nouvelle stratégie est mise en œuvre, qui vise à composer avec la nature. Cela implique l'abandon de la lutte à tout prix contre l'érosion, au profit d'une gestion plus raisonnée… et durable. Dans le secteur de Wissant, enfin, entre le cap Gris-Nez et le cap Blanc-Nez, il est d'abord notable que le site associe une zone d'érosion et une zone d'accrétion, et encore plus remarquable qu'il y a eu inversion récente de ces zones. Jusqu'au début des années 1980, à Wissant même, la principale menace venait du sable, dont les apports avaient déjà gênés les allemands pendant la guerre et qui menaçaient même les maisons. Mais la mer devint ensuite une menace, provoquant le démaigrissement de la plage, puis par trois fois la destruction de la digue (en 2001, 2002 et 2007). Wissant est victime d'erreurs humaines et, en premier lieu, de la construction d'une digue-promenade en 1905. Or le sable qui venait s'accumuler depuis les dunes était enlevé sans être mis sur la plage, sans parler des extractions en vue de dégager des espaces pour des lotissements ou pour l'industrie du bâtiment. Ainsi l'équilibre hydrosédimentaire s'est-il trouvé radicalement bouleversé, avec des conséquences telles que seules des solutions lourdes peuvent être envisagées, en espérant que la disparition de la dune bordière, cause de la pénurie actuelle de sable, puisse être corrigée par une recharge artificielle conséquente.
La contribution de Vincent BAWEDIN, "Les politiques de retour programmé de la mer : renaturation ou gestion des risques ? Exemples girondins et picards" (p. 105-115), est dans le droit fil de l'article précédent, mais sur un objet différent, la dépoldérisation. En France, jusqu'à très récemment, la dépoldérisation a le plus souvent été la conséquence d'une rupture de digue lors d'une tempête (Mollenel en baie de Somme, au début des années 1980 ; Graveyron et Malprat sur le Bassin d'Arcachon, en 1996 ; etc.). Mais elle a pu aussi avoir des visées écologiques et/ou touristiques (aber de Crozon en Bretagne, travaux autour du Mont-Saint-Michel…). En Europe du Nord-Ouest, avec la perspective d'une élévation du niveau de la mer, la dépoldérisation, sous forme d'un retrait maîtrisé et contrôlé par les aménageurs, s'est largement imposée depuis des années, afin d'anticiper l'impossibilité de défendre les digues contre les vagues ou d'empêcher la submersion. La France commence tout juste à s'intéresser à cette option pragmatique, les prés-salés Ouest de la Test de Buch, sur le Bassin d'Arcachon, ayant été rendus à la mer en 2008. Mais d'autres projets sont à l'étude, comme au Hourdel en Baie de Somme ou à Cayeux-sur-Mer sur la côte picarde.
Jean FAVENNEC étudie l'enchaînement des groupements végétaux depuis les hauts de plage jusqu'aux dunes boisées de la côte aquitaine : "Diversité paysagère et fonctionnelle des dunes de la côte atlantique : exemple de la côte aquitaine" (p. 117-131). Après avoir décrit les grandes unités du paysage dunaire, l'auteur précise les interactions entre les caractères des dunes et ceux du couvert végétal. Enfin, il établit des scénarios d'évolution des dunes en fonction du budget sédimentaire.
Caroline PÉRÉ et Jésus VEIGA closent cette partie par un article sur les oiseaux migrateurs : "Littoral aquitain et oiseaux migrateurs" (p. 133-146). Ce littoral, espace relativement préservé, est un couloir migratoire pour de nombreuses espèces du paléoartique. Des données chiffrées sont fournies, qui permettent de se faire une idée des populations actuelles et de leur évolution au cours des dernières décennies, aussi bien pour les espèces terrestres (tourterelle des bois, pigeon ramier, bécasse, grue cendrée, grives) que pour les espèces aquatiques (bernache cravant, bécasseau variable, courlis cendré, pluvier argenté…).
8La quatrième partie s'intéresse à des aspects sociétaux et économiques : "De sociétés littorales du passé aux enjeux d'aujourd'hui".
Alain CONTIS remonte le temps et nous fait découvrir les "Gens du Pays de Buch au XVIIIème siècle" (p. 151-162). Le pourtour du Bassin d'Arcachon, isolé, couvert de landes, menacé par le sable, avait la réputation d'être très pauvre sous l'Ancien Régime. Selon Claude MASSE, Ingénieur Ordinaire de Louis XIV, l'économie s'appuyait sur un agropastoralisme traditionnel, complété depuis peu par les ressources de la forêt et de la mer. Le dépouillement des archives notariales des principaux bourgs du Pays de Buch, notamment des contrats de mariage, confirme, dans leurs grandes lignes, les descriptions de Claude MASSE. Mais il nuance le propos sur l'extrême pauvreté et l'isolement du secteur. Il fait ressortir les inégalités sociales très fortes, entre les travailleurs de la forêt, au bas de l'échelle sociale, les pêcheurs et matelots, les paysans et ceux bénéficiant d'une certaine aisance, comme les artisans, les négociants ou les transporteurs, l'essentiel des richesses restant toutefois aux mains de quelques notables.
L'article de Julien GARDAIX nous réexpédie dans le présent, et même un présent quasi futuriste : "Les enjeux du développement éolien maritime en France" (p. 163-171). La France est très en retard dans le domaine de l'éolien, et tout particulièrement de l'éolien off-shore. Malgré les besoins énergétiques et du fait des désaccords entre les acteurs concernés, l'éolien maritime n'a guère progressé en France. Ainsi le projet des "Deux-Côtes" (à Veulettes-sur-Mer, en Saine Maritime), retenu par l'État en 2004, continue-t-il de piétiner.
Pour finir, Philippe FOURNET, nous fait découvrir "Les pêcheurs de l'estuaire de la Gironde : une profession et des savoir-faire condamnés ?" (p. 173-180). Bio-géosystème d'une grande originalité, l'estuaire de la Gironde est aujourd'hui considéré surtout sous l'angle environnemental et patrimonial, au détriment des activités halieutiques professionnelles. Deux pêches emblématiques ont soutenu ces activités : celles de l'esturgeon (pour le caviar) et de la civelle. Mais les effectifs de pêcheurs se sont effondrés au cours des trois dernières décennies. Même s'il faut en nuancer l'importance, la diminution de la ressource est une réalité. Les menaces pesant sur certaines espèces imposent des limitations de pêche (cas de la civelle), voire des interdictions (esturgeon, alose). Les contraintes réglementaires en tous genres, de plus en plus lourdes, notamment du fait de l'Europe, déconnectées des spécificités locales, rendent la situation désespérée, ce qui est regrettable.
9Ce numéro de Dynamiques Environnementales, comme les précédents, est une réussite sur le plan de la forme. Les nombreuses illustrations, souvent en couleur, apportent beaucoup aux textes. On peut juste regretter quelques rares imperfections, essentiellement la lecture difficile de certaines des figures en nuance de gris. Sur le fond, aucun ouvrage de ce type ne saurait faire le tour de la question abordée, ni sur le plan thématique, ni sur le plan géographique. Cependant les sujets traités sont variés et si le littoral aquitain tient une place importante, celle-ci est bien loin d'être écrasante. Des spécialistes, dont je ne fais pas partie, trouveront peut-être matière à formuler certaines réserves, mais j'ai personnellement apprécié ce document riche d'informations : méthodes d'investigation, observations de terrain et réflexions sur le passé, le présent et le devenir des littoraux. Les éditeurs (Yvonne BATTIAU-QUENEY, Yannick LAGEAT et Marie-Claire PRAT) et les Presses Universitaires de Bordeaux (LGPA-Éditions) peuvent être fiers de cette publication.
Pour citer cet article
Référence papier
Claude Martin, « L'homme et la dynamique littorale : maîtrise ou adaptation ?, sous la direction d'Yvonne BATTIAU-QUENEY, Yannick LAGEAT et Marie-Claire PRAT, 2014 », Physio-Géo, Volume 8 | -1, 1-4.
Référence électronique
Claude Martin, « L'homme et la dynamique littorale : maîtrise ou adaptation ?, sous la direction d'Yvonne BATTIAU-QUENEY, Yannick LAGEAT et Marie-Claire PRAT, 2014 », Physio-Géo [En ligne], Volume 8 | 2014, mis en ligne le 13 avril 2014, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/physio-geo/4003 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/physio-geo.4003
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