1Les accumulations sableuses qui constituent les plages et le cordon dunaire sont soumises aux actions conjuguées de la mer et du vent. Les échanges dans le système plage-dune s'effectuent en général grâce aux processus aérodynamiques. Les processus de formation d'un cordon dunaire dans la zone étudiée correspondent à la mobilisation par le vent des sédiments déposés au niveau des plus hautes mers. Pour transporter les sédiments, le vent doit souffler à des vitesses suffisamment élevées. Ces matériaux s'accumulent dès qu'ils sont arrêtés par des obstacles, principalement la végétation et les irrégularités topographiques dans les zones dunaires ou lorsque la vitesse du vent décroît. Les mesures du transit sableux par piégeage in situ, sur la plage de la ville d'El Jadida et la plage d'El Haouzia ont pour objectif de :
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quantifier le transit sédimentaire ;
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déterminer les seuils de mise en mouvement des sables ;
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tester les formules de transport disponibles pour déterminer celles qui peuvent être utilisées pour calculer le transport éolien sur le littoral d'El Jadida ;
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simuler le transport sédimentaire éolien pendant une année.
2Les données météorologiques utilisées sont celles des stations d'El Jadida, Casablanca et Safi. Cette démarche a été fréquemment appliquée sur plusieurs littoraux dans le monde (RD. SARRE, 1988 ; R.G.D. DAVIDSON-ARNOTT et M.N. LAW, 1996 ; M.C. PRAT et J.N. SALOMON, 1997 ; S. SUANEZ, 1997 ; R. PEDREROS, 2000 ; C. MC KENNA NEUMAN et al., 2000 ; F. SABATIER et al., 2002 ; B.O. BAUER et al., 2009 ; A. TRESCA, 2013).
3La baie d'El Haouzia, située sur la façade atlantique marocaine (entre 33° 15' et 33° 21' 40'' Nord et 8° 18' et 8° 30' Ouest), est orientée nord-est - sud-ouest (Fig. 1). Cette baie est délimitée au sud par les infrastructures portuaires (port d'El Jadida) et au nord par le cap rocheux d'Azemmour. Elle représente un stock sableux conséquent affecté par des transits littoraux importants. Elle est caractérisée par l'affleurement des bancs rocheux, des zones d'accumulation de galets, un estran surbaissé et des dunes basses dégradées avec des siffle-vents. Les sédiments composant ce littoral se caractérisent par un grain moyen dont la taille correspond à un sable moyen ou un sable fin (le mode varie de 0,160 à 0,250 mm), ce qui rend le sédiment particulièrement sensible au transport éolien. L'embouchure de l'oued Oum Rbia sépare les plages d'El Haouzia et de L.A. Bahria.
Figure 1 - Cartes de localisation de la baie d'El Haouzia.
4La baie d'El Haouzia présente une organisation transversale classique (Photo 1), avec des unités morphodynamiques homogènes constituées d'un estran (80 à 200 m de largeur), sans barres, avec des pentes douces et régulières (entre 5° et 8°) permettant une efficace dissipation de l'énergie de la houle, d'une plage (30 à 70 m de largeur) et de dunes littorales (embryonnaires, de 6 m de hauteur ; bordières ; anciennes et végétalisées, atteignant 25 m de hauteur). L'évolution du littoral d'El Jadida se fait sous l'influence combinée des houles dominantes de secteur nord-nord-ouest et nord-ouest (78,03 %) et des houles de direction secondaires nord, ouest-nord-ouest et ouest. Le climat de houle est régulièrement agité puisque les hauteurs significatives supérieures à 2 m dépassent 40 % des cas. Les houles les plus efficaces sont celles dont la période est la plus longue (> 11 s) et représentent 59,4 % des observations. Ce littoral est soumis à un marnage supérieur à 4 m pendant les marées de vive-eau.
Photo 1 - Le cordon dunaire du nord de la plage d'El Haouzia, en rive gauche de l'oued Oum Rbia.
5Les variations saisonnières du climat marocain sont liées à la présence et aux déplacements latitudinaux de l'anticyclone des Açores. Le régime des vents au Maroc est sous la dépendance de deux systèmes de circulation atmosphérique, ce qui explique les deux phases climatiques annuelles, l'une humide, l'autre sèche. Les fronts froids arrivent et touchent le Maroc (surtout la frange littorale) pendant l'hiver, amenant du vent et de la pluie. Au cours de cette période, les vents de secteur sud-ouest dominent, tandis que les vents de secteur nord-ouest soufflent pendant le mois de septembre. En revanche, le déplacement de l'anticyclone des Açores vers le nord permet la remontée des cellules atmosphériques tropicales, et les vents violents et secs de secteur nord-est dominent durant le printemps et l'été, favorisant les échanges plage-dune.
6Les pièges à sables utilisés, sur le modèle de ceux de S.P. LEATHERMAN (1978), se présentent sous forme de tubes en PVC d'un diamètre de 3,8 cm dans lesquels ont été découpées deux fentes. Afin de séparer les différents modes de transport dans la colonne d'air, trois hauteurs de pièges sont utilisées (Fig. 2).
Figure 2 - Type de piège utilisé pour mesurer le transport éolien.
7Dans cette étude, nous avons effectué un total de 24 campagnes de mesures, soit soixante prélèvements par série de piégeages. Les sites expérimentaux de mesure du transport éolien se caractérisent par un profil généralement uniforme composé d'un estran, d'une plage et de dunes (voir supra). Les pièges éoliens ont été positionnés sur la plage et sur une dune bordière (Fig. 3).
Figure 3 - Les différentes positions des pièges éoliens sur les unités morphologiques de la plage d'El Haouzia en fonction du vent dominant.
H.M. : haute mer.
8Les mesures, d'une durée de 20 minutes chacune, ont été effectuées selon des orientations et des vitesses de vent différentes (vents parallèles au trait de côte et vents de mer). Les autres directions (vents de terre) interviennent peu à cause des barrières aérodynamiques (collines, végétation…). La vitesse et la direction des vents sont mesurées lors de chaque expérimentation à partir des données du service météorologique d'El Jadida situé à 3 km au sud-est du site. La rose des vents, au cours des mesures in situ (Fig. 4), montre l'existence de trois directions dominantes nord à nord-est, ouest et sud-ouest. Les sables piégés dans chaque tube de PVC sont ensuite collectés, séchés, pesés et tamisés en laboratoire.
Figure 4 - Distribution des vents au cours des mesures in situ à El Jadida.
9La vitesse, la durée et l'orientation des vents ont été mises en relation avec le poids total et la granulométrie des sables capturés par les trois pièges. Les expériences ont été réalisées pendant les étales de pleine mer et de basse mer. Un modèle conceptuel de transit et de bilan sédimentaires, durant les épisodes où le transit éolien est effectif, sera proposé à partir des mesures in situ.
10Plusieurs formules de prévision de la quantité de sables transportée par le vent ont été obtenues théoriquement et expérimentalement par divers chercheurs depuis 50 ans, (S.A. HSU, 1974 ; K. HORIKAWA et al., 1986 ; K. PYE et H. TSOAR, 1990 ; D.J. SHERMAN et B.O. BAUER, 1993 ; P. BRETEL, 1995 ; D.J. SHERMAN et al., 1996 ; CEM., 1998), soit en modèles réduits (soufflerie), soit à partir de mesures in situ. Ces formules peuvent prévoir le transport avec un degré d'exactitude raisonnable si le coefficient empirique est bien déterminé (F. SABATIER et al, 2002). Elles ont été testées à plusieurs reprises dans différents endroits : en Camargue (F. SABATIER, 2001), sur le littoral girondin(R. PEDREROS, 2000), sur la côte d'Opale (S. VANHEEet al., 2002 ; A. TRESCA, 2013).
11Parmi les expressions prédictives du flux horizontal issues de travaux de recherche en laboratoire et sur le terrain, nous retenons principalement cinq équations. Ces formules que nous utiliserons par la suite dans les calculs des flux potentiels, prennent en compte la granulométrie du sédiment. Elles sont considérées comme les modèles de référence pour la prédiction des flux de transport éolien. Toutefois elles négligent certains éléments (humidité, marée, fetch efficace, granulométrie et cohésion des sédiments…) et correspondent donc à des conditions environnementales "idéales" (sables secs, absence d'obstacle, surface horizontale).
12Q = K (D50 / D)0,50 ( / g) u*3
où Q est le taux du transport en g/s/cm, K un coefficient d'ajustement (1,5 pour les sables homogènes ; 1,8 pour les sables bien classés ; 2,5 pour les sables mal classés), D50 la taille moyenne des sables étudiés en mm, D la taille théorique d'un grain moyen standard (0,250 mm), la densité de l'air (1,226 10-3 g/cm3), g l'accélération par la gravité (980 cm/s²) et u* la vitesse de frottement en cm/s.
13Cette formule repose sur des mesures en laboratoire et sur le terrain. C'est la première équation à utiliser la vitesse de cisaillement au cube. Elle montre l'intérêt de tenir compte de la granulométrie et du classement des sédiments, exprimés par le coefficient K.
14Q = K (D50 / D)0,75 ( / g) u*3
Cette formule est similaire à celle de R.A. BAGNOLD, mais donne plus d'importance à la granulométrie avec un coefficient K constant (= 0,83). Elle a été obtenue à partir de la mesure de la répartition verticale des sédiments en soufflerie. Selon K. PYE et H. TSOAR (1990), cette formule serait plus adaptée pour les sables mal classés.
15Q = K (u* + u* c)2(u* - u*c)
où K varie de 1 (K. HORIKAWA, 1988) à 2,8 (K. PYE et H. TSOAR, 1990) et où u*c représente la vitesse de frottement seuil en cm/s.
16La formule de R. KAWAMURA,réalisée à partir de recherche théorique et expérimentale, est la première à prendre en compte la vitesse critique de cisaillement.
17Q = K (D50 / D)0,50( / g) (u* - u*c) u*avec K = 4,2.
18Q = K u*3( / g) [1 - (u*c / u*)] [1 + (u*c2 / u*2)
avec K = 2,61.
19Cette dernière formule est basée sur des expérimentations en laboratoire utilisant des particules parfaites (billes de verre).
20Afin de déterminer quels sont les modèles de transport éolien les plus adaptés au secteur d'étude et quels sont les écarts systématiques qu'ils présentent avec les mesures in situ, nous avons utilisé la démarche suivante (F. SABATIER et al., 2007) :
211/ Construction d'un graphique représentant les valeurs du transport réelles (mesurées) et théoriques (prédites) dans le but de comparer visuellement la relation entre les prédictions et les mesures réelles.
222/ Calcul du coefficient de corrélation linéaire de BRAVAIS-PEARSON (r) et de son seuil de significativité (r, p ≥ 95 %).
233/ Calcul du rapport entre les valeurs prédites et les valeurs mesurées (Discrepancy Ratio), à partir de l'équation utilisée par D.W.T. JACKSON (1996), D.J. SHERMAN et al. (1998), D.W.T. JACKSON et J.A.G. COOPER (1999), F. SABATIER et al. (2002) :
Dr = Qp / Qm
où Qp représente le taux du transport éolien prédit et Qm le taux du transport éolien mesuré.
244/ Calcul du pourcentage de l'erreur moyenne quadratile (Root Mean Square) (J.H. LIST et al., 1997 ; F. SABATIER et al., 2002). Le Root Mean Square est exprimé en pourcentage :
RMS = 100 [(Qpi - Qmi)2 / (Qmi)2]
étant la somme des résultats obtenus pour les n valeurs i disponibles.
De faibles valeurs indiquent une bonne approximation des valeurs mesurées.
25Les différentes étapes pour simuler le transport éolien sont les suivantes :
261/ Obtenir des données statistiques du vent. Nous avons utilisé les stations de Casablanca et de Safi situées respectivement à 90 km au nord et 150 km au sud du site d'étude. Ces deux stations présentent l'avantage de livrer des séries temporelles relativement longues, 12 années pour Casablanca, et 6 années pour Safi.
272/ Calculer la vitesse du vent au seuil d'arrachement, à partir de la formule :
u*c = K [(s - ) g D50 / ]
Cette étape permet de déterminer une vitesse limite en-dessous de laquelle il n'y a, théoriquement, pas de transport sédimentaire. Nous avons utilisé un grain moyen de 0,2 mm suite à des analyses granulométriques sur le terrain (M. CHAIBI et M. MAANAN, 2009).
283/ Déterminer la vitesse de cisaillement (u*) à partir de la formule :
UZ = (u* / k) ln (z / zo)
où Uz est la vitesse moyenne (en m/s) à l'altitude z, k la constante de VAN KARMAN (0,41), z l'altitude de la station météorologique (en m), et zo la longueur de rugosité, soit 1 mm, pour reprendre la valeur utilisée par S.M. ARENS (1997).
294/ Calculer le transport théorique par classe de vitesse et par direction de vent en utilisant une formule de transport.
30Les paramètres éoliens enregistrés pendant les campagnes de mesures in situ (directions) et dans la station météorologique d'El Jadida (vitesses) indiquent des vents provenant d'ouest, du sud-ouest, du nord-ouest, du nord-est et du nord (voir Fig. 4). La majorité des vents enregistrés lors des campagnes de piégeages était de secteur ouest, avec une fréquence de 32 %. Ces vents génèrent des transits sédimentaires dirigés vers la terre. Leur vitesse est comprise entre 7,45 m/s et 13,13 m/s.
31À partir de la direction des vents enregistrés, de l'orientation du trait de côte et de la largeur de la plage, nous avons déterminé la longueur du fetch efficace potentiel. La longueur de la surface de déflation éolienne est très importante quand les vents soufflent parallèlement au rivage. Cette situation se présente avec les vents de direction nord-est et sud-ouest. Le transport sera potentiellement plus important en raison d'un fetch efficace plus important. Quand les vents viennent de la mer (nord, nord-ouest et ouest), le fetch efficace, en fonction du niveau de la marée, est compris entre 80 et 200 m selon les secteurs.
32Les 24 campagnes de piégeage de sédiments réalisées entre février et mai de 2001 et 2002 à différentes dates, ont permis de mesurer les flux sédimentaires épisodiques le long de la plage de la baie d'El Jadida. Seuls les 53 résultats obtenus sur la plage et dans les dunes seront présentés dans cette étude. En effet, la complexité des vents, liée à la topographie du secteur, ainsi que la mauvaise représentativité des données de vent, rendent les mesures effectuées dans les dépressions interdunaires inexploitables. L'ensemble de ces résultats est résumé sur la figure 5.
Figure 5 - Mesures expérimentales du taux de transport (cumul des pièges) en fonction de la vitesse et de la direction du vent.
33Les quantités de sables récoltées par les trois pièges éoliens pendant les diverses campagnes de mesures menées sur les différents sites du littoral d'El Jadida montrent de très grandes variabilités. Ces résultats varient en fonction de leur positionnement, de la direction et de la vitesse du vent. Le flux maximal de 1,14 kg/m/min enregistré sur le sommet de la dune, est associé à des vents d'ouest et à une vitesse de 13,13 m/s (Fig. 5).
34Les piégeages in situ par les vents parallèles à la côte ont révélé que les quantités récoltées sont quasi identiques entre la plage et la dune. Les seules variations ont été enregistrées par vents d'ouest, lesquels induisent une augmentation des quantités récoltées sur les dunes bordières. Cela montre que le transport potentiel par ces vents de mer augmente vers la terre (dunes bordières). En effet, les pièges placés sur les dunes bordières représentent le cumul du transport.
35La vitesse du vent constitue la variable la plus importante. Lors de l'expérimentation, tous les sables transportés, soit sur la plage soit au niveau de la dune, ont été piégés par le premier (1) et le deuxième (2) pièges. Les flux sédimentaires n'ont pas atteint la hauteur nécessaire pour être capturés par le troisième piège (3). Le transport des sédiments s'effectue donc par roulement/reptation et par saltation. Les quantités présentées sur la figure 5 représentent le poids (kg/m/min) cumulé des deux pièges (1) et (2).
36Afin d'établir les caractères généraux du fonctionnement du système plage-dune, l'ensemble des résultats obtenus dans chaque site par type de vents (parallèles à la côte et vents de mer) a été traité.
37Par vents de nord-nord-est et de nord-est, les sables qui forment la plage et les dunes de Lalla Aïcha Al Bahria, sur la rive droite de l'oued Oum Rbia, se déplacent vers le sud-sud-ouest et le sud-ouest, et se jettent directement dans l'embouchure de l'oued. La majorité de ces sables rejoint l'océan grâce au courant fluvial pendant le jusant, puis l'étale de basse mer. Les agents hydrodynamiques, et principalement la dérive littorale, se chargent alors de les redistribuer sur les plages de la grande baie d'El Jadida, vers le sud (Fig. 6). Avec ces flux éoliens parallèles au littoral, l'alimentation de l'embouchure est toujours assurée par reptation et par saltation des sables de la rive droite.
Figure 6 - Modèle de migration du stock sableux des plages de l'embouchure de l'oued Oum Rbia par vents de nord-nord-est et de nord-est.
38Cette tendance est maintenue pendant les périodes de vent fort (exemple 0,53 kg/m/min le 22 mars 2002) et au cours des épisodes marquées par des taux de transport faibles(exemple 0,19 kg/m/min le 22 février 2002).
39Les apports sableux transportés en suspension qui arrivent à dépasser et à franchir cet obstacle naturel s'accumulent rapidement sur les surfaces planes et aux pieds des dunes de la rive gauche de l'oued Oum Rbia, sous forme de petites lentilles. Une partie de ce flux sédimentaire est stoppée sur les grandes surfaces humides découvertes pendant les basses mers.
40La migration des sables continue dès que les vents reprennent de la force. Sur la rive gauche, l'action érosive des vents de nord-nord-est affecte non seulement la plage, mais également les dunes embryonnaires. Les dunes présentent par ailleurs de grands couloirs de déflation et des buttes sableuses maintenues par la végétation, témoignant d'une dégradation causée par l'action des vents de mer (plage d'El Haouzia voir Photo 1). Ce secteur de la rive gauche de l'oued Oum Rbia se caractérise par un couvert végétal peu dense et dégradé, et par une plus grande surface de déflation. Il constitue donc une source sédimentaire pour les dunes et la plage (i.e. transfert dune-plage) au sud-est.
41Plus au sud, la vitesse des vents diminue en même temps que la densité de la végétation et que les irrégularités topographiques (présence de dunes embryonnaires) augmentent, tandis que la largeur du fetch efficace diminue. Ainsi, en fonction de la vitesse et de la direction du vent (et de la densité du couvert végétal), les dunes et la plage constituent-elles tantôt la zone source (érosion), tantôt la zone de dépôt (accumulation).
42Les sables déposés sur la plage par les vents parallèles à la côte et par la dérive littorale sont repris par les vents de mer (c'est-à-dire orientés nord-ouest ou ouest).
43Si ces vents de mer soufflent pendant la marée haute, la surface de déflation se réduit à la plage aérienne (soit 30 à 70 m), ce qui diminue le volume du transit sédimentaire. En revanche, à marée basse, l'estran se découvre sur 200 m, distance suffisante pour que les vents assèchent d'abord la surface, puis transportent les sédiments secs de la plage vers la dune (Fig. 7). Or les travaux de R.G.D. DAVIDSON-ARNOTT et al. (1990, 2005 et 2007) sur la relation entre la largeur de la zone de déflation et le taux de transport montrent qu'un doublement de la surface de déflation multiplie par 12 la quantité de sédiments transportée.
Figure 7 - Modèle conceptuel de fonctionnement du système plage-dune par vent de mer (secteur ouest), mesures réalisées in situ le 14 mars 2002 (plage d'El Haouzia).
B.M. : basse mer. H.M. : haute mer.
44Quand l'intensité du vent est à peine suffisante pour les mobiliser, les sables de la plage ne peuvent alimenter que les zones les plus proches, dès qu'ils rencontrent le premier obstacle. Lorsque la vitesse des vents de mer augmente, les sédiments de la plage alimentent non seulement le pied et la pente au vent de la dune, mais également les dépressions interdunaires, par les couloirs de déflation. Ce n'est que lors des épisodes de vents très forts que les sédiments issus de l'estran (ou de la plage aérienne) franchissent le haut des dunes embryonnaires pour se déposer dans les dépressions interdunaires et sur les dunes végétalisées. D'après A. FRANK et G. KOCUREK (1994), cette érosion est liée à l'accélération de l'écoulement éolien, mise en évidence à cet endroit par ces vents perpendiculaires. L'accélération maximale sur la dune bordière serait produite avec ces vents (S.M. ARENS et al., 1995). L'ensemble des sédiments transportés est arrêté, au delà, par la végétation qui colonise toutes les dunes anciennes holocènes du littoral d'El Haouzia.
45Les flux sédimentaires éoliens mesurés sur la plage et sur la dune sont comparés aux valeurs obtenues à partir des formules de R.A. BAGNOLD (1941), de A.W. ZINGG (1953), de R. KAWAMURA (1951), de K. LETTAU et H. LETTAU (1977) et de B.R. WHITE (1979) (Fig. 8). Pour chaque formule, le coefficient empirique K a été ajusté, afin que les valeurs théoriques se rapprochent le plus des valeurs mesurées sur le terrain.
Figure 8 - Comparaison des valeurs de transport éolien mesurées in situ et des valeurs calculées.
46Il existe cependant un écart entre les flux mesurés et ceux calculés ; de plus, les valeurs prédites, même si elles ont une tendance identique, varient d'un modèle à l'autre. Les meilleurs résultats (RMS ± 30 %) sont obtenus à partir des formules de R.A. BAGNOLD et de A.W. ZINGG, qui n'indiquent pas de sur- ou de sous-estimation systématique (Dr moy. = 1,01 et 1,03 respectivement).
47Si le coefficient empirique K n'a été que légèrement modifié pour la formule de R.A. BAGNOLD, il a dû être pratiquement doublé pour celle d'A.W. ZINGG (Tab. I). Les autres formules fournissent des simulations moins précises et une sous-estimation systématique des débits éoliens. Ce dernier point est d'ailleurs surprenant, car les travaux de la littérature montrent d'habitude une surestimation du transport simulé. Nous utiliserons donc la formule de R.A. BAGNOLD pour les calculs théoriques.
Tableau I - Test des résultats des formules de transport éolien.
K : coefficient empirique. RMS : erreur moyenne quadratile (Root Mean Square). DR moy. : valeur moyenne de DR. Dr éc.-type : écart-type sur la valeur de Dr. r : coefficient de corrélation linéaire entre les valeurs calculées et mesurées (seuil de significativité supérieur ou égal à 90 %).
48L'importance des pourcentages d'erreur et les sous-estimations des valeurs mesurées montrent les limites de la méthode expérimentale: les vitesses de vent n'ont pas été mesurées sur place, mais à 3 km à l'intérieur des terres, et à une hauteur de 30 m (station d'El Jadida). Elles ne sont donc pas représentatives des conditions côtières, et conduisent à une mauvaise détermination de la vitesse de cisaillement : les irrégularités topographiques autour des pièges à sédiments diminuent la vitesse d'écoulement de l'air et influencent donc les flux sédimentaires éoliens. De même, le rôle de la marée dans la détermination du fetch efficace, de l'humidité et de la cohésion des sédiments, n'est pas pris en compte.
49Le transport sédimentaire éolien annuel est simulé à partir de la formule de R.A. BAGNOLD et de la répartition statistique des vents (direction et force). La méthode employée donne une idée convenable des directions et des taux de transport, malgré le postulat de base qui consiste à considérer un transport à l'équilibre sans tenir en compte des paramètres locaux (morphologie, végétation).
50À Casablanca : L'étude de la fréquence des vents en fonction de leursvitesses permet de mettre en évidence quatre classes de vents tri-horaires (Fig. 9) : < 2 m/s, 2-5 m/s, 6-10 m/s et de 11 à 16 m/s, les deux dernières étant les plus efficaces pour le transport des grains de sables. Les vents faibles, qui ont des vitesses de 2 à 5 m/s, sont les plus fréquents et sont principalement orientés nord, nord-est et nord-ouest, et secondairement sud, sud-ouest et ouest. Les vents modérés (vitesses entre 6 et 10 m/s) ont une orientation sud à sud-ouest, ouest, nord-ouest et nord-est. Les vents les plus forts (vitesses > 11 m/s), qui induisent un transit éolien significatif, proviennent de l'océan (secteurs ouest et sud-ouest). Ils sont souvent accompagnés de houles de tempête.
Figure 9 - Transport éolien annuel moyen théorique (m3/m *), calculé à partir des données de vent enregistrées de 1951 à 1964 à Casablanca (formule de R.A. BAGNOLD).
* : matériaux franchissant un mètre linéaire perpendiculaire à la direction de vent considérée. Transport brut : transport dans la direction considérée. Transport net : transport dans la direction considérée diminué du transport dans la direction opposée.
51À Safi : Les mesures de vent obtenues (Fig. 10) montrent que les vents faibles à modérés (vitesses comprises entre 2 et 10 m/s), provenant principalement de l'intérieur des terres (secteurs est et nord-est), sont les plus fréquents. Les vents forts (vitesses comprises entre 17 et 24 m/s), de secteurs nord-est et ouest, ne représentent que 1,9 % des observations. Les vents les plus forts (vitesses comprises entre 17 et 24 m/s) sont les vents de mer, de direction ouest et sud-ouest principalement.
Figure 10 - Transport éolien annuel moyen théorique (m3/m *) calculé à partir des données de vent enregistrées de 1955 à 1964 à Safi (formule de R.A. BAGNOLD).
* : matériaux franchissant un mètre linéaire perpendiculaire à la direction de vent considérée. Transport brut : transport dans la direction considérée. Transport net : transport dans la direction considérée diminué du transport dans la direction opposée.
52Les taux de transport sont plus au moins conformes aux directions de vent mesurées in situ (nord à nord-est, ouest et sud-ouest). Les taux de transport dominent pour les directions allant de nord-ouest à sud-ouest à Casablanca (Fig. 9) et pour la direction nord-est à Safi (Fig. 10). Les valeurs maximales annuelles brutes par direction de vent atteignent 7000 m3/m à Casablanca (pour la direction ouest) et 20000 m3/m à Safi. Elles sont relativement proches des valeurs nettes maximales, soit respectivement 6500 m3/m et 15000 m3/m.
53En sommant les valeurs calculées pour chacune des directions de vent, les valeurs brutes et nettes des taux de transport annuels moyens s'établissent respectivement à 27700 et 14300 m3/m à Casablanca, et à 67300 et 29600 m3/m à Safi. Comme pour les valeurs maximales par direction de vent, les données de vent de la station de Safi fournissent des valeurs globales plus que doubles par rapport à celles de la station de Casablanca.
54Les taux de transport éoliens sur le littoral d'El Haouzia, calculés à partir des données de vent de la station de Casablanca, indiquent un transit depuis la plage vers le cordon dunaire. Ces résultats théoriques sont confirmés par l'analyse diachronique des photographies aériennes qui ont montré un engraissement du cordon dunaire (M. CHAIBI, 2003). Les taux de transport éoliens, calculés à partir des données de vent de la station de Safi, indiquent aussi un engraissement de la dune à partir des sables de la plage, mais par les vents du nord et du nord-est, au terme d'un transit longitudinal (voir Fig. 6).
55La comparaison des résultats des simulations et des informations obtenues par l'analyse des photographies aériennes, à savoir un engraissement du cordon dunaire, surtout sur la plage d'El Haouzia, indique que les données de vents de la station de Casablanca sont plus représentatives des conditions du site étudié. En effet, la ville de Casablanca est plus proche et se trouve sur la même ligne côtière qu'El Jadida. On notera en outre que les mouvements de sables estimés par les simulations sont extrêmement élevés par rapport à l'évolution du stock sédimentaire lui-même. Ainsi, pour la période allant de juin 2001 à avril 2002, la superposition de profils topographiques levés sur la plage et les dunes bordières indique un gain de sables limité, de l'ordre de 5000 m3, pour l'ensemble du terrain d'étude (M. CHAIBI et M. MAANAN, 2009).
56La compréhension de la dynamique éolienne est essentielle pour comprendre l'évolution morpho-sédimentaire des systèmes plage-dune. La plage d'El Jadida a été choisie comme site d'expérimentation, car elle présente des caractéristiques potentiellement favorables au transport éolien : un système plage-dune stable à faible pente dégageant en basse mer une large surface de déflation, une exposition large aux vents marins dominants et un régime mésotidal. Ces conditions ont permis la formation et le développement des dunes actuelles.
57Le volume des transports éoliens est évalué par deux approches différentes. D'une part, des mesures in situ sont réalisées au moyen de pièges à sédiments ; d'autre part, les transports éoliens potentiels sont calculés à l'aide des équations les plus fréquemment utilisées. Les résultats des pièges à sables ont permis de déterminer le mode de transport éolien qui est par reptation /saltation, et de comparer les valeurs de transport mesurées et les valeurs de transport calculées à partir de formules semi-empiriques, afin d'estimer l'efficacité des modèles dans les différentes conditions d'expérimentation.
58En utilisant les données de vent de la station d'El Jadida, nous obtenons une erreur de 30 % environ avec la formule de R.A. BAGNOLD. Les autres formules fournissent des simulations moins précises et une sous-estimation systématique des débits éoliens, ce qui diffère des autres travaux dans la littérature qui montrent d'habitude une surestimation du transport simulé.
59À partir de cette validation, le transport éolien a pu être quantifié. Il apparaît qu'un important transit depuis la plage vers la dune est possible sur la plage d'El Haouzia et est associé aux vents marins forts de directions ouest et sud-ouest perpendiculaires à la côte. Un transit parallèle au rivage est aussi suggéré en relation avec les vents continentaux de directions nord et nord-est, et une accumulation sédimentaire très faible (quelques centimètres) a été observée. Les vents continentaux nord et nord-est, faibles, mais secs, participent à l'assèchement de l'estran, ce qui facilite le transport de sédiments par les vents de l'autre direction.
60En général, les modèles de transport éolien fournissent des résultats satisfaisants sur les littoraux arides et semi-arides (faible influence de l'humidité), mais ils s'éloignent de la réalité dès que les conditions environnementales deviennent hétérogènes, ce qui se vérifie surtout sur les littoraux tempérés (C. MEUR-FEREC et M.H. RUZ, 2002). De plus, si les pièges à sédiments ont l'avantage de récolter des quantités de sables réellement transportées, ils ont l'inconvénient de fournir des résultats ponctuels.
61Enfin, pour mieux connaître l'impact de ces flux sur la morphologie et l'évolution des côtes sableuses, il reste utile de coupler ces techniques avec des levés topographiques de grande précision permettant de calculer les volumes de sables déposés ou érodés par le vent (S.M. ARENS, 1997).
Remerciements : Ce travail a bénéficié d'une aide de l'État gérée par l'Agence Nationale de la Recherche dans le cadre du LabexMer au titre du programme "Investissements d'avenir" portant la référence ANR-10-LABX-19-01.