1Depuis W.M. DAVIS (1895), les réorganisations hydrographiques font l'objet de nombreuses études géomorphologiques qui ont révélé la complexité des mécanismes et des causes de capture. Ainsi, dans le Bassin Parisien, le problème des liaisons entre la Loire et la Seine reste loin d'être résolu, la réalité même des captures est encore discutée (J.P. LARUE et R. ÉTIENNE, 2001 ; Y. DEWOLF et M.J. PENVEN, 2007). En analysant les minéraux lourds des dépôts alluviaux et colluviaux de l'interfluve Loire-Loing, la découverte de clinopyroxènes (CPx) verts dominants, au nord de Gien, dans la nappe alluviale Fs située seulement à 10 m en contrebas du sommet de la butte de La Montagne, nous a confortés dans l'idée que la Loire s'est maintenue orientée vers l'Atlantique depuis au moins le Pliocène supérieur. Ce fait nouveau doit être décrit et étudié dans un cadre régional suffisamment étendu, afin de vérifier les hypothèses formulées dans le passé, généralement favorables à la capture récente d'un fleuve primitif issu du Massif Central (la "Loire-Seine"), se jetant dans la Manche et tardivement réorienté vers l'Atlantique.
2La topographie et la structure peuvent sembler propices à l'existence d'un ou plusieurs paléotracés de la Loire-Seine et à une réorientation tardive de la Loire vers l'Atlantique. La ligne de partage des eaux entre les bassins de la Seine et de la Loire suit une direction générale nord-ouest - sud-est, mais présente dans le détail de nombreuses sinuosités. Elle passe à moins de 10 km de la Loire dans la région de Gien (Fig. 1). L'altitude diminue du sudest (220 m) vers le nord-ouest (160 m) et les points culminants correspondent à des buttes qui dominent d'une vingtaine de mètres un plateau sans pentes marquées, ni vers la Loire, ni vers le Loing. Les deux ensellements principaux, l'un au droit du canal de Briare, vers 168 m d'altitude, et l'autre près de Sury-aux-Bois, à 127 m d'altitude, peuvent faire envisager des échanges entre les bassins de la Loire et de la Seine. L'hydrographie apparaît indécise : les petits cours d'eau qui naissent sur les flancs des buttes sont caractérisés par des rebroussements brutaux et des sections tantôt marécageuses, tantôt sèches. Bien délimitée par des coteaux abrupts, la plaine alluviale de la Loire, située à 125 m d'altitude, ne se développe que sur 1,5 km de largeur entre Châtillon-sur-Loire et Briare. Plus étroit (400 m), le lit majeur du Loing se tient aussi vers 125 m au sud de Châtillon-Coligny. Au nord-ouest de Briare, l'ensellement se termine par l'escarpement d'orientation méridienne, de 20 m de commandement, limitant le plateau de Gien, qui dépasse 180 m d'altitude. Cet abrupt se prolonge au sud de la Loire, sur la rive gauche, et gagne en hauteur dans la région de Sancerre.
Figure 1 - Carte de localisation : topographie et principales nappes détritiques.
3Sur le plan structural, la région étudiée se situe au contact des grands blocs tectoniques qui structurent le sud du Bassin Parisien (Fig. 2) : le bloc armoricain, à l'ouest, et le bloc bourguignon, à l'est, sont séparés par le sous-bloc biturige, au centre, limité à l'ouest par la faille de Sennely et à l'est par "le jeu de faille" de Sancerre (S. DEBRAND-PASSARD, 1995). Le fossé de la Loire, prolongé au nord par le fossé du Loing, suit le jeu de faille de Sancerre qui affecte le socle et la couverture sédimentaire. Issu de la distension de l'Éocène terminal et de l'Oligocène inférieur, ce fossé a rejoué verticalement de 20 à 30 m au Quaternaire, ce qui a permis le piégeage des "sables et argiles du Bourbonnais" (formation du Pliocène supérieur) à l'amont et à l'aval de Sancerre (S. DEBRAND-PASSARD et al., 1992), ainsi que la conservation de lambeaux alluviaux quaternaires. Actuellement, du fait du soulèvement du bloc alpin, le bloc du Bassin de Paris se déplace vers le sud-ouest à la vitesse de 0,7 mm/an (M. TESAURO et al., 2006). Un régime de compression se produit au niveau de la Sologne, là où il entre en contact avec le bloc du Sud de la France (P.A. ZIEGLER et P. DÈZES, 2007 ; S. CLOETINGH et al., 2010).
Figure 2 - Carte structurale et localisation des principales accumulations mio-pliocènes.
4Au nord de la Loire, les formations détritiques tertiaires et quaternaires l'emportent largement sur les sédiments cohérents (craies à silex crétacées et calcaires lacustres éocènes) qui n'affleurent qu'entre Briare, Gien et La Bussière sur le sous-bloc biturige et localement dans le fossé du Loing. Les auteurs des cartes géologiques de Gien (M. GIGOUT et N. DESPREZ, 1977) et de Châtillon-Coligny (M. GIGOUT et al., 1978) attribuent la majorité des dépôts détritiques aux "sables et argiles de Sologne" notés m1b ou mp. Provenant de l'érosion des altérites du Massif Central, ces dépôts se sont accumulés dans la cuvette subsidente de Sologne, en formant un delta intracontinental (L. RASPLUS, 1982). Le sommet des buttes de la Forêt d'Orléans est constitué de "cailloutis culminants" (m²). Ravinant les "sables de Châtillon" et les "sables et argiles de Sologne", regroupés en mp sur la carte de Gien, la nappe alluviale Fu présente une extension complexe puisqu'elle comprend deux parties : de Bonny-sur-Loire au sud de la Bussière, "un ancien chenal qui au Villafranchien faisait communiquer la Haute Loire avec le bassin de la Seine par le Loing" et, au nord-ouest et au sud-ouest de Gien, une haute terrasse de la Loire s'étalant vers 160 m d'altitude (Fig. 1). Les lambeaux alluviaux qui forment une belle terrasse de 20 m d'altitude relative par rapport au Loing dans le secteur de Châtillon-Coligny sont reliés au chenal villafranchien. À l'aval de Gien, la vallée s'élargit rapidement et offre un bel étagement de terrasses alluviales : six replats étagés correspondant à des terrasses d'accumulation se rencontrent en Sologne au droit de Sully-sur-Loire (J.P. LARUE et R. ÉTIENNE, 2001) (Fig. 3). La relation altitude-âge des terrasses a été établie par J.P. LARUE (2003-a). Le tableau I donne les équivalences et la chronologie des différentes formations citées. Malgré l'imprécision des données chronologiques, les principales nappes alluviales sont replacées dans le cadre du Quaternaire, marqué par les glaciations et leurs stades isotopiques (J. RISER, 1999).
Figure 3 - Coupe synthétique montrant le dispositif des nappes alluviales entre La Montagne et la Loire au nord-ouest de Gien.
Tableau I - Équivalences et chronologie des différentes formations citées.
5Les changements de cours de la Loire qui se sont produits dans cette région restent hypothétiques malgré le grand nombre de travaux réalisés depuis que JB.J. d'OLMALIUS d'HALLOY (1828) a évoqué ce problème. Quatre thèses principales sont en présence (Fig. 4).
Figure 4 - Cartes des quatre hypothèses des liaisons Loire-Seine. A) une seule capture ; B) deux captures ; C) des captures multiples ; D) aucune capture, mais des remaniements.
6La thèse del'écoulement vers la Manche au Burdigalien et le basculement vers l'Atlantique à l'Helvétien (Fig. 4-A) a été défendue par G. DENIZOT (1927), A. VATAN (1947), C. POMEROL (1951), J. GRAS (1963) et H. ELHAÏ (1967), en s'appuyant sur la ressemblance entre les "sables et argiles de Sologne" et les "sables de Lozère", qui seraient tous dépourvus d'éléments volcaniques. Les "sables granitiques de Lozère", selon l'expression de G.F. DOLLFUS (1885, 1930), auraient transité par l'axe du Cher si le fragment de Pentacrinus nicoliti Desor signalé par A. VATAN (1947) à Chamarande, près d'Etrechy, au nord d'Étampes, provient bien du Bathonien de la région de Lignières, en Berry. Cet écoulement sud-nord aurait été interrompu par les déformations tectoniques de la pénéplaine aquitanienne : le soulèvement de la Beauce et l'avancée de la mer des Faluns auraient favorisé la capture de la Loire amont par une Loire aval s'écoulant vers l'ouest et probablement affluente du Cher. Y. DEWOLF (1982) pense que les épandages en provenance du Massif Central ont cessé avant même la transgression falunienne, car dans le bassin de Noyant-sous-le Lude (Maine-et-Loire) les sables granitiques sont situés sous les faluns (L. GINSBURG et P. JANVIER, 1970). Pour J.P. LARUE et R. ÉTIENNE (2000, 2002), la paléo-Loire-Seine a cessé d'alimenter le centre du Bassin Parisien après le dépôt des "sables de Lozère", pour se déverser uniquement dans la cuvette de Sologne au Burdigalien inférieur. Depuis cette date, les bassins de la Loire et de la Seine auraient évolué séparément, les dépôts les plus superficiels étant localement remaniés jusqu'au début du Quaternaire.
7Le scénario d'un écoulement vers l'Atlantique au Burdigalien, vers la Manche au Pliocène supérieur, puis une réorientation vers l'Atlantique au Quaternaire ancien (Fig. 4-B) a été exposé par M. GIGOUT (1975) et J.P. LARUE (1979). Il repose sur la découverte d'alluvions riches en augite, souvent denticulée, entre Briare et le sud de Montargis (J. GERMANEAU, 1971 ; J. GERMANEAU et al., 1972) et sur un rajeunissement des "sables de Lozère" normands qui coiffent le Pliocène marin (Redonien) à Valmont, dans le Pays de Caux (C CAVELIER et G. KUNTZ, 1974). Datés du Pliocène moyen par C. CAVELIER et G. KUNTZ (1974) ou anté-Reuvérien pour G. KUNTZ et al. (1979), les "sables de Lozère" prolongeraient les "sables et argiles du Bourbonnais" dans le Bassin Parisien. Le basculement vers l'ouest serait réalisé au Quaternaire ancien (Gunz), avec l'édification de la terrasse de Cerdon (R. FLEURY, 1991).
8La thèse decaptures multiples liées à l'évolution tectonique (Fig. 4-C) a été avancée par C. CAVELIER et al. (1993) et S. DEBRAND-PASSARD (1995). Selon eux, l'exutoire des arrivées fluviatiles burdigaliennes se situe à l'ouest, sur le golfe ligérien, appendice de l'Atlantique. Au Pliocène moyen, un écoulement responsable du dépôt des "sables et argiles de Sologne" supérieurs et des "sables de Lozère" atteint la Manche avant la transgression marine redonienne. Ce trajet sud-nord s'expliquerait par un basculement paléogéographique d'origine compressif. La mise en place des "sables et argiles du Bourbonnais", datés du Pliocène supérieur par J. TOURENQ (1989), est effectuée par un système alluvial qui retrouve un exutoire ligérien : une partie des "sables de Montreuil", au nord d'Amboise, matérialiserait ce tracé. Les "cailloutis culminants", décrits par G. DENIZOT (1927), seraient des dépôts du fleuve des "sables et argiles du Bourbonnais", selon S. DEBRAND-PASSARD (1995). Ravinant les "sables et argiles du Bourbonnais", la nappe à augite témoigne d'un nouvel écoulement vers la Manche à la fin du Pliocène et au début du Pléistocène : ce système Loire-Loing-Seine aurait perduré jusqu'au Pléistocène moyen selon J. TOURENQ et C. POMEROL (1995). Les travaux récents concernant l'histoire des fleuves Loire et Seine (P. ANTOINE et al., 1998 ; C. CAVELIER et al., 1993 ; S. DEBRAND-PASSARD et al., 1998 ; J.P. LAUTRIDOU et al., 1999 ; J. TOURENQ et C. POMEROL, 1995) admettent plusieurs changements de cours successifs depuis la mise en place des "sables de Sologne". La liaison Loire-Seine aurait ainsi existé à trois reprises, au Pliocène inférieur avec l'épisode des "sables de Lozère", vers 1 Ma avec le fonctionnement du fleuve à augite, enfin au Saalien, vers 200000 ans
9Pour d'autres, la Loire n'aurait jamais rejoint directement la Manche (Fig. 4-D). En utilisant l'analyse morphométrique des paléotopographies antérieures à l'encaissement des cours d'eau, P. FREYTET et al. (1989) montrent que les "sables de Lozère" jalonnent une surface emboîtée dans les "sables et argiles de Sologne" et dominée par les "cailloutis culminants" des buttes de la forêt d'Orléans. Au Pliocène moyen, il y aurait eu trois systèmes d'épandage : celui des "sables de Lozère", celui du Loing et celui de la Basse-Loire, séparés par deux axes de reliefs résiduels, celui des buttes de la forêt d'Orléans et celui des buttes du compartiment médian à l'ouest du Loing. X. PASQUIOU (1994, 1995) suggère que les "sables de Lozère" soient issus du remaniement des "sables et argiles de Sologne" et que les augites du bassin de la Seine proviennent de la reprise d'un stock situé au niveau des buttes de la forêt d'Orléans, sur la ligne de partage des eaux des bassins Loire et Seine. Depuis le dépôt des alluvions à augite, le rapport de force entre Loire et Seine est nettement favorable à cette dernière, qui à Paris s'encaisse de plus de 63 m par rapport à la Loire à Orléans (R. DION, 1934). Si la Loire s'écoule encore vers l'Atlantique, c'est qu'elle l'a toujours fait, selon J. GRAS (1963).
10La région de Gien est donc propice à l'étude des relations spatiales entre les différentes formations détritiques mises en place dans la cuvette de Sologne depuis le Pliocène supérieur. La distinction des différentes nappes et la reconstitution de leur géométrie sont nécessaires pour déterminer les paléotracés.
11Afin de distinguer les différentes formations détritiques de l'interfluve, qui présentent des faciès souvent similaires (C. MÉGNIEN et al., 1980), l'analyse des minéraux lourds a été utilisée. La composition en minéraux lourds des dépôts détritiques renseigne sur l'origine des flux sédimentaires et permet de caractériser chaque formation (Y. GUILLIEN, 1950). Les spectres minéralogiques varient d'une formation à l'autre, car les sources de sédiments se sont modifiées au cours du temps, en fonction de l'évolution des bassins versants, du décapage progressif des profils d'altération anciens et de l'encaissement des cours d'eau, mais aussi parce que l'altération contribue à faire disparaître les minéraux les plus fragiles dans les formations les plus anciennes. La morphoscopie et la colorimétrie des grains de CPx aident à la caractérisation des différents flux de la Loire.
12Les échantillons analysés sont localisés sur les figures 5 et 6. Les alluvions anciennes ont été prélevées dans les formations en place, à environ 50 cm de profondeur ; les alluvions actuelles ont été recueillies dans le lit fluvial. Concentrés selon la méthode classique de séparation au bromoforme (A. PARFENOFF et al., 1970), les minéraux lourds ont été déterminés et caractérisés au microscope optique. Les pourcentages de minéraux transparents (Tab. II à IV) ont été calculés à partir de l'analyse d'environ 300 grains. Puis les résultats chiffrés ont été soumis à l'analyse factorielle des correspondances, qui permet de réaliser une discrimination objective des échantillons (J.P. LARUE, 2007).
Figure 5 - Carte de localisation des échantillons et des teneurs en clinopyroxènes (CPx).
Figure 6 - Secteur agrandi de la figure 5 localisant la terrasse Fs et donnant la colorimétrie des clinopyroxènes (CPx).
Tableau II - Composition en minéraux lourds des échantillons étudiés 1 à 42.
Les teneurs sont exprimées en % du total des minéraux lourds. Éch. : numéro de l'échantillon. Les plus fortes teneurs en grenat, staurotide et CPx sont surlignées en jaune. CPx : clinopyroxènes. OPx : orthopyroxènes.
Tableau III - Composition en minéraux lourds des échantillons étudiés 43 à 84.
Les teneurs sont exprimées en % du total des minéraux lourds. Éch. : numéro de l'échantillon. Les plus fortes teneurs en grenat, staurotide et CPx sont surlignées en jaune. CPx : clinopyroxènes. OPx : orthopyroxènes. All. : alluvions actuelles. HT : haute-tension.
Tableau IV - Composition en minéraux lourds des échantillons étudiés 85 à 105.
Les teneurs sont exprimées en % du total des minéraux lourds. Éch. : numéro de l'échantillon. Les plus fortes teneurs en grenat, staurotide et CPx sont surlignées en jaune. CPx : clinopyroxènes. OPx : orthopyroxènes.
13Cent cinq échantillons ont été soumis à l'analyse des minéraux lourds. Ils ont été prélevés sur 60 km, entre Bonny-sur-Loire et les abords d'Orléans, en rive droite de la Loire. Ces analyses sont complétées par des contrôles effectués en amont, près des sources du matériel. Il apparaît qu'une espèce minérale joue un rôle majeur relativement au problème posé : il s'agit du clinopyroxène sous ses diverses formes, désigné longtemps par le terme "augite" et qu'il conviendra ici de représenter uniquement par le symbole CPx. La répartition des CPx, mais surtout leur caractère colorimétrique, ont été déterminants dès lors qu'il a été possible d'établir une relation couleur / chimisme (nous remercions J.F. PASTRE pour les informations qu'il a bien voulu nous communiquer).
14Sur le plan quantitatif, il conviendra de s'interroger sur les échantillons dont le taux de CPx est inférieur à environ 30 %. Sont-ils représentatifs d'un dépôt fluviatile in situ ou bien dérivent-ils d'un mélange avec les éléments du substrat – ici en l'occurrence les "sables et argiles de Sologne" ? La seconde proposition s'impose lorsqu'on constate que, depuis les sources du matériel jusqu'à l'Orléanais, les sables prélevés à différents niveaux, y compris l'actuel, ont des taux de CPx voisins de 50 à 60 %.
15Sur le plan colorimétrique, les CPx ont été répartis en cinq catégories : les bruns, les incolores à brun, les incolores à gris neutre, les incolores à vert, les verts. Il est possible de simplifier en distinguant des tendances vers le brun ou vers le vert.
16La composition en minéraux lourds permet de bien séparer la nappe des "sables et argiles du Bourbonnais" de la nappe Ft du fleuve à CPx (Tab. V). Sur la figure 7, établie à partir des moyennes calculées pour chacune des formations représentées, le plan factoriel défini par les axes 1 et 2 donne un total d'information de 60 % :
-
- 46 % pour l'axe 1, qui oppose la plupart des minéraux des roches cristallines et métamorphiques (staurotide, andalousite, disthène, zircon, tourmaline, rutile, monazite) aux minéraux volcaniques (hornblende brune, clinopyroxène, orthopyroxène, sphène, olivine) et au grenat ;
-
- 12 % pour l'axe 2, qui met en opposition l'andalousite, la staurotide et le disthène avec le zircon, la hornblende verte, la topaze et le sphène (Fig. 7).
Tableau V - Composition en minéraux lourds des différentes formations alluviales.
Les teneurs sont exprimées en % du total des minéraux lourds. Éch. : numéro de l'échantillon. Les minéraux caractéristiques des formations sont surlignés en jaune. All. : alluvions actuelles.
Figure 7 - Analyse factorielle des correspondances et position de chaque formation sur le graphe.
SB : sables et argiles du Bourbonnais. Fs et Ft : très hautes terrasses.
17Les grains de sphène ont été classés dans les minéraux volcaniques, car ils apparaissent identiques à ceux rencontrés dans les terrasses de l'Allier, où ils sont réputés avoir une origine volcanique (J.P. LARUE, 1979 ; J.F. PASTRE, 1986).
18La nappe Ft est caractérisée par un fort % de CPx et par la prédominance du grenat sur la staurotide, alors que la nappe des "sables et argiles du Bourbonnais" comporte nettement moins de CPx et plus de staurotide et d'andalousite que de grenat. Ainsi les buttes de la Forêt d'Orléans sont entièrement formées de dépôts des "sables et argiles" du Bourbonnais et le replat situé 20 m en contrebas correspond à une nappe alluviale comportant de forts % de CPx et de grenat (Fig. 1 et 3). Le fleuve à CPx qui est à l'origine de ces dépôts, a balayé une vaste surface entre et autour de ces buttes d'inversion de relief. Cependant les teneurs en CPx et en grenat diminuent fortement à l'ouest de la butte de la Montagne, probablement à cause du remaniement des matériaux des "sables et argiles du Bourbonnais".
19L'analyse colorimétrique des CPx souligne la domination écrasante des CPx bruns (Fig. 8) : 91 échantillons sur 105, contre 6 échantillons à CPx verts dominants et 6 échantillons où les couleurs s'équilibrent. Les "sables et argiles du Bourbonnais" et la nappe Ft sont caractérisés par la prédominance des CPx bruns. La grande majorité des CPx verts et des échantillons équilibrés se trouvent rassemblés au nord-nord-est de Gien selon un tracé long d'une dizaine de kilomètres, passant par Les Choux et aboutissant à Nogent-sur-Vernisson, franchissant ainsi la ligne de partage des eaux entre bassins de la Loire et de la Seine. Cela permet d'isoler une nappe à CPx verts dominants au nord de Gien, à environ 160 m d'altitude (Tab. VI). Cette nappe notée Fs, qui se situe en contrebas de la butte de la Montagne, domine le replat Ft qui se développe plus à l'ouest, vers 150 m d'altitude, mais se trouve à un niveau légèrement inférieur à la nappe Ft conservée sur le plateau au nord de Gien, à plus de 180 m d'altitude (Fig. 6 et 9). La flexure et les failles localisées sur la figure 9 sont à l'origine de cette situation. La composition en minéraux lourds diffère peu entre les deux nappes, les CPx et le grenat arrivent en tête, mais Fs renferme un peu plus de staurotide (voir Tab. V). Le graphique de la figure 10, construit en ne retenant que six minéraux issus du socle centralien, montre que la nappe Fs renferme relativement moins de grenat que Ft, mais plus de staurotide et de tourmaline. Dans la nappe Fs, les teneurs en grenat diminuent très rapidement en s'éloignant de la ligne de partage des eaux vers le nord (Fig. 11).
Figure 8 - Colorimétrie des CPx des différentes formations alluviales.
Fz : alluvions actuelles. Ft : alluvions du Pléistocène inférieur. Fs : alluvions antérieures à Ft. SB : "sables et argiles du Bourbonnais".
Tableau VI - Colorimétrie des CPx et part relative de 6 minéraux lourds issus du socle centralien dans les différentes formations alluviales.
Les teneurs sont exprimées en % du total des CPx (à gauche) ou des minéraux lourds considérés (à droite).Les minéraux caractéristiques des formations sont surlignés en jaune. All. : alluvions actuelles.
Figure 9 - Profils de la ligne de partage des eaux entre Loire et Loing et des nappes Fs et Ft (A) et agrandissement du secteur de La Montagne montrant la position des différentes formations détritiques (B).
Figure 10 - Composition en minéraux lourds issus du socle centralien dans les formations alluviales de la région de Gien.
Fz : alluvions actuelles ; Ft : alluvions du Pléistocène inférieur ; Fs : alluvions antérieures à Ft ; SB : "sables et argiles du Bourbonnais".
Figure 11 - Diminution rapide vers le nord de la teneur en grenat de la nappe Fs.
20Les alluvions actuelles des affluents du Loing et du Loing lui-même présentent une grande diversité minérale : la staurotide devance légèrement la tourmaline et le grenat et les CPx bruns dominent (voir Tab. V et Fig. 6). Les teneurs en CPx diminuent vers le nordouest : 36 % pour le Vernisson (éch. 97), 14 % pour l'Huillard (éch. 71) et 0 % pour la Bézonde (voir Fig. 5 et Tab. III, échantillon 73).
21Les buttes de la Forêt d'Orléans couronnées de sables caillouteux sont les témoins du dernier remblaiement de la cuvette solognote, effectué par les derniers apports de "sables et argiles du Bourbonnais" datés du Pliocène supérieur par J. TOURENQ (1989). En effet, les dépôts caillouteux sommitaux, notés "cailloutis culminants" sur les cartes géologiques, ont la même composition en minéraux lourds que les sables argileux sous-jacents caractéristiques des "sables et argiles du Bourbonnais". Cependant les analyses palynologiques effectuées sur ces cailloutis culminants de la Forêt d'Orléans par G. FARJANEL (C. GIGOT, 1984 ; D. CRUZ MERMY et al., 2007) suggèrent un âge plus récent, car aucun pollen caractéristique du Miocène ou du Pliocène n'a été décelé. Par ailleurs, la teneur en CPx diminue rapidement vers le nord-ouest, ainsi que le montrent les dépôts couronnant les buttes du nord-ouest de la forêt d'Orléans. Une forte dilution des CPx dans une sédimentation fluvio-lacustre peut expliquer ce phénomène. La teneur en CPx diminue aussi avec la profondeur (J.P. LARUE, 2003-b), ce qui indique que l'accumulation des "sables et argiles du Bourbonnais" s'est faite par apports successifs présentant des faciès et des compositions minéralogiques différentes, surtout en ce qui concerne les minéraux lourds d'origine volcanique. En tous cas, la position de ces buttes couronnées d'alluvions grossières (sables et galets) indique qu'une paléo-Loire se dirigeait déjà vers le nord-ouest et non vers le nord et la Seine au Pliocène supérieur. Les cailloutis culminants signalés au sud-ouest de la Sologne, dans la région de Bracieux (D. CRUZ MERMY et al., 2007), appartiennent probablement à la même formation et fournissent un argument supplémentaire à un écoulement vers l'Atlantique. La localisation de ces dépôts grossiers indique aussi que les derniers apports fluviatiles de "sables et argiles du Bourbonnais" se sont étalés sur une vaste surface.
22Les derniers apports grossiers de "sables et argiles du Bourbonnais" marquent aussi la fin de la subsidence de la cuvette solognote. Un soulèvement d'ensemble apparaît nécessaire pour expliquer l'encaissement et l'étagement des nappes pléistocènes. À la charnière du Pliocène supérieur et du Pléistocène, la paléo-Loire commence à déblayer les dépôts, en laissant en relief ce qui deviendra les buttes de la Forêt d'Orléans, avant de déposer la nappe alluviale essentiellement sableuse Fs, située 10 m en contrebas de la butte de la Montagne.
23La nappe Fs n'est conservée qu'à la faveur du rejeu de la flexure ou du graben longeant à l'ouest le horst du nord de Gien (Fig. 9-B). Sa localisation à l'ouest du horst démontre que la Loire traversait ce horst et s'écoulait vers l'ouest. Elle a été transformée en terrasse par le creusement antérieur à la mise en place de la nappe Ft, mais la topographie sommitale n'est pas parfaitement plane, du fait d'apports colluviaux déposés au pied de la butte de La Montagne.
24La nappe Ft du fleuve à CPx, qui présente toujours des épaisseurs faibles, souvent inférieures à 2 m, s'est mise en place après une seconde phase d'incision des cours d'eau, au Pléistocène inférieur. La composition minéralogique, peu différente de celle de la nappe Fs, suggère des apports de même origine et un âge assez proche. Elle donne une topographie plane de terrasse alluviale, suite au creusement postérieur à sa mise en place. Faiblement chenalisé, le fleuve à CPx se dirigeait vers le nord-ouest, en balayant une vaste surface autour des buttes mises en relief, comme le suggère la position des échantillons riches en CPx (voir Fig. 5). Cela suggère que la ligne de partage des eaux se tenait au Pléistocène inférieur plus au nord-est, entre Bellegarde et Nogent-sur-Vernisson, et que cette zone élevée a ensuite été mise en creux par l'érosion différentielle réalisée au Pléistocène dans la molasse du Gâtinais. Le soulèvement du horst de Gien s'est poursuivi postérieurement à la mise en place de la nappe Ft, puisque cette dernière est dénivelée d'une vingtaine de mètres lors de sa traversée, mais cela n'a pas interrompu l'écoulement vers l'ouest. Au cours du creusement pléistocène, et malgré les déformations tectoniques du secteur de Gien, la Loire s'est donc maintenue quasiment sur place par antécédence.
25 Les variations de teneur en CPx des alluvions actuelles des affluents du Loing traduisent bien les effets de l'érosion régressive de ces cours d'eau qui érodent à l'amont les dépôts des "sables et argiles du Bourbonnais" et de la nappe Ft (voir Fig. 5).
26L'origine des CPx verts localement majoritaires est à rechercher dans la grande séquence de Perrier, très en amont, près d'Issoire, où ils auraient été repris probablement à des éjecta trachytiques ou à des alluvions ponceuses, analysés par J.F. PASTRE (1987), d'origine montdorienne, et cela avant le paroxysme du volcanisme du Devès qui consacre définitivement la supériorité des CPx bruns dans les alluvions contemporaines et postérieures. Nous sommes donc dans le Pliocène supérieur, mais qu'advient-il des CPx verts ? Sont-ils parvenus en Orléanais par voie aérienne ou bien, dans le cas d'apports fluviatiles, leur répartition selon l'axe Gien - Nogent-sur-Vernisson représente-t-il une paléo-Loire pré quaternaire, rejoignant la Manche ? À ces deux questions, il est possible d'apporter des réponses claires :
27Les analyses de minéraux lourds proposées dans cette note n'ont été faites que pour des échantillons ne contenant que 0 à 3 % de CPx d'apport éolien, bien reconnaissables à leur forme cristalline d'origine, avec ou sans cassure nette. Les zones de retombées massives ont été exclues de cette recherche. Il n'en existe d'ailleurs pas au nord de Gien, à notre connaissance.
28Il y a à cela impossibilité : la figure 11 représente la perte de grenat, minéral relativement fragile du métamorphisme (M.A. VELBEL, 1984 ; J.F. PASTRE, 1986) sur un trajet de l'ordre de 7 à 9 km entre les échantillons 75 et 28, pour tous les échantillons à CPx verts > CPx bruns de la nappe Fs. Cette perte est régulière, de l'ordre de 9 % par kilomètre. À titre comparatif, dans les alluvions actuelles, sur plus de 200 km, entre Vichy et Saint-Benoît-sur-Loire, la perte de grenat est de 0,12 % par kilomètre. Une perte en grenat de 9 % par km semble impossible pour une "Loire-Seine" pliocène. On peut en inférer que les formations superficielles à CPx, présentes surtout au nord de la ligne de partage des eaux, dans l'actuel bassin de la Seine, proviennent de transferts de matière par colluvionnement, avec des taux de CPx de l'ordre de 10 à 20 %. Cette proposition avait été faite en 1972 par J. GERMANEAU et al. (1972), mais n'a pas été reprise. Elle suffit pourtant à expliquer la présence de CPx dans le bassin de la Seine, par érosion régressive aux dépens des colluvions.
29À l'appui de cette interprétation, la répartition des CPx dans le bassin du Loing est significative : cette espèce est relativement abondante dans les alluvions actuelles, autour de 20 %, mais beaucoup plus rare, voire absente, au niveau des terrasses. Cela signifie que l'érosion régressive d'un paléo-Loing n'avait pas encore atteint les colluvions à CPx, alors qu'aujourd'hui elle y est parvenue. Cette répartition des CPx avait même donné à penser que le Loing pourrait dans l'avenir capturer la Loire (X. PASQUIOU, 1994). Cette supposition s'inscrit dans la logique d'un soulèvement quaternaire du bassin ligérien, largement reconnu, mettant en position de force les affluents méridionaux de la Seine. C'est par rapport à ce mouvement d'ensemble que la Loire aurait profondément incisé sa vallée (J.P. LARUE, 2003b). C'est la définition de l'antécédence.
30Les analyses de minéraux lourds récoltés sur un vaste terrain en rive droite de la Loire, jusqu'à la ligne de partage des eaux avec la Seine, et même au delà, ont permis de faire apparaître le rôle essentiel des clinopyroxènes comme traceurs paléogéographiques. Les derniers apports de "sables et argiles du Bourbonnais", qui sont plus grossiers et riches en CPx bruns que les apports sablo-argileux précédents, marquent aussi la fin de la subsidence solognote. Les mouvements positifs vont ensuite l'emporter durant le Pléistocène, permettant le creusement de la paléo-Loire et l'étagement des nappes alluviales. La découverte de dépôts à CPx verts dominants au nord de Gien, sur la ligne de partage des eaux, ne peut que correspondre à une nappe anté-quaternaire (antérieure à Ft, où dominent les CPx bruns – échantillons 1 à 7). Cette observation signifie qu'à la fin du Pliocène, le tracé de la Loire était conforme à l'actuel. Est-ce à dire que la "Loire-Seine" serait un mythe ? Non, si l'on tient compte du transport massif de matériaux depuis le Massif Central jusqu'au Bassin Parisien et au delà. Il s'agit des "sables de Lozère". De tels transports font appel à des mouvements tectoniques importants, mais aussi à des conditions paléo climatiques qui nous sont apparues incompatibles avec les temps plio-quaternaires (J.P. LARUE et R. ÉTIENNE, 2002).
31On peut ajouter qu'en Sologne, au sud de la Loire, on n'a nulle part trouvé de teneurs en CPx aussi élevées que dans la région de Gien (J.P. LARUE, 2003-b). Cela tend à prouver que les paléo-Loire responsables des dépôts Fs et Ft, bien que peu chenalisées, n'ont jamais empiété sur la rive gauche de la Loire actuelle.
Remerciements : Nous remercions Mathias BOUNHENG, cartographe à l'Université Paris-Est-Créteil, pour la mise au net des figures. Cet article a aussi bénéficié des suggestions et critiques constructives d'Yvette DEWOLF, Dominique HARMAND, Alain MARRE et de deux relecteurs anonymes.