Deux beaux livres d'images sur le Sahara : "Signatures sahariennes. Terroirs et territoires vus du ciel", Marc CÔTE, 2012, Presses Universitaires de Provence, 307 p. – "Sahara, les grands changements climatiques naturels", Nicole PETIT-MAIRE, 2012, Éditions Errance, 191 p.
Signatures sahariennes. Terroirs et territoires vus du ciel, 2012 (Presses Universitaires de Provence, 307 p.) – Sahara, les grands changements climatiques naturels, 2012 (Éditions Errance, 191 p.)
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1Ces deux ouvrages offrent la particularité de donner la priorité aux images sur le texte, explicitement dans le cas du livre de Marc CÔTE, implicitement dans le cas du livre de Nicole PETIT-MAIRE. Ils se ressemblent également par leur souci de vulgarisation. Ce dernier se traduit d'abord par un niveau scientifique souvent élémentaire, voire simpliste (ou tout au moins très inégal car Nicole PETIT-MAIRE peut être très précise), ensuite par l'absence ou le très petit nombre de références bibliographiques pour un sujet aussi gigantesque, enfin par des visions très subjectives du Sahara.
2Marc CÔTE est géographe. Son ouvrage, de grand format, comprend cinq parties, précédées d'une courte présentation de deux pages, et suivies de "quelques références bibliographiques" (une page), un "petit lexique" (une page), un index (quatre pages), une table des figures (quatre pages) et une table des matières (une page).
3La première partie, de beaucoup la plus volumineuse, présente la signature des terroirs d'antan : les oasis (81 pages) ; la deuxième partie, les signatures des lieux de vie d'antan : les ksour (69 pages) ; la troisième partie, les signatures des territoires modernes : les mises en valeur (33 pages) ; la quatrième partie, les signatures des lieux de vie modernes : les villes sahariennes (49 pages) ; et la cinquième partie, les autres signatures du temps présent : traces et balafres (52 pages).
4Chaque exemple présenté, de façon monographique, s'appuie essentiellement sur une image satellitaire récente, voire actuelle, de Google Earth, bien choisie, de qualité, accompagnée de photos au sol et de croquis de l'auteur, ainsi que, souvent, d'un plan. En décalage avec les images, les croquis sont de facture et de police pré-informatiques, sans échelle, et les plans souvent anciens et peu lisibles et dont la source n'est pas toujours indiquée. Il s'agit donc d'un album d'images caractéristique d'une démarche méthodologique très traditionnelle, appuyée sur le regard individuel du géographe sur le terrain, et donc très descriptive. Le texte adopte très souvent un style télégraphique qui accompagne très bien le but descriptif de l'ouvrage, limite les fautes de syntaxe, mais ne permet pas le développement d'explications nuancées. Selon une vieille tradition géographique, l'auteur abuse des termes locaux aux dépens des termes scientifiques, ainsi, page 48, "chriat, dzira et behar", au lieu de butte de source artésienne, en accord avec une vision qui consacre 159 pages aux aspects traditionnels. La subjectivité de l'auteur s'exprime à plusieurs reprises : beauté (p. 93), "on y sent…" (p. 245), "balafres" (p. 245), "l'eau… s'est vengée des hommes" (p. 258). On notera également une quinzaine de fautes d'orthographe.
5Dans la logique de Physio-Géo, je me limiterai aux aspects environnementaux, il est vrai particulièrement prégnants au Sahara. Cependant, il serait intéressant de discuter bien des points, à commencer par le terme de "signatures" ou encore le vocabulaire chronologique ("antan", "temps présent"), la typologie des oasis, par exemple, et leur origine. De même, malgré les images satellitaires très récentes, rien n'est dit sur le printemps arabe (cf. ci-dessous), ni sur l'occupation du Nord Mali par des salafistes.
6Le niveau scientifique reste élémentaire, voire simpliste : "la barkhane est une petite dune" (p. 230, p. 253), "l'eau… monte toute seule" (p. 48), "coulées de vent et de sable" (p. 74), "ville moderne de N'Djamena" (pour une ville créée en 1900) (p. 236), "ville… de type populaire" (p. 237), "limite biologique du désert" (p. 232, p. 243), "ville et palmeraie transformées en éponge" (p. 262). Et le petit lexique (p. 300) ne clarifie pas le vocabulaire : foum = débouché (alors que c'est une gorge, un goulet) ; le ghout n'est pas un cratère dans un erg, mais une dépression en entonnoir creusée par les hommes dans un erg ; le houd n'est pas un cratère peu profond, mais un ghout peu profond et un reg n'est pas une plaine de graviers, mais une pellicule caillouteuse superficielle.
7On s'étonne d'erreurs commises par un grand connaisseur du Sahara sur les sebkhas, tour à tour définies comme des "lacs salés anciens" (p. 266) ou encore des "lacs salés" (p. 300), alors qu'il s'agit d'une nappe d'eau salée intermittente. Dans le même ordre d'idée, p. 267, le Rocher de sel d'El Outaya n'est pas une ancienne sebkha, mais est constitué de Trias salifère très antérieur à l'existence du Sahara. Des erreurs mineures portent également sur les cours d'eau (p. 26), les nappes profondes (p. 258), les rapports entre géologie et topographie (p. 36) et la distinction entre tungstène et wolfram (p. 272).
8Quelques oublis : p. 79-80, pour le succès de l'agriculture en jessour (Sud tunisien, djebel Nefoussa), une condition indispensable est la présence de dépôts lœssiques, facilement mobilisables par le ruissellement. Parmi les salines du nord du Sahara (p. 267), celle de Mghaïer, sur le chott Merouane, est importante.
9Le texte est souvent allusif, ce qui est obligatoire face à l'énormité de l'espace étudié, y compris dans le cas de problèmes que l'auteur connait bien, comme dans le Souf (p. 68) où il s'en tient à la description de la nappe phréatique sans préciser les causes de sa remontée. On notera également : p. 86, la référence à un "Pluvial climatique" (qui, de plus, fait pléonasme) ; p. 86, "l'autre rive du Soudan" ; p. 98, "quelques ksour" ; p. 106, "autorités actuelles" ; p. 144, l'anachronique "début du régime libyen (1975)" ; p. 232, "les scientifiques".
10Sur un sujet aussi gigantesque, on attendait une bibliographie abondante, ce qui n'est pas le cas, puisque les références, non appelées dans le texte, tiennent en une demi-page. On aurait souhaité, par exemple, des précisions sur "les chroniques écrites ou orales (qui) en font foi" (p. 122), ou sur "la pluviométrie (qui) est restée sensiblement stable depuis 4000 ans" (p. 190).
11Le problème des limites du Sahara n'est pas posé d'emblée, ce qui permet à l'auteur d'y inclure Mchounèche et El Kantara (p. 36). Or, ce n'est que sur la carte de la page 232 qu'apparaît une limite ("biologique") : 300 jours secs pour la végétation, ce qui place évidemment les deux villes algériennes hors du Sahara.
12Nicole PETIT-MAIRE est géologue. Son ouvrage, de petit format, commence par le mot de l'auteur (une page), suivi par le mot de l'éditeur, Romain PIGEAUD (une page) et la préface d'Édouard BARD (deux pages). Puis, après une introduction de sept pages, se succèdent six chapitres.
13Le chapitre I présente les grands changements climatiques globaux, une terrifiante instabilité naturelle (14 pages). L'auteure y reprend ses cartes publiées en 1998 avec leurs commentaires et précise les caractéristiques des paléoclimats : "aux optima des deux derniers interglaciaires, la température globale moyenne excédait l'actuelle d'environ 2 °C à 3 °C" (p. 18) et la température du dernier maximum glaciaire était inférieure de 4,5 °C à l'actuelle (p. 24). Le chapitre II, "Le Sahara actuel" (12 pages), ne comprend qu'une seule page de texte ! La limite septentrionale et la limite méridionale du Sahara y sont fixées à 100 mm, sans justification. Le chapitre III, "Lire les archives géologiques" (74 pages), constitue le chapitre central. Il présente les résultats de certains travaux de l'auteure, spécialement en Libye et au Mali. En particulier, il permet à l'auteure de distinguer soigneusement entre désertification et avancée climatique du désert (p. 64). Le chapitre IV, "Les marges du Sahara" (8 pages), se réduit aux deux exemples étudiés par l'auteure : en péninsule arabique et dans les îles Canaries orientales. Le long chapitre V, "Des lacs holocènes au commerce moderne" (36 pages), présente l'exploitation récente du sel à Taoudenni. Le bref chapitre VI, "Du passé à l'avenir, Sahara ou Sahel" (5 pages dont 1½ page de texte) dont le titre reprend celui d'un des ouvrages de l'auteure, s'interroge sur l'avenir du Sahara en liaison avec le réchauffement climatique actuel et avec l'évolution vers une nouvelle glaciation qui devrait culminer dans 100 000 ans environ. Il est suivi d'un appendice de 8 pages sur les variations climatiques globales à plusieurs échelles de temps, d'une postface d'André BERGER (3 pages) qui insiste sur l'utilité de la paléoclimatologie pour la compréhension du changement actuel, d'un glossaire (4 pages). La bibliographie (20 références, dont 9 de l'auteure et 12 seulement sur le Sahara) ne compense pas les références bibliographiques dans le texte, absentes ou allusives et anciennes (LORIUS, p. 22 ; PETIT, p. 23 ; LE HOUÉROU, p. 36 ; CLAUZEL (1960) pour l'exportation du sel de Taoudenni).
14Les très nombreuses photos de l'auteure occupent 100 pages, soit plus de la moitié du volume. Elles sont en général très belles et très bien reproduites, à la différence de celles du livre de Marc CÔTE, de qualité moins constante. Elles ne sont pas toujours absolument indispensables, car parfois décalées par rapport au texte, mais lui apportent souvent un appui décisif.
15En fait, il ne s'agit pas d'une présentation du Sahara, mais de celle du Sahara de Nicole PETIT-MAIRE, les seuls exemples détaillés étant ceux qu'elle a étudiés, et qui néglige largement le Sahara septentrional et, surtout, l'Égypte et le Soudan, bien étudiés par de nombreux spécialistes. Chaque exemple étant traité plutôt sur le mode monographique, les redites sont nombreuses et l'ouvrage tend à être plus une succession de chapitres qu'un ensemble cohérent.
16On relèvera quelques approximations : "le sable actuel est vivant" (p. 14), "(datations) par l'Uranium" (p. 48), "déchiquetée par l'érosion" (p. 83), la confusion entre tempête de poussière et vent de sable (p. 30 et 36), la confusion entre alluvions et dépôts lacustres (p. 50). Les anciennes berges des cours d'eau sahariens ne sont pas uniquement des tufs et travertins comme l'indique l'auteure (p. 70), et ceux-ci sont d'ailleurs, en général, transversaux et non longitudinaux et l'affirmation "des réseaux hydrographiques s'organisent" (p. 32) n’est vraie vraie que pour les zones précédemment englacées. Quelques erreurs également sur l'érosion éolienne, des erreurs répétitives : les vents "érodent les roches" (p. 36), "(dépôts lacustres) érodés par le vent" (p. 48), "sapées à la base par les vents violents" (p. 89). Signalons également une "coquille" grossière : la photo de la page 127 ne représente pas une oothèque d'Acridiens, mais une accumulation de coquilles de Gastéropodes.
17Comme l'ouvrage de Marc CÔTE, celui de Nicole PETIT-MAIRE n'est pas exempt de subjectivité, ici particulièrement dans le cas de la mine de sel de Taoudenni, à propos de Yahya (p. 143) ou de la condition difficile des mineurs (sons nostalgiques (p. 145), nostalgie (p. 153), chant monotone (p. 155)).
18Si un certain passéisme imprègne l'ouvrage de Marc CÔTE et exprime une inquiétude pour l'avenir de l'environnement saharien, surtout dans le chapitre VI, l'ouvrage de Nicole PETIT-MAIRE se situe clairement dans le courant catastrophiste des conséquences du réchauffement climatique global, dès son sous-titre, mais aussi dans l'appendice où il est affirmé (p. 174) péremptoirement, sans démonstration, que ce réchauffement actuel s'accompagne d'un accroissement significatif du nombre et de la violence des anomalies climatiques.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Louis Ballais, « Deux beaux livres d'images sur le Sahara : "Signatures sahariennes. Terroirs et territoires vus du ciel", Marc CÔTE, 2012, Presses Universitaires de Provence, 307 p. – "Sahara, les grands changements climatiques naturels", Nicole PETIT-MAIRE, 2012, Éditions Errance, 191 p. », Physio-Géo, Volume 7 | -1, 1-4.
Référence électronique
Jean-Louis Ballais, « Deux beaux livres d'images sur le Sahara : "Signatures sahariennes. Terroirs et territoires vus du ciel", Marc CÔTE, 2012, Presses Universitaires de Provence, 307 p. – "Sahara, les grands changements climatiques naturels", Nicole PETIT-MAIRE, 2012, Éditions Errance, 191 p. », Physio-Géo [En ligne], Volume 7 | 2013, mis en ligne le 27 janvier 2013, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/physio-geo/3141 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/physio-geo.3141
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