1Le Bas-Loukkos appartient à la Province de Larache au nord du Maroc et constitue un ensemble géographique organisé autour de la plaine du fleuve Loukkos, encadrée au nord et au sud par les plateaux du Sahel et du R'Mel (Fig. 1). En raison de la double valeur patrimoniale, naturelle et historique, de cette région, la reconstitution de l'histoire récente de sa végétation revêt un intérêt particulier.
Figure 1 - La zone d'étude.
2Sur le plan naturel, l'estuaire, le fleuve et les différentes annexes hydrauliques de la vallée constituent le Complexe des zones humides du Bas-Loukkos (CZHBL), couvrant une superficie d'environ 3600 ha, qui a été classé par le Maroc en site d'intérêt biologique et écologique (SIBE) de première priorité et soumis pour inscription sur la liste de Ramsar des zones humides d'importance internationale. Malgré son anthropisation, la flore identifiée révèle plusieurs espèces rares ou menacées à l'échelle du Maroc et une espèce endémique ibéro-marocaine : Pulicaria arabicasubsp. hispanica (S. HAMMADA, 2007). De leur côté, les plateaux du Sahel et du R'Mel, outre le fait qu'ils gardent encore quelques lambeaux forestiers de la subéraie avec des associations floristiques relictuelles, ont révélé l'existence d'un certain nombre d'habitats tourbeux remarquables comme le complexe de Krimda (Fig. 1) (S.D. MULLER et al., 2011).
3Sur le plan historique, outre son occupation ancienne dans la Préhistoire et l'Antiquité, dont les mégalithes de M'zorah et le site majeur de Lixus sont les sites les plus emblématiques, la région de Larache a joué un rôle important au Moyen-Âge et à l'époque moderne dans les rapports plus ou moins conflictuels du Maroc avec les puissances européennes. Constamment disputée aux différentes dynasties marocaines par l'Espagne et le Portugal, la région a connu des vagues de peuplement multiples, en lien avec sa situation stratégique. Une petite forteresse fut érigée à l'embouchure du fleuve à la fin du XIIème siècle par le sultan almohade Abu-Yússuf Yaqub AL-MANSUR, puis une véritable citadelle (Kasbah) à la fin du XVème siècle sous les Wattassides. Le port de Larache deviendra ensuite un repaire de corsaires, avant de tomber entre les mains des Espagnols (1610-1689). Il a été historiquement le principal débouché des productions de la vallée du Loukkos, du Gharb et de grandes cités comme Basra ou Fez (liège, céréales, laine…), depuis le XVIème siècle jusqu'au début du XXème, malgré des périodes de fermeture au commerce international.
4L'histoire de la végétation régionale et l'évolution des paysages qu'elle structure relèvent ainsi d'une double problématique, naturelle et culturelle. En particulier, l'étude des archives sédimentaires des dépressions humides, par l'analyse pollinique des dépôts tourbeux, prend toute son acuité quand on sait que plusieurs des zones humides d'intérêt floristique et faunistique ont été fortement perturbées par les travaux de l'autoroute A1 Rabat-Tanger, et risquent fort d'être impactées par la ligne à grande vitesse LGV Kénitra-Tanger, dont les travaux sont en cours et l'exploitation commerciale prévue pour 2016. Il s'agit aussi de s'intéresser à l'enracinement historique des paysages végétaux actuels et de mesurer leur part d'héritage, voire de valeur patrimoniale.
5L'histoire de la végétation du Maroc nord-occidental est connue ponctuellement par des travaux antérieurs qui ne permettent pas encore d'en faire un schéma général (M. REILLE, 1977, 1979 ; A. BALLOUCHE, 1986 ; A. BALLOUCHE et al., 1986 ; A. BALLOUCHE et F. DAMBLON, 1988 ; F. DAMBLON, 1991). Dans la tourbière de Krimda, à une dizaine de kilomètres au nord de Larache, F. DAMBLON (1991) reconstruit une histoire de plus de 3500 ans qui permet d'avoir un cadre, sur le temps long, de l'évolution de la végétation régionale de notre site d'étude. Nous proposons ici, à partir d'un diagramme pollinique obtenu dans une petite vallée affluente, celle de l'oued Sakh-Sokh au sud de Larache, de retracer les grandes lignes de l'évolution récente de la végétation, en particulier celle du fond de vallée humide lui-même et de la forêt de chêne-liège, qui constitue la végétation naturelle de la région. Dans le contexte particulier présenté ci-dessus, il s'agira ensuite d'en discuter la signification au regard de l'histoire de la région du Bas-Loukkos, depuis l'époque médiévale.
6La région étudiée, la basse vallée du fleuve Loukkos et le plateau du R'mel, se situe sur la façade atlantique de la péninsule tingitane, adossée au piedmont ouest du Rif. Elle constitue aussi l'arrière-pays immédiat de la ville de Larache dont elle subit l'influence.
7La "tourbière" de l'oued Sakh-Sokh, que nous étudions ici, occupe la partie moyenne de la petite vallée du ruisseau du même nom entre la route principale n° 1 et les marais de 'Aïn Chouk. Elle se situe à 7 km au sud de Larache, près du village d'Ouled Hammou (commune rurale de Laouamra), sur le plateau du R'mel (Fig. 1). Le plateau, d'une altitude moyenne de 50 à 80 m, est essentiellement constitué à cet endroit par les formations sableuses du Plio-Quaternaire (dit Villafranchien). Il offre ainsi des sols à texture légère, faciles à travailler et très favorables aux cultures, donc pratiquement totalement défrichés (céréales, arachides, maraîchage, agrumes). Plus au sud, le plateau devient plus caillouteux et forestier (subéraie de Khalifat).
8L'oued Sakh-Sokh est un affluent de rive gauche du Loukkos qui, sur un cours d'un peu plus de 10 km, draine un petit bassin versant d'une cinquantaine de km2 s'incisant sur la bordure du plateau du R'mel, entre 60 et 0 m d'altitude. Il est principalement alimenté par les restitutions de la nappe aquifère dite du R'mel, ce qui lui donnait un écoulement quasi-permanent avant l'exploitation excessive de cette nappe. À l'aval, le cours d'eau n'atteint pas directement le fleuve, car arrêté par un bourrelet de berge, et s'épand dans un ensemble de marécages (marais de 'Aïn Chouk et Boucharène). Dans la partie moyenne du cours (entre 5 et 20 m d'altitude), se développent localement des marais tourbeux alimentés en permanence par le cours d'eau et la nappe phréatique subaffleurante.
9Le climat actuel est de type méditerranéen avec des précipitations annuelles de l'ordre 650 mm (695 mm à Larache et 622 mm à Laouamra), qui tombent principalement entre octobre et mai, avec 4,5 mois secs. Les températures moyennes se situent autour de 18°C (17,37° à Larache et 18,27° à Laouamra) et, à Larache, le mois le plus froid (janvier) a une température moyenne minimale de 5,8°C. Ainsi, sur le plan bioclimatique, la région se situe dans l'étage thermoméditerranéen subhumide à hiver doux à tempéré. Les vents dominants sont les vents marins de secteur ouest à sud-ouest, mais en été des vents continentaux secs et chauds (chergui) ne sont pas rares, entraînant une importante évapotranspiration.
10La végétation régionale s'inscrit pour l'essentiel dans la série du chêne-liège, appartenant au groupe des "subéraies subhumides sur sable" (C. SAUVAGE, 1961). Le principal massif forestier à proximité est la forêt de chêne-liège de Larache, largement ouverte par le défrichement et le pâturage et localement remplacée par des reboisements d'eucalyptus, de pin et d'acacia. Le complexe des zones humides du Bas-Loukkos comporte trois faciès de végétation. Sur les berges de l'oued Loukkos, depuis l'estuaire jusqu'au barrage de garde, se développe un schorre, à base de plantes halophiles où dominent les Chénopodiacées. Cet espace est aujourd'hui en grande partie occupé par des marais salants. À l'arrière du bourrelet de berge, se développent ensuite des zones marécageuses, avec des formations végétales aquatiques et subaquatiques très diversifiées, dominées par Nymphaea, Juncus, Scirpus, Phragmites, Typha... Elles comportent sur les parties les plus hautes une formation boisée à Tamarix canariensis et à Salix purpurea. Dans le vallon du cours d'eau lui-même, trouvent place un marais à Cypéracées, bordé d'une roselière à Phragmites communis, puis une ripisylve à base de Salix cinerea et Salix purpurea. (S. HAMMADA, 2007).
11Le diagramme pollinique étudié ici a été obtenu à partir de l'un des carottages prélevés en décembre 1985 sur le site SS-2 (N35°06'28''-W06°07'20''). Les carottages ont été réalisés au carottier russe (en collaboration avec F. DAMBLON, alors professeur à l'Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II de Rabat). Les carottes de 50 cm de long ont été recueillies dans des gaines en plastique et échantillonnées en laboratoire. L'étude palynologique a été réalisée par nos soins au laboratoire de palynologie du CEGET (Centre de Géographie Tropicale du CNRS de Talence, dirigé par C. CARATINI). Acquises dans le cadre d'une thèse de doctorat de l'Université de Bordeaux I, les données sont demeurées inédites depuis.
12Le carottage SS-2 est localisé à 100 m du ruisseau, à la lisière d'un petit bois de saules limité par une frange de roseaux, à une altitude de 16 m. Il a livré 315 cm de sédiments, dont 70 cm de sables organiques noirs (de 315 à 245 cm de profondeur) et le reste de tourbe plus ou moins décomposée (de 245 cm au sommet).
13Une datation radiocarbone à été obtenue sur un échantillon de tourbe au niveau 235-240 cm : 570 ± 120 ans BP (Ly-3787), soit 575 ± 79 cal BP (1375 ± 79 cal AD ou 1296-1454 après J.C.).
14Les prélèvements de 20 g de sédiment, tous les 10 cm, ont été traités par HCl dilué (10 %) pour dissoudre les carbonates, puis par HF à 70 % pendant 15 heures pour détruire les silicates et les oxyhydoxydes d'altération, puis de nouveau par HCl (50 %) à chaud pour éliminer les fluosilicates. Après ces traitements, le résidu a été tamisé dans une cuve à ultrasons sur un tamis de 5 µm. Conservé dans de la glycérine bidistillée, le culot a servi au montage de lames en milieu mobile.
15Le diagramme pollinique obtenu a été interprété et confronté aux données des sources historiques, en particulier les cartes militaires levées aux XVIIème et XVIIIème siècles (Archivo General de Simancas, Madrid, et Bibliothèque Nationale de France, BNF Paris).
16Sur les trente-deux échantillons analysés, le matériel sporopollinique est plus ou moins bien conservé et identifiable. Vingt-huit échantillons ont pu être utilisés, avec des sommes polliniques comprises entre 96 et 376. Cinquante neuf taxons différents ont été identifiés (Fig. 2).
Figure 2 - Diagramme pollinique du site SS-2 de l'oued Sakh-Sokh (analyste : A. BALLOUCHE).
17Le diagramme pollinique ainsi construit permet de distinguer trois zones polliniques :
18- Zone 1 (315 à 255 cm) : Le pollen des arbres et arbustes se maintient dans des taux faibles (2 à 9 %). Il est constitué, en majeure partie, par du pollen de Quercus sclérophylles (type suber) (1,3 à 7,2 %). Les Composées Cichorioidées forment le taxon prédominant (34,6 à 64,7 %). Elles sont accompagnées d'Apiacées et de Brassicacées, alors que les Poacées et les Cypéracées (4,7 à 23,1 %) ont des taux faibles relativement à leur importance ultérieure. Les spores de Ptéridophytes (sauf Pteridium) et de Bryophytes atteignent leurs pourcentages les plus élevés dans cette zone (jusqu'à 23 %).
19- Zone 2 : Elle couvre sur 40 cm une partie de la carotte trop pauvre en pollen et spores pour fournir des spectres fiables. Les niveaux 235 et 195 cm en délimitent respectivement la base et le sommet. Quercus (type suber) atteint ses taux les plus importants du diagramme (13,1 à 16,3 %), ce qui entraîne une nette augmentation du pollen des arbres et arbustes. Les Poacées (10,6 à 13,9 %) et Cypéracées (18,3 à 22,1 %) gardent des pourcentages modérés. En revanche, les Cichorioidées passent de 27,9 % à la base à 18,3 % au sommet. À partir de cette zone, certains taxons reculent définitivement (Myrica, Dipsacacées, Bryophytes...), d'autres apparaissent (Pteridium, Caryophyllacées de type Silene) ou se développent (Clématis, Papilionacées).
20- Zone 3 : À partir de la zone 3, la courbe de Quercus prend une tendance régressive. Le pollen des Poacées de type "céréales" apparaît en courbe quasi-continue (0,4 à 1,2 %), accompagné de Plantago lanceolata, Plantago coronopus... Les courbes des Cichorioidées et des Cypéracées permettent de définir trois sous-zones :
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3a(185 à 135 cm) : Les pourcentages de Cypéracées augmentent progressivement jusqu'à 59,1 %. Inversement, les Cichorioidées atteignent leur taux le plus faible depuis la base du diagramme (6,1 à 15,9 %).
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3b(125 à 95 cm) : Les proportions s'inversent au profit des Cichorioidées. En même temps, apparaît le pollen de Typha latifolia (2,5 à 7,6 %).
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3c(85 cm au sommet) : Les Cichorioidées ont définitivement perdu leur importance, ce qui profite d'abord aux Cypéracées (35,1 à 66,3 %), puis aux Poacées (6,4 à 28,5 %). Quercus type suber poursuit sa courbe régressive (1,6 à 5,3 %). L'augmentation du pollen des arbres et arbustes, notée vers le sommet du diagramme (15,4 %), est essentiellement due à l'apport, dans les 30 derniers centimètres, de Pinus, Eucalyptus et Olea.
21Outre le pollen et les spores, nous avons également identifié le microplancton d'eau douce Concentricystes circulus (Pseudoschizaea). Il est présent dès la zone pollinique 1, avec des proportions de 0 à 5,3 % du total des palynomorphes. C'est dans la zone 2 (5,4 à 8 %) et à la base de la zone 3 (1,9 à 7,7 %), qu'il obtient sa meilleure représentation. Dans les sous-zones 3b et 3c, il ne dépasse plus 1 %. Par ailleurs, les lames analysées montrent la présence de microparticules opaques, probablement charbonneuses, qui n'ont pas été quantifiées.
22Bien que nous n'ayons pas, à ce jour, d'indications sur les relations spécifiques entre la végétation et les pluies polliniques sur le marais de l'oued Sakh-Sokh, il nous semble évident qu'une partie, au moins, du diagramme est marquée par l'importance de la sédimentation pollinique in situ des Cypéracées. L'interprétation du diagramme pollinique peut ainsi se faire à deux échelles : celle des paysages végétaux locaux, du fond de vallon, et celle des paysages microrégionaux, sinon régionaux, c'est-à-dire du plateau de R'mel.
23La tranche de temps représentée par le diagramme, outre les parties pauvres en matériel sporopollinique, n'est certainement pas continue. Une lacune sédimentaire peut être mise en évidence vers 245 cm. Elle est visible dans la lithologie qui, jusque-là sableuse, devient brusquement organique mais également à travers les courbes de certains taxons – Quercus, Cichorioidées, Poacées de type Silene.
24Dans la zone 1, l'environnement sédimentaire indique un cours d'eau aux écoulements actifs, certainement connecté à la vallée principale. L'écoulement se faisant alors sans obstacle, donc sans grand développement de zones humides marécageuses dans le fond de vallon, les hygrophytes ne trouvent guère les conditions favorables à leur développement. La végétation des bords du ruisseau est documentée par des Ptéridophytes et, éventuellement, des Apiacées. La sédimentation pollinique est dominée par le pollen des Cichorioidées apportées par ruissellement diffus depuis un bassin versant largement déboisé.
25Depuis plus de 600 ans, le fond de vallée connaît un comblement rapide avec un taux de sédimentation organique moyen de l'ordre de 40 cm par siècle. Ce comblement est probablement à mettre en relation avec le développement à l'aval du bourrelet de berge du Loukkos. L'étude géomorphologique de P. CARMONA et J.M. RUIZ (2009) a bien montré, au cours des derniers siècles, l'accrétion rapide des marais intertidaux dans l'estuaire et le développement des zones émergées dans le delta intérieur du fleuve. Ainsi les annexes hydrauliques de l'estuaire sont isolées du fleuve, ce qui entraîne en amont un fonctionnement en marais tourbeux dans la vallée de l'oued Sakh-Sokh, avec un ruisseau à courant lent.C'est alors que la végétation hygrophile à Cypéracées, à l'origine de la tourbière, prend son essor et se maintient de façon assez stable. On constate cependant des fluctuations dans la prédominance des Cypéracées, indiquant des changements locaux dans la végétation du marais :
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une phase à Typha (zone 3b), montrant certainement l'installation d'une nappe d'eau libre ou d'un chenal plus ou moins actif à l'endroit du carottage ;
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une augmentation progressive, vers le sommet, de la proportion des Poacées, pouvant révéler la mise en place d'une roselière.
26Dans les zones polliniques 2 et 3, la mise en place de zones humides, avec des mares dans le fond de vallée, permet une sédimentation pollinique sous une tranche d'eau plus ou moins permanente, qui enregistre à la fois l'apport local des Cypéracées et la pluie pollinique de la végétation régionale apportée par le vent. En revanche, tout au long du diagramme, le signal pollinique de la végétation halophile de la basse vallée du Loukkos est absent.
27Bien que le carottage ait été effectué à quelques mètres de la saulaie, le pollen de Salix atteint seulement 0,3 et 1,2 % dans les deux spectres de surface. Cette sous-représentation de Salix dans les niveaux de surface mérite d'être relevée. Cela pourrait être expliqué par la mauvaise préservation du pollen de Salix dans les tourbes à Cypéracées, mise en évidence par A.J. HAVINGA (1984), et par le caractère dioïque des saules. Cependant, en l'absence d'autres espèces de ripisylve, on peut aussi supposer que la végétation du marais est restée longtemps assez peu boisée, composée de formations subaquatiques à Scirpus, Phragmites et Typha associées à de petites mares présentant une strate submergée (Potamogétacées) et une strate flottante Nymphaea, Ranunculus... Le développement de la ripisylve serait donc récent et indicateur de la phase finale du comblement.
28Si l'on admet l'existence d'une lacune de sédimentation, l'histoire de la végétation, telle qu'elle est enregistrée ici, se répartit en deux phases de part et d'autre de cette lacune.
29Dans la zone 1, l'image pollinique de la végétation correspond à un paysage largement ouvert, où les herbacées héliophiles, telles que les Composées, Apiacées, Brassicacées sont bien présentes. Le chêne-liège, principal arbre représenté, l'est assez faiblement, en raison de son éloignement du site et, probablement, du peu d'importance des peuplements. En l'absence de datation absolue, il est difficile d'attribuer un âge à cette zone. Par comparaison avec les données de la tourbière de Krimda, sur le plateau du Sahel assez proche, on peut considérer qu'elle serait postérieure au recul régional du chêne-liège au XIème siècle (F. DAMBLON, 1991).
30Après la lacune, dans la zone 2, on a la manifestation d'un enregistrement différent dans lequel les Composées reculent tandis que les Poacées et le chêne-liège gagnent en fréquence. Cela peut rendre compte d'un réel changement de végétation, mais peut aussi s'expliquer par un changement dans les conditions locales de dépôt et d'archivage de la pluie pollinique. La date du XIVème siècle, que nous avons obtenue sur le niveau 235-240 cm, situe cette zone à la fin du Moyen-Âge, avec un paysage relativement peu boisé, car, même si le chêne-liège est bien représenté, les espèces héliophiles (Composées, Brassicacées, Poacées) restent dominantes.
31La base de la zone 3 est marquée par une diminution relative du chêne-liège, qui s'accentue plus haut, indiquant un recul persistant de la subéraie. Les indicateurs de l'action anthropique sont désormais enregistrés en continu. Celle-ci est attestée par la présence de pollen de plantes cultivées (céréales, légumineuses), mais surtout par les diverses plantes indicatrices des perturbations anthropiques. Parmi celles-ci, on peut distinguer deux types : les adventices accompagnatrices des cultures comme certaines Composées et certains plantains (Plantago), mais surtout des espèces nitrophiles (Rumex, Urticacées...) qui indiquent le pâturage à l'échelle du bassin versant ou, localement, des sites sureutrophisés tels que les lieux d'abreuvement au bord du cours d'eau. La présence régulière dans la zone pollinique 3 des spores de Pteridium signe la présence d'incendies de végétation, également documentés par des microparticules charbonneuses dans les lames analysées. Contrairement à ce qui est observé dans le diagramme de Krimda sur le plateau du Sahel, dans le bassin de l'oued Sakh-Sokh sur le plateau du R'mel, la destruction de la subéraie ne semble pas bénéficier aux espèces classiques du matorral (Ericacées, Cistacées), sauf très légèrement dans la zone 1.
32La dernière phase (sous-zone 3c) est celle de l'installation de la situation actuelle. La subéraie est définitivement dégradée et remplacée par une végétation fortement artificialisée. Olea est de plus en plus présent et on voit apparaître, vers le sommet, les nouvelles essences de boisement : Eucalyptus et Pinus. Eucalyptus a été introduit dès la fin du XIXème siècle à Tanger et, dans la région de Larache, avec le protectorat espagnol, surtout dans les années 1930 (A. EL-GHARBAOUI, 1981). On peut, alors, affirmer que les 30-40 derniers centimètres se sont déposés au cours du XXème siècle. On ne peut cependant exclure la possibilité de remaniements de la surface.
33Le diagramme pollinique de l'oued Sakh-Sokh, retrace une histoire environnementale essentiellement déterminée par les facteurs locaux, hydro-géomorphologiques et édaphiques, en lien avec l'évolution de la basse vallée du Loukkos et le comblement de la dépression du ruisseau, et par les facteurs anthropiques agissant sur le bassin versant. Le comblement lui-même résulte de l'anthropisation des couverts végétaux et pédologiques du plateau du R'mel, selon le triptyque : défrichement-érosion-colluvionnement. Aucun signal climatique n'est identifiable. Tout au long de l'histoire de la végétation reconstituée ici, le paysage végétal est ouvert et la subéraie parcellaire. Cette histoire peut se lire de plusieurs façons différentes.
34On peut y voir, d'une part, un processus continu, voire final, de dégradation de la forêt climacique à chêne-liège, qui constituait à l'Holocène moyen la couverture forestière de vastes espaces du Maroc nord-occidental. Le diagramme obtenu par M. REILLE (1979) dans le lac de Sidi Bou-Rhaba, à environ 100 km au sud de notre site, nous apprend que la subéraie était bien développée, dans des conditions édaphiques relativement comparables à celles de notre site, depuis plus de 7000 ans. Dans la tourbière de Krimda, à 14 km au nord, F. DAMBLON (1991) reconstruit l'évolution sur plus de 3500 ans d'une subéraie à Myrte bien développée, même si les activités humaines s'y manifestent par l'incendie et le pâturage. À partir du XIème siècle, la forêt est remplacée par un matorral à Ericacées et Cistacées. Ainsi, dans notre région, contrairement à ce qui se passe dans le Rif occidental (M. REILLE, 1977), les activités humaines ne sont pas responsables d'une extension de la subéraie aux dépens des chênaies caducifoliées, car elle y constituait déjà la forêt naturelle.
35Dans le diagramme de l'oued Sakh-Sokh, l'expression de l'action anthropique est perceptible dès la base, mais surtout dans la zone pollinique 3. Le recul net du chêne-liège et les indices de mise en culture ou d'élevage se manifestent au même moment. C'est sur le territoire de la subéraie qu'ont pu avoir lieu les défrichements de cette époque, essentiellement pour la culture des céréales, tout comme la mise en place des terres de parcours. Au Moyen-Âge, l'olivier est très discret et ne se développe que bien plus tard. On ne peut donc accorder ici à l'installation de l'oléiculture une date comparable à celle qui lui est attribuée par M. REILLE (1977) dans le Rif Occidental, à savoir le Xème siècle. Si culture de l'olivier il y a eu dans l'Antiquité, comme l'affirme M. PONSICH (1966, 1981), elle aurait donc perdu de son extension depuis. Il est plus probable qu'elle soit restée limitée autour de Lixus (A. BALLOUCHE, 1986 ; F. DAMBLON, 1991).
36L'occupation humaine de la région de Larache depuis le Moyen-Âge est suffisamment bien connue pour tenter une explication de l'évolution du paysage en lien avec le peuplement. Après l'abandon de la cité de Lixus par l'administration romaine au Vème siècle (A. AKERRAZ, 1992 ; A. SIRAJ, 1995), le peuplement de la région, en particulier du plateau du R'mel, devait être très peu dense. D'après les descriptions d'EL-BAKRI au XIème siècle (EL BEKRI, 1859) et d'AL IDRISSI au XIIème (AL IDRISSI, 1999), la cité de Tchemich, qui fait suite à Lixus au haut Moyen-Âge, n'était plus qu'une petite bourgade ayant conservé quelques ruines de sa splendeur passée, alors que la plaine alluviale du Loukkos (oued Safdad, chez ces auteurs), voisine de Ksar-Kebir (Souk-Kotama, à l'époque) était déjà bien cultivée. A. EL-GHARBAOUI (1981) considère que la répartition de l'occupation actuelle est encore marquée par cette situation médiévale : la majorité des villages est située dans la plaine du Loukkos ou sur les bords du plateau dominant cette plaine.
37Cependant les déforestations de l'époque ne sont certainement pas dues à la seule agriculture. C'est vers 1188-89 que les Almohades introduisent au Maroc les premières tribus arabes de pasteurs hilaliens, dont une branche, les Riyah, s'installa, au sud de l'actuelle ville de Larache. Cette date correspond bien à la phase de dégradation de la subéraie identifiée à Krimda (F. DAMBLON, 1991). La présence de ces pasteurs hilaliens est peut-être aussi responsable de l'état de la végétation observé dès le début du diagramme de l'oued Sakh-Sokh, où la forêt est déjà dégradée. Nous pensons qu'ensuite, l'accentuation de l'anthropisation du paysage daterait du XVème siècle, au moment où les tribus Khlot et Tlig, de même origine arabe, s'implantèrent dans cette région, et ce jusqu'à nos jours. La présence de ces fortes tribus militaires est justifiée par le rôle stratégique de ce secteur, à l'avant-garde des luttes contre les tentatives d'invasion portugaises, espagnoles et anglaises (A. EL-GHARBAOUI, 1981). Leur pratique de l'élevage ovin extensif est certainement un déterminisme fort de la construction des paysages végétaux. D'autres activités humaines y contribuèrent, telle que l'exploitation du bois pour la fabrication du charbon, dont LÉON L'AFRICAIN témoigne dans sa Description de l'Afrique (vers 1530), quand il parle de grands bois dont "les habitants de cette cité [Larache, ndlr] ont une ancienne usance de faire du charbon, qu'ils envoient par mer en Arzilla et Tangia" (LÉON L'AFRICAIN, 1956), ces deux villes étant alors occupées par les Portugais. L'alimentation des nombreux fours à chaux, fours de potiers et briqueteries, les chantiers navals, les incendies et les guerres incessantes participèrent aussi à cette dégradation.
38La destruction de la subéraie s'est encore aggravée au XIXème siècle, avec l'exportation par Larache d'importantes quantités de céréales et de liège, voire de bois d'œuvre. D'après A. EL-GHARBAOUI (1981), la nécessité économique de l'exploitation de la forêt était telle qu'elle entraîna, sur le plateau du R'mel, l'apparition d'un véritable corps de métier, les zebbara (bucherons abatteurs d'arbres). On voit enfin apparaître, au XXème siècle, une nouvelle forme d'activité anthropique, avec les reboisements de pins et d'eucalyptus.
39Une autre lecture permet de s'appuyer sur ce diagramme pour retracer une trajectoire paysagère originale (Fig. 3).
Figure 3 - Synthèse des dynamiques environnementales et paysagères (oued Sakh-Sokh, Bas-Loukkos).
40Ainsi, dans le site de Krimda, au nord du Loukkos, F. DAMBLON (1991) révèle une longue période de mise en valeur agricole ou agropastorale, tant à l'époque punico-romaine que dans le haut Moyen-Âge. De notre point de vue, le système d'exploitation devait s'organiser en une sorte d'infield/outfield, qui crée un paysage clairiéré dans la subéraie. La matorralisation s'accentue après les XI-XIIèmes siècles. Les matorrals actuels en seraient hérités, suite à une intensification des défrichements et une pression pastorale grandissante, ainsi qu'à une grande fréquence des incendies.
41En revanche, sur le plateau du R'mel, les taxons typiques du matorral sont absents ou très discrets. Au lieu d'une simple subéraie dégradée, nous verrions dans la végétation documentée par le diagramme de l'oued Sakh Sokh un paysage sylvopastoral construit par la pratique de l'élevage extensif, fondé sur un parcours en forêt. Plutôt qu'une formation de type maquis fermé, il faut plutôt s'imaginer ce paysage comme un parc arboré ouvert à chêne-liège, comparable à la dehesa espagnole ou au montado portugais. Dans ces formations végétales ibériques, très anthropisées, la strate herbacée est systématiquement broutée et des cultures céréalières peuvent y être intercalées, tandis que le peuplement arboré est l'objet de traitements sylvicoles orientés vers d'autres productions, ligneuses (bois, charbon, liège) ou non (glands, fourrage aérien, tanin...). L'ensemble aboutit à des paysages culturels d'une grande cohérence et parfois sur de grandes surfaces. Typiques de la Méditerranée occidentale, ces paysages, dits savanoïdes en raison de leur physionomie, sont insuffisamment connus dans leur enracinement historique (T. MARAÑÓN et J.F. OJEDA, 1998 ; A.M. VICENTE et R.F. ALES, 2006).
42Dans la zone pollinique 3, ce paysage nous semble pouvoir être bien corrélé aux formes d'usage de l'espace des tribus Khlot et Tlig, orientées majoritairement vers l'élevage extensif, associé partiellement à l'agriculture céréalière, mais aussi à la production du bois et du charbon. Les sources écrites ne remontent certes pas à l'époque de l'arrivée de ces tribus dans la région, mais de nombreux témoignages européens du XVIIIème siècle nous permettent d'identifier ce type de paysage, parfois en creux plus que positivement. Le plus précis des auteurs est certainement William LEMPRIERE, qui traversa le plateau au sud de Larache en octobre 1789 et qui semble surtout frappé par la finalité pastorale de cette zone : "Je traversai plusieurs plaines que la main de l'homme n'avait jamais travaillées mais qui offraient l'aspect des meilleurs pâturages". Et, en lien avec cet usage, le paysage est ainsi décrit : "les arbres, dont les espèces sont très variées, et qui bordent le chemin, sont plantés avec tant de symétrie, qu'ils ont plutôt l'air de faire l'ornement d'un parc, que de croître dans un pays presque inculte" (W. LEMPRIERE, 1801). Jan POTOCKI qui traverse la même région deux ans plus tard (1791), mais à la fin de juillet, parle de "plaines incultes couvertes d'un gramen rare et déjà desséché", dont les habitants "cultivent peu la terre et mènent une vie plus purement pastorale" (J. POTOCKI, 1997). Enfin, un siècle plus tard, en 1885, H. DUVEYRIER (1886) s'étonne encore que l'on puisse parler de bois ou de forêt : "en sortant d'El-'Arâïch on entre bientôt dans une autre "forêt" dont les essences les plus marquantes sont le chêne à glands doux, le chêne-liège et le poirier sauvage. Les pieds d'arbres sont très espacés ; l'intervalle entre eux est occupé par des palmiers nains, des fougères, de longues graminées et des fleurs variées".
43Il est également possible de lire ces spécificités paysagères sur certaines cartes des XVIIème et XVIIIème siècles, même si celles-ci se limitaient souvent à la côte ou à la place forte de Larache. Une carte levée en 1611 par Juan Bautista ANTONELLI (Archivo General de Simancas, Madrid) distingue à la fois des espaces boisés au sud de la ville, qui rappellent la forêt de Larache actuelle, et des aires plus ouvertes où le figuré permet d'identifier des étendues herbeuses avec des bosquets arborés isolés. Sur la carte de 1774 levée par Diego NOBLE, le paysage herbeux arboré est également bien identifiable (Fig. 4).
Figure 4 - Détail de la carte de Larache levée par Diego NOBLE en 1774 (source BNF).
44Au début du XXème siècle, à la veille des bouleversements coloniaux, ces paysages végétaux et leurs systèmes producteurs sont encore fonctionnels : "peu de douars, à peine quelques champs, le pays n'est qu'un immense pâturage où paissent des troupeaux de moutons et de bœufs" (E. AUBIN, 1904). Comme on le voit sur le diagramme, la végétation est effectivement à un stade avancé de dégradation. Dans sa monumentale monographie sur Les tribus arabes de la vallée du Lekkoûs, É. MICHAUX-BELLAIRE et G. SALMON (1905-1906) font une description assez détaillée de la végétation, dont la forêt de Larache appartenant à l'État (Makhzen), composée de grands chênes dont le liège n'était pas exploité, mais dont le bois servait à la construction navale et à celle de gros chariots pour le transport des marchandises vers Fès. Le plateau du R'mel (As-Saba' Koudâ), orné de taillis de petits chênes, est "couvert d'une maigre végétation de tamarins (tamarix, ndlr), de lentisques et d'asphodèles, renferme les sources dont sont issus les deux ruisseaux de Smid el-Mâ et de Sakhsokh". Pour l'essentiel, il s'agit de terres de labour et de pacage, en particulier les zones où la nappe phréatique est à fleur de sol, et où l'herbe manque rarement, même pendant l'été, ce qui en fait d'excellents terrains pour le pâturage.
45On peut, enfin, mettre en vis-à-vis de cette évolution de la végétation des plateaux, celle de la vallée du Loukkos. Les sources historiques ont largement décrit l'évolution de l'embouchure de l'oued Loukkos (oued Safdad), dont on connaît la relative mobilité à travers les nombreuses cartes de l'époque moderne (J.A. VILAR, 1992 ; R.J. PUJADES I BATALLER, 2005), comme le montre l'étude géomorphologique récente de P. CARMONA et J.M. RUIZ (2009). Nos enregistrements polliniques ne documentent pas cette histoire. En revanche, les sources écrites permettent de bien distinguer le mode de mise en valeur de la vallée de celui des plateaux, avec en particulier, comme grand centre urbain, Ksar el-Kebir (Ksar Danhdja ou Suk Kutama selon les époques, Oppidum novum des Romains). Chez les auteurs arabes, il est probable que la fertilité de la région, souvent évoquée en termes généraux, se rapporte à la vallée et à sa plaine alluviale : "les deux côtés de la rivière sont couverts de jardins et de vignes" (Géographie d'Aboulféda, XIVème siècle – ABUL FIDA, 1840). Cette caractéristique se maintient jusqu'à la veille de la colonisation. "La ville d'El-Qçar est entourée d'une ceinture de jardins où on rencontre des oliviers, des figuiers, des grenadiers, des orangers, des citronniers, des cognassiers, des palmiers, des pommiers, des poiriers, des abricotiers, des pêchers et des vignes. Toute la vallée du Lekkoûs […] estbordée, presque sans interruption, de jardins de figuiers et de grenadiers ombrageant le cours de l'oued" (É. MICHAUX-BELLAIRE et G. SALMON, 1905-1906). L'autre usage de la vallée était le pâturage des prairies naturelles de la plaine alluviale, en particulier pour le gros bétail et les chevaux. Au XIXème siècle, l'espace situé à l'amont de la confluence de l'oued Sakh-Sokh avec le Loukkos, accueillait les chevaux du roi ('Adir as-Sultan).
46L'évolution de la végétation du Bas-Loukkos, telle que retracée à travers un diagramme pollinique couvrant une tranche de temps historique depuis la fin du Moyen-Âge, s'inscrit dans une dynamique de transformation pluricentenaire et continue. À l'échelle régionale, la subéraie recule au profit d'un matorral à chêne-liège, Éricacées et Cistacées. Dans une région où l'histoire du peuplement moderne et contemporain est assez bien connue, il est intéressant de confronter ces évolutions aux usages, exploitations et mises en forme que les populations qui se sont succédées, ont pu faire de leur environnement. Il faut pour cela s'appuyer sur les sources historiques. Localement, l'histoire paysagère peut alors révéler des exemples originaux d'émergence paysagère (Fig. 3).
47Au delà des processus de dégradation, les paysages végétaux, dont nous avons reconstruit les trajectoires, se lisent comme le produit d'une construction complexe, essentiellement due aux pratiques et aux usages des populations Khlot et Tlig qui ont peuplé cette région depuis la fin du Moyen-Âge, mais également en articulation avec les enjeux géostratégiques d'une région convoitée et disputée, entre Maroc et puissances européennes ou entre pouvoir central (Makhzen) et tribus. Depuis Ibn KHALDOUN, la tradition historiographique arabo-musulmane a voulu voir dans les populations "hilaliennes", souvent turbulentes et au genre de vie nomade, les vecteurs d'une dévastation catastrophique qui font table rase sur leur passage. Si cette vision a été depuis atténuée par des historiens comme Jean PONCET, le regard que nous portons sur le rôle paysager joué par leurs descendants Khlot et Tlig, dans la région de Larache, relativise aussi le cliché qui voudrait que la forêt précède les peuples et que le désert les suit (attribué à CHATEAUBRIAND).
48La structure paysagère en parc arboré à déterminisme agro-sylvo-pastoral reconstituée ici est originale et reconnue pour la première fois au Maroc dans son enracinement historique. Elle évoque par de nombreux aspects les paysages de dehesa et de montado de la Péninsule Ibérique ; ce qui n'est pas sans poser des questions intéressantes sur de possibles processus génétiques convergents, sinon communs. En cinq siècles, cette végétation s'est totalement intégrée à de véritables paysages culturels au sens de Carl SAUER (1925) : "The cultural landscape is fashioned from a natural landscape by a culture group. Culture is the agent, the natural area is the medium, the cultural landscape is the result". Dès la fin du XIXème siècle, ces paysages culturels semblent montrer de forts signes d'altération, mais c'est surtout leur éradication presque totale au cours du dernier siècle qui doit interpeler. Aujourd'hui, notre zone d'étude appartient à un secteur intensivement cultivé du périmètre irrigué de l'Office Régional de Mise en Valeur du Loukkos, poursuivant l'œuvre engagée par la puissance coloniale espagnole dès les années 1920. Barrages, stations de pompage et réseau dense de canaux maîtrisent le cycle de l'eau, pendant que vergers d'agrumes, champs de betterave, canne à sucre, arachide ou tournesol, théiers ou cultures fourragères quadrillent le paysage du plateau. Les vieilles subéraies de Larache et de Khalifat sont domanialisées et marquent encore le pays, par leur visibilité et par quelques arbres remarquables, mais la forêt revient surtout sous forme de boisement, souvent à base d'essences exotiques (eucalyptus, pins). En moins d'un siècle, les paysages arborés séculaires des Khlot et des Tlig ont disparu.