1Le gouvernorat d'Assouan est situé au sud de l'Égypte, entre les latitudes 22° et 25° 30' Nord et les longitudes 31°30' et 33°30' Est (Fig. 1). Sa population est de 1200000 habitants et sa superficie est de 68680 km2 La pente générale, faible, va du sud vers le nord. La région est constituée principalement par la vallée du Nil, la seule peuplée, barrée à l'amont par le Haut Barrage d'Assouan qui retient le lac Nasser, accidentée par les îles de la Première Cataracte et qui sépare le plateau du désert libyque, à l'ouest, de celui du désert arabique, à l'est.
Figure 1 - Carte de localisation du gouvernorat d'Assouan.
Source : M. AL AMRAWY (2006).
2Les conditions naturelles très contraignantes (cf. ci-dessous) interdiraient toute occupation humaine permanente si le Nil ne traversait pas ce gouvernorat du sud au nord (Fig. 1). Le fleuve a ainsi permis la fixation d'un lieu de culte dès la période prédynastique, vers 3200 av. J.C., puis d'une agglomération dès la VIème ou la XIIème dynastie (Ancien Empire pharaonique, XXIIème - XXIème s. av. J.C.) (Anonyme, 1998). Jusqu'à la période contemporaine, les risques sont restés cependant peu importants pour la population et pour ses biens : la "crue" annuelle du Nil était généralement ressentie comme un bienfait dans le lit majeur du fleuve, même si son irrégularité pouvait provoquer des famines par son excès ou son insuffisance et les chutes de blocs provoquaient peu de dégâts. Au cours du XXème siècle, les conditions d'existence de la population ont été bouleversées par la construction de deux barrages successifs sur le Nil : d'abord le barrage d'Assouan stricto sensu, au début du XXème siècle, par les colonisateurs anglais, puis, à la fin des années 1960, le Haut Barrage d'Assouan. Enfin, le développement du tourisme archéologique et paysager dans le dernier quart du XXème siècle a accentué une forte croissance de la population.
3Cette population en fort accroissement est menacée par de nouveaux risques liés au Haut Barrage : le risque séismique très probablement provoqué par la formation du lac Nasser et qui a détruit ou endommagé gravement des constructions et le risque d'inondation des terres agricoles détruisant les récoltes sur les rives du lac. Indirectement, la mise en eau du lac a provoqué le déplacement des populations nubiennes qui occupaient la vallée du Nil à l'amont et leur regroupement sur la rive gauche du fleuve l'expose au risque d'ensablement. À l'inverse, l'inondation annuelle naturelle a disparu à l'aval du Haut Barrage où les risques de chutes de blocs restent stables.
4Une étude des risques naturels en Égypte se heurte à la faiblesse ou à l'inexistence des recherches et des études scientifiques habituelles dans un pays pauvre, même si l'histoire et le prestige du pays les restreignent dans ce cas particulier. Une autre limite, tout aussi importante, est constituée par l'absence de réelle politique des risques naturels en Égypte, de sorte que l'étude que nous présentons est, à notre connaissance, la première effectuée dans ce pays. Enfin, malgré une ouverture plus grande que dans bien des pays comparables, l'administration égyptienne ne fournit pas systématiquement les éléments de connaissance qu'elle possède. Au total, les données autres que celles élaborées par les chercheurs eux-mêmes, restent trop souvent qualitatives et limitent considérablement la compréhension des aléas, des enjeux et des risques.
5La lithostratigraphie de la région étudiée est très simple : selon R. SAID (1990), les roches qui affleurent dans le gouvernorat d'Assouan sont divisées en deux ensembles : les roches du socle (Photo 1) et la couverture sédimentaire.
Photo 1 - Affleurement du socle granitique formant un dyke au milieu du Nil à Assouan. [cliché : J.L. BALLAIS, 2002]
6Le socle précambrien de l'Égypte, de l'Éthiopie et de la Somalie, formait le bouclier arabe avant l'ouverture de la Mer Rouge (M. HERMINA et al, 1989). Il est constitué principalement de granite (Fig. 2). Les formations sédimentaires (Paléozoïque à Pléistocène), qui recouvrent le socle, comportent trois séquences principales : clastique inférieure, calcaire moyenne et clastique supérieure, de 700 m d'épaisseur (R. SAID, 1962 ; P. MORGAN, 1990), dont seule l'inférieure, le grès de Nubie, discordant sur le Précambrien, est largement représentée dans le gouvernorat d'Assouan (Fig. 2). L'épaisseur de cette formation reste généralement faible, mais elle peut atteindre 100 m à Assouan (F. VAN HOUTEN et D. BHATTACHARYYA, 1979). Les lits sont en général horizontaux. Selon le découpage de R. SAID (1962, figure 3), le gouvernorat d'Assouan s'étend à la fois sur le bouclier arabo-nubien et sur la plateforme stable (Fig. 3).
Figure 2 - Carte géologique simplifiée du gouvernorat d'Assouan.
Source : M. AL AMRAWY, d'après la carte géologique d'Assouan au 1/50000 (1987).
Figure 3 - Carte tectonique.
D'après N.S. EMBABI (2004).
7Le climat d'Assouan est un climat hyperaride subtropical (température moyenne annuelle : 26,3°C). En général, les températures de l'hiver sont modérées, tandis que l'été est chaud. L'ensoleillement atteint 3863 h/an. Les précipitations sont pratiquement nulles : 1 mm/an (N.S. EMBABI, 2004).
8La "crue" du Nil présente la chronologie suivante : après une période de basses eaux qui dure de novembre à mai, les eaux du Nil, appelé alors Nil Vert, commencent à monter et se chargent de matières organiques venus du Bahar El Ghazal. C'est le Nil Blanc (Fig. 4) qui fournit alors la part la plus importante des eaux du Nil en Égypte. La "crue", en fait les hautes eaux, est faible, puis les eaux vertes sont progressivement remplacées par les eaux rouges chargées de débris volcaniques et argileux, provenant de l'érosion hydrique des terrains des régions montagneuses d'Éthiopie, apportées par le Nil Bleu, c'est le Nil Rouge qui élève alors les eaux de près de 9 m au mois de septembre. Historiquement, depuis des millénaires (HÉRODOTE, 1980), cette "crue" du Nil est essentielle pour la vie de l'Égypte : si elle est trop faible, l'agriculture dépérit, si elle est trop forte les cultures et les constructions sont inondées. Dans le cas de ces deux extrêmes, c'est la famine qui menace la population.
Figure 4 - Le bassin du Nil.
D'après C. PARK (1997).
9Á partir d'Assouan, une nappe phréatique circulait dans les alluvions du lit majeur jusqu'à la Méditerranée; elle stockait l'eau pendant les hautes eaux et la restituait aux basses eaux, contribuant ainsi à la régularisation naturelle du Nil. Le Haut Barrage d'Assouan a perturbé ces mécanismes et fait disparaître la "crue".
10Le risque de chutes de blocs n'a pas été modifié par la construction du Haut Barrage et la disparition de la "crue" estivale du Nil, il continue, comme précédemment, à menacer une population relativement importante : environ 36 communes parmi les 236 communes du gouvernorat d'Assouan sont sujettes au risque de mouvements de terrain, dont un tiers avec un niveau de gravité fort vis-à-vis des populations. La plupart de ces communes (Fig. 5) situées au pied du talus oriental du Nil sont exposées à divers aléas dus à l'instabilité des versants formés principalement par du granite ou des bancs de grès (Fig. 6). La ville d'Assouan elle-même, construite sur le granite, n'est menacée que très localement, encore que les fissurations des petites buttes, les tors plus ou moins démantelés et les possibilités de soutirage des altérites conservées dans les fissures constituent des risques potentiels.
Figure 5 - Carte de localisation du phénomène de chute de blocs.
D'après la carte géologique d'Assouan au 1/50000 (1987).
Figure 6 - Roches et formations superficielles du talus.
D'après la carte géologique d'Assouan au 1/50000 (1987).
11En aval d'Assouan et jusqu'au nord d'Edfou, la rive droite du Nil est occupée par un bas plateau tantôt très proche du fleuve, tantôt s'en éloignant de plusieurs kilomètres. C'est l'évolution de son talus bordier occidental, long de 80 km, qui constitue le principal risque de chutes de blocs. Le talus peut être l'objet de deux types de mouvements de terrain : premièrement des mouvements dus à des fissurations du granite à cause de la grande amplitude thermique et des vibrations sismiques, deuxièmement des chutes de blocs de grès ou de calcaire lumachellique sur les argiles sous-jacentes.
12Plus de 40 % du talus oriental est formé de roches résistantes (R. SAID, 1990), représentées essentiellement par les grès et les calcaires qui arment les principales crêtes. Ces roches gréseuses sont diaclasées et possèdent une forte porosité. Elles fournissent un matériel de blocs anguleux qui tapisse le versant du talus, sous l'action de la thermoclastie et de l'érosion pluviale. La thermoclastie consiste en la fragmentation mécanique des matériaux rocheux sous l'effet de nombreuses et importantes variations quotidiennes de température (M. MIETTON, 1998) (Photo 2). Les caractéristiques climatiques d'Assouan, fortes températures d'été, fort ensoleillement et hyperaridité sont très favorables à ce processus. La thermoclastie fonctionne au moins depuis les périodes anciennes de l'Holocène, mais son efficacité reste source de polémique (M. MIETTON, 1988 ; A.S. GOUDIE, 1997).
Photo 2 - Effets de la thermoclastie à Abou er Rishe. [cliché : M. AL AMRAWY, 2002]
13Malgré un taux annuel de précipitations quasi nul, la pluie peut tomber sous forme d'averses très courtes qui génèrent des rigoles en roche meuble. À Abou er Rishe et El Mahameid, le ruissellement provoque le soutirage de la matrice beige sablo-limoneuse de coulées de solifluxion fossiles, épaisses de un à quelques mètres, et met en porte-à-faux les blocs qu'elles contiennent (Photo 3). Selon les témoignages des habitants, certains oueds élémentaires peuvent encore couler parfois : on cite une crue en 1985 et une autre en 1997, qui ont provoqué des dégâts et des victimes.
Photo 3 - Soutirage dans une coulée de solifluxion à El Mahameid. [cliché : J.L. BALLAIS, 2002]
14Selon G. HEMDAN (1984), les fissures du talus ont subi le rôle érosif de la pluie à la fin de la dernière période humide holocène. Les quantités de pluies tombées durant cette période étaient alors suffisantes pour provoquer des ruissellements sur la surface du talus et former les oueds qui l'entaillent. L'affouillement par le ruissellement provoquait alors le basculement des blocs tombés sur la pente. Ces processus morphogéniques favorisent l'apparition et le développement de fissures (Photo 4) à motifs variés en fonction du diaclasage, mais aussi soit par les séismes, soit par le chemin du fer. En effet, au moins 26 trains passent actuellement chaque jour au pied du talus, ce qui cause de petites vibrations ressenties dans les maisons. Finalement, de grands blocs tombent au pied du talus.
Photo 4 - Fissurations verticales et horizontales sur le versant du talus et les masses tombées sur le versant d'Abou er Rishe. [cliché : M. AL AMRAWY, 2002]
15On observe également des glissements bancs sur bancs ou glissements en planche (A. MARRE, 1998) (Photo 5).
Photo 5 - Glissement banc sur banc des roches cohérentes sur le versant d'Abou er Rishe. [cliché : M. AL AMRAWY, 2002]
16Au sud d'Abou er Rishe, ils affectent une bonne partie du versant. Les décrochements et les glissements se manifestent au niveau des joints de stratification de grès massifs, à gros bancs, intercalés de bancs décimétriques de grès lités. Entre les deux, l'eau infiltrée favorise le glissement.
17On peut finalement proposer trois types d'aléas en fonction de l'importance du risque pour les habitations situées en contrebas (Photos 2, 4, 5). Le premier correspond au cas d'une corniche au-dessus d'un versant régulier sans dépôt de solifluxion : le risque est presque nul. Le deuxième est constitué par le cas de blocs glissés : le risque est alors fonction de la densité de ces blocs. Le troisième est représenté par le cas d'une épaisse corniche de grès à grandes diaclases orthogonales qui favorisent un débitage en prismes aux angles de plus en plus arrondis et de plus en plus écartés vers le haut, où le risque est fort.
18D'après l'enquête réalisée en 2002 (M. AL AMRAWY, 2006), les habitants d'Abou er Rishe et d'El Mahameid considèrent que le risque lié aux chutes des blocs est le plus menaçant de tous les risques naturels dans la région d'Assouan mais, dans l'ensemble du gouvernorat, ce risque ne vient qu'en deuxième position (25 %) après le risque séismique.
19Cette perception du risque n'empêche pas certaines pratiques dangereuses comme le creu-ement dans la base du talus pour accroître la surface de la maison, ou l'excavation de carrières dans le banc calcaire basal, interventions qui déstabilisent les dépôts de solifluxion fossile. C'est ainsi que trois personnes ont été tuées par des chutes de blocs à El Mahameid en 1996.
20Cependant l'évolution doit être très lente, car des tombeaux pharaoniques ou antiques, creusés dans les affleurements calcaires du talus, ne sont pas perturbés. Cette lenteur de l'évolution est confirmée par l'omniprésence de la patine beige qui recouvre blocs et affleurements cohérents.
21En revanche, les énormes tas de déblais des mines des phosphates exploités sur le plateau et qui s'accumulent à l'amont des villages et bouchent le lit des oueds ne semblent pas inquiéter les populations.
22Un séisme de magnitude 5,3 sur l'échelle de Richter a affecté la région le 14 novembre 1981 à 11 heures du matin (M. AWAD et M. MIZOUE, 1995). Il s'est produit le long d'un segment de 10 kilomètres de la faille de Kalabsha, à 60 km au sud-ouest du Haut Barrage (Fig. 7), entre 15 et 25 kilomètres de profondeur (D. SIMPSON et al, 1990).
Figure 7 - Répartition de l'intensité sismique le 14 novembre 1981.
D'après A. EL SAYED et R. WALSTRÖM (1996).
23Généralement, les dégâts dans les constructions ont été faibles car le Haut Barrage a été conçu pour résister à un séisme de magnitude de 7 et il n'y avait pas d'importantes constructions en béton à Assouan, à l'exception de la centrale hydroélectrique dont une partie du bâtiment a néanmoins été fissurée. La plupart des constructions avaient un seul ou deux étages maximum et étaient faites de limons et de matériaux traditionnels. Actuellement, si un tremblement de terre de magnitude 5,3 affectait Assouan, les dégâts seraient plus importants que les précédents à cause de la croissance de la population et des nouvelles constructions effectuées sans application de normes parasismiques (bâtiments, hôtels sur les îles du Nil, etc.) (Fig. 8).
Figure 8 - Les constructions à Assouan.
Source : M. AL AMRAWY (2006).
24Malgré les faibles dégâts occasionnés par ce séisme, l'enquête faite auprès de la population 21 ans après (M. AL AMRAWY, 2006) montre que plus de 99 % des témoins ne veulent pas revenir sur ce mauvais souvenir et veulent l'oublier et 65 % des personnes interrogées considèrent que c'est le risque naturel le plus probable.
25La plaine de Nubie, d'environ 20000 km2, est couverte par le lac Nasser quand le niveau du remplissage dépasse 174 m (Fig. 9). Dans le secteur de l'oued Kalabsha, on observe deux directions de failles : nord-sud, d'une part, et est-ouest, d'autre part, comme la faille de Kalabsha constituée d'un faisceau de plusieurs tracés parallèles et qui s'étend de l'oued Kalabsha à l'escarpement du plateau de Sin El Kaddab en passant par le djebel Marawa.
Figure 9 - Carte géologique de la partie occidentale du lac Nasser.
Source : M. AL ARAMWY (2006).
26Dans cet ensemble tectoniquement très stable, des séismes historiques ne sont pas connus. Cependant, en rive gauche du Nil, à l'aval de Gharb Assouan, dans les Tombes des Nobles, le plafond de l'hypogée de Mekhou et Sebni, probablement daté de 2181 av. J.C., est dénivelé de quelques centimètres par des cassures et un de ses piliers est cassé et vrillé de quelques centimètres. Il s'agit probablement des effets d'un séisme, mais on ne peut totalement exclure qu'il s'agisse de celui de 1981.
27L'activité séismique récente a été très rapidement expliquée par la formation et le remplissage du lac Nasser (R.M. KEBEASY et al. 1982 ; R.M. KEBEASY et al. ; 1987, ; D. SIMPSON et al.. 1990 ; M. AWAD et M. MIZOUE, 1995), ce qui avait été prévu lors de la construction. En conséquence, afin d'expliquer tout rapprochement entre le niveau du réservoir et la séismicité à Assouan, il est nécessaire d'abord de comprendre la relation entre ce niveau et l'extension latérale du réservoir.
28De 1975 à 1985, l'extension du réservoir dans la région de Kalabsha a varié sensiblement. Les variations les plus importantes ont eu lieu lors de l'inondation de 1981 et au moment des vidanges successives pendant les périodes de sécheresse dans la dépression d'Abu Riheiwa au nord du djebel Marawa (Fig. 10). La baisse du niveau d'eau dans la dépression a provoqué la formation de plusieurs chenaux séparés par des affleurements rocheux.
Figure 10 - Élévation du niveau de l'eau dans le lac Nasser (1964-1986) et tremblements de terre les plus importants après l'inondation des zones de Kalabsha et Marawa.
D'après D. SIMPSON et al. (1989).
29Le tremblement de terre du 14 novembre 1981 s'est produit immédiatement après que le niveau d'eau saisonnier maximum ait été atteint. Il y a eu ensuite une diminution générale du taux d'activité séismique. Dans le détail, d'après les travaux de D. SIMPSON et al. (1989), l'évolution a été la suivante :
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Août - septembre 1982 : le plus grand tremblement de terre (magnitude 4,69) s'est produit le 20 août 1982 sous le djebel Marawa. Il a été suivi de répliques pendant neuf jours. Le niveau du lac est resté élevé jusqu'au début de septembre après que le minimum saisonnier ait été atteint le 11 août.
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Novembre 1982 - mars 1983 : le niveau du lac a atteint son maximum le 13 novembre, neuf jours avant le commencement de la séismicité. Un tremblement de terre de 4,2 sur l'échelle de RICHTER s'est produit à la fin de cette période (24 février 1983).
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Décembre 1983 - mars 1984 : l'augmentation de l'activité sismique a commencé à la fin de 1983 à des profondeurs faibles au nord-est du djebel Marawa. À ce moment, le niveau du lac a baissé suffisamment pour entraîner la vidange de la dépression d'Abu Riheiwa et sur tout le secteur au sud de Marawa. À la fin de cette période, deux tremblements de terre de magnitude 3,4 se sont produits pendant le pic de crue peu élevé de la crue de février 1984. Le niveau d'eau a commencé à baisser le 10 décembre et la séismicité a débuté le 22 décembre, douze jours plus tard.
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Novembre - décembre 1984 : la variation annuelle du niveau de l'eau en 1984 a été nettement moins importante que les années précédentes et le niveau maximum de l'eau n'a jamais été aussi bas depuis 1975. Le niveau du lac a commencé à diminuer le 20 octobre et une augmentation mineure de la séismicité est apparue le 13 novembre. Les hypocentres pour ces événements sont exactement situés au nord-est du djebel Marawa.
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Juin 1987 : un tremblement de terre peu profond et peu puissant (magnitude 3,7), au nord-est du djebel Marawa, s'est produit le 15 juin 1987. Dix jours plus tôt, le 5 juin, il y avait eu une accélération du taux d'abaissement moyen du niveau de l'eau dans le lac qui est passé de trois centimètres par jour avant le 1er juin à huit centimètres par jour juste avant le 15 juin. Le niveau de l'eau était alors le plus bas depuis 16 ans. Il n'y a eu aucun changement net du niveau d'activité sismique avec les variations du niveau de l'eau pendant l'année 1987.
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1988 : l'activité séismique a continué de manière faible avec la baisse du niveau de l'eau de 1985 à 1988, il n'y a eu aucune augmentation nette de la séismicité liée aux maximums saisonniers du niveau de l'eau dans cette période. En 1985 et 1988, on a observé une grande augmentation d'activité pendant le milieu de l'année, proche de la période des minimums de niveau de l'eau du lac. Le niveau de l'activité est demeuré relativement constant tout au long de l'année1988.
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Juin - juillet 1989: l'augmentation du niveau de l'activité sismique en juillet 1989 est intéressante en raison de sa similitude avec l'activité sismique de juin 1987 : l'augmentation de l'activité sismique en 1989 se produit sur approximativement le même laps de temps.
30À la fin de l'année 1989, l'importante activité séismique s'est arrêtée au moment du remplissage complet du lac qui a exercé une certaine pression sur la zone et par conséquence a limité le libre mouvement du substratum, favorisant une quasi-stabilité, voire une stabilité complète, témoignée par l'absence d'activité sismique dans la région depuis 1989.
31Depuis 1945 (H.K. GUPTA, 1990), le rôle des lacs artificiels est reconnu dans le déclenchement de séismes, y compris en zone tectoniquement stable et on dénombre actuellement 95 de ces lacs dont 16 ont provoqué, comme le lac Nasser, des séismes de magnitude supérieure à 5 (H.K. GUPTA, 2005).
32En utilisant les données de l'Institut des séismes au Caire, nous avons effectué une étude statistique sur tous les séismes susceptibles d'avoir touché Assouan. La ville n'est pas clairement citée dans de nombreux séismes et nous avons été contraints d'estimer si elle avait ou non été affectée, en essayant de rester le plus objectif possible. Nous avons donc évidemment retenu les événements dans lesquels Assouan était explicitement citée, mais aussi ceux qui ont affecté Abou Simbel, Gharb Assouan, voire plus largement le Sud de l'Égypte pendant la période de 1981 à 1992 (Fig. 11). Il y a eu ainsi 132 séismes en 12 ans, ce qui fait une moyenne de onze séismes chaque année, mais le graphique montre une grande variation entre 1987 (25 séismes) et 1992 (3 séismes), ce qui confirme l'irrégularité de la répartition temporelle des séismes.
Figure 11 - Nombre de séismes à Assouan entre 1981 et 1992.
Source : Institut des Séismes, Le Caire.
33En conclusion, nous pouvons dire que les phénomènes séismiques sont récurrents, mais non réguliers. Il est par conséquent impossible de prévoir quand va survenir un séisme via une étude statistique. De même, l'intensité ou la magnitude des futurs séismes n'est pas déterminable. La seule certitude est que la zone concernée est toujours active et l'on peut être assuré que d'autres séismes surviendront dans l'avenir. Une prévision affinée supposerait des mesures géophysiques telles que celles utilisées par H.K. GUPTA (2005) à Koyna, en Inde. Il n'est donc pas possible actuellement de concevoir un système d'alerte de la population et la construction selon les règles parasismiques reste la meilleure prévention.
34Pour bien caractériser les plus importantes "crues" du Nil, nous détaillerons celle de l'automne 1998 à Assouan qui est considérée comme une période dramatique dans l'hydrologie du Nil. En 1998, les précipitations ont été abondantes sur le plateau d'Éthiopie et les débits moyens mensuels indiquent le gonflement hydrométrique exceptionnel des eaux de la crue à Assouan pendant l'automne (Tab. I). Ces eaux ont largement débordé les limites atteintes habituellement par le Nil et provoqué des inondations répétées dans le lac Nasser.
Tableau I - Valeurs mensuelles des précipitations sur le plateau d'Éthiopie et débits moyens mensuels du Nil à Assouan en 1998.
Source : Autorité Météorologique Égyptienne.
35Le 12 novembre 1998, le lac a atteint le niveau de 181,3 m (Fig. 12). C'est le plus haut niveau depuis la construction du Haut Barrage (1970). Cette hauteur a représenté un fort risque pour la solidité de ce Haut Barrage, car la capacité maximum du stockage dans le lac Nasser correspond à une hauteur d'eau de 182 m, contrôlée par le déversoir.
Figure 12 - Niveau du lac Nasser du 1er janvier au 31 décembre 1998.
Source : Service Hydraulique du Nil.
36L'image du satellite Atlanta au mois de mars 2001 montre que l'eau qui s'est accumulée dans le lac Nasser a formé de nouveaux lacs (Fig. 13) d'une capacité de 21 milliards de m3 et d'une surface de 300 km2 dans la région de Toushka qui fait l'objet d'un grand projet de développement agricole, et que la diffluence vers la Nouvelle Vallée (El Wadi el Gdid) (N.S. EMBABI, 1977) a fonctionné pour la première fois depuis 1970. D'après les renseignements que nous avons obtenus des paysans par l'enquête orale et les rapports de mise en valeur des terres cultivées, établis par le Ministère de l'Agriculture, ainsi que ceux établis par le Service de l'Hydraulique, les limites extrêmes des inondations dans les différents secteurs du lac Nasser, ont dépassé les bords habituels de 17 km.
Figure 13 - Apparition de nouveaux lacs dans le bassin de Toushka après la crue de 1998.
Source : Ministère de l'irrigation.
37Les dégâts furent très importants : environ 28000 hectares de champs cultivés en pommes de terre et tomates principalement (Photo 6) ont été inondés, quelques maisons ont été touchées et environ 1000 familles ont du être déplacées (il s'agit de familles originaires du delta du Nil, installées là sur des terres à coût réduit). La ville d'Abou Simbel, célèbre destination touristique à l'amont d'Assouan (Photo 7) et plusieurs villages (Photo 8) ont été isolés par l'inondation, car le principal pont sur l'autoroute entre Assouan et Abou Simbel a été détruit. Tous les chantiers navals de la rive occidentale du lac Nasser à Assouan ont été inondés car les responsables n'avaient pas prévu que la crue pourrait atteindre un tel niveau (Photo 9). La route vers l'usine de conserves de poissons à l'ouest du Haut Barrage à Assouan a été complètement submergée (Photo 10) et ne fonctionnait toujours pas en février 2002. Le bilan des dégâts s'est élevé à 5 millions de dollars.
Photo 6 - Submersion d'une zone expérimentale d'agriculture sur la rive gauche du lac Nasser. [cliché M. AL AMRAWY, 1999]
Photo 7 - Inondation à Abou Simbel. [cliché : M. AL AMRAWY, 1999]
Photo 8 - Un village isolé par l'inondation à 150 km au sud d'Assouan. [cliché M. AL AMRAWY, 1999]
Photo 9 - Inondation des chantiers navals. [cliché M. AL AMRAWY, 1999]
Photo 10 - Route de l'usine de conserves de poissons inondée. [cliché M. AL AMRAWY, 1999]
38Malgré la connaissance millénaire acquise sur le Nil, en particulier par les nilomètres qui se sont succédé au cours du temps, entre Assouan et Le Caire, l'inondation de 1998 a montré les limites réelles de la gestion de volumes d'eau aussi énormes et le risque encouru par l'installation d'agriculteurs à une altitude inférieure à celle du déversement vers la Nouvelle Vallée. Cependant, lors de l'enquête effectuée en 2002 (M. AL AMRAWY, 2006), seulement 10 % des personnes interrogées plaçaient le risque d'inondation comme le plus probable parmi les risques naturels. Dans l'hypothèse de la réalisation de ce projet gigantesque de la Nouvelle Vallée, prévue en 2020, une nouvelle inondation serait évitée puisque le surplus d'eau serait directement envoyé dans les conduits vers les oasis du désert libyque.
39La construction du Haut Barrage devait permettre le stockage de l'équivalent du débit annuel du Nil dans le lac Nasser ainsi formé et, par conséquent, faire disparaître la "crue" mythique du Nil en été. Si la variation du niveau du fleuve n'est plus que de quelques dizaines de centimètres à Assouan, à l'aval du Haut Barrage, en revanche, à l'amont, c'est le lac Nasser lui-même qui est sujet à des inondations. L'inondation de 1998 a été la plus grave sur le plan de la destruction des biens et le nombre des victimes depuis la construction du Haut Barrage.
40La croissance de l'agglomération d'Assouan et son développement sur la rive gauche du fleuve (voir Fig. 8) ont créé un nouveau risque, celui d'ensablement, à partir d'un aléa, le déplacement de sable, qui ne pouvait en aucune façon être ignoré des autorités et de la population.
41Les déplacements de sable sont très fréquents à l'ouest du Nil (Fig. 14). En revanche, cet aléa est inexistant à l'est du Nil parce que le cours du fleuve intercepte ce mouvement et seules des poussières peuvent traverser le fleuve, poussières sur les effets desquelles aucune donnée n'existe.
Figure 14 - Répartition des couvertures sableuses dans le désert libyque.
Source : N.S. EMBABI, 2004.
42Les formes et formations sableuses qui menacent les habitations ne sont pas visibles sur les cartes topographiques à petite échelle, seule l'étude de terrain permet de les révéler (Fig. 15). Le sable va du nord-ouest vers le sud-est où il atteint le cours du Nil (Fig. 15 et Photo 11). Il se déplace à une vitesse moyenne de l'ordre de 100 m/an, en particulier sous la forme de voiles, de manteaux et de barkhanes qui atteignent jusqu'à 300 m de large et 18 m de haut en face de la ville d'Assouan et seulement 2 m à Naja El Shdid (Photo 12). Le sens de déplacement du sable est confirmé par les très rares stries de corrasion non patinées observées sur de grands blocs de grès, alors que ni les tombeaux pharaoniques les plus septentrionaux (sous le vent), ni la petite mosquée d'Abou el Hawa ne sont corradés.
Figure 15 - Carte des formations éolienneset localisation des zones exposées au risque d'ensablement à Assouan.
Source : N.S. EMBABI, 2004.
Photo 11 - Déplacement de sable vers les habitations à Gharb Assouan. [cliché : M. AL AMRAWY, 2004]
Photo 12 - Déplacement de sable vers les habitations à Naja El Shdid. [Cliché M. AL AMRAWY, 2004]
43D'après les statistiques sur la fréquence des directions des vents enregistrées à la station météorologique d'Assouan (Autorité Météorologique Égyptienne), les vents du nord représentent 49 % de l'ensemble des directions, viennent ensuite les vents de nord-ouest avec 24 % des fréquences.
44Le tableau II montre que la moyenne annuelle de la vitesse du vent dans le gouvernorat d'Assouan atteint 15,8 nœuds avec un maximum au printemps (16,7 dont 17 en avril).
Tableau II - Moyennes mensuelles, saisonnières et annuelle de la vitesse du vent à Assouan en nœuds (1967-2000).
Source : Autorité Météorologique Égyptienne.
45Depuis des millénaires, même si la rive gauche du Nil était très peu peuplée et les enjeux extrêmement réduits, le déplacement éolien du sable ne pouvait pas être ignoré. En effet, demeure des morts pendant la période pharaonique, elle abrite plusieurs hypogées ; un village actuellement en ruine et son église en cours de fouilles leur a succédé, à proximité du monastère de Saint Siméon. Depuis l'islamisation au moins, elle a été exploitée en carrière et une mosquée (celle d'Abou EL HAWA, le "saint du vent", XXème siècle) et un mausolée (celui du prince Agha Khan III, qui date de 1959) y ont été construits. Mais seulement 5 % des personnes interrogées en 2002 dans le gouvernorat d'Assouan plaçaient le déplacement du sable en tête des risques naturels (M. AL AMRAWY, 2006).
46Par exemple, en février 2002, il y avait quatorze maisons sur la rive gauche du Nil, à Gharb Assouan, qui étaient menacées par le déplacement du sable (voir Photo 11). Les habitations de ce quartier périphérique, qui compte maintenant au moins 30000 habitants, sont occupées par des populations nubiennes qui ont dû quitter leurs maisons et leurs champs submergés par la mise en eau du lac Nasser et donc, d'un certain point de vue, le risque d'ensablement est aussi une conséquence de la construction du Haut Barrage. Nous n'avons trouvé aucune étude sur les risques sanitaires liés aux déplacements de sable éolien, en particulier sur les risques ophtalmologiques. Il ne semble pas non plus que les autorités aient pris des dispositions pour éviter que les habitations soient envahies par le sable, à part la construction, localement, de murets de pierre ; mais cette négligence vis-à-vis du risque de déplacement de sable éolien n'est pas une situation spécifique à l'Égypte, elle s'observe dans d'autres pays désertiques comme l'Algérie, par exemple à El Oued (J.L. BALLAIS, 2005).
47Avant la construction du Haut Barrage, les habitants et leurs biens étaient menacés principalement par la "crue" annuelle du Nil qu'ils connaissent bien, qu'ils ne craignent pas et qu'ils considèrent, à juste titre, comme généralement bénéfique. Très localement, des chutes de blocs affectaient les habitations de la rive droite en aval d'Assouan. La surface affectée par ces risques se limitait à un étroit liseré de part et d'autre du fleuve.
48La construction du Haut Barrage a supprimé à peu près totalement l'inondation annuelle du Nil et les risques qu'elle faisait peser en aval. En revanche, la population est maintenant menacée par les inondations autour du lac Nasser. En effet, malgré son énorme volume (qui va en diminuant par suite du piégeage des limons), ce lac ne peut pas absorber les "crues" les plus fortes du Nil. Cela se traduit donc par des inondations catastrophiques sur ses rives, qui ont été colonisées par des populations venues de la basse vallée.
49Le remplissage du réservoir du Haut Barrage a provoqué l'apparition d'un nouveau risque, le risque sismique. En effet, même si de petits séismes ont pu passer inaperçus avant 1964, il semble bien que, comme pour d'autres lacs de barrage, le remplissage du lac Nasser soit à l'origine des séismes enregistrés depuis 1981. Si le Haut Barrage est prévu pour résister à une magnitude de 7 sur l'échelle de RICHTER, la ville d'Assouan ne paraît nullement protégée pour des séismes de magnitude supérieure à 5.
50Un dernier risque, celui lié aux déplacements de sable éolien, est également une conséquence de la construction du Haut Barrage, puisque les mouvements de sable affectent les populations nubiennes transférées de la vallée amont vers Gharb Assouan, en rive gauche. Dans ce cas également, l'aléa était connu mais a été négligé.
51Au total, la construction du Haut Barrage a donc fait apparaître de nouveaux risques et augmenté les superficies affectées par les risques naturels, leur extension autour du lac Nasser, à la ville d'Assouan et sur la rive occidentale du Nil, faisant plus que compenser leur réduction dans la vallée aval.
52De façon générale, cette première étude des risques naturels réalisée en Égypte montre que l'intensité des risques reste faible, à l'exception de l'inondation du lac Nasser et, potentiellement, de celle des séismes, qui provoquent de graves dégâts matériels, mais peu de victimes humaines. Enfin, en l'absence de toute prévision, de toute prévention et de toute organisation des secours, la lutte contre ces risques naturels est actuellement laissée à la charge des populations menacées.
53HERMINA M., KLITZSCH L. et LIST F.K. (1989) - Stratigraphic lexicon and explanatorynotes to the geological map of Egypt, scale 1:500,000. Édit. Conoco Coral and Egyptian General Petroleum Corporation, Le Caire, 263 p.