1Ce travail de thèse inclut l'étude de l'ensemble des milieux du delta du Tibre (fleuve, littoral et lagune). Chacun des milieux constituant ce delta est considéré de manière spécifique et étudié à l'échelle de l'Holocène. Le Tibre fait l'objet d'une attention particulière et permet de connecter l'histoire du delta à celle de son bassin versant.
2Le delta du Tibre est marqué très tôt par une présence humaine. Les premières traces d'occupation remontent avec certitude au IIIème millénaire av. J.C. sur les rives de la lagune de Maccarese. L'impact de l'homme sur son environnement est révélé dès le Néolithique dans le bassin versant du Tibre. Les premières grandes modifications environnementales dans le delta sont probablement à attribuer aux Étrusques, avec l'installation de salines dans la lagune de Maccarese au Ier millénaire av. J.C. L'histoire de ce delta est surtout marquée par deux sites majeurs, d'époque romaine, à l'embouchure du Tibre, qui concernent particulièrement ce travail : Ostie et Portus. Les interactions entre les sociétés et leur environnement sont ainsi prises en considération tout au long de la thèse.
3La méthodologie employée est assez classique pour les études géoarchéologiques. L'étude se construit autour d'une base de données géoréférencée avec une analyse cartographique régressive et des analyses photo-interprétatives. Les principales données fournies proviennent de carottages sédimentaires réalisés dans différents milieux de dépôt (fleuve, littoral, lagune, canaux). Ces carottes ont fait l'objet d'analyses paléoenvironnementales (granulométrie, diagramme de R. PASSEGA 1964 couplé à des analyses statistiques, susceptibilité magnétique, analyses minéralogiques, macrofaune, microfaune) replacées dans une chronologie basée sur des datations archéologiques, radiocarbones et OSL. La diversité de ces analyses a été permise par la contribution de nombreux collaborateurs.
4Cinq chapitres constituent cette thèse : le contexte d'étude à l'échelle du bassin versant du Tibre, mais aussi du littoral tyrrhénien (chapitre 1) ; une présentation des outils et méthodes employés pour l'étude de chacun des milieux du delta du Tibre (chapitre 2) ; une étude du couple lagunes – barrières et cordons littoraux et une proposition de scénario de la dynamique paléogéographique du nord du delta du Tibre (chapitre 3) ; une analyse géoarchéologique des relations entre Ostie et le Tibre et une analyse géohistorique des manifestations des crues du Tibre depuis l'Antiquité (chapitre 4) ; et enfin une étude du système Portus-Tibre par l'étude des canaux navigables d'époque romaine (chapitre 5). Le dernier chapitre (discussion / conclusion – chapitre 6) propose une approche nouvelle du diagramme de R. PASSEGA, un modèle d'analyse des courbes âge-profondeur du delta du Tibre et une synthèse géoarchéologique sur les sites d'Ostie et Portus.
5Trois carottages ont été réalisés dans la partie nord du delta du Tibre : dans la paléolagune de Maccarese (LM-2), au sud de cette paléolagune (PL-1) et dans les cordons littoraux (AR-1) (Fig. 1). Grâce aux données granulométriques, aux bioindicateurs et aux datations radiocarbones ou OSL, une succession chronologique des différents environnements a pu être reconstituée, comme il est classique de le faire en géomorphologie littorale. Ces résultats ont été comparés et ont permis de valider les reconstitutions paléogéographiques précédemment proposées pour le delta du Tibre (voir notamment P. BELLOTTI et al., 2007).
Figure 1 - Aires d'étude et localisation des carottages analysés dans la thèse.
6Pour chacune des trois carottes étudiées, il a été construit un modèle âge-profondeur intégrant les données paléoécologiques observées et les unités géomorphologiques associées. Ces données ont ensuite été confrontées à des courbes marines holocènes proposées dans la littérature. Ces modèles âge-profondeur paléoenvironnementaux ont ainsi permis : 1/ de définir un tracé type de courbe pour les "barrières – cordons littoraux" loin d'une embouchure ; 2/ d'observer de manière claire le lien entre la hausse du niveau marin, le taux de sédimentation littoral et le taux de sédimentation lagunaire ; 3/ de rediscuter la courbe de hausse du niveau marin, localement ; et 4/ d'envisager une subsidence / un exhaussement différentiel dans le delta du Tibre.
7Située à l'embouchure du Tibre, la ville d'Ostie est connue comme porte de Rome à l'époque républicaine (Fig. 1). Son noyau urbain remonterait au IVème s. av. / début IIIème s. av. J.C. En 42 ap. J.C., l'empereur CLAUDE décide d'implanter un second site portuaire, principalement maritime, à trois kilomètres au nord d'Ostie et de l'embouchure du Tibre. Dès lors, une question cruciale se pose : quelles sont les raisons qui ont conduit CLAUDE à fonder ce nouveau port ? Cette question n'est pas nouvelle et de nombreuses réponses ont déjà été apportées par les historiens et les archéologues en termes de logistique dans un contexte socio-politique et économique précis. Tout en considérant ces éléments de réponse, le but de cette thèse est de replacer la fondation de Portus dans son contexte climatique et hydrosédimentaire. Pour cela, sont apportées de nouvelles données paléoenvironnementales issues de l'analyse de carottes. Ces données sont ensuite replacées dans leur contexte géomorphologique et archéologique et sont intégrées à une réflexion géohistorique appuyée sur une relecture des textes anciens (caractéristiques, fréquence et saisonnalité des crues ; torrentialité).
8Les résultats géoarchéologiques les plus novateurs concernent le paléoméandre d'Ostie, nommé aussi Fiume Morto. Le lobe de ce paléoméandre révèle une croissance complexe qui pourrait avoir érodé la Via Ostiensis (axe de communication majeur entre Rome et Ostie) entre le IVème s. av. J.C. et le début du Ier s. ap. J.C. Cette fourchette chronologique est obtenue grâce aux données archéologiques et aux datations radiocarbone effectuées dans le chenal du Tibre.
9À cette mobilité du Tibre se serait ajoutée à la fin Ier s. av. / début du Ier s. ap. J.C., une crise hydrosédimentaire d'origine anthropo-climatique perceptible dans les textes anciens et dont on perçoit les conséquences à Ostie grâce aux données historiques (STRABON, Géographie) et archéologiques (B. PERRIER, 2007), et à d'autres indices géoarchéologiques (J.P. GOIRAN et al., 2012, 2014).
10La création de Portus est ainsi envisagée comme une réponse aux problèmes environnementaux posés à Ostie, mais aussi comme un nouveau défi posé aux architectes et ingénieurs romains. Comment créer un port tirant profit de sa connexion avec le Tibre (navigabilité jusqu'à Rome) sans en subir les conséquences négatives (comblement sédimentaire accéléré du port, inondations, etc.) ?
11Cette thèse étudie le comblement sédimentaire de deux canaux : le Canale Traverso et le Canale Romano (Fig 2). Le Canale Traverso est le seul canal attesté permettant la continuité de la navigation entre les bassins portuaires et le Tibre. Ce canal présente une sédimentation caractéristique d'un bassin portuaire avec la marque de quelques épisodes de crue. Il s'agit du canal le plus étroit connu à Portus, et il semble avoir été en fonction jusqu'au début du VIIème s. ap. J.C. Peu marqué par une sédimentation grossière provenant du Tibre, il fut toutefois l'objet de dragages. Le Canale Romano, creusé sous TRAJAN, est en fonction jusqu'au début du VIème s. ap. J.C. au plus tard. Après une phase de dépôt dans un milieu relativement calme, son comblement enregistre des dépôts de crue du Tibre. Ce canal, sous influence nette du fleuve, n'est pas relié directement aux bassins portuaires. Longeant une arrête du bassin de TRAJAN, il fut utilisé comme port-canal dans un système de transbordement entre navires maritimes et navires fluviaux.
12Si la charge solide du Tibre semble avoir été assez bien gérée à Portus (en tout cas pour la charge grossière), l'efficacité de ces canaux contre les inondations reste encore soumise à discussions.
Cadres institutionnels : Cette thèse a été préparée sous la direction de Jean-Paul BRAVARD, Professeur émérite de géographie à l'Université Lyon 2, et Jean-Philippe GOIRAN, Chargé de Recherche en géoarcheologie au CNRS (Maison de l'Orient Méditerranéen). Elle relève d'une recherche interdisciplinaire qui a bénéficié de soutiens financiers, logistiques et institutionnels de la part de l'Université Lumière Lyon 2, où a été réalisée la thèse, de l'UMR 5600 (Environnement-Ville-Société) et de sa composante IRG, mais aussi de la Soprintendenza Speciale per i Beni Archeologici di Roma, de l'École Française de Rome, de la British School at Rome, de l'Université de Southampton, de l'ANR POLTEVERE, du Programme ARTEMIS et de l'UMR 5133 (Archéorient).