- 1 Toyin Falola et Saheed Aderinto nous rappellent l’importance des difficultés rencontrées et des rés (...)
1« Par où commencer ? » Il y a tant d’options, les possibilités sont aussi polyphoniques que le médium. Pour beaucoup, le commencement d’un récit concernant la photographie est tout à fait personnel et naît d’expériences intimes. C’est mon cas. Avant d’y être exposée dans le domaine universitaire, j’ai vu des images dans notre maison familiale d’Ife (Nigeria), encadrées, accrochées aux murs, dans des boîtes de souvenirs. Comme la plupart des gens, je m’intéressais davantage aux personnes photographiées qu’aux histoires de la photographie. Cet intérêt est venu plus tard, à la faveur de mes études qui m’ont fait découvrir d’autres images. Et, contrairement à mon point de départ personnel, somme toute assez courant, c’est par la recherche universitaire que j’ai découvert la photographie pratiquée en Afrique, grâce à des auteurs comme Christraud Geary et Paul Jenkins, auxquels on doit une partie des toutes premières études sur les archives visuelles des missionnaires. Si la recherche consacrée aux collections des missions religieuses a posé les bases des études sur l’histoire de la photographie en Afrique, un nombre important de ces archives d’une grande richesse sont restées inexplorées. C’est d’autant plus dommage que, sur le littoral d’Afrique de l’Ouest, l’arrivée des missionnaires blancs et africains et leurs activités photographiques sont souvent antérieures à celles des photographes professionnels ou des fonctionnaires coloniaux britanniques. Ne serait-ce que de ce point de vue, les documents amassés par ces missions figurent parmi les toutes premières archives photographiques de la région1.
- 2 Jenkins 1993, p. 90-91.
2La première trace d’une photographie réalisée dans le cadre d’une mission en Côte-de-l’Or (l’actuel Ghana) pourrait aussi se confondre avec les débuts de la photographie missionnaire à Lagos et dans l’intérieur du Nigeria. En 1856, Daniel West, pasteur écossais envoyé de Grande-Bretagne en délégation auprès des Missions méthodistes d’Afrique de l’Ouest, se rend à Bathurst, Cape Coast, Lagos et Abeokuta, où il réalise des daguerréotypes. L’une de ces images est reproduite dans un périodique missionnaire, Calwer Missionsblatt, en 18592. Cette reproduction est nettement antérieure à la première présence connue d’un photographe professionnel à Lagos, à savoir John Parkes Decker en 1871. Il est notable que le voyage de West ait eu lieu cinq ans avant l’annexion officielle de Lagos par la Grande-Bretagne en 1861 et treize ans avant le début du projet de collecte photographique entrepris sans enthousiasme en 1869 par le Colonial Office, le bureau britannique des colonies. À cette aune, les missionnaires sont les premiers à s’être consacrés à un projet photographique dans la région.
3C’est même dès 1841 que des évangélistes de la Church Missionary Society (CMS) londonienne suivent des groupes d’anciens esclaves qui, affranchis et revenus de Sierra Leone, ont regagné leurs foyers ancestraux à Abeokuta, à cent kilomètres au nord de Lagos. Au fil du temps, la CMS crée plusieurs postes missionnaires. Ses agents s’installent durablement à Lagos, qui prend de plus en plus l’allure d’une métropole, et dans les petites villes environnantes. Les archives des missions jouent un rôle important dans la reconstitution de ces histoires. Pourtant, l’examen approfondi des sources textuelles de l’historiographie des missions à Lagos et dans l’intérieur du pays n’a jusqu’ici pas tenu compte des archives visuelles. À partir des remarques émises en 1993 par Paul Jenkins à propos de l’omniprésence de la photographie dans les missions, j’avance ici qu’il existe de nombreuses possibilités d’étude sur la manière dont les photographies et d’autres techniques visuelles se sont diffusées parmi les élites et les Africains convertis instruits, les missionnaires européens et le public autochtone qu’ils cherchaient à convertir. L’intérêt porté à ces vastes archives contient la promesse de découvrir de grands témoignages de la fabrication d’images, qui enrichiront l’histoire visuelle de Lagos et de ses environs.
- 3 « Lagos Native Evangelists », Lagos Weekly Record (Lagos, Nigeria), 30 juillet 1891.
4La nature même de la survivance des archives rend difficile la découverte de points de vue autres que ceux des missions européennes, ce qui pose des problèmes évidents que même les publics africains du xixe siècle avaient repérés. Ainsi, en juin 1891, une photographie est reproduite dans The Missionary Gleaner, périodique très lu, publié par la CMS et diffusé dans les colonies britanniques [Fig. 1]. On y voit plusieurs évangélistes de Lagos réunis autour du révérend Herbert Tugwell, dans une attitude détendue dont fait aussi preuve le curieux qui se tient à gauche. Mais cette représentation de la camaraderie est mise à mal par l’article qui l’accompagne et présente de manière incorrecte Tugwell, seul blanc de la photographie, comme le superviseur du groupe. Le texte demande au lecteur de « songer à certains des jeunes hommes de ce groupe qui s’en vont le dimanche, sous la direction de M. Tugwell, assis parmi eux, prêcher dans les rues de Lagos avec l’espoir d’être entendus d’une partie de la foule de mécréants qui s’y presse en permanence ». Un mois plus tard, un lecteur de Lagos envoie une réponse outrée au Lagos Weekly Record3, dans laquelle il affirme avec vigueur que ces jeunes hommes se sont réunis d’eux-mêmes près de deux ans auparavant (en 1889), sans que Tugwell les y ait incités. Ils ont même organisé et payé la réalisation de cette photographie. L’auteur de cette lettre conclut : « À coup sûr, [ces jeunes hommes] méritent qu’on le leur reconnaisse et personne ne saurait les priver de cette reconnaissance en raison du simple fait qu’ils sont africains. Dieu merci, ils ont agi pour de bonnes actions sans la moindre [souligné par l’autrice] autorité cléricale. »
Fig. 1 The Church Missionary Gleaner, Le révérend Herbert Tugwell et un groupe d’évangélistes autochtones, juin 1892.
Reproduction photographique (microfilm).
Cadbury Research Library, Special Collections, University of Birmingham, Royaume-Uni.
- 4 Falola et Aderinto 2010, p. 14.
5Cette critique, qui dément la provenance européenne de l’image, s'inscrit dans le contexte historique d’un mouvement de plus en plus important en faveur de l’autonomie religieuse africaine. Ce mouvement est dirigé par une faction composée de membres instruits de l’élite de Lagos, dont le but est de supplanter le leadership des missionnaires anglicans blancs en poste dans la ville et dans le pays yorouba. La critique de notre lecteur indique implicitement que les idées naissantes d’autonomie religieuse sont, d’une certaine manière, liées à celles de la souveraineté visuelle que permet l’appareil photographique. Autrement dit, les évangélistes africains se sont réunis et pris en photo indépendamment de la mission de la CMS. En s’exprimant ainsi, l’auteur du texte fait clairement de l’archive visuelle – en particulier les contributions des missions – le lieu d’une contestation de l’autorité et de l’histoire, à Lagos et dans ses environs. C’est d’autant plus remarquable que, si les missionnaires sont reconnus pour leur contribution à l’alphabétisation et au secteur de la presse et des périodiques, on prête relativement peu attention à leurs intentions sur le plan visuel dans la région à cette époque4. En dernière analyse, cette anecdote incite à une interrogation plus poussée de ces archives.
6En m’appuyant principalement sur trois sources visuelles missionnaires négligées, j’examine les questions récurrentes que soulèvent la construction des archives, les formes de mécénat et la réception des images par les Africains. Cette étude s’ouvre sur ce qui peut être considéré comme la plus ancienne collection photographique d’une mission religieuse de cette région, un double album réuni par les agents de la CMS à Lagos. Cette compilation, qu’aucun chercheur ou chercheuse n’a consultée auparavant, permet de découvrir les toutes premières activités en tant que photographes amateurs des missionnaires de la région de Lagos (des années 1880 aux années 1900). Ces albums présentent un panorama de la ville, grâce à plusieurs vues et scènes qui laissent dans l’ombre la rivalité religieuse, et font de Lagos un centre majeur de la pratique photographique des missionnaires.
7J’analyse ensuite la collection familiale privée du révérend Charles Phillips, missionnaire africain de la CMS, et de son fils, l’évêque S. C. Phillips, pasteur anglican. Réunissant des images réalisées au cours de plusieurs décennies (des années 1870 aux années 1950) par des photographes africains connus et méconnus, cet ensemble met en lumière les formes de mécénat photographique adoptées par une famille de missionnaires africains sur deux générations. Je traite également de la manière dont les photographies rassemblées dans cette collection abordent les rencontres, les frictions et la pluralité qui marquent le domaine religieux, au fil des déplacements géographiques de la pratique photographique au-delà de Lagos et vers l’intérieur, cette ville devenant un point d’observation majeur.
8Enfin, après la captation d’images par l’appareil photographique, je m’intéresserai à leur projection, grâce à la technologie de la lanterne magique. Fréquemment proposé aux publics africains, ce type de spectacle est devenu le lieu du discours visuel et de la production de sens parmi les spectateurs yoroubas, à mesure que l’entreprise de conversion des missionnaires progressait dans l’intérieur de la colonie. Confrontée à l’absence des plaques de lanterne magique, détruites il y a plusieurs décennies, j’examine la façon dont les histoires visuelles ne sont souvent disponibles que sous la forme de sources textuelles ou de contextes autochtones qui nous permettent d’envisager d’autres manières de voir, de recevoir et de vivre les images.
9Le double album constitué par les agents de la Church Missionary Society (CMS) à Lagos représente probablement la plus ancienne collection photographique d’une mission religieuse dans la région de Lagos. C’est peut-être en raison de l’attitude erratique de la CMS à l’égard du médium que les archives ne recèlent pas de trace tangible quant aux origines de cet album, de ses contributeurs ou de son objectif. D’après la correspondance échangée entre les missionnaires, ces images ont été réunies à la Mission House de Lagos, à l’aide de diverses sources ou photographes. Elles étaient probablement destinées à présenter aux habitants et aux visiteurs des photographies, agréées par la CMS, qui représentent le paysage religieux et, dans une moindre mesure, politique et économique de Lagos. Les deux volumes de l’album regorgent de portraits de missionnaires, de convertis et d’habitants de la région, ainsi que d’images d’infrastructures missionnaires, de sites divers et de lieux remarquables de plusieurs postes situés dans le pays yorouba (Lagos et des villes de l’intérieur comme Abeokuta, Ibadan et Ilesha) et, à l’est, dans le delta du Niger (cités côtières de Bonny, Okrika, etc.). Sur ces photographies, aucune autre ville n’apparaît aussi souvent que Lagos, ni avec la même recherche de points de vue inédits. Par la richesse de son panorama des vues de cette ville, cette collection surpasse toute compilation antérieure.
10Conservés aux Archives nationales du Nigeria à l’université d’Ibadan, les deux volumes sont dans un état détérioré : de nombreuses pages se sont détachées de la reliure et sont simplement rangées entre deux couvertures cartonnées. D’autres sont manquantes. Sur les 139 images répertoriées dans une simple liste, il n’en restait que 127 lors de ma première consultation en 2012. En 2019, seules 121 étaient encore conservées. Sur les 35 photographies de Lagos, au moins huit figurent parmi les images manquantes.
11Ce double album témoigne des efforts collectifs effectués par les missionnaires de la CMS pour rendre compte visuellement de la région. À une époque où l’accès à l’intérieur du pays ne leur était pas autorisé, Lagos constituait pour les missionnaires le poste d’observation principal des environs. Par exemple, grâce à diverses techniques visuelles, ces photographies proposent un panorama de la ville, que l’on peut parcourir d’une page à l’autre. Le format « album » permet de découvrir une vue panoramique, intitulée « Lagos E » [Pl. 1], montrant les structures remarquables de l’est de la ville. À la page suivante, cette image cède la place au point de vue suivant dans le sens horaire, vers le sud-est, avec « Lagos SE » [Pl. 2], qui prend le relais à l’endroit où s’achève la vue de « Lagos E », soit de gauche à droite : Government House, la hampe du drapeau de ce bâtiment, les quartiers de Marina, Lagoon et Five Cowrie Creek. Cet ensemble de photographies produit un effet panoramique qui embrasse toute la ville.
12Grâce à la mise en valeur des postes d’observation, des points cardinaux et d’autres techniques cartographiques, l’album offre aux spectateurs une visite guidée de Lagos, à la fois complète et diversifiée.
Pl. 1 Church Missionary Society, Lagos E, date inconnue.
Épreuve sur papier albuminé, dimensions inconnues.
Nigerian National Archives, University of Ibadan, Nigeria.
Pl. 2 Church Missionary Society, Lagos SE, date inconnue.
Épreuve sur papier albuminé, dimensions inconnues.
Nigerian National Archives, University of Ibadan, Nigeria.
- 5 Edwards 2012, p. 176-188.
- 6 Dahlberg 2013, n. p.
13L’initiative des missionnaires place Lagos au sein d’un contexte transatlantique plus vaste, celui du mouvement de documentation et d’enquête photographique qui naît à l’époque en Angleterre, sur le continent européen et aux États-Unis. Animé par les notions d’identité nationale et de conservation du patrimoine, ce mouvement a également une dimension internationale, notamment illustrée par un missionnaire en poste aux Nouvelles-Hébrides (l’actuel Vanuatu), en Mélanésie, et lauréat d’un concours photographique de documentation de la vie quotidienne dans cet archipel. Ce missionnaire affirme que les sites et les vues de cette colonie sont le prolongement de l’expression d’un imaginaire culturel et historique alors en vogue en Angleterre5. Grâce à la popularité grandissante de ce mouvement à la fin des années 1880, les missionnaires qui partent de Liverpool ou de Londres pour l’Afrique de l’Ouest ont probablement connaissance de cet engouement. Les images d’églises, d’esplanades de gazon et de demeures imposantes contenues dans l’album de la CMS – réalisées par les missionnaires à la veille de l’expansion de leur mission dans l’intérieur – prennent facilement place dans la gamme des thèmes documentés par les enquêtes photographiques en cours en Angleterre. Surtout, l’étude visuelle de la CMS rend compte autant des grands idéaux et des espaces de l’empire que des « particularités quotidiennes de l’espace local6 ». Tandis que le mouvement de documentation photographique est suscité au Royaume-Uni par l’identité nationale et le souci de conservation du patrimoine, les photographies de l’album de la CMS laissent penser que les missionnaires de Lagos sont préoccupés par les différends religieux.
14À cet égard, l’album se distingue aussi bien par le vaste panorama de Lagos qu’il propose que par les lieux dont il ne rend pas compte. Tout d’abord, la plupart de ces photographies ont été effectuées près de la rive méridionale de l’île de Lagos, où les fonctionnaires coloniaux britanniques et les marchands européens s’étaient installés sur des terres généreusement cédées par l’oba, le chef traditionnel, de Lagos. Les Européens estimaient que la zone surélevée située au sud offrait les habitations les plus saines, loin de la partie nord de l’île marquée par « les miasmes et la fièvre », mortels selon eux. Il n’est donc peut-être pas étonnant que le double album ne contienne aucune vue des quartiers nord, où vivaient l’oba et ses partisans. Par cette omission, l’enquête photographique de la CMS marginalise les structures autochtones qui, précisément, ont ouvert la voie à l’établissement des missions sur l’île. Dès les années 1850, l’oba avait joué un rôle capital pour le travail des missionnaires. Mais, dans les années 1890, le souverain traditionnel, dont les pouvoirs sont alors diminués, ne suscite plus la reconnaissance dont il bénéficiait auparavant.
15Ne figurent pas non plus dans l’album des portraits de musulmans, de résidents originaires de la Sierra Leone ou du Brésil, ni de membres du clergé et de fidèles d’églises fondées par des Africains, en plein essor. Ces omissions sont révélatrices de la façon dont les projets photographiques de la CMS à Lagos et dans sa région laissent dans l’ombre ou minimisent la concurrence religieuse. Par ces exclusions de l’album, la présence de certains habitants de Lagos est invisibilisée et considérée comme négligeable, dans une topographie religieuse en pleine évolution. Ce faisant, au sein du panorama visuel de la mission, la ville est présentée comme la divine et unique providence de la CMS au lieu de l’espace de rivalité qu’est pourtant Lagos à cette époque.
16Ce sont d’autres formes de considérations spatiales et territoriales qui émanent du deuxième corpus que j’ai étudié, le plus fondamental. La collection de la famille Phillips a été créée par Charles Phillips, missionnaire africain de la CMS, et poursuivie par son fils, l’évêque anglican S. C. Phillips. Certaines photographies sont le fruit de commandes, d’autres leur ont été offertes. Dues à un grand nombre de photographes africains qui travaillaient sur le littoral de l’Afrique de l’Ouest et à Lagos, elles comprennent également des clichés réalisés par des praticiens moins connus de l’intérieur. L’enchevêtrement des histoires familiales et missionnaires dont témoigne la collection Phillips brouille d’ailleurs les catégories visuelles propres aux missions religieuses. Elle rassemble de manière disparate treize reproductions photographiques visibles dans quatre coupures de presse, des dizaines de photographies, dont des images au format cabinet ou contrecollées sur carton, ainsi que dix-neuf cartes postales. Ce sont des portraits de parents éloignés et de personnalités vivant à Lagos, Accra et Freetown ou au Royaume-Uni. D’autres modèles sont des Yoroubas convertis au christianisme, résidant à Ode Ondo, où Phillips occupe le poste missionnaire de la CMS, à 240 kilomètres à l’est de Lagos.
17Conservée dans les collections spéciales de la Bibliothèque Kenneth Dike de l’université d’Ibadan, cette archive familiale n’a jamais été répertoriée dans le moindre index. En l’absence d’archives écrites, ces images sont à la fois les sources primaires et les objets de mon étude. Autonomes, ces photographies sont accompagnées de notes manuscrites, de cachets de photographes et de fragments de textes inscrits au dos des images, qui fournissent des détails cruciaux et laissent supposer l’existence d’un réseau complexe de micro-relations qui donnent tout leur sens à ces clichés.
18Cette archive familiale met en lumière les formes africaines de mécénat et la manière dont des Africains instruits et des missionnaires comme les Phillips s’investissaient à titre privé dans un paysage visuel alimenté avant tout par des photographes africains. Fruit de la commande, de la diffusion et de la consommation d’images, cette archive est aussi le produit de relations suivies entre photographes et clients ainsi que de pratiques de collection, depuis le point de vue privilégié d’une famille de missionnaires africains. Étudier la collection sous cet angle permet de contribuer à un mouvement historiographique en expansion qui s’intéresse aux carrières et aux archives professionnelles de photographes africains. Un petit nombre de portraits de la famille Phillips ont été réalisés par des photographes africains de studio bien établis, comme W. S. Johnston, Alfonso Lisk-Carew et John Parkes Decker. Cependant, je vais à présent m’intéresser à deux photographes de Lagos, George S. A. da Costa et Carrie Lumpkin.
19Né à Lagos en 1853, da Costa fait ses études dans un établissement scolaire de la CMS, puis travaille pendant de nombreuses années comme employé à la librairie de la mission à Lagos. Dans une petite photographie du double album de la CMS, on voit le jeune da Costa qui se tient devant la boutique aux côtés d’Ojo, autre employé de la mission, et du révérend C. H. V. Gollmer, leur missionnaire superviseur. D’après les archives de la CMS, da Costa bénéficie d’une augmentation de son salaire en 1893, ce qui lui permet de se lancer comme photographe professionnel. En 1895, il quitte la librairie de la mission pour se consacrer à sa nouvelle carrière.
20L’une de ses premières photographies au format cabinet montre une jeune femme assise, tenant un enfant sur ses genoux, flanquée de deux hommes dont les mains sont posées sur le dossier de la chaise où elle se tient [Pl. 3]. La terre étalée à leurs pieds indique que le portrait a été réalisé en plein air, soit lors d’une tournée de da Costa, soit, plus probablement, avant qu’il ait créé son studio professionnel. La photographie de rue et les studios itinérants ont joué un rôle capital au début de la diffusion de la pratique photographique au Nigeria. Selon une inscription figurant au dos de ce portrait, les personnes photographiées sont le révérend M. S. Cole, le révérend E. A. Kayode et son épouse. Il faut souligner que Cole et Kayode avaient suivi les cours de l’institut de formation de la CMS à Lagos, où ils ont très certainement rencontré da Costa lorsque celui-ci était employé à la librairie de la mission. On peut raisonnablement penser que le lien avec la mission a pu jouer un rôle dans l’aide que ces clients ont apportée à da Costa pour démarrer son activité. Ce portrait s’est probablement retrouvé dans la collection Phillips lorsque Kayode était instituteur à Ondo, où il avait eu l’occasion de collaborer étroitement avec le révérend Phillips (le père) et d’échanger des images avec ce dernier, qui l’avait fait diacre en 1904. Les débuts professionnels de da Costa ont donc bien bénéficié des commandes et des relations personnelles qu’entretiennent les agents africains des missions et des familles comme les Phillips.
Pl. 3 George S. A. da Costa, Le révérend M. S. Cole, le révérend E. A. Kayode et son épouse, date inconnue.
Épreuve sur papier albuminé, contrecollée sur carton, 10,16 x 15,25 cm.
Kenneth Dike Library, Special Collection, University of Ibadan, Nigeria.
21Bien que non datées, trois autres photographies de l’archive des Phillips confirment que certains membres de leur entourage missionnaire ont aidé da Costa dans son activité de photographe pendant une longue période. Sa réussite professionnelle est visible dans l’évolution d’un simple symbole cacheté à l’encre, qui se transforme peu à peu en cartes au format cabinet, gaufrées et imprimées sur mesure. Grâce aux commandes et échanges entre particuliers tels que décrits ci-dessus et aux nombreux déplacements de da Costa, les images de ce photographe circulent dans des territoires qui dépassent les limites de Lagos et touchent des « districts » de l’hinterland, dont il sera question plus loin.
- 7 « Obituary: Dr. Charles Jenkins Lumpkin », Lagos Weekly Record (Lagos, Nigeria), 28 juin 1919, p. 7 (...)
22Si l’on sait fort peu de choses sur sa carrière, certaines sources indiquent que Carrie Lumpkin se distingue pour avoir été la première, et la seule, femme photographe à Lagos à cette époque. Son père, Charles Jenkins Lumpkin, est un médecin respecté. Né en Sierra Leone en 1851, il se rend fréquemment et pendant plusieurs décennies à Lagos pour y travailler. En 1887, il épouse Caroline Lewis en Sierra Leone, où le couple vit pendant plusieurs années avant que Charles Jenkins Lumpkin prenne ses fonctions de chirurgien colonial en second à Lagos en 18947. Si l’on ignore ses date et lieu de naissance, Carrie Lumpkin est probablement âgée d’au moins 21 ans lorsqu’elle ouvre son studio dans Broad Street à Lagos en 1908. Quatre ans plus tard, son père prend sa retraite et regagne la Sierra Leone.
- 8 Dans « W. C. Africa », l’abréviation « W. C. » désigne « West Coast », soit « Afrique de la côte oc (...)
23Un exemple du travail de Carrie Lumpkin est conservé dans les archives de la famille Phillips : c’est une photographie gaufrée au format cabinet, reproduite ici pour la première fois dans une publication [Pl. 4]. Malgré l’état très détérioré de cette image – l’émulsion a pâli et disparu en certains endroits –, la mise en scène est comparable à celle adoptée par des confrères de Lumpkin à Lagos, comme da Costa. Ce portrait montre un Africain vêtu à l’occidentale qui se tient debout dans une pose détendue, un pouce passé dans son gilet, un bras posé sur un socle orné de fleurs dans un vase. Si le modèle demeure anonyme, la photographe est identifiée par un gaufrage au verso : « Carrie Lumpkin, Artiste, Lagos, W. C. Africa8 ». De même, lorsqu’elle commence à faire paraître des annonces publicitaires pour son activité en 1908, elle met en avant son approche artistique : « Miss Lumpkin, Photo : Artist ». Au moment où Lagos est certainement saturée de studios, Lumpkin propose certes à ses clients une photographie, mais surtout un moment inhabituel mis en scène par une femme photographe. Cependant, ses annonces disparaissent des journaux peu après l’ouverture de son studio en 1908. En raison de la rareté des objets physiques ou des sources relatives à son travail, il est difficile d’étudier plus avant ses contributions à la photographie.
Pl. 4 Carrie Lumpkin, Portrait d’un anonyme, date inconnue.
Portrait au format cabinet, 10,16 x 15,25 cm.
Kenneth Dike Library, Special Collection, University of Ibadan, Nigeria.
24D’un point de vue géographique, les images de la collection Phillips soulignent également la manière dont la concurrence et la pluralité religieuses deviennent visibles à mesure que la pratique photographique s’éloigne de Lagos et gagne l’intérieur, dans des villes comme Ondo. Tandis que nous disposons d’informations toujours plus nombreuses au sujet des photographes de studio établis à Lagos, les activités de leurs confrères de l’intérieur demeurent pour la plupart dans l’ombre.
25Toutefois, une demi-douzaine d’épreuves de la collection Phillips est attribuée à Samuel E. Akinrosotu, ce qui laisse supposer que ce photographe d’Ondo a connu une activité très prolifique au début des années 1900. Aujourd’hui encore, les habitants de cette ville affirment qu’il fut le tout premier photographe de la région, mais nous ne savons presque rien de sa vie et de sa carrière. Exerçant à la fois dans un studio et de manière itinérante, Akinrosotu réalise des photographies d’événements et de groupes religieux. Il apparaît aussi dans plusieurs images représentant la congrégation de St Stephen, signe de l’enchevêtrement de ses activités photographique et religieuse. Dans un portrait non daté, on le voit avec quatre hommes, tous en grande tenue musulmane [Pl. 5]. Selon une note manuscrite accompagnant la photographie, ces derniers sont « les premiers chefs chrétiens d’Ondo ordonnés par l’évêque S. C. Phillips ». Une bannière bien mise en évidence au centre de la scène attire l’attention sur le rôle joué par Akinrosotu dans ce groupe et au sein de la population locale en général. Portée par trois jeunes enfants que l’on ne voit pas, elle proclame : « Seriki Orif Aiya Bale », « Seriki, celui qui, en se montrant, apporte la paix dans nos cœurs ». En complément de cette bannière, les hommes tiennent chacun un symbole de leur confession qui, par là même, réaffirme le rôle qu’ils jouent dans le groupe. Le bale tient dans une main un petit livre (probablement sa Bible) et, dans l’autre, une hampe surmontée d’une croix. Le balogun a une main posée sur un sabre de cérémonie, l’osi tient un petit bâton, l’otun une hampe plus courte, aussi surmontée d’une croix, et le seriki une lance ornée d’un pennon blanc.
Pl. 5 Samuel E. Akinrosotu, Les premiers chefs chrétiens d’Ondo ordonnés par l’évêque S. C. Phillips, date inconnue.
Épreuve photographique, 17,78 x 22,86 cm.
Kenneth Dike Library, Special Collection, University of Ibadan, Nigeria.
26Toujours employé aujourd’hui, le mot seriki (équivalent de cheikh en dialecte ondo) est un titre musulman honorifique, attribué à un chef respecté pour son équité et sa diplomatie. Un homme qui porte ce titre est reconnu pour son rôle d’intermédiaire entre les musulmans et les membres d’autres confessions – notamment de la mission de la CMS –, ainsi que pour sa défense des principes de tolérance religieuse qui caractérisent Ondo en particulier. Si Akinrosotu n’en fait pas mention dans ses cachets professionnels, la fonction de seriki qu’il occupe complète vraisemblablement son activité de photographe et lui donne accès à toutes sortes de clients potentiels. En témoigne une autre image dont le verso porte la mention « J. A. Ladega. Pharmacien qualifié, Ondo, Province occidentale, Nigeria méridional ». Le seriki possède en outre un pouvoir de médiation lors de différends religieux. Ainsi, en 1919, alors qu’il est membre d’un comité directeur chargé de trouver financements et soutiens pour une école secondaire locale, Akinrosotu et les autres membres – majoritairement chrétiens – du comité rejettent la revendication portée par la CMS d’assumer l’entière responsabilité de ce projet et privilégient les principes de pluralité religieuse. De même, ses photographies donnent à voir des religions autres que chrétiennes, ce qui va à l’encontre de la dissimulation des rivalités religieuses à l’œuvre dans les premiers albums photographiques de la CMS.
27L’étude de la collection Phillips révèle des formes de mécénat de la part des missionnaires africains, tels que les Phillips, qui suscitent un décentrement bienvenu des contours eurocentriques de la photographie pratiquée par les missions chrétiennes. Cette archive met en évidence la façon dont ces missionnaires africains ont été, sur une longue période, les clients réguliers de photographes africains de Lagos et de l’intérieur du Nigeria. Bien que les sources fragmentées concernant la collection Phillips laissent beaucoup de questions sans réponses, ce corpus nous donne tout de même des renseignements précieux sur les productions et la clientèle des photographes.
28La fin négociée des guerres Ekiti-Parapo (1877-1893) permet à des agents de la CMS comme les Phillips d’établir des postes de mission dans l’intérieur du Nigeria. Avec d’autres, il se consacre au prosélytisme à l’aide d’un procédé visuel portatif de plus en plus apprécié, la lanterne magique. Ce dispositif offre un aperçu de la manière dont les publics yoroubas de Lagos et de l’intérieur perçoivent les récits visuels. En usage depuis le xviie siècle, la lanterne magique est composée de miroirs concaves, disposés au fond d’une boîte en bois de façon à diriger une source lumineuse – généralement de la chaux vive embrasée – vers une petite ouverture où se trouve une plaque transparente. La lumière traverse une ou plusieurs lentilles placées devant l’appareil et orientées vers un écran, un drap tendu ou un mur, sur lequel l’image s’offre aux yeux du public. Grâce à la fabrication de sources lumineuses plus puissantes, les plaques photographiques peuvent être projetées avec la même netteté que des illustrations ou des gravures, alors plus courantes. Lors des séances publiques, un conférencier commente les images afin de rendre le spectacle plus vivant, à mesure que l’opérateur de la lanterne passe d’une image à l’autre.
29Au cours des années 1890, les séances de lanterne magique qui se tiennent dans l’intérieur du pays sont organisées par les missionnaires européens blancs, que traduisent des interprètes africains. À chaque étape de leur tournée, les missionnaires proposent des soirées sur les places de marché ou dans des cours. Souverains, chefs religieux et spectateurs yoroubas ordinaires composent d’importants publics qui écoutent des récits et contemplent des vues leur présentant l’Angleterre, des épisodes bibliques, l’histoire de l’Église anglicane ou des fables destinées à les rapprocher du christianisme et de la conversion. Des commentaires animés ponctuent ou suivent ces manifestations rares : les spectateurs yoroubas discutent ensemble des images, de la lanterne et de cette expérience collective.
30Presque toutes les plaques originales de ces spectacles de lanterne magique sont perdues ou détruites depuis longtemps. Les archives des missions sont aujourd’hui les seules sources qui en rendent compte. Passées par le filtre de traducteurs et consignées dans les registres tenus par la CMS, elles suscitent plusieurs difficultés d’interprétation9. Néanmoins, il est possible d’analyser ces réunions publiques en y voyant des lieux de rencontre et d’émulation visuelles, où les commentaires des spectateurs yoroubas, tels qu’ils ont été consignés, attestent de manières de voir et de connaître qui dépassent l’ambition initiale des missionnaires.
- 10 « Report of Visit to the Ondo and Ilesha Missions, 1890 », CMS Intelligencer, mars 1891, p. 189-196
31Les difficultés que pose la production de sens lors de ces spectacles sont manifestes dans les comptes rendus écrits d’une tournée missionnaire effectuée durant plusieurs mois par Herbert Tugwell et Tom Harding en 189010. Partis de Lagos avec leurs lanternes magiques et leurs plaques, les deux hommes organisent plusieurs séances – avec l’aide de traducteurs yoroubas – et notent leurs observations de manière très détaillée. Dans son rapport remis au siège de la CMS, Harding relate une soirée organisée dans une église remplie de chrétiens yoroubas : « Les gens faisaient tellement de bruit qu’ils ne pouvaient entendre la description des images […]. Mais tout le monde a apprécié le spectacle. » Ainsi même une assemblée de convertis pouvait-elle s’intéresser davantage au récit visuel de la lanterne magique qu’au message religieux qui l’accompagnait. Selon des témoignages de missionnaires, le public qualifiait couramment la lanterne magique de « fétiche merveilleux ». Harding finit par craindre que ce procédé n’exerce un attrait irrésistible aux dépens du message de son ministère : « Tous sont impressionnés par l’aspect merveilleux de la lanterne. Mais pouvons-nous croire qu’ils n’oublieront pas ce que les images devaient leur apprendre ? » Les missionnaires soulignent ainsi que les spectateurs yoroubas paraissent plus souvent intéressés par les vues des lanternes magiques que par le message de conversion qu’ils devraient adopter. Les intentions des missionnaires échouent ou s’en trouvent détournées.
- 11 Lawal 1996, p. 98.
- 12 Ibid., p. 99.
32Si les publics yoroubas sont fascinés par les spectacles de lanterne magique, c’est en raison de manières de voir ancrées dans leur cosmologie. Expliquant comment ces représentations sont reçues selon les modes de perception autochtones, Babatunde Lawal souligne « l’importance accordée par les Yoroubas aux spectacles artistiques, acrobatiques ou magiques parce que ce sont des façons de focaliser l’attention et, par conséquent, d’exercer une influence sur l’humain et le divin11 ». Ainsi, tandis que les missionnaires voient en la lanterne magique un simple outil subordonné au message religieux qu’ils souhaitent faire passer, les spectateurs yoroubas considèrent que l’humain et le divin – le procédé technique et le message spirituel – sont inextricablement liés dans la production de sens mise en scène par les séances de lanterne magique. Qui plus est, Babatunde Lawal qualifie ces spectacles d’iran, terme yorouba qui recouvre les dimensions performatives et visuelles, ainsi qu’une forme d’émerveillement – l’admiration – devant « l’ingéniosité de son exécution12 ». À cet égard, les remarques que font régulièrement les Yoroubas, et que les missionnaires traduisent par « fétiche merveilleux », laissent entrevoir des difficultés étymologiques qui accentuent la concurrence des significations à l’œuvre dans les spectacles de lanterne magique.
33En l’absence de sources plus tangibles, il est possible d’imaginer que les spectateurs se soient exclamés en yorouba « oyingbo n’dara » ou « arameeriri » pour décrire les images, la lanterne magique ou le spectacle proprement dit. « Oyingbo n’dara », qui peut se traduire approximativement par « Ces blancs font des merveilles », évoque l’enchantement suscité par l’étrangeté et le fonctionnement inexplicable de la lanterne magique, peut-être à la lumière de la découverte antérieure d’autres inventions européennes. Une expression comme « arameeriri », qui signifie littéralement « une chose merveilleuse jamais vue auparavant », est liée à l’idée de merveilleux, ancrée dans les récits visuels et les moments vécus par les autochtones, mais sans rapport avec les messages de conversion imminente exprimés par les missionnaires. Les étymologies possibles de ces notions de merveilleux mettent en lumière les interrogations et le discours des spectateurs, non pas au sujet du message pastoral des missionnaires, mais à propos des vues merveilleuses et de l’appareil qui les produit. Autrement dit, leurs réactions ne témoignent pas seulement de ce qu’ils voient, mais aussi de la manière de voir et du mode de production de sens à l’œuvre. En l’absence des images proprement dites, nous pourrions être amenés à découvrir comment les publics africains ont vécu ces expériences et à trouver de nouvelles méthodes de compréhension des textes qui en rendent compte.
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34Déjà appréhendées comme des sources prolifiques précieuses pour les études d’histoire africaine, les archives des missions religieuses sont essentielles pour faire l’histoire photographique de l’Afrique et celle des documents visuels de Lagos et de sa région. Bien qu’ayant nourri des travaux antérieurs, elles n’ont pas donné lieu à des enquêtes ultérieures consacrées aux différents aspects des activités missionnaires. Peut-être considérées comme désuètes aujourd’hui, ces archives sont cependant importantes car elles offrent un accès peu courant à des sources picturales et à de riches récits de rencontres dans le domaine visuel entre photographes, clients, publics et missionnaires africains, sur de vastes territoires et pendant de longues périodes. En m’intéressant à des documents africains qui n’avaient pas été examinés jusqu’à maintenant, j’ai fait de l’étude des archives photographiques des missions le lieu de rencontres marquées par des tensions. Comme c’est souvent le cas dans toute tentative de redécouverte de tels débuts historiques, les vides archivistiques qui entourent chacun de ces documents s’accompagnent de nombreuses difficultés méthodologiques, sources simultanées de frustration et de fascination, de familiarité et de pluralité, d’obstacles mais aussi de création.
35En plaçant l’objet au cœur de l’étude, l’analyse matérielle fait du double album de la Church Missionary Society une sorte d’« archive dans l’archive », façonnée par des processus et des contextes relatifs à la collection, à la description et aux pratiques sociales13, qui situent cette compilation au sein d’économies visuelles plus larges. À l’instar de travaux antérieurs, cette approche analytique pose les fondements pour des questions plus approfondies à propos des omissions sélectives, des usages et des discours impériaux qui hantent ces images des missions. L’intérêt porté à la pratique du mécénat sur plusieurs générations, qui marque la collection photographique de la famille Phillips, permet donc de mettre en évidence les activités visuelles suscitées par des Africains, au-delà des limites de la photographie missionnaire – c’est-à-dire européenne. Cette approche offre aussi la possibilité de mettre au jour le travail de photographes africains méconnus, come Carrie Lumpkin, seule femme photographe exerçant à Lagos au tournant des xixe et xxe siècles. En l’absence d’images à étudier, les spectacles de lanterne magique constituent un obstacle qui nous force à nous pencher sur les documents des missions rendant compte des réactions des Africains à ce type d’événements, en explorant les formes multiples de traces orales et textuelles, de traductions visuelles et conceptuelles. Bien qu’elles relèvent d’une sorte de « divine provenance », c’est-à-dire produites par des missionnaires en quête de la « divine Providence », ces archives nécessitent d’adopter une batterie de méthodes analytiques qui déplacent ces images au-delà de leur mission religieuse et les situent dans une perspective plus vaste des histoires de la photographie en Afrique.