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Actualités scientifiques

« Archives et création contemporaine en photographie ». 26 octobre 2023

Paris, Rencontres HiCSA – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Collège international de photographie.
Rose Durr
p. 179-180

Texte intégral

  • 1 Le texte issu de sa communication lors de cette journée a été publié dans le précédent numéro de Ph (...)

1Le 26 octobre 2023 s’est tenue à l’Institut national d’histoire de l’art une journée de rencontres intitulée « Archives et création contemporaine en photographie », organisée par le Centre de recherche Histoire culturelle et sociale de l’art (HiCSA) de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et le Collège international de photographie, sous la responsabilité scientifique d’Évelyne Cohen et de Michel Poivert. L’événement rassemblait des acteurs et actrices du milieu de la photographie, travaillant avec ce que les responsables scientifiques ont nommé des « archives photographiques ». Au fil de la journée, se sont ainsi succédé des entretiens avec des artistes (Catherine Poncin, Tami Notsani), des collectionneurs (Lee Shulman, Thomas Sauvin, Jean-Marie Donat), des responsables de lieux d’archives (Anne Delrez de La Conserverie - Conservatoire national de l’album de famille, Sylvain Besson du musée Nicéphore Niépce), une historienne (Isabelle Bonnet) et une marchande de photographies (Emmanuelle Fructus1). C’est autour de la question de la création et de celle de l’éthique face aux photographies dites d’archives et à leurs (ré)emplois que ces différents intervenants et intervenantes étaient réunis.

2Cette journée a été l’occasion de réflexions sur les modes d’appropriation, de conservation et de sauvegarde des photographies que l’on appelle alternativement vernaculaires, anonymes, amateurs, ou encore de famille. En effet, bien que les responsables scientifiques de ces rencontres aient choisi de parler d’« archives », c’est avant tout de photographies personnelles et de rapport personnel aux images dont il a été question. Ainsi, les notions de mémoire collective, de transmission et de patrimoine attachées à ces objets, ainsi que leurs usages, ont été largement discutés, au travers de différentes approches de l’appropriation et des usages des photographies dites vernaculaires. La création artistique, la collection, l’édition, les expositions ou encore la conservation apparaissent ainsi comme autant de modalités possibles, non exclusives les unes des autres, pour s’emparer et/ou prendre soin de ces photographies, pour les restituer, voire les « revivifier » pour reprendre le terme employé par Michel Poivert à plusieurs reprises pour qualifier ces pratiques artistiques de réemploi. C’est en effet dans le contexte de la photographie contemporaine que cette journée s’ancrait, tant par son inscription institutionnelle que par le cadre théorique posé en introduction. Cependant, les à-côtés de cette photographie contemporaine ont également été largement questionnés, par des intervenantes et intervenants ayant des positions en son sein – tels que les artistes ou les collectionneurs –, démontrant la pertinence et la nécessité encore aujourd’hui de ces questions dans le champ même de l’histoire de la photographie. C’est dans les croisements disciplinaires et d’approches que les photographies amateurs et anonymes semblent pouvoir révéler toute leur richesse. Si une seule journée n’est jamais suffisante pour traiter l’ensemble des éléments soulevés lors des différents entretiens, celle du 26 octobre 2023 a présenté l’intérêt de poser de nombreuses questions, souvent transversales à plusieurs interventions et positions, sur lesquelles il me semble ici pertinent de revenir.

  • 2 Isabelle Bonnet et Sophie Hackett, Casa Susanna. L’histoire du premier réseau transgenre américain, (...)
  • 3 À ce sujet, voir par exemple François Brunet, « La photographie, éternelle aspirante à l’art », dan (...)
  • 4 Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Enrichissement. Une critique de la marchandise. Paris : Gallimard (...)

3C’est d’abord la question même de l’art et de la création qui se pose ici. En effet, si ce champ a été posé dès l’ouverture de la journée, l’ensemble des interventions ne se situait pas dans le domaine de la création contemporaine, comprise ici, semble-t-il, comme l’art contemporain de la photographie. Isabelle Bonnet, par exemple, en présentant son travail de recherches historiques ayant notamment abouti à l’exposition « Casa Susanna »2 présentée aux Rencontres de la photographie d’Arles en 2023, ne revendique ni pratique artistique ni création, mais plutôt une posture qui consiste à rendre visible et connue une histoire jusqu’alors seulement partiellement défrichée. Si cela passe aussi par des moyens esthétiques, ceux de la mise en exposition notamment, cela ne signifie pas nécessairement que ce travail doive s’inscrire dans le domaine de création. Cette question, quand il s’agit de photographie, est évidemment ancienne et complexe3, d’autant qu’elle a à voir avec son inscription dans le champ de l’histoire de l’art et sa reconnaissance. Pourtant, et sans que cela ne soit une manière de dévaloriser certaines pratiques, il semble qu’elle se pose avec une acuité particulière quand il s’agit de ces photographies dites amateurs ou vernaculaires. Si la notion de création a trait, comme l’a bien souligné Évelyne Cohen dans son introduction de la journée, à la nouveauté, la question est d’autant plus pertinente au regard de certaines pratiques et usages présentés lors de ces rencontres : la mise en collection et en exposition est-elle création ? Produit-elle suffisamment de nouveauté pour être considérée comme telle ? Les espaces de monstration semblent évidemment avoir un rôle à jouer en ce sens, en ce qu’ils pèsent sur sa légitimation, mais constituent également, souvent, des lieux de mise en marché, dont les intérêts commerciaux passent aussi par la mise en récit artistique4.

4C’est là un deuxième point soulevé par les interventions de cette journée : la question du marché. Si celle-ci a été frontalement et directement abordée par Emmanuelle Fructus dans son intervention, ou par Sylvain Besson en tant que conservateur de musée, elle a par ailleurs été plutôt euphémisée. Si elle ne concerne évidemment pas l’ensemble des pratiques, elle me semble être très largement liée aux questions éthiques qui ont animé et traversé l’ensemble de la journée. Elle est particulièrement sensible et centrale concernant ceux qui acquièrent ces photographies dans un contexte marchand, et qui, par la suite, les valorisent financièrement. La marchandisation qui vient requalifier certaines de ces images pourrait donc être questionnée, l’émotion et la sincérité qui peuvent caractériser le goût pour et les appropriations des photographies vernaculaires n’étant pas toujours suffisantes pour justifier l’ensemble des pratiques et transformations opérées. Peut-être que la qualification de « trésor » dont elles ont fait l’objet lors de cette journée serait alors aussi à comprendre de manière très littérale.

  • 5 Donna Haraway, « Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la (...)

5C’est donc bien la responsabilité des acteurs et actrices travaillant avec ces photographies qui est à questionner finement. Il m’a paru particulièrement intéressant de noter que ce sont principalement les intervenantes qui ont mis celle-ci en avant. Se réclamant de leur propre subjectivité, mettant en lumière leurs biais, leurs interrogations et leurs contradictions, elles ont démontré un nouvelle fois, si besoin était, le « privilège de la perspective partielle5 ». Sans que cela n’apporte de réponse claire à ces questions éthiques, trop complexes pour espérer une résolution simple et des recettes systématiques, cela ouvre néanmoins des perspectives pour penser la responsabilité et l’éthique face aux images, au-delà de la neutralité ou de l’universalité revendiquée par certains.

  • 6 Pour la photographie, elle a notamment été traitée par Marie-Ève Bouillon, « « “Faut-il tout garder (...)
  • 7 Daniel Fabre (dir.), Émotions patrimoniales. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’Homme, (...)

6Ces enjeux de responsabilité, de subjectivité et de biais, s’ils semblent se poser avec une certaine intensité pour ce qui est de la création artistique, en ce qu’elle implique une transformation ou, a minima, une requalification des archives photographiques, sont tout aussi opérants en ce qui concerne la conservation des photographies et archives familiales, comme l’ont très justement développé Anne Delrez et Sylvain Besson. Leurs deux interventions ont permis de mettre en lumière l’absence de neutralité dans les collectes, et le risque de faire valoir un goût contemporain voire personnel dans les ensembles conservés. Un autre enjeu éthique de la conservation a également traversé de nombreuses interventions : celui de la conservation à tout prix. Cette question est évidemment un lieu commun à ce champ6, au moins depuis l’entrée dans l’ère du tout-patrimoine7. Cependant, il semble qu’ici, plutôt que d’être traitée, elle a pu servir de bouclier éthique pour justifier les nouveaux usages des photographies devenues vernaculaires. L’argument des images sauvées de la poubelle a, à plusieurs reprises, été employé, principalement par les collectionneurs, pour justifier leur réemploi. Or ne peut-on pas admettre qu’il existe parfois des raisons pour lesquelles elles se retrouvent justement dans les poubelles ? Sans vouloir tout jeter, ne peut-on pas aussi envisager, parfois, de ne pas tout garder et de jeter la poubelle pleine plutôt que de la dépouiller de ses potentiels « trésors » ?

7Ainsi, en donnant la parole aux acteurs et actrices du quotidien des archives photographiques et familiales, la journée de rencontres « Archives et création contemporaine en photographie » a permis de soulever de nombreuses questions qui dépassent les enjeux qu’elle s’était fixés. On aurait envie que les perspectives ouvertes soient à présent prolongées et discutées par d’autres professionnels et des chercheurs et chercheuses de divers champs disciplinaires, comme le droit – des images et de la propriété intellectuelle – ou les sciences sociales notamment.

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Notes

1 Le texte issu de sa communication lors de cette journée a été publié dans le précédent numéro de Photographica : Emmanuelle Fructus, « Désordres dans la photographie amateur et anonyme », Photographica, no 8, avril 2024, p. 191-202 : <journals.openedition.org/photographica/2274> (consulté le 20 mai 2024).

2 Isabelle Bonnet et Sophie Hackett, Casa Susanna. L’histoire du premier réseau transgenre américain, 1959-1968. Paris : Textuel, 2023.

3 À ce sujet, voir par exemple François Brunet, « La photographie, éternelle aspirante à l’art », dans Nathalie Heinich et Roberta Shapiro, De l’artification. Enquêtes sur le passage à l’art. Paris : Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2012, p. 29-45.

4 Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Enrichissement. Une critique de la marchandise. Paris : Gallimard, 2017.

5 Donna Haraway, « Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle », dans id., Manifeste cyborg et autres essais. Sciences, fictions, féminismes, éd. par Laurence Allard, Delphine Gardey et Nathalie Magnan, Paris : Exils, 2007, p. 107-142.

6 Pour la photographie, elle a notamment été traitée par Marie-Ève Bouillon, « « “Faut-il tout garder ?” Patrimoine et archives photographiques », Photographica, no 1, septembre 2020, p. 110-129 : <journals.openedition.org/photographica/228> (consulté le 20 mai 2024).

7 Daniel Fabre (dir.), Émotions patrimoniales. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’Homme, 2013.

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Pour citer cet article

Référence papier

Rose Durr, « « Archives et création contemporaine en photographie ». 26 octobre 2023 »Photographica, 9 | 2024, 179-180.

Référence électronique

Rose Durr, « « Archives et création contemporaine en photographie ». 26 octobre 2023 »Photographica [En ligne], 9 | 2024, mis en ligne le 21 octobre 2024, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/photographica/2829 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12pb0

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Auteur

Rose Durr

Université Paris Cité / Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis / Institut pour la photographie

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