Les dérangements du temps. 500 ans de chaud et de froid en Europe, Emmanuel GARNIER, 2010
Les dérangements du temps. 500 ans de chaud et de froid en Europe, 2010 (Éditions PLON, http://www.plon.fr/ficheLivre.php?livre=9782259208987, 244 p.)
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1Après un avant-propos : Il y a encore de la lumière !, l'ouvrage s'organise en six parties.
2La première partie (p. 19-48) : Vous avez dit histoire du climat ?, présente à la fois la position de l'auteur dans le débat sur les causes du réchauffement climatique et les méthodes qu'il a utilisées. Emmanuel GARNIER se positionne clairement sur les positions du GIEC, non sans nuances et non sans simplifier les positions des sceptiques sur le rôle des gaz à effet de serre d'origine anthropique. Il reconnaît ainsi que les scientifiques cultivent, "non sans une certaine ambiguïté, un sentiment de danger ou d'urgence dont une des vocations plus triviales, mais de bonne guerre quand on connaît les contraintes budgétaires du moment, visera à placer la recherche dans ce domaine au centre de l'attention afin d'obtenir les crédits nécessaires" (p. 20-21), rejoignant ainsi les propos de R. LINDZEN (2011), farouche opposant au rôle des sociétés humaines dans le réchauffement climatique. J'y ajouterai les à-côtés, non négligeables, de la recherche (reconnaissance sociale, prestige, "expertise" médiatique). De même, il dénonce le rôle des médias, qui grossissent le trait dans le sens du catastrophisme. Néanmoins, il se fait l'écho de la probable plus grande fréquence et sévérité accrue des catastrophes naturelles d'origine climatique, confortant ainsi la vision frileuse de son avenir par une société qui n'a pourtant jamais eu autant les moyens de le préparer. Enfin, l'amalgame entre hostiles au rôle des sociétés humaines et partisans du lobby pétrolier, s'il n'est pas faux, aux USA en particulier, est un peu court pour expliquer la position de certains scientifiques.
L'apport méthodologique de l'auteur apparaît ensuite quand, après avoir fait la critique des méthodes traditionnellement utilisées en paléoclimatologie de la période historique (utilisation des archives naturelles – pollens, sédiments –, phénologie, journaux intimes), il souligne l'apport des registres paroissiaux (chronologie des processions en Italie et en Espagne), des registres des délibérations communales et des comptes des deniers communs, des archives de l'appareil d'État (intendants en France), pour finalement insister sur et démontrer l'intérêt de la quantification des sources textuelles, déjà proposée par H.H. LAMB dans les années 1970 : pour quatre stations d'Europe centrale, les coefficients de corrélation entre les séries de températures réelles et celles d'indices calculées à partir de sources manuscrites varient de 0,87 à 0,92.
3La deuxième partie (p. 49-66) : Les grandes stances du climat européen, examine successivement la période des temps protohistoriques au XVème siècle, le "Petit Optimum Médiéval", puis le Petit Âge Glaciaire, pour lesquels il s'ingénie à prendre le contrepied de la docta scientifique ou, au moins, à nuancer souvent considérablement les caractéristiques et la chronologie, tout particulièrement pour la période historique. Il s'appuie, par exemple, sur les fluctuations du glacier du Grand Aletsch : entre 1350 et 1250 avant J.C., ce glacier était approximativement plus court de 1000 mètres qu'il ne l'est de nos jours, ou encore, en plein Optimum Médiéval, deux avancées du glacier se produisirent aux IXème et XIIème siècles. Les archives médiévales permettent d'atteindre l'échelle saisonnière : les hivers les plus sévères l'emportent de 1100 à 1170, alors que les hivers plutôt doux dominent de 1170 à 1260. "Sur le front des chaleurs, les périodes les plus favorables sont nettement celles de 1160-1210 et 1260-1310" (p. 56-57). Un nouvel apport important est la mise en évidence ou, du moins, la confirmation de nuances régionales : le climat de la Grande-Bretagne n'évolue pas comme celui du continent européen.
À propos du "Petit Âge Glaciaire", l'auteur revient sur la critique des scientifiques qui privilégient le rôle de l'activité solaire dans le réchauffement actuel mais, là aussi, l'absence de références ne permet pas de consulter les sources, d'autant que tous les "partisans" du rôle de l'activité solaire ne disent pas que la période actuelle est le prélude à une phase glaciaire. Par ailleurs, sur cette question, l'auteur confond deux échelles temporelles : l'échelle historique et l'échelle géologique, échelle à laquelle la Terre va réellement vers une phase glaciaire (cf. travaux d'A. BERGER). Et si l'auteur dénonce à nouveau certains lobbies opposés au rôle des gaz à effet de serre d'origine anthropique, cette dénonciation ne s'accompagne pas de celle des lobbies de la croissance verte, tout aussi actifs.
À l'aide des données des archives (textuelles et instrumentales) dépouillées à Paris et dans sa région et des séries provenant de pays méditerranéens (Italie, Espagne, Grèce, Portugal), l'auteur a reconstruit une courbe des anomalies de températures entre 1650 et 2006 qui illustre remarquablement bien le réchauffement engagé après 1970, lui-même précédé par une phase de forte oscillation entre 1850 et 1969, conformément aux reconstructions du GIEC. En revanche, l'observation effectuée sur le temps long montre que notre période de réchauffement n'est pas nouvelle, car elle met en évidence deux pics thermiques comparables à l'actuel : un vers 1665-1680 et le second vers 1700-1725 (Fig. 4). Et l'étude dendrochronologique des arbres du site suédois de Torneträsk estime que la crête du pic de chaleur des années 1680-1730 est supérieure à celui des années 2000.
4Changeant d'échelle temporelle, la troisième partie (p. 67-96) s'intéresse aux Événements climatiques extrêmes, le but de cette partie étant de tester les prévisions des climatologues du GIEC d'une augmentation des phénomènes extrêmes en raison du réchauffement.
Pour les phénomènes éoliens, les aléas majeurs sont plus nombreux au XVIIIème siècle (9 événements) qu'au XXème (7 événements).
Pour les inondations, l'exemple du Rhin montre la nécessité absolue d'intégrer les facteurs anthropiques très tôt : les choix stratégiques résultant du rattachement de l'Alsace à la France furent un facteur aggravant de la multiplication des débordements catastrophiques du XVIIIème siècle, ou encore, depuis les années 1830, le péril des débâcles est devenu moins menaçant grâce à l'élargissement des arches des ouvrages d'art. Pour approcher la gravité des inondations, l'auteur utilise également une quantification par indice en fonction des notations des archives qui montre que, pour la Seine à Paris, les XVIIème (18 débordements) et XVIIIème siècles (14 débordements) dominent de loin les XVIème, XIXème et XXème siècles (10 débordements) : "Contre toute attente, la période contemporaine ne corrobore pas l'impression d'une dégradation irréversible liée au changement global… Les séquences historiques qui précèdent relativisent fortement le choix de tel ou tel scénario climatique, certaines phases de recrudescence des inondations étant tantôt imputables aux cycles froids (XVIIème siècle), tantôt au contraire à des séquences plus chaudes comme la première moitié du XVIIIème siècle" (p. 82).
Pour les sécheresses, l'exemple choisi, celui du domaine méditerranéen, n'est certainement pas le meilleur puisque, par définition, il se caractérise par une sécheresse d'été et, de ce point de vue, aussi bien Météo-France que le GIEC ont tendance à enfoncer des portes ouvertes. C'est ainsi que parler d'un glissement de la sécheresse vers le mois d'août ne lève pas l'ambigüité entre sécheresse saisonnière et sécheresse liée au réchauffement climatique. Quoi qu'il en soit, l'auteur montre que, si on retient comme critère le nombre des sécheresses en Languedoc-Roussillon, il croît nettement au XXème siècle, alors que si on retient la durée, c'est le XVIIème siècle qui est le plus marqué. Il souligne que c'est la période d' "offensive glaciaire paroxysmique" et semble s'en étonner. Il faut rappeler ici que cette relation entre froid et sec est, au contraire, une caractéristique majeure à l'échelle des grandes fluctuations climatiques du Quaternaire.
5La quatrième partie (p. 97-135) montre Les sociétés européennes à l'épreuve du climat. L'auteur décrit, en particulier, des exemples détaillés de groupes ou d'individus (femmes, Juifs, Tsiganes, Morisques, homosexuels) stigmatisés par les populations qui les rendent responsables des catastrophes climatiques et les exécutent. "Vers 1620, le funeste bilan s'élève à plusieurs milliers d'individus, pour la plupart brûlés vifs après avoir été torturés" (p. 126127). Et prévient : "À moyen ou long terme, l'avenir nous le dira, la brèche ouverte par le retrait étatique, si elle se confirmait, pourrait devenir un boulevard offert aux communautarismes, non pas ethniques, mais religieux" (p. 135).
Il s'interroge sur la notion même de changement climatique, sur sa perception au cours du temps, sur la durée de la période pendant laquelle un événement demeure une référence. Ici aussi, il calibre les sensations exprimées en fonction des températures mesurées à partir du début du XVIIIème siècle.
6La cinquième partie (p. 137-165) traite Des séismes climatiques en Europe, c'est-à-dire d'événements extrêmes comme le célèbre grand hiver de 1709 particulièrement bien documenté, pendant le minimum de MAUNDER. Cependant ce "Grand Hiver" qui, paradoxalement, se place dans une phase de réchauffement de la saison froide, est surpassé par les années 1663 et 1697, auxquelles il convient d'ajouter parfois le paroxysme glaciaire de 1839. Autre exemple : les inondations de 1784, "la plus grande catastrophe hydrographique (sic) du dernier millénaire en Europe".
7La sixième partie (p. 167-193) : Le climat, un tueur en série ?, présente la mortalité due au climat, en particulier le rôle des pics de froid, mais aussi de chaleur et de sécheresse, ainsi qu'une étude détaillée des conséquences de l'éruption du Laki en 1783.
Face à l'inquiétude de la population française, l'auteur se veut finalement rassurant : "Au terme de cette recherche historique de trois siècles, reconnaissons modestement qu'il est bien difficile de faire la part des choses entre les différents facteurs de mortalité. Indiscutablement, le climat a eu son mot à dire, mais dans des proportions variables en fonction des cycles de développement économique et politique. Au regard des infrastructures de transport et de la productivité agricole des pays développés, on imagine aujourd'hui difficilement des crises de subsistance d'aussi forte intensité que celles qui secouèrent les sociétés avant 1850" (p. 193).
8De la conclusion (p. 195-198), je retiendrai l'interrogation de l'auteur : le changement climatique ne cacherait-il pas partiellement d'autres causes qui peuvent expliquer la recrudescence d'événements catastrophiques ? Alors que la seconde moitié du XXème siècle a connu six fois plus d'événements catastrophiques que la période 1900-1950, aucun changement climatique n'explique à lui seul cette tendance, comme en témoigne le cas de l'Asie du Sud-Est. Dans cette partie du monde où la croissance des catastrophes "climatiques" est exponentielle, la pluviométrie, les cyclones comme les séismes n'affichent pas d'aggravation significative. Ne faudrait-il pas alors se tourner vers d'autres pistes, en particulier celle de la "vulnérabilisation" croissante de nos sociétés, rançon d'aménagements des territoires aberrants depuis l'industrialisation et l'urbanisation massives des littoraux par exemple ?
9Les annexes (p. 201-234) regroupent Les mots du climat et de son histoire, Les grandes dates climatiques de l'Europe, Adresses et programmes en histoire du climat, Bibliographie, Index des noms de lieux. Elles peuvent être précieuses pour un public non averti. On regrettera, dans la bibliographie (7 p.), des absences révélatrices, comme celle des publications de C. ALLÈGRE et V. COURTILLOT. Il faut également signaler les 37 figures en couleurs, soignées, de grande qualité, non paginées, insérées entre les pages 128 et 129.
10Un mot sur la forme qui est ici particulière. Les négligences de style (formules populaires, jeux de mots, allusions), pour faire plus grand public (?), moins rébarbatif (?), ressemblent à celles qui tendent à se répandre dans les revues de vulgarisation scientifique. À mon sens, elles ne peuvent pas attirer un plus vaste public, moins cultivé, ce qui semble leur but, et ne peuvent que déplaire au public cultivé intéressé, gêné, voire choqué, par ce manque de rigueur qui affaiblit la démonstration. L'auteur utilise les mêmes techniques et mêmes formules négligées ou "choc" (p. 57 : "sur le front des chaleurs", p. 85 : "caprices du fleuve", p. 151 : "spectacle de désolation", "onde de choc", "vents d'ouest déchaînés", p. 162 : "tsunami fluvial", "assauts de la Meuse", p. 163 : "eaux en furie", "déluge", "baroud d'honneur", "fauteur de troubles") qu'il reproche, à juste titre, aux médias (p. 64, p. 70, p. 170). On y ajoutera l'utilisation inutile de mots anglais à la mode comme "storyboard" (p. 57) et "gay" (p. 99) ainsi que l'abus, lui aussi à la mode, des sigles : POM, PAG, MM.
11Le genre d'humour pratiqué, qu'à titre personnel j'apprécie parfois, peut évidemment être interprété comme une distanciation par rapport à la recherche effectuée, comme une manifestation de l'impertinence que l'auteur revendique (p. 195), mais sera majoritairement interprété de manière péjorative par ceux qui pratiquent les sciences qu'ils disent "dures" : p. 11 : Il y a encore de la lumière !, spleen ; p. 5 : Vous avez dit histoire du climat ? ; p. 26 : L'arbre qui cache la forêt ou le french paradox ; p. 31 : les sciences dures à la rescousse ; p. 32 : les bémols ; p. 33 : les raisins de… l'histoire climatique ; p. 36 : le climat et le goupillon ; p. 47 : Les mamelles de la climatologie : calibration et modélisation ; p. 53 : le "secret" glaciaire suisse ; p. 61 : le PAG "officiel" ; p. 63 : "botter en touche", secrets, tentatives de raids, la bête blanche amorce un repli stratégique ; p. 64 : sous les pavés académiques… ; p. 74 : à la poursuite d'Éole ; p. 130 : les choses se corsèrent ; p. 132 : les "retombées" sociales du volcan Tambora (1816) ; p. 135 : dans la foulée ; p. 137 : séismes climatiques ; p. 139 : colères annoncées de dame Nature… de plus en plus acariâtre ; p. 141 : le Blitzkrieg glaciaire ; p. 145 : la faute en revient non pas à Voltaire… ; p. 148 : le "poids" des photographies… le "choc" des chiffres ; p. 152 : À la Saint-Hilaire (1739), l'Europe ne manque pas d'air ! ; p. 167 : tueur en série ; p. 171 : climato-légiste, filon archivistique, bons curés ; p. 186 : rideau mortuaire, assauts varioliques ; p. 187 : flirte, c'est Phoebus qui se met de la partie ; p. 188 : les "retombées" sanitaires du volcan Laki.
12On notera également quelques redites (p. 174, 182, 183) qui donnent parfois l'impression d'une succession de fiches et non d'un développement continu bien articulé. De nombreuses références bibliographiques ne sont pas indiquées dans le texte, particulièrement concernant l'éruption du Laki. On regrettera également des ambiguïtés : par exemple, p. 62, l'auteur affirme que les étés des années 1585-1597 furent dominés par de profondes dépressions sur une grande partie de l'Europe centrale en raison d'un anticyclone des Açores malingre, ce qui n'est, au mieux, qu'une interprétation, pas un fait. De même, p. 80, avec la "forte activité dépressionnaire" et, p. 189, pour la situation barométrique au moment de l'éruption du Laki.
13Cet ouvrage reste finalement trop souvent quelque part entre l'ouvrage très spécialisé, savant, et l'ouvrage de vulgarisation pur et simple, et risque ainsi de décevoir et les spécialistes et le grand public.
14Les apports de cet ouvrage sont cependant incontestables par toutes les nuances qu'il apporte dans la description de l'Optimum Climatique Médiéval et du Petit Âge Glaciaire et dans la recherche, dans le passé récent, de situations qui permettent de tester les conséquences tirées par le GIEC du réchauffement climatique. Ces apports n'ont été possibles que par la mise au point de méthodes quantitatives qui permettent la comparaison de données souvent très subjectives, au moins en apparence. Enfin, le géographe appréciera la forte insistance mise, à juste titre, sur le rôle des échelles, ici temporelles, prises en compte.
References
Bibliographical reference
Jean-Louis Ballais, “Les dérangements du temps. 500 ans de chaud et de froid en Europe, Emmanuel GARNIER, 2010”, Physio-Géo, Volume 5 | -1, 21-25.
Electronic reference
Jean-Louis Ballais, “Les dérangements du temps. 500 ans de chaud et de froid en Europe, Emmanuel GARNIER, 2010”, Physio-Géo [Online], Volume 5 | 2011, Online since 05 December 2011, connection on 05 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/physio-geo/2186; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/physio-geo.2186
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