1En milieu forestier tempéré, la morphologie des cours d'eau de rang 1, 2 et 3 (selon l'ordination d'A.N. STRAHLER, 1957) dépend des interactions entre les conditions morphostructurales et le couvert végétal. Les processus hydromorphologiques sont étroitement liés au type de couvert végétal(S.B. TAYLOR et J.S. KITE, 2006 ; M. STOFFEL et D.J. WILFORD, 2012), mais les formes dépendent aussi de l'évolution et des perturbations que ce couvert a connues (G.J. BRIERLEY et al., 2005). En effet, les forêts actuelles ont presque toujours subi dans le passé des phases de défrichement et de mise en culture (É. DAMBRINE et al., 2007) qui ont pu avoir des impacts plus ou moins importants sur la morphodynamique des versants et des cours d'eau. Les débris ligneux grossiers qui atteignent les cours d'eau contribuent à la diversification des formes de modelé et à la complexité morphologique des tronçons fluviaux en modifiant les écoulements (D.R. MONTGOMERY et al., 2003 ; B. MOULIN, 2005). D.L. HOGAN et al. (1998) ont constaté que les embâcles de bois sont plus abondants dans les forêts qui ont subi beaucoup de perturbations que dans les forêts restées naturelles. La ripisylve contrôle la morphologie du chenal (C.R. THORNE, 1990 ; R.G. MILLAR, 2000), mais les effets sont différents selon la taille du cours d'eau. Ainsi la largeur du chenal est plus importante en milieu boisé qu'en milieu cultivé pour les petits bassins versants, inférieurs à 10 km2, alors que l'inverse se produit pour les tailles supérieures (R.J. ANDERSON et al., 2004). La morphologie du lit s'adapte au régime hydrologique et à la fourniture sédimentaire : l'incision se développe quand la capacité de transport devient excessive par rapport à la fourniture de débris, mais cela peut se produire suite à un déboisement (R. MENÉNDEZ-DUARTE et al., 2007) ou à un reboisement (F. LIÉBAULT et H. PIÉGAY, 2002 ; H. PIÉGAY et al., 2004).
2L'objectif de cette étude est de décrire et d'expliquer la variété des formes des lits fluviaux du ruisseau de la Goutte de l'étang de Saloup qui coule en forêt de Tronçais avant de se jeter dans l'étang de Saloup.
3La forêt de Tronçais est une forêt domaniale de 10583 ha qui a subi plusieurs phases de défrichement et de mise en culture (É. DAMBRINE et al., 2007 ; A. GIOSA, 2011). Elle occupe un espace de transition entre le socle du Massif Central au sud et la couverture sédimentaire du Bassin Parisien au nord (Fig. 1). Les roches cristallines et métamorphiques du socle plongent lentement sous les grès et les argiles du Trias, selon un contact en biseau. La topographie de plateaux en pente vers le nord résulte du façonnement de la paléosurface polygénique (C. KLEIN, 1973 ; J.P. LARUE, 2000) qui a servi au transit des formations pliocènes conservées en lambeaux localisés sur la figure 1. Situé au sud-ouest du bassin versant de la Sologne, le ruisseau de la Goutte de l'étang de Saloup est faiblement encaissé dans un plateau présentant une pente faible vers le nord : 330 m au sud, 278 m près de l'exutoire dans l'étang de Saloup (Fig. 2). Coulant tantôt en milieu forestier, tantôt en milieu cultivé, le ruisseau de la Goutte de l'étang de Saloup, long de 2,75 km, s'encaisse dans le granite de Tronçais, granite rose leucocrate à gros grains, à biotite, muscovite et sillimanite (M. TURLAND et al., 1990). Fortement diaclasé et fissuré, ce granite est arénisé sur des épaisseurs très variables, de 50 cm à plus de 3 m. L'étang de Saloup a été réalisé en 1817 pour servir de réservoir aux étangs de Tronçais, Morat et de Saint-Bonnet-Tronçais qui alimentaient les forges de Tronçais, Sologne et Morat. Le barrage en pierres maçonnées de 13,60 m de hauteur stocke 800000 m3 dans un plan d'eau de 10,11 hectares. Utilisé pour la pêche, l'étang est vidangé en moyenne tous les 10 ans, cependant la dernière vidange remonte à 1998.
Figure 1 - Carte du bassin versant de la rivière Sologne.
Figure 2 - Carte du bassin versant de la Goutte de l'étang de Saloup.
4Soumise à un climat océanique à tendance continentale, la région reçoit en moyenne 790 mm de précipitations, dont 404 mm en période de végétation ; la température moyenne est de 10,5°C. Les cours d'eau ont des régimes pluvio-évaporaux avec de hautes eaux l'hiver et de basses eaux l'été. Par exemple, la Sologne à Ainay-le-Château (88,9 km2 de bassin versant) a un module de 0,614 m3/s, les hautes eaux de février atteignent 1,16 m3/s et les basses eaux de septembre 0,123 m3/s, les crues quinquennales 5,8 m3/s et les étiages quinquennaux 0,02 m3/s (DREAL Centre). Avec un module spécifique de 6,9 l/s/km2, la Sologne évacue 219 mm par an, soit un coefficient d'écoulement de 28 %.
5Après avoir délimité le bassin versant, nous avons construit les profils longitudinaux des lits fluviaux et des interfluves à partir des cartes topographiques IGN (Institut Géographique National) au 1/25000, en utilisant les points cotés et pour les drains l'altitude de chaque isohypse recoupant le talweg. L'équidistance des courbes de 5 m permet d'obtenir des profils suffisamment précis pour déceler les variations de pente, mais l'observation sur le terrain est nécessaire pour repérer toutes les ruptures de pente dont celles liés aux embâcles de bois.
6L'indice SL (longueur-pente) de E.A. KELLER et N. PINTER (1996) permet de souligner les moindres ruptures de pente :
SL = (∆H / ∆L) L
où ∆H (en m) et ∆L (en km) sont la dénivelée et la longueur du segment considéré, et L (en km) la longueur totale du chenal en amont du point amont du segment considéré.
7La forme du profil est donnée par l'indice de concavité de W.B. LANGBEIN (1964) :
IC = 2A/H
où A est la différence d'altitude entre le profil à mi-parcours et une ligne droite joignant les deux extrémités du profil, et H la dénivellation entre la source et l'exutoire. La concavité est très faible quand la valeur de IC est voisine de 0 et très forte quand la valeur approche 1.
8Les profils transversaux des vallons ont été établis à partir d'observations sur le terrain, nécessaires pour obtenir une meilleure précision que celle des cartes topographiques. La largeur et la profondeur des lits fluviaux ont été mesurés tous les 10 m ; les embâcles ont été cartographiés. Pour comparer les profils transversaux, nous avons utilisé les graphiques adimensionnels H/Ho (ratio des altitudes) et L/Lo (ratio des distances) (S. SINHA-ROY, 2001), dans lesquels H est l'altitude du versant au point mesuré, Ho est la dénivellation entre l'interfluve le plus élevé et le cours d'eau, L est la distance du point mesuré depuis cet interfluve et Lo est la largeur du vallon, entre les deux interfluves. Le profil des versants dépend des relations entre la vitesse d'incision du cours d'eau et l'efficacité des processus de versants, mais aussi de la lithologie et de l'épaisseur des altérites. Les secteurs à fortes pentes se situent là où le granite est le moins profondément altéré.
9Les formes de modelé des lits majeurs ont été repérées et mesurées sur le terrain, le lit mineur servant de repère pour les altitudes : atterrissements sableux, anciens chenaux, terrasses alluviales. Les affleurements de berge et des sondages à la tarière ont permis d'étudier les dépôts alluviaux et colluviaux. Des analyses granulométriques aident à comprendre l'origine et les modes de mise en place de ces dépôts de fond de vallon. Ainsi la granulométrie des dépôts a été utilisée par E. SMOLSKA (2007) pour distinguer ceux d'origine climatique de ceux accumulés suite à des défrichements. Selon cet auteur, les sédiments provenant de l'érosion des sols cultivés sur les versants sont plus fins et plus riches en humus que ceux issus de la formation de ravins dans les fonds de vallon. Les granulométries ont été effectuées avec le granulomètre laser LS Coulter qui permet de classer les particules comprises entre 0,375 µm et 2000 µm, ce qui couvre la totalité des fractions sableuses, limoneuses et argileuses (S.J. BLOTT et al., 2004). Une datation au C14 a été obtenue à partir de charbons de bois trouvés à la base d'un remblaiement sableux dans la berge du ruisseau.
10D'une superficie de 1,875 km2, le petit bassin versant de la Goutte de l'étang de Saloup présente une compacité moyenne (indice de GRAVELIUS = 1,23) et une forte densité de drainage (2,8 km/km2). Les onze drains de rang 1 totalisent la moitié de la longueur des talwegs, les deux drains de rang 2 seulement 12 % et le cours de rang 3, 38 % (Fig. 2).
11Le profil longitudinal du vallon révèle une pente moyenne forte : 2,9 % et une faible concavité (IC = 0,20). Il est accidenté de trois principales ruptures de pente, bien soulignées par les indices SL : la première (SL = 39), qui se situe à la sortie du secteur boisé amont, à 1 km de la source, entre 300 m et 295 m, atteint une pente de 4 % sur 125 m de longueur ; la seconde (SL = 70) se développe sur 250 m, entre les altitudes 275 m et 265 m, à l'entrée dans le massif forestier entourant l'étang de Saloup, et atteint 3,3% de pente ; la dernière (SL = 50) se localise près de l'exutoire en donnant une pente de 2 % sur 250 m (Fig. 3). Les profils longitudinaux du talweg et des interfluves hérités de la paléosurface tertiaire s'écartent progressivement vers l'aval, indiquant que l'incision augmente vers l'aval : 10 m avant la première rupture de pente, 15 m à l'aval de cette dernière et 25 m au niveau de l'exutoire.
Figure 3 - Profils longitudinaux du cours d'eau, de la terrasse et de l'interfluve ; évolution des pentes et de l'indice SL.
12Les profils transversaux normalisés (Fig. 4) montrent que l'incision représente entre 22 et 35 % de la section considérée. Les pentes augmentent depuis l'interfluve jusqu'au cours d'eau, ce qui témoigne de formes récentes : le creusement vertical a été plus rapide que l'évolution des versants. En milieu forestier, les versants sont abrupts et convexes, la pente augmente vers le bas en se rapprochant du lit actuel : 20 ‰ près de l'interfluve, 400 ‰ à la base du versant. En milieu cultivé, les versants plus doux deviennent concaves et le fond du vallon présente une forme en berceau. Le lit mineur apparaît plus large et plus encaissé en milieu forestier qu'en milieu cultivé. Dans le secteur forestier aval, sa largeur varie entre 1,70 m à 3,50 m et la profondeur oscille entre 0,40 m et 2 m, le fond plat est encombré de bancs sableux et les berges présentent des abrupts et des surplombs bien développés dans les rives concaves des méandres encaissés. Le bois mort qui abonde dans le lit mineur forme de petits embâcles tous les 15 m en moyenne, engendrant localement de petites cascades et favorisant l'accumulation sableuse et parfois la migration du cours d'eau lorsqu'il réussit à contourner l'embâcle (Photo 1). Localement, à la faveur de méandres, le lit s'élargit et peut dépasser 2 m de largeur. Les berges sont modelées dans des sables fluviatiles à stratification inclinée vers l'aval et le cours d'eau incise localement le substrat granitique. Là où ce dernier est atteint, le lit présente un pavage discontinu de galets mal roulés. À l'aval, le lit mineur atteint en moyenne 2,50 m de largeur, le fond est tapissé de sables modelés en "ripple marks" qui progressent vers l'étang en construisant un petit delta digité qui a gagné une quinzaine de mètres depuis 1960 (d'après l'analyse diachronique de photos aériennes). L'épaisseur des sables alluviaux ne dépasse guère 40 cm sous le lit mineur.
Figure 4 - Profils transversaux du vallon et coupes dans le lit majeur du ruisseau de la Goutte de l'étang de Saloup.
A : échelle arithmétique. B : graphique adimensionnel. C : coupes géologiques du lit majeur à l'entrée de la forêt, près de la confluence et en aval du pont.
Photo 1 - Embâcle favorisant l'accumulation sableuse et la migration latérale du ruisseau. [cliché : J.P. LARUE]
13Le lit majeur, occupé par des arbres de 32 ans d'âge (dernière coupe forestière en 1970), présente une topographie très accidentée associant des formes en relief et en creux qui déterminent des variations verticales de 1 à 1,5 m. Les dépressions allongées et arquées suggèrent d'anciens méandres aujourd'hui perchés à 1 m au dessus du lit mineur (Photo 2). Cette topographie est modelée dans des dépôts alluviaux sableux, mais aussi localement dans le substrat granitique. À la base des versants, les abrupts arqués de 1 à 2 m de hauteur correspondent aux rives concaves de ces anciens chenaux. Aussi la largeur du lit majeur varie-t-elle beaucoup et de façon répétée dans le tronçon forestier aval (Fig. 5). La plus faible largeur, 4 m, est située à l'entrée dans la forêt et la plus grande, 20 m, entre le ponceau et l'exutoire dans l'étang. Dans ce dernier tronçon, une terrasse sableuse de 2 m d'altitude relative par rapport au lit mineur forme une butte allongée séparant un ancien chenal et le lit mineur actuel. Dans le secteur de la deuxième rupture de pente, on retrouve une terrasse sableuse de 2,50 m d'altitude relative qui est appuyée au versant de rive gauche et taillée en falaise par le cours d'eau. Des chênes centenaires poussent sur cette terrasse qui a été épargnée par la coupe forestière de 1970. À l'entrée du massif forestier, des ravins affluents soulignent la forte activité de l'érosion régressive actuelle : la photo 3 montre l'abrupt de tête de 90 cm de hauteur et la petite cascade qui en résulte.
Photo 2 - Topographie inégale du lit majeur, marque d'un ancien chenal. [cliché : J.P. LARUE]
Figure 5 - Variations spatiales des lits fluviaux. [clichés : J.P. LARUE]
A : Carte. B : largeur des lits mineur et majeur, profondeur du lit mineur.
Photo 3 - Petite cascade sur un ravin affluent. [cliché : J.P. LARUE]
14Les terrasses sableuses sont constituées d'alluvions disposées en stratification inclinée (Photo 4). Sous un sol sablo-limoneux de 20 à 30 cm d'épaisseur, on trouve des bancs sableux ocres de 25 à 35 cm de puissance qui sont séparés par des lits et des lentilles argileuses, de couleur gris foncé, de 5 à 15 cm d'épaisseur. La base des bancs sableux comporte souvent des lits de graviers ocre-rouille, les plus gros éléments ne dépassent pas le centimètre de diamètre. Dans la coupe de l'entrée du bois, à 2,20 m de profondeur, le banc sableux reposant sur le substrat granitique renferme des charbons de bois qui mesurent 2 à 8 mm de diamètre. Les granulométries effectuées sur des échantillons prélevés dans la partie centrale des bancs sableux indiquent des sables fluviatiles moyens à grossiers (médiane = 360 à 500 µm) et moyennement classés (So de TRASK = 1,52 à 2), transportés par saltation et roulage et déposés lors de crues rapides (Tab. I et Fig. 6). Sur le plan vertical, les dépôts apparaissent plus fins et moins bien classés à la base qu'au sommet : la médiane passe de 360 µm à 2,20 m de profondeur à 500 µm à 1 m de profondeur. Près de l'étang de Saloup, les sables plus homogènes présentent une médiane de 380 µm et un indice de classement de 1,52. Ces sables sont mieux classés que les arènes granitiques et que les dépôts sablo-argileux pliocènes, mais moins bien classés que les sables triasiques. Ils proviennent pour l'essentiel du déblaiement des altérites granitiques par l'érosion fluviale, mais aussi de l'érosion des sols de versants développés sur des colluvions de dépôts pliocènes, d'arènes granitiques et localement de sables triasiques. Les charbons de bois prélevés à 2,20 m de profondeur dans la berge du ruisseau ont été datés de 1365±30 BP par M. FONTUGNE (SacA16122/Gif-12413).
Photo 4 - Affleurement dans la berge du ruisseau montrant la lithostratigraphie des sables alluviaux. [cliché : J.P. LARUE]
Tableau I - Caractéristiques granulométriques des sables prélevés dans la terrasse sableuse.
So : indice de classement de TRASK (= √Q3/Q1, avec Q1 et Q3 les premier et troisième quartiles). As : indice d'asymétrie de TRASK (= Q1Q3/Md2, avec Md = médiane).
Figure 6 - Courbes granulométriques des sables prélevés dans la terrasse sableuse.
15La densité de drainage dépend principalement de la lithologie : elle est toujours plus forte pour les bassins versants s'étendant sur le socle que pour ceux développés dans la couverture triasique. En forêt de Tronçais, la densité de drainage varie entre 1,54 km/km2 et 2,95 km/m2 (J.P. LARUE, 2009). Dans le bassin étudié, la forte densité (2,80 km/km2) s'explique par la part prépondérante du granit, roche imperméable lorsque les altérites restent peu épaisses, et aussi par l'existence de pentes relativement fortes liées à l'encaissement rapide des cours d'eau provoqué par le bas niveau de base du Cher et par le soulèvement du horst de Tronçais (J.P. LARUE, 2008 et 2011).
16La faible concavité du profil longitudinal témoigne d'un cours d'eau qui n'a pas atteint l'équilibre dynamique. Les ruptures de pente qui accidentent ce profil sont des indicateurs de l'évolution du creusement fluviatile (J.P. LARUE, 2011). Ces anomalies peuvent s'expliquer, soit par un contact lithologique, soit par une confluence qui augmente la puissance fluviale, ou par un soulèvement à l'amont d'une faille active, ou encore par un abaissement du niveau de base qui génère l'érosion régressive (P. BISHOP et al., 2005). Ici, elles ne correspondent pas à des variations lithologiques, ni à des failles (voir Fig. 2), elles sont dues à la progression de l'érosion régressive liée à l'encaissement du réseau de la Sologne, lui-même provoqué par le soulèvement du horst de Tronçais. Le substrat granitique inégal du fait de l'altération est localement atteint par cette incision, principalement dans les secteurs d'accélération de pente caractérisés par un pavage discontinu de galets granitiques mal roulés.
17Comme l'ont déjà montré M. MAC BRIDE et al. (2008), les lits fluviaux se révèlent très différents en milieu herbacé et en milieu forestier. En zone de pâturage, le fond de vallon en berceau est incisé par un lit mineur en V n'excédant pas 1,30 m de largeur et 0,50 m de profondeur (Photo 11 – les photos 5 à 10 sont incluses dans la figure 5), alors qu'en milieu forestier, le lit mineur présente une forme en U avec une plus grande largeur (1,70 à 3,50 m) et une profondeur plus irrégulière (0,40 m à plus de 2 m). Sous forêt, les embâcles de bois mort favorisent l'érosion latérale, alors que l'herbe retient mieux les berges.
Photo 11 - Morphologie du vallon en milieu cultivé. [cliché : J.P. LARUE]
18La topographie irrégulière des lits majeurs est caractéristique des milieux forestiers (D.R. MONTGOMERY et T.B. ABBE, 2006 ; J.M. ZINK et al., 2012). F.J. TRISKA (1984) indique que les cours d'eau américains, à la fin du XVIIIème siècle, étaient obstrués par le bois mort au point que le lit mouillé n'était plus visible. Le bois mort peut former des embâcles qui modifient les processus de transport et de stockage des alluvions. Les cours d'eau de rangs 2 et 3 se révèlent plus propices aux embâcles que ceux de rang 1 ou de rangs supérieurs : les premiers sont trop étroits pour que les arbres tombés obstruent le lit mineur et les seconds ont un débit plus fort et une largeur suffisante pour évacuer le bois mort. La surélévation du niveau d'eau à l'amont des accumulations générées par les embâcles favorise la migration latérale du chenal, ce qui peut aboutir à la création de chenaux secondaires dans le lit majeur (R. JEFFRIES et al., 2003) et au façonnement de rives concaves abruptes. Si la vallée est suffisamment encaissée, l'accumulation de sédiments peut atteindre plusieurs mètres d'épaisseur : D.R. MONTGOMERY et al. (2003) signalent une terrasse de 10 m de hauteur contenant plus de 10000 m3 de sédiments dans un cours d'eau encaissé de tête de bassin. Les deux terrasses observées dans le vallon de la Goutte de l'étang de Saloup pourraient donc résulter d'embâcles aujourd'hui disparus.
19Cependant d'autres facteurs interagissent avec le bois mort (R.J. ANDERSON et al., 2004). La topographie inégale du lit majeur s'explique en partie par les épaisseurs différentes de l'arénisation du granite. Parmi les formes en relief signalées, certaines laissent apparaître le substrat granitique et se situent donc là où l'altération a été la plus faible. Les berges sableuses sont plus propices à l'élargissement du lit mineur et au façonnement de chenaux secondaires que les berges plus argileuses qui résistent mieux à l'érosion et donnent des formes en V plus prononcées. Les perturbations d'origine anthropique peuvent favoriser le développement d'incisions vigoureuses. Ainsi les fossés de drainage peuvent générer des ravins (gullies des anglo-saxons), comme ceux observés à l'entrée du massif forestier. L'érosion régressive est favorisée par la concentration du ruissellement superficiel dans le fossé de drainage mais aussi par le ruissellement hypodermique qui se produit quand les sols sont saturés en eau et qui engendre des soutirages et la formation d'une cavité à la base de la paroi. À partir de fissures, le surplomb peut s'effondrer brutalement ainsi qu'en témoignent la présence de matière organique et de racines dans les dépôts non encore évacués au pied de l'abrupt. Ces processus ont été décrits par A.J.C. COLLISON (2001) et par W.E. DIETRICH et T. DUNNE (1993).
20L'alternance de bancs sableux et de lits argileux (voir Fig. 4) suggère que le remblaiement résulte de plusieurs vagues d'accumulation sableuse causées par des débordements dans le lit majeur. Les résultats granulométriques suggèrent que les matériaux inférieurs plus fins et moins bien classés proviennent de l'érosion diffuse des sols sur les versants suite à la destruction de la forêt par le feu pour la mise en culture, alors que les sables plus grossiers et mieux classés de la partie supérieure sont issus de l'incision du cours d'eau dans le substrat granitique arénisé. J.A. MOODY et D.A. MARTIN (2001) ont montré qu'après un incendie, le ruissellement livre une plus grande quantité de sédiments fins aux cours d'eau. La présence de charbons de bois dans les alluvions localisées à l'aval des incisions de têtes de vallon atteste d'incendies et/ou de défrichements par le feu permettant la mise en culture de clairières. La datation de ces charbons de bois (1365±30 BP) indique que les dépôts alluviaux sont pour l'essentiel postérieurs au VIIème siècle AD et qu'ils forment une terrasse historique localisée. Cependant ces charbons de bois peuvent aussi s'être déposés suite à un déstockage de sables accumulés plus en amont. D'autres datations seraient nécessaires (sur d'autres charbons de bois, mais aussi sur des grains de quartz, par résonance paramagnétique électronique (RPE) pour bien caler les étapes du remblaiement alluvial. Si on retient la seule date obtenue, l'accumulation se serait développée lors d'une phase de haut niveau des lacs jurassiens et d'avancée des glaciers alpins, caractérisée par une augmentation des précipitations et une diminution des températures d'été et de la durée de la période végétative ; cette période coïncide aussi avec une diminution de l'activité solaire (M. MAGNY, 1993, 2004 ; B. VANNIÈRE et al., 2003). Elle correspond aussi à une phase de forte activité fluviale enregistrée au Royaume Uni par M.G. MACKLIN et al. (2005). Toutefois une partie des dépôts peut aussi résulter d'un embâcle de bois qui a pu persister, comme l'ont montré D.R. MONTGOMERY et T.B. ABBE (2006), et permettre cette accumulation de 2,50 m d'épaisseur à l'amont immédiat. Les sables trouvés à l'aval, près de l'étang de Saloup, forment une terrasse moins élevée, environ 2 m, qui a pu aussi se former à l'amont d'un embâcle aujourd'hui disparu. Cependant l'altitude relativement régulière des lambeaux de terrasse de l'amont à l'aval suggère plutôt un remblaiement historique généralisé causé par l'érosion des sols cultivés dans le bassin versant. Depuis ce remblaiement, l'érosion l'emporte sur l'accumulation ainsi que l'attestent la formation de la terrasse et l'incision locale dans le substrat granitique. Le sapement des berges sableuses fournit des matériaux alluviaux abondants qui progressent sur le fond du lit avant de se déposer près de l'exutoire en constituant le petit delta signalé précédemment. Enfin, le rôle du barrage de Saloup doit aussi être envisagé, car toute retenue d'eau a des impacts morphodynamiques en aval (G.E. PETTS et A.M. GURNELL, 2005), mais aussi en amont (J.E. EVANS et al., 2007). Le plan d'eau favorise l'accumulation des sables dans la partie aval du ruisseau et la formation du delta progradant observé, mais lors des vidanges, l'érosion régressive se développe le temps de l'assec et contribue à l'exportation d'une partie des dépôts. La terrasse historique pourrait résulter de l'accumulation induite par un niveau plus élevé du lac de retenue, mais cette hypothèse est très improbable car on ne trouve aucun témoin de cette terrasse dans les autres vallées qui rejoignent l'étang de Saloup.
21 Bien étudiées en Amérique du Nord, les formes liées aux impacts morphologiques du bois mort ont moins intéressé les géomorphologues en Europe (R. JEFFRIES et al., 2003). Aussi l'exemple du vallon de la Goutte de l'étang de Saloup contribue-t-il à souligner la variété des formes rencontrées le long de petits cours d'eau en milieu forestier. Si l'altération inégale du substrat granitique conditionne l'efficacité de l'érosion fluviale, l'abondance du bois mort explique la géomorphologie de ces lits majeurs larges à la topographie très irrégulière qui se retrouve pour la plupart des cours d'eau de rang 2 et 3 en forêt de Tronçais quelle que soit la lithologie. En revanche, l'encaissement du lit mineur varie beaucoup d'un bassin versant à l'autre : par exemple, dans le bassin voisin de Rifaudière, le lit mineur n'est presque pas incisé dans le lit majeur qui présente des formes identiques à celui de la Goutte (chenaux secondaires avec rives concaves abruptes mordant sur la base des versants). La variété spatiale des formes peut aussi être expliquée par la longue histoire du massif forestier qui a subi divers types d'exploitation. Ainsi la destruction localisée de la forêt aux alentours du VIIème siècle AD peut avoir provoqué une crise érosive aboutissant à cette importante accumulation sableuse transformée aujourd'hui en terrasse. Enfin, le barrage de Saloup favorise, depuis sa construction en 1817, l'accumulation de sables près de l'exutoire des cours d'eau qui l'alimentent. Ainsi, les dynamiques fluviales observées sont-elles sous la dépendance de nombreux éléments du milieu qui les conditionnent amplement. Une analyse plus poussée des archives sédimentaires, avec des carottages et des datations, permettrait de reconstituer plus finement l'évolution des paléoenvironnements de ce petit bassin versant caractérisé par les formes originales que nous avons étudiées.
Remerciements:Nous remercions Michel FONTUGNE, du Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement à Gif-sur-Yvette, pour la datation des charbons de bois, Mathias BOUNHENG, cartographe à l'Université Paris-Est-Créteil, pour la mise au net des figures. Cet article a aussi bénéficié de la relecture d'Alain MARRE et des suggestions et critiques constructives de deux relecteurs anonymes.