Yu Xunling, Cixi, Empress Dowager of China [L’impératrice douairière Cixi], 1835-1908
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Yu Xunling, Cixi, Empress Dowager of China [L’impératrice douairière Cixi], 1835-1908
![Yu Xunling, Cixi, Empress Dowager of China [L’impératrice douairière Cixi], 1835-1908](docannexe/image/561/img-1-small480.jpg)
Négatif sur plaque de verre [inversion numérique], 24,1 × 17,8 cm. Washington (D. C.), Freer Gallery of Art and Arthur M. Sackler Gallery Archives, FSA A.13 SC-GR-246. Sackler Gallery Archives Purchase, 1966.
- 1 Ces deux séries comportent aujourd’hui trente-six négatifs sur plaques de verre de 24,1 x 17,8 cm, (...)
- 2 Voir Peng Ying-chen, « Lingering Between Tradition and Innovation : Photographic Portraits of Empr (...)
1En 1903-1904, Cixi (慈禧, 1835-1908), impératrice douairière de la dynastie Qing, passe commande de deux séries de portraits photographiques à Yu Xunling (裕勛齡, 1874-1943)1, photographe amateur et fils de Yu Geng, qui fut ambassadeur de Chine à Tokyo et à Paris. C’est dans ces deux capitales que le jeune Xunling aurait appris et pratiqué la photographie. Les portraits de ces deux séries, qui présentent Cixi en souveraine, servent à promouvoir l’image de l’impératrice auprès des dirigeants et des monarques étrangers dans le cadre des échanges diplomatiques. À la manière des portraits peints officiels, ils étaient exposés dans les palais impériaux2. Sept images mettent aussi en scène l’impératrice sous les traits, non pas d’une souveraine, mais de Guanyin (Avalokiteśvara), boddhisattva de la compassion. Trois autres, prises à des distances variées, la personnifient de la même façon dans le jardin de la Grande Harmonie (颐和园, Yiheyuan) à Pékin.
2Sur la photographie reproduite ci-contre, Cixi est accompagnée de l’eunuque impérial Li Lianying (李莲英) et de la quatrième princesse Sigege (四格格). L’impératrice tient d’une main le vase de pureté contenant le nectar de la compassion et de l’illumination. Les costumes indiquent que Li Lianying incarne Weito (韋陀), le défenseur de la foi, personnage souvent présent dans les temples bouddhistes, généralement sous la forme d’une statue reconnaissable au sabre tenu horizontalement devant la poitrine et aux mains jointes en prière. Sigege, qui incarne Longnü (龍女), fille du dragon, tient un soutra. Symboles de la déesse, des lotus en papier sont placés devant le trio sacré. À l’arrière-plan, le décor peint donne l’illusion que la scène se passe dans la grotte de la forêt de Bambous pourpres, l’un des lieux sacrés liés à Guanyin. Nous nous trouvons donc sur la montagne sacrée de Putuo (普陀, Potalaka), face à la grotte du Bruit des flots (潮音洞, Chaoyindong) où, selon la tradition, les pèlerins pouvaient vénérer et percevoir le boddhisattva. En outre, le perroquet blanc, l’un des attributs de la Guanyin des mers du Sud, qui vole vers Cixi, tient dans son bec un sceau où est inscrit le nom Ningshougong zhibao (寧壽宮至寶) désignant le palais de la Longévité tranquille, dans la Cité interdite, résidence officielle de Cixi.
3Délibérément mise en scène, cette image, dont la composition reprend une tripartition employée en peinture – les lotus au premier plan, le paysage peint à l’arrière-plan et, entre les deux, les trois personnages –, offre une juxtaposition de formes et de récits que des yeux étrangers à la Chine ne peuvent déchiffrer aisément. Par exemple, tous les vêtements portés par le trio, à la mode médiévale remise au goût du jour sous la dynastie Ming (1368-1644), proviennent de costumes utilisés dans des pièces de théâtre – passion de l’impératrice – données à la cour. Le décor, panneau transportable, peint sur de la soie tendue sur un châssis, évoque aussi l’univers théâtral ; il servit probablement pour des œuvres interprétées dans l’enceinte des bâtiments impériaux.
4Dans cette image fixe, qui semble saisir l’action d’une pièce de théâtre, Cixi occupe la place centrale d’un méta-espace de récits religieux, où l’impératrice joue la Guanyin de la montagne de Putuo (普陀山觀音, Putuoshan Guanyin Dashi), comme en témoigne le cartouche sur le mur à l’arrière-plan. Au lieu d’une photographie mise en scène figurant une personnification impériale de la divinité, il s’agit d’un écho visuel de la cour des Qing comme paysage sacré, enrichi de l’apparition de l’impératrice en boddhisattva. Notre interprétation de cette image saisissante ne peut que s’appuyer sur l’imbrication de la photographie, de la peinture, du théâtre et de la calligraphie. Elle offre ainsi à l’œil du spectateur le pouvoir de voler, à l’instar du perroquet de Guanyin, entre des espaces culturels visibles et invisibles. Et si l’œuvre et la vie de Yu Xunling attendent toujours d’être étudiées, ce cliché laisse deviner un regard photographique tourné vers l’intérieur – formes et lieux culturels impériaux –, et ouvert sur l’extérieur – espace mondialisé où l’identité de l’impératrice est susceptible d’être le signe de nouveaux échanges transculturels.
Notes
1 Ces deux séries comportent aujourd’hui trente-six négatifs sur plaques de verre de 24,1 x 17,8 cm, conservés à la Freer Gallery, à Washington. Voir en particulier Li Yuhang, « Oneself as a Female Deity : Representations of Empress Dowager Cixi as Guanyin », Nan Nü, no 14, 2012, p. 75-118.
2 Voir Peng Ying-chen, « Lingering Between Tradition and Innovation : Photographic Portraits of Empress Dowager Cixi », Ars Orientalis, no 43, 2013, p. 157-174, 160. À propos des portraits peints de Cixi à l’étranger, voir Marco Musillo, « American Entertainment and Display : Qing Empress Cixi in the St. Louis Exposition », dans M. Musillo, Tangible Whispers, Neglected Encounters : Histories of East-West Artistic Dialogues, 14th-20th Century. Milan : Mimesis International, 2018, p. 109-157.
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Titre | Yu Xunling, Cixi, Empress Dowager of China [L’impératrice douairière Cixi], 1835-1908 |
Légende | Négatif sur plaque de verre [inversion numérique], 24,1 × 17,8 cm. Washington (D. C.), Freer Gallery of Art and Arthur M. Sackler Gallery Archives, FSA A.13 SC-GR-246. Sackler Gallery Archives Purchase, 1966. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/photographica/docannexe/image/561/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 3,7M |
Pour citer cet article
Référence électronique
Marco Musillo, « Yu Xunling, Cixi, Empress Dowager of China [L’impératrice douairière Cixi], 1835-1908 », Photographica [En ligne], 3 | 2021, mis en ligne le 18 novembre 2021, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/photographica/561 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.54390/photographica.561
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