1Les observations sur les forêts ivoiriennes ont, depuis la fin des années 1950, mis en évidence la réduction de leurs surfaces (N. COULIBALY, 1998 ; Y.S. BARIMA et al., 2009). Dans les décennies 1900-1980, le développement des cultures du café et du cacao, très exigeantes en main d'œuvre, s'est accompagné d'un accroissement démographique rapide, tout cela aux dépens des zones forestières (Y.T. BROU et al., 2004).
2Le développement des cultures industrielles, l'infiltration par des activités paysannes des forêts du Domaine Forestier Permanent et l'exploitation incontrôlée du bois ont eu un impact négatif considérable sur les surfaces forestières et la qualité de leurs peuplements (A.A. KADIO, 2009). La plupart des forêts dites classées n'ont pas été épargnées, surtout dans l'Ouest du pays (Haut-Sassandra), par les conséquences du conflit politico-militaire qui s'est déroulé de 2002 à 2011 (J. ANDRIEU, 2018). À cela s'est ajouté la recrudescence des contestations foncières relatives au domaine forestier, qui accentue les tensions entre populations autochtones et étrangères.
3De 16 millions d'hectares de forêt en 1900, le couvert forestier ivoirien a chuté à guère plus de 2 millions d'hectares aujourd'hui (Y.T. BROU, 2005 ; A. KONÉ, 2018). Selon un rapport du Ministère de l'Environnement (2014), le rythme de déboisement et de déforestation est passé de 200 000 ha/an (1956-1966) à plus de 300 000 ha/an de nos jours. Selon la FAO et SEP-REED+ (2017), près de 4,5 millions d'hectares de forêt ont disparu entre 1986 et 2015, ce qui represente 14 % du territoire national.
4Pour étudier les changements environnementaux, l'analyse diachronique à partir d'images de télédétection est l'une des méthodes les plus utilisées (B. MIHAI et al., 2006). De nombreuses études ont été menées dans cette perspective en Côte d'Ivoire, notamment sur la forêt classée du Haut-Sassandra (J. OSZWALD et al., 2003 ; C.Y. SANGNE et al., 2015 ; A.G. ADOU et al., 2018 ; J. ANDRIEU et al., 2018 ; A.T.M. KOUAKOU et al., 2018) et sur le Parc National de la Marahoué (H. DIBI N'DA, 2007 ; H. DIBI N'DA et al., 2008 ; A.C.A. KOUAKOU et al., 2018).
5Ces études ont mis en évidence le recul de la forêt dense soumise à une anthropisation incontrôlée dans les années 2002-2011. Notre objectif, dans le présent travail, est à la fois différent et complémentaire. En effet, le bassin de la Lobo, sujet de cette étude, qui jouxte la forêt du Haut-Sassandra à l'ouest et le Parc de la Marahoué à l'est, est un secteur plus anciennement exploité par l'Homme et qui subit aujourd'hui une mutation agricole dans le cadre de la nouvelle Boucle du cacao de l'Ouest de la Côte d'Ivoire.
6Situé dans le domaine forestier du centre-Ouest de la Côte d'Ivoire, le bassin versant de la Lobo constitue la plus grande part de la région du Haut-Sassandra (Fig. 1) où il couvre une superficie de 12767 km2. D'une longueur de 355 km, le drain principal présente une direction nord-sud. Avec une altitude maximale de 640 m, le relief, peu contrasté et peu varié, est constitué de pénéplaines (C.Y. KOFFIÉ-BIKPO et K.S. KRA, 2013) associant des dômes cristallins (300-400 m) et des bas-plateaux (200-300 m), dont l'ensemble offre de bonnes conditions pour la pratique de l'agriculture.
Figure 1 - Localisation (A) et physiographie (B) du bassin versant de la rivière Lobo.
7Comme partout en Afrique de l'Ouest (FAO, 2015 ; J. ANDRIEU, 2018 ; S. OUSMANE et al., 2020), le couvert végétal connaît d'importantes mutations en relation plus ou moins directe avec les évolutions du climat et les activités humaines.
8Le système agricole, au départ extensif, évolue aujourd'hui vers une agriculture beaucoup plus intensive, les terres cultivables devenant rares (Y.T. BROU, 2005) alors que les besoins ne cessent de croître. La population de la région du Haut-Sassandra était estimée à 1,5 million d'habitants en 2014 (RGPH, 2014).
9L'occupation du sol comprend, pour l'essentiel, des cultures pérennes (café, cacao, palmier à huile, anacarde, hévéa...) et annuelles (banane plantain, igname, manioc, riz, maïs...), des jachères et, dans une moindre mesure, des forêts. En Côte d'Ivoire, selon le nouveau code forestier (Loi N°2014-427 du 14 juillet 2014), on entend par forêt, "toute terre constituant un milieu dynamique et hétérogène, à l'exclusion des formations végétales résultant d'activités agricoles, d'une superficie minimale de 0,1 hectare portant des arbres dont le houppier couvre au moins 30 % de la surface et qui peuvent atteindre à maturité une hauteur minimale de 5 mètres".
10Le bassin versant de la Lobo intègre une partie de la forêt classée du Haut-Sassandra (créée en 1969 ‒ 10880 ha, soit 10,6 % de la forêt classée) et une partie du Parc National de la Marahoué (créé en 1968 ‒ 5230 ha, soit 5,2 % de la totalité du parc) (pour leur localisation, voir la figure 7). Le bassin comporte en outre des lambeaux forestiers disséminés et des forêts galeries.
11Le terrain d'étude se trouve dans la zone de transition entre les climats équatorial et subéquatorial. Il connaît deux saisons pluvieuses, dont les pics se situent respectivement en juin et en octobre. Elles sont séparées par deux saisons sèches, la plus longue s'étendant de décembre à février. Les cumuls pluviométriques annuels mesurés à cinq stations varient de 742 à 1896 mm sur la période 1981-2014 (Fig. 2). Sur la même période, la moyenne des valeurs est de 1326 mm.
Figure 2 - Précipitations annuelles (années civiles) du bassin versant de la Lobo entre 1981 et 2014.
Source des données : SOciété d'EXploitation et de Développement Aéroportuaire, aéronautique et Météorologue (SODEXAM) d'Abidjan (Côte d'Ivoire).
12L'étude repose sur l'analyse d'images multispectrales des satellites Landsat acquises en janvier 1986, janvier 2008 et janvier 2015 (Tab. I). Pour chacune des images, trois scènes ont été nécessaires pour couvrir la zone d'étude. Elles ne présentent aucune couverture nuageuse.
Tableau I - Caractéristiques des images multispectrales (MSI) Landsat utilisées.
13La démarche en vue de cartographier les changements du couvert forestier est décrite sur la figure 3. Le matériel nécessaire à sa mise en œuvre se compose d'un logiciel de traitement et d'analyse d'images de télédétection (en l'occurrence, ENVI-5.3), d'un logiciel cartographique (ArcGIS-10.5) et d'un GPS (Garmin Etrex) pour le relevé des points de contrôle sur le terrain.
Figure 3 - Méthode de cartographie des changements du couvert forestier à partir des données de télédétection gérées dans un SIG.
14Différentes opérations ont été réalisées : correction radiométrique, égalisation d'histogramme, mosaïquage et extraction des sous-images du bassin de la Lobo. La correction radiométrique a pour but d'homogénéiser la qualité des images comme le préconisent divers auteurs (D.W. ECKHARDT et al., 1990 ; B. LOUNIS et al., 2010). Elle permet de convertir les valeurs de "Luminance" en "Radiance" puis en "Réflectance" dans ENVI. Pour corriger d'éventuels biais liés aux particules atmosphériques, l'outil "Darksubstraction" a été appliqué.
15Les bandes du Rouge (R) et du Proche Infrarouge (PIR) sont les plus utilisées pour l'étude de la végétation (F. BONN et G. ROCHON, 1992).
16Les occupations du sol sont distinguées à travers la composition en infrarouge fausse couleur des bandes spectrales MIR1, PIR et MIR2 (Fig. 4) : la végétation réfléchit plus la bande du Proche Infrarouge (PIR), ce qui permet de distinguer les terres cultivées des sols nus ; la bande du Moyen Infrarouge courte (MIR1) sépare les forêts des terres cultivées sur la base des valeurs de réflectance et de critères de forme ; la bande du Moyen Infrarouge lointain (MIR2) discrimine les sols nus et les zones d'habitat (qui la réfléchissent davantage) et permet de distinguer la forêt qui apparaît très sombre.
Figure 4 - Images en couleur composite (MIR1, PIR, MIR2) de la série Landsat du bassin versant de la Lobo des années 1986 (A), 2008 (B) et 2015 (C) discriminant les occupations du sol et la dégradation du couvert forestier.
17La composition colorée des images OLI-2015 a servi de support de prospection sur le terrain. Pour la classification, un échantillonnage de sites d'entraînement représentatifs des unités repérées sur les images a permis de juger de la séparabilité des classes d'occupation du sol. Une typologie des états de surface a pu être ainsi dégagée (Fig. 5) : "forêt", "culture", mosaïque "culture-jachère", "habitat-sol nu" et "eau".
Figure 5 - Visualisation d'une partie des points de contrôle des unités de surface présélectionnés dans l'image OLI et levés du 22 au 24 novembre 2015.
18La méthode de classification supervisée utilisée est celle de l'algorithme du Maximum de Vraisemblance (MDV). Elle est basée sur les informations spectrales des pixels (donc "orientée pixels"). C'est une méthode probabiliste d'attribution de chaque pixel à une classe déterminée (Y.T. BROU et al., 2004 ; T. LILLESAND et al., 2015) qui s'appuie sur les valeurs de réflectance.
19Une évaluation de la classification est faite à travers la matrice de confusion (M. STORY et R.G. CONGALTON, 1986) et le calcul des précisions. Elle est suivie des traitements post-classification (filtrage, harmonisation des classes et statistique des classes). La matrice de confusion offre une mesure quantitative de la qualité de l'échantillonnage et de la séparabilité des classes. Les produits images de la classification sont corrigés en appliquant un filtre majoritaire (passe-bas) afin d'améliorer le rendu cartographique.
20Le Taux de Changement Annuel Moyen (TCAM) permet de déterminer les vitesses d'accroissement ou de diminution des classes d'occupation du sol :
21Les relations dans le temps entre les différentes classes d'occupation du sol sont traduites par une matrice de transition, qui décrit les évolutions entre deux dates (S.A. COUSINS, 2001 ; F. MOREIRA et al., 2001 ; J. OLOUKOI et al., 2006), mais sans donner d'information sur leur distribution spatiale ni sur les processus et les causes ayant conduit aux changements (J.F. MIKWA, 2010). Le facteur de conversion Ci entre deux périodes est calculé à partir des éléments de la matrice de transition pour connaître la somme des mutations d'une classe i vers les autres classes :
22La comparaison des occupations du sol à deux dates différentes permet de définir les évolutions. Un premier niveau d'information fournit, pour chaque classe, une valeur globale de régression ou d'accroissement. Le second niveau d'information, plus élaboré, se rapporte à la cartographie thématique des changements d'affectation des classes d'occupation du sol.
23Pour la cartographie des évolutions, les données de télédétection sur les occupations du sol en 1986, 2008 et 2015 ont alimenté un SIG. Les cartes des changements ont été construites en exploitant les relations topologiques d'intersection, d'inclusion et d'adjacence (ou voisinage) existantes entre les différentes classes d'information.
24L'évolution de l'occupation du sol en termes d'accroissement et de régression est analysée à partir des relations topologiques existant entre les fichiers vecteurs d'une classe donnée correspondant à deux dates (T0 et T1).
25Ainsi, par exemple, pour déterminer les accroissements de "forêt", la classe de référence "forêt(T0)" sert de "Input Features" et la classe "forêt(T1)" de "Erase Features". Le processus inverse est utilisé pour déterminer les régressions de "forêt". Les surfaces stables sont celles n'ayant subi ni accroissement ni régression, donc sans changement.
26Les relations d'intersection et d'inclusion entre deux dates T0 et T1 permettent de caractériser l'évolution de chaque classe sur la période considérée et d'obtenir un document graphique sur les surfaces en régression, en accroissement ou stables.
27Pour observer les passages d'une classe d'occupation du sol à une autre entre deux dates, le document graphique des régressions et des accroissements d'une classe donnée entre T0 et T1 est superposé à celui de l'occupation du sol en T1. Ainsi, pour chaque classe, le croisement de l'ensemble des régressions entre T0 et T1 avec l'occupation du sol en T1 permet de situer les transformations de cette classe en d'autres classes au cours de la période.
28À l'inverse, le croisement des accroissements d'une classe donnée entre T0 et T1 avec l'occupation du sol en T0 permet de situer les réaffectations en cette classe des autres classes au cours de la période.
29Pour la cartographie thématique des changements d'affectation des terres, les croisements des classes d'information sont réalisés par paire de classes (périodes initiale T0 et finale T1) grâce aux fonctions "Erase' et "Intersect" de la fenêtre ArcToolbox de ArcGIS (Fig. 6). Cette analyse cartographique a été soutenue par l'analyse statistique de la matrice de transition, afin de situer les nouvelles affectations de chacune des classes d'occupation du sol. Les nouveaux polygones (en jaune) issus de ces croisements représentent la part de la classe A transformée en B. Ce principe de croisement par paire de classes a permis d'extraire tous les polygones transformés de chaque classe, de cartographier l'ensemble des changements et de constituer les couches d'information pour l'analyse de ces changements.
Figure 6 - Croisements par paire de classes distinctes pour la cartographie des changements d'occupation du sol.
1 : relation d'intersection (A et B se chevauchent). 2 : relation d'inclusion (A incluse dans B ou vice versa). 3 : relation d'adjacence (frontière entre A et B).
30Les tests de classification générés ont permis d'apprécier la qualité des classifications supervisées de l'algorithme MDV (Tab. II, III, IV). Cette évaluation s'est avérée très satisfaisante pour chacune des classifications au vu des valeurs concernant la précision globale (92,5 % à 96,1 %) et des coefficients de KAPPA (0,84 à 0,95). La dynamique spatio-temporelle de l'occupation du sol du bassin versant de la Lobo, déterminée sur la base des classifications supervisées des images multispectrales, est illustrée par la figure 7. À toutes les dates, l'occupation du sol est dominée par les zones d'intense activité agricole (zones de culture).
Tableau II - Matrice de confusion de l'occupation du sol (en nombre de parcelles) pour le bassin de la Lobo en 1986.
Précision réal. : précision réalisateur. Précision util. : précision utilisateur. Erreur com. : erreur de commission. Erreur omis. : erreur d'omission.
Tableau III - Matrice de confusion de l'occupation du sol (en nombre de parcelles) pour le bassin de la Lobo en 2008.
Précision réal. : précision réalisateur. Précision util. : précision utilisateur. Erreur com. : erreur de commission. Erreur omis. : erreur d'omission.
Tableau IV - Matrice de confusion de l'occupation du sol (en nombre de parcelles) pour le bassin de la Lobo en 2015.
Précision réal. : précision réalisateur. Précision util. : précision utilisateur. Erreur com. : erreur de commission. Erreur omis. : erreur d'omission.
Figure 7 - Cartes de l'occupation du sol du bassin de la Lobo en 1986 (A), 2008 (B) et 2015 (C).
À noter les liserés vert foncé qui délimitent les forêts classées, particulièrement bien visibles sur la figure C du fait du recul de la forêt. Ils correspondent à des plantations de tecks, larges de 50 m, vieilles de 18-20 ans. La forêt classée du Haut-Sassandra est située près de Dania et le Parc National de la Marahoué à l'est de Daloa.
31Les superficies des différentes classes d'occupation du sol et les taux de changement annuels moyens de chaque classe entre 1986, 2008 et 2015 sont consignés dans le tableau V. La matrice de transition, qui indique les mutations d'une classe à l'autre entre 1986 et 2015, fait l'objet du tableau VI.
Tableau V - Taux de changement de l'occupation du sol entre 1986, 2008 et 2015.
TC = taux de changement annuel moyen (%). : TC1 : 1986-2008. TC2 : 2008-2015. TC3 : 1986-2015.
Tableau VI - Matrice de transition des classes d'occupation du sol entre 1986 et 2015.
En gris : superficie totale par classe en 1986 et en 2015. En jaune : terrains conservés. En vert : terrains gagnés. En brun : terrains perdus.
32Dès 1986, les zones vouées aux cultures et aux jachères sont largement dominantes : 10237 km2 (80 % de la superficie totale), devant les sols nus (et l'habitat) dont une partie est apprêtée pour les cultures. La forêt n'occupe qu'un espace réduit (584 km2, soit 4,6 % de la superficie totale), dont l'essentiel est concentré dans les aires protégées : la forêt classée du Haut-Sassandra à l'ouest et le Parc National de la Marahoué à l'est. Toutefois des regains réalisés sur de vieilles jachères ont permis à la forêt de s'étendre entre 2008 (123 km2, soit 0,96 % seulement de la superficie du bassin versant) et 2015 (299 km2).
33La mosaïque culture-jachère et la superficie en culture ont beaucoup fluctué, en sens inverse l'une de l'autre, entre 1986, 2008 et 2015. Mais leur somme est restée relativement constante : 10237 km2 en 1986, 8927 km2 en 2008 (année où les cultures ont été les plus étendues) et 10991 km2 en 2015. De 1986 à 2015, la classe "culture" a diminué de 55 %, tandis que la classe "culture-jachère" a augmenté de 78 %. Cela tient au fait qu'en janvier 2015, du fait de l'évolution des pratiques agricoles, les terres cultivées étaient en jachère après les récoltes.
34La classe "habitat-sol nu", malgré une forte augmentation entre 1986 et 2008 (+1769 km2), a globalement subi une diminution de 32 % (-619 km2) entre 1986 et 2015, perdant 1067 km2 au bénéfice de la classe "culture-jachère", mais gagnant 871 km2 au détriment des classes "culture" et "culture-jachère" auxquelles les sols nus sont très liés dans le système d'exploitation des terres.
35Entre 1986 et 2015, les surfaces en eau sont passées de 1,6 km2 à 152 km2. On le doit à la mise en eau de cinq barrages agropastoraux et à la construction du barrage régulateur d'Issia dans le cadre de l'aménagement des périmètres rizicoles.
36Les facteurs de conversion atteignent 94,0 % pour la classe "forêt", 79,0 % pour la classe "culture", 67,6 % pour la classe "habitat-sol nu" et 31,8 % pour la classe "culture-jachère", ce qui traduit une forte dynamique paysagère du bassin versant de la Lobo en 30 ans.
37Les évolutions de la forêt sur les périodes 1986-2008, 2008-2015 et 1986-2015 sont portées sur la figure 8 :
-
La première période (1986-2008) est marquée par une régression forestière quasi générale, en lien avec une exploitation des ressources forestières et des défrichements au profit des activités agricoles.
-
Durant la deuxième période (2008-2015), le couvert forestier semble gagner un peu de terrain dans la moitié sud du bassin de la Lobo, là où il avait pratiquement disparu en 2008. Mais cela est en relation avec la présence de vielles jachères envahies par des arbres ou de cultures arbustives prises pour de la forêt.
-
Sur l'ensemble de la période d'étude, les régressions touchent tout particulièrement les portions présentes dans le bassin versant de la forêt classée du Haut-Sassandra et du Parc National de la Marahoué. Les accroissements, quant à eux, sont distribués à l'ouest (autour de Dania et au sud de la forêt du Haut-Sassandra), à l'est (au delà d'une ligne Daloa-Issia) et au sud (entre entre Issia et Grand-Zatry).
Figure 8 - Évolutions du couvert forestier du bassin de la Lobo entre 1986 et 2015.
38Les observations effectuées sur le terrain, en 12 points de contrôle présélectionnés au laboratoire, attestent que les réductions massives subies par les forêts depuis 1986 (y compris celle, pourtant classée, du Haut-Sassandra) sont la conséquence de la quête de nouvelles terres cultivables (Photos 1) : cultures pérennes (cacao en sous-bois, café, anacardier et palmier à huile) et cultures annuelles (maïs, riz, banane, igname, manioc, plantes maraichères...). À cela, il faut ajouter les activités illicites (exploitations forestières et minières) qui ont aggravé cette mutation, même dans les aires protégées en l'absence d'autorité en charge de leur gestion en période de conflits politico-militaire entre 2002 et 2011. En ce qui concerne les accroissements de forêt, il s'avère qu'ils correspondent soit à de vieilles jachères de cultures arbustives reconverties en forêt, soit à une attribution erronée de plantations d'hévéa dont la densité et l'âge (15-20 ans) induisent des réflectances proches de celles des forêts (Photos 2).
Photos 1 - Caractérisation des dégradations du couvert forestier : cacao en sous-bois (a), cultures vivrières (b), café (c) et exploitation forestière (d). clichés : Vincent ASSOMA, novembre 2015
Photos 2 - Caractérisation des "accroissements" du couvert forestier : vieille jachère (a) et plantation dense d'hévéas confondue avec une forêt (b). clichés : Vincent ASSOMA, novembre 2015
39L'analyse des images multispectrales, complétée par des observations de terrain, a montré que le recul du couvert forestier dans le bassin versant de la Lobo entre 1986 et 2015 est principalement lié aux pressions anthropiques, suite aux demandes de plus en plus pressantes de terres agricoles, aux exploitations minières et surtout au conflit politico-militaire des années 2002 à 2011. Ces fortes pressions, qui se sont exercées jusque sur les forêts classées, ont largement été décrites (I. BAMBA et al., 2018 ; J. ANDRIEU, 2018 ; A.T.M. KOUAKOU et al., 2019 ; S. OUSMANE et al., 2020).
40H.J. GEIST et E.F. LAMBIN (2001) ont identifié quatre grands groupes de facteurs qui peuvent être considérés comme les causes immédiates de la déforestation et de la dégradation des forêts : l'urbanisation et la multiplication des infrastructures, l'extension de l'agriculture, l'extraction du bois, enfin d'autres facteurs (prédispositions environnementales, facteurs biophysiques, événements sociaux tels que les guerres, les révolutions, etc.). À côté de cela, coexistent des causes sous-jacentes (facteurs démographiques et économiques).
41G. KISSINGER et al. (2012) ont montré que l'agriculture paysanne est la principale cause de déforestation dans les zones tropicales ; elle contribuerait à la destruction de la forêt à hauteur de 35 % en Afrique, 65 % en Amérique Latine et un peu plus de 30 % en Asie du Sud-Est.
42En Côte d'Ivoire, une étude portant sur le Parc National de la Marahoué (N.H. DIBI, 2007) a mis en cause les activités agricoles comme source de la dégradation des forêts. Or la crise socio-politique qui a secoué le pays de 2002 à 2011 n'a fait qu'aggraver la situation à cause de l'effacement des structures vouées à la gestion des aires protégées et à la conservation des forêts, ce qui a favorisé l'infiltration et l'exploitation de ces espaces.
43Principale cause de déforestation en Côte d'Ivoire, le secteur agricole représentait, en 2013, 22 % du PIB national, plus de 50 % des recettes d'exportation et les deux tiers des sources d'emploi et de revenu de la population selon la Banque Mondiale (MAAF, 2015).
44L'évaluation des classifications réalisées dans cette étude a donné des résultats satisfaisants avec des précisions globales se situant entre 92,5 % et 96,5 %. L'une des difficultés rencontrées dans cette étude est relative à la qualité de l'image OLI de 2015, qui présente de fortes confusions entre la classe "forêt" et les zones de cultures ("culture" et "culture-jachère") : ce constat est justifié par la forte densité des cultures arbustives (hévéaculture) et des vieilles jachères de caféiculture et de cacaoculture, dont les signatures spectrales sont proches ou quasi similaires de celles des couverts forestiers. Les confusions peuvent être dues à la nature des plants cultivés (vergers et cultures céréalières) selon Z.A. TRA BI (2013). Ces erreurs pourraient être corrigées par l'utilisation des images multispectrales à Très Haute Résolution Spatiale (THRS) de Spot-6/7 en mode Fine (1,5 m) et QuickBird-1/2 (2,5 m), comme solution idéale pour la cartographie à l'échelle 1/25000.
45Le facteur de conversion élevé de la forêt (94 %), ainsi que le taux de changement négatif (-2,3 %), mettent en exergue une régression significative des superficies forestières entre 1986 et 2015. L'analyse de la matrice de transition montre que ces régressions se sont faites au profit des zones cultivées ("culture" et "culture-jachère"). Ces résultats viennent corroborer ceux de L. AKADJE et A.C. HAUHOUOT (2014), J. OSZWALD (2005) et Y.T. BROU (2005), qui mettent également en cause les pratiques agricoles dans le cas de la dégradation et de la disparition des massifs forestiers.
46Des images satellitaires Landsat ont permis de cartographier l'occupation du sol en janvier 1986, janvier 2008 et janvier 2015. Les tests de classification sur les résultats obtenus par la méthode du Maximum de Vraisemblance ont produit des précisions globales (92,5 % à 95 %) et des coefficients de KAPPA (0,84 à 0,95) très satisfaisants. Toutefois la confrontation avec les observations de terrain a montré des erreurs d'omission dues à la confusion entre certaines occupations du sol. Elles sont particulièrement fortes pour les classes "culture-jachère" (6,3 %) et culture (10,5 %). Il a donc été impossible de différencier les cultures des jachères, qui ont donc été regroupées dans une mosaïque "culture-jachère".
47Dès 1986, la forêt ne représentait qu'une très faible part de la superficie du bassin versant de la Lobo : 4,6 % (584 km2). Cette part a décliné à 0,96 % (123 km2) en 2008, du fait de la recherche de nouvelles terres par les paysans dans le cadre d'une agriculture extensive essentiellement pluviale. Elle est ensuite remontée à 2,3 % en 2015 (299 km2). Sur les 584 km2 de la forêt identifiée en 1986, seuls 35 km2 n'ont pas changé d'affectation en 2015. Le taux de conversion de la classe forêt atteint 94 %.
48Dans les secteurs théoriquement protégés, ceux appartenant à la forêt classée du Haut-Sassandra et au Parc National de la Marahoué, la forêt a fortement décliné sur la période d'étude, et aussi bien de 1986 à 2008 que de 2008 à 2015. Mais il était trop tôt en 2015 pour que les images satellitaires témoignent des effets des dispositions prises après les conflits armés pour décourager les occupants illégaux de ces secteurs et rendre à ceux-ci leur vocation forestière.
49L'extension, toute relative, de la forêt entre 2008 et 2015 est surtout sensible dans la partie sud du basin versant. L'évolution observée est en partie liée à des regains sur de vieilles jachères, mais elle tient aussi au développement des cultures arbustives denses, dont les valeurs de réflectance diffèrent peu de celles de la forêt, ce qui peut entraîner des erreurs d'attribution.
50La somme des classes "culture-jachère" et "culture" est bien sûr largement dominante sur toute la période : 10236, 8927 et 10990 km2 respectivement en 1986, 2008 et 2015. Mais chacune des classes a beaucoup fluctué. Ainsi les cultures sont-elles passées de 5471 km2 en 1986 à 7350 km2 en 2008, puis à 2488 km2 en 2015, la classe "culture-jachère" évoluant de 4765 km2 en 1986 à 8927 km2 en 2008 et à 2488 km2 en 2015. Ces évolutions sont en lien avec de nouvelles pratiques agricoles, qui laissent les terres en jachère après les récoltes.