Deux ouvrages sur le réchauffement climatique. Emmanuel LE ROY LADURIE, Daniel ROUSSEAU et Anouchka VASAK (2011) : Les fluctuations du climat de l'an mil à aujourd'hui, Éditions FAYARD, Paris, 321 p. – Jean-Claude FLAGEOLLET (2010) : Le réchauffement climatique en Europe. Depuis quand ? Pourquoi ? Éditions DE BOECK, Bruxelles, 140 p.
Les fluctuations du climat de l'an mil à aujourd'hui, 2011 (Éditions FAYARD, 321 p.) – Le réchauffement climatique en Europe. Depuis quand ? Pourquoi ?, (Éditions DE BOECK, 140 p.)
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1Les ouvrages sur le réchauffement climatique continuent à paraître très régulièrement, trop nombreux pour en faire à chaque fois un compte rendu. N'étant pas moi-même climatologue, j'ai donc choisi de parler de deux ouvrages récents publiés par des non-climatologues : Les fluctuations du climat de l'an mil à aujourd'hui, par les historiens Emmanuel LE ROY LADURIE, Daniel ROUSSEAU et Anouchka VASAK, et Le réchauffement climatique en Europe. Depuis quand ? Pourquoi ?, par Jean-Claude FLAGEOLLET, connu surtout par ses recherches en géomorphologie, mais aussi par ses travaux récents en climatologie (Où sont les neiges d'antan ?, Presses Universitaires de Nancy, 2005, 220 pages, et Atlas régional du réchauffement climatique, 1971-2010, que Physio-Géo vient de publier).
2En fait, j'ai longuement hésité avant de faire ce compte rendu, en souvenir de l'ouvrage d'Emmanuel LE ROY LADURIE, Histoire du climat depuis l'an mil, paru en 1967, qui avait ébloui le géomorphologue débutant que j'étais et cela malgré certaines critiques qui s'étonnaient d'un livre d'histoire d'où les hommes et leurs sociétés étaient absents. Malheureusement, ce nouvel ouvrage peine à se hisser au niveau de la thèse secondaire du grand historien de la période moderne. Il est divisé en vingt et un chapitres qui, à l'exception du premier et du dix-huitième, présentent un découpage de l'histoire du climat depuis l'an mil. Ce premier chapitre est consacré aux sources et méthodes, expédiées en quelques pages, qui explicitent l'originalité principale de ce livre : par l'utilisation des moyennes mobiles, la mise en évidence de onze fluctuations de 1602 à 1891, composées chacune d'une séquence tiède suivie d'une séquence fraîche. Les chapitres II à VI, trop denses (quatre pages sur le petit optimum médiéval, par exemple), balayent très vite trois millénaires, de 1500 av. J.C. à 1602 apr. J.C. Puis vient la description des onze fluctuations annoncées auxquelles s'ajoutent, finalement, trois autres fluctuations après un court chapitre sur l'AMO (Atlantic Multidecadal Oscillation). Chaque fluctuation a été nommée d'après un personnage contemporain et je laisse aux historiens le soin de faire apparaître la logique du choix de ces personnages, en général français jusqu'en 1891, bien que l'étude ne se limite pas au territoire aujourd'hui français. Chaque fluctuation est découpée, systématiquement, en deux séquences. La durée des fluctuations varie considérablement, de 16 ans (fluctuation Saint-Simon) à 60 ans (fluctuation Manley), de même que celle des séquences (de 4 ans, fluctuation Colbert 2, à 37 ans, fluctuation Manley 2). Chacune de ces fluctuations et de ces séquences est mise en relation avec les événements historiques, tout particulièrement les famines et épidémies, ce qui donne un texte extrêmement dense puisque le souci de la précision va, souvent, jusqu'à la description année après année.
3Ce n'est donc pas un ouvrage qui se lit rapidement et facilement, d'autant que le style utilisé est assez particulier. Le genre d'humour pratiqué que, à titre personnel, j'apprécie parfois, peut évidemment être interprété comme une distanciation par rapport à la recherche effectuée, par rapport à cette suite effroyable d'hécatombes humaines (par exemple, 1300000 morts en France en 1693). Mais il sera majoritairement interprété de manière péjorative par ceux qui pratiquent les sciences qu'ils disent "dures". Ce style ressemble à celui qui tend à se répandre dans les revues de vulgarisation scientifique. À mon sens, il ne peut pas attirer un plus vaste public, moins cultivé, ce qui semble son but, et ne peut que déplaire au public cultivé intéressé, gêné, voire choqué, par ce manque de rigueur qui affaiblit la démonstration. Pour utiliser une formule encore récemment très employée, je dirais que la forme est "bling-bling" : on ne compte plus, à chaque page, les facilités et les négligences de style (phénomènes GIEC ; le blé, citoyen venu sans papiers ; les étages superposés de la fusée crisique ; cocktail diabolique ; très PAG…), les jeux de mots mal venus (victime… de l'humide et de l'immonde), les néologismes inutiles ou douteux (super-pluviatiles, météo-famineux, super-disetteuse, maxi-pesteuses, météo anti-raisin", crise patato-météo…). Ajoutez-y le style télégraphique fréquent, l'abus des acronymes (PAG, APR, super-PAG, néo-PAG, HEHE) et du vocabulaire anglais inutile (pattern, remake, cold-wet, wet-wet, time-lag), une syntaxe trop souvent anglo-saxonne (prix-blé) et, au milieu, quelques touches précieuses jouant sur les allitérations (les soleils brouillés de ces ciels mouillés) ou faisant référence à SHAKESPEARE. Ces négligences de style, surtout par comparaison avec l'ouvrage de 1967, sont très regrettables. Ont-elles pour but de compenser l'austérité des descriptions, très lapidaires dans les premiers chapitres ? Mais un livre d'histoire n'est pas un livre d'histoires et son but n'est pas de divertir. Étonnons-nous après de la mauvaise qualité du français des étudiants… Et pourtant, c'est toujours un plaisir d'écouter Emmanuel LE ROY LADURIE, comme le 9 février dernier sur France Info.
4Sur le fond, le découpage en fluctuations et en séquences paraît évidemment trop systématique (exemple de la fluctuation Mazarin, séquence 1) et tourne à l'exercice de style. Dans le détail de l'argumentation, on peut s'interroger sur la pertinence de certains critères. Par exemple, est-ce qu'une différence de deux jours dans la date des vendanges est vraiment significative ? Les auteurs n'échappent pas (pages 29, 32, 34, 37…) au travers des interprétations météorologiques non démontrées (comme je l'ai déjà signalé pour l'ouvrage d'Emmanuel GARNIER) dont je retiendrai le sirocco qui a soufflé en banlieue parisienne en 1921 ! Finalement, après des précautions oratoires dans le premier chapitre, les auteurs prennent clairement le parti du GIEC (cf. la fluctuation actuelle appelée "Prométhée"), alors que cette prise de position théorique ne paraît pas nécessaire à leur démonstration et il aurait été conforme à l'éthique qu'ils citent, dans leur bibliographie, un ouvrage de ceux qu'on appelle faussement les "climato-sceptiques" en ne réduisant pas leur apport à un article sur le volcan Laki. C'est dans cette perspective qu'il faut, me semble-t-il, interpréter également l'absence de référence au livre de Jean-Claude FLAGEOLLET.
5Celui-ci est organisé en quatre parties : le réchauffement (20 pages), les agents du réchauffement (20 pages), un mécanisme du réchauffement en Europe : l'oscillation nord-atlantique (NAO alias AMO) (7 pages), bilan des causes de l'évolution des températures moyennes annuelles en Europe dans les trois derniers siècles (11 pages), rigoureusement décrites et précisément écrites. Si les deux ouvrages comportent de belles illustrations en couleurs regroupées dans un cahier ainsi qu'une bibliographie très abondante (plus de 200 références), celle de Jean-Claude FLAGEOLLET est plus ouverte et donc plus utilisable. L'étude précise des agents du réchauffement ne se limite pas aux gaz à effet de serre d'origine anthropique mais envisage systématiquement, et de manière nuancée, les facteurs qui ne sont qu'évoqués par Emmanuel LE ROY LADURIE et ses co-auteurs : l'activité solaire, le rôle du CO2, les aérosols et le volcanisme. Pour la période historique commune aux deux ouvrages, du début du XVIIIème siècle à 2007, Jean-Claude FLAGEOLLET ne distingue pas des fluctuations systématiques, mais cinq phases successives : les années chaudes du début du XVIIIème siècle ; la fin du PAG (Petit Âge Glaciaire) en deux temps : 1738-1772 et 17831823 ; des années tièdes : 1824-1884 ; la hausse des températures : 1885-1986 ; la montée brusque des températures à la fin des années 1980 et l'installation des années très chaudes. La durée de ces phases varie de 33 à 90 ans et leurs limites temporelles ne coïncident jamais avec celles d'Emmanuel LE ROY LADURIE et ses co-auteurs. Certes, on fera remarquer que l'ouvrage de Jean-Claude FLAGEOLLET est plus délibérément européen, mais l'argument n'est pas suffisant pour nous priver d'un beau sujet de réflexion sur le découpage paléoclimatique. De ce point de vue, il est d'ailleurs regrettable qu'Emmanuel LE ROY LADURIE et ses co-auteurs, pris par les contraintes de l'édition (ce qui explique partiellement le caractère mal abouti du livre), n'aient pas pu discuter des apports de l'ouvrage d'Emmanuel GARNIER (cité dans le texte, mais absent en bibliographie).
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Louis Ballais, « Deux ouvrages sur le réchauffement climatique. Emmanuel LE ROY LADURIE, Daniel ROUSSEAU et Anouchka VASAK (2011) : Les fluctuations du climat de l'an mil à aujourd'hui, Éditions FAYARD, Paris, 321 p. – Jean-Claude FLAGEOLLET (2010) : Le réchauffement climatique en Europe. Depuis quand ? Pourquoi ? Éditions DE BOECK, Bruxelles, 140 p. », Physio-Géo, Volume 6 | -1, 11-13.
Référence électronique
Jean-Louis Ballais, « Deux ouvrages sur le réchauffement climatique. Emmanuel LE ROY LADURIE, Daniel ROUSSEAU et Anouchka VASAK (2011) : Les fluctuations du climat de l'an mil à aujourd'hui, Éditions FAYARD, Paris, 321 p. – Jean-Claude FLAGEOLLET (2010) : Le réchauffement climatique en Europe. Depuis quand ? Pourquoi ? Éditions DE BOECK, Bruxelles, 140 p. », Physio-Géo [En ligne], Volume 6 | 2012, mis en ligne le 12 septembre 2012, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/physio-geo/2653 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/physio-geo.2653
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