Désordres dans la photographie amateur et anonyme
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Haut de pageNotes de la rédaction
La collecte de photographies anonymes est au centre du travail d’Emmanuelle Fructus depuis plusieurs années. Aussi en 2006, elle crée Un livre - une image, structure qui lui permet d’explorer la photographie anonyme en acquérant des fonds d’images documentaires. Elle entreprend parallèlement un travail personnel à partir de ces photographies trouvées et mène une réflexion sur le médium photographique et la circulation des archives.
Une première version de ce texte a été initialement élaborée à l’occasion de la journée d’étude Archives et création contemporaine en photographie, dirigée par Michel Poivert et Évelyne Cohen qui s’est tenue à l’Institut national d’histoire de l’art (Paris), le 26 octobre 2023.
Texte intégral
« Car, concluait Lester Nowak, il ne fallait pas s’y tromper : cette œuvre était une image de la mort de l’art, une réflexion spéculaire sur ce monde condamné à la répétition infinie de ses propres modèles. Et ces variations minuscules de copie à copie, qui avaient tant exacerbé les visiteurs, étaient peut-être l’expression ultime de la mélancolie de l’artiste : comme si, peignant la propre histoire de ses œuvres à travers l’histoire des œuvres des autres, il avait pu, un instant, faire semblant de troubler “l’ordre établi” de l’art, et retrouver l’invention au-delà de l’énumération, le jaillissement au-delà de la citation, la liberté au-delà de la mémoire. Et peut-être n’y avait-il rien de plus poignant et de plus risible dans cette œuvre que le portrait de cet homme monstrueusement tatoué, ce corps peint qui semblait monter la garde devant chaque ressassement du tableau : homme devenu peinture sous le regard du collectionneur, symbole nostalgique et dérisoire, ironique et désabusé de ce “créateur” dépossédé du droit de peindre, désormais voué à regarder et à offrir en spectacle la seule prouesse d’une surface intégralement peinte. »
Georges Perec, Un cabinet d’amateur. Paris : Le Seuil, 1994, p. 27-28.
- 1 La galerie Un livre - une image, située au 17 rue Alexandre-Dumas, 75011 Paris.
1Depuis une vingtaine d’années, ma principale activité a été de trouver une place aux photographies détachées de leur contexte originel. Je me considère comme une passeuse d’images à travers la structure que j’ai créée, Un livre - une image1. Les objets que je collecte ne seront jamais à moi, je cherche plutôt à en conserver une mémoire. La photographie anonyme m’a appris à penser ce type d’images autant que celles des grands artistes. Et de manière parallèle, la photographie de famille est devenue le centre d’une activité personnelle qui me permet d’explorer autrement les pratiques amateurs tout en interrogeant le médium photographique.
2La photographie anonyme est restée pendant longtemps sur un terrain relativement confidentiel ; nous sommes plusieurs à avoir œuvré pour sa reconnaissance institutionnelle. Je m’interroge aujourd’hui sur le devenir de cette photographie à travers les différentes postures qu’elle inspire et ses nombreux usages. Je n’ai aucune légitimité pour juger de leurs pertinences, mais propose ici des pistes de réflexion depuis ma place, qui est difficile à définir.
- 2 Clément Chéroux, Vernaculaires. Essais d’histoire de la photographie. Cherbourg-Octeville : Le Poi (...)
- 3 Douglas Crimp, « S’approprier l’appropriation » (1982), dans id., Pictures. S’approprier la photog (...)
- 4 Voir dans ce numéro l’article de Rose Durr, « Le snapshot sur le marché de Saint-Mandé : pratiques (...)
- 5 Voir l’action de La Conserverie, un lieu d’archives, une structure associative née en juillet 2008 (...)
3Tout au long de cet exposé, je ferai référence à la photographie « anonyme ». Si je préfère ce terme à d’autres, comme celui de « vernaculaire », c’est parce qu’il me semble plus proche de l’hétérogénéité des objets qu’il désigne. La photographie anonyme englobe différentes pratiques : celle des amateurs, celle des photographes professionnels et celle d’artistes non identifiés. J’utiliserai donc plus facilement les termes de photographie amateur et de photographie professionnelle, car la pluralité des usages et des contextes de production de la photographie anonyme ne me semble pas se résumer à la notion de « vernaculaire ». Clément Chéroux écrit qu’il s’agit d’« une production domestique – “home made” diraient les Américains – qui est a priori moins destinée à la commercialisation qu’à la consommation personnelle. Dans le système capitaliste, le vernaculaire est l’envers de la marchandise industrielle. Il échappe par conséquent à la domination du marché […]. Le vernaculaire est donc tout à la fois utilitaire, domestique et hétérotopique2. » Depuis la parution de ce texte en 2013, cette définition rencontre un vif succès en France auprès d’une large communauté de collectionneurs, historiens, conservateurs, marchands et artistes. Aujourd’hui, d’aucuns n’hésitent pas à en élargir les contours ; car c’est davantage que le mot qui a été adopté, un discours est venu se construire en périphérie. Dans le contexte actuel et au-delà de la pertinence des questions théoriques qu’elle soulève, la photographie vernaculaire vient dorénavant cristalliser les enjeux de sa valorisation artistique et économique auprès d’acteurs et d’institutions toujours en quête de légitimation et cherchant à établir un processus d’ordonnancement des productions artisanales et commerciales. En 1982, Douglas Crimp écrivait déjà : « La photographie ne cessera jamais de dépasser les institutions artistiques, de s’intégrer à des pratiques non artistiques, de menacer l’insularité des discours de l’art3. » Quarante ans plus tard, les expositions et publications de photographies anonymes se sont multipliées, et celles-ci sont devenues un véritable marché4. D’une manière parallèle, on pourrait s’interroger sur ce que la notion de « photographie brute » fait aux images photographiques : comme pour la grande majorité des collectionneurs de photographies anonymes, la quête de l’insolite et de l’esthétique – autrement dit, le « petit » chef-d’œuvre – constitue l’une de ses principales motivations, souvent au prix d’une réduction des usages à un registre formel. Ces stratégies, articulées autour de la valorisation des gestes dits « insolites », semblent ajouter de la confusion à la compréhension des pratiques amateurs. S’il s’agit d’aspirer le regard en ne révélant qu’une suite de symptômes formels, alors que faire concrètement de toutes les images stéréotypées, dépourvues a priori d’originalité, présentes à profusion, qui n’intéressent ni les artistes, ni les collectionneurs, ni les galeries5 ?
4Il ne s’agira pas dans ce texte de traiter de la dimension vernaculaire de la photographie, mais plutôt de questionner et de qualifier les changements que j’observe dans les rapports contemporains à la collection et à la monstration de photographies anonymes et amateurs, souvent désignées comme « archives ». Archives de quoi ? de qui ? et appartenant à qui ? archives pour quoi ? Aujourd’hui, je fais en effet le constat d’un glissement qui touche le monde de la photographie anonyme : nous avons été nombreux à collecter ce type d’images, elles font l’objet d’une large diffusion, leurs usages sont multiples et à présent visibles dans différents espaces sociaux. Cela pourrait ressembler à une victoire, et pourtant je ressens un profond malaise. Car, certains font désormais œuvre de leur collection et s’affirment comme « artistes » par le truchement de ces images dites anonymes – j’y reviendrai – par essence poreuses et manipulables ; c’est à cet endroit précis que je m’interroge. La mise en spectacle de ces collections peut-elle suffire ? Est-il possible que le collectionneur, et pourquoi pas le marchand d’art, l’historien-collectionneur, l’historien-photographe ou le commissaire d’exposition, soient considérés ou se disent artistes ? Ne sommes-nous pas en train de tout confondre, dans un monde de l’art où les frontières entre le marketing, la mise en forme d’un propos, d’un regard, avec l’œuvre artistique sont brouillées ? Ou ce mouvement est-il le symptôme de modifications profondes de la figure de l’artiste et de la toute-puissance du collectionneur et du marché de l’art ?
5Aujourd’hui, j’ai décidé d’arrêter définitivement la vente des archives photographiques pour différentes raisons sur lesquelles je reviendrai dans ce texte. Cette décision radicale, liée à la transformation du statut de la photographie dans le monde de l’art, s’accompagne de la volonté de me consacrer davantage à mes recherches personnelles. Mon discours comporte des contradictions dont j’ai pleinement conscience, mais c’est aussi une manière d’avancer dans le vaste champ des images où règne la confusion des usages.
Point de vue
6C’est ici que tout commence : les brocantes, les marchés aux vieux papiers, les marchés de cartes postales [Fig. 1a, b, c et d]. Ces marchés à ciel ouvert sont d’immenses réservoirs de savoir-faire, d’objets historiques et poétiques. Depuis plusieurs années, comme pour beaucoup d’entre nous, la recherche d’images s’effectue aussi sur les réseaux numériques.
Fig. 1a, b, c et d Emmanuelle Fructus, Vues du marché aux vieux papiers de Saint-Mandé, Saint-Mandé, 2023.
7Mon travail d’iconographe au sein de ma structure m’a permis de côtoyer des obsessionnels, à savoir les collectionneurs, les artistes ! Nous parlons la même langue. Depuis 2006, j’ai eu entre mes mains des dizaines de milliers d’images et j’en possède 30 000 ou plus, je n’ai pas encore pris le temps de tout compter… Ce qui n’est rien, je ne suis pas boulimique, mes confrères sont sur des volumes qui dépassent facilement les 100 000 images. L’essentiel de ma motivation n’a jamais été de posséder, mais bien plus de prendre connaissance des objets photographiques.
8J’ai tenté de rassembler des objets matériels afin de dresser un inventaire des pratiques amateurs et professionnelles entre 1890 et 1970 environ. Je mesure évidemment toute la fragilité de cette archive, même si j’ai intégré volontairement des images « invendables » car le souci de parler de toutes les images m’anime depuis toujours. Qu’il s’agisse d’Un livre - une image ou de mon travail personnel, mon but est de trouver une place aux images. Je côtoie des marchands et des collectionneurs, je recherche des photographies pour des artistes et je vends à des particuliers qui souhaitent acquérir occasionnellement des images.
9Aujourd’hui, j’ai une pensée toute particulière pour Gérard Pinhas, disparu il y a plusieurs années (1940-2015), et qui compte parmi les trois à quatre grands chineurs et esthètes que j’ai eu la chance de côtoyer. Il me répétait souvent que pour lui, le plus grand artiste du xxe siècle se prénommait « Anonyme ». Au-delà de cette anecdote, la photographie anonyme interroge la notion d’auteur.
10Les collectionneurs de photographies anonymes sont bien plus nombreux que nous ne pourrions l’imaginer et chacun d’entre eux rassemble des séries d’images, plus ou moins originales et pertinentes. Chacun décline une vision singulière, mais tous ont à peu près identifié des corpus similaires. Rares sont ceux qui inventent un nouveau regard, qui possèdent un talent de lecture singulier. Selon Christophe Gœury, expert et collectionneur de photographies, le grand collectionneur sait que sa collection ne lui appartient pas. Il émet l’hypothèse qu’il s’agit d’un artiste de transition, et c’est bien dans le processus même de transmission que la dimension artistique transparaît. De plus, convaincu que c’est le choix qui détermine le statut de l’artiste, le grand collectionneur peut incarner selon lui cette figure, phénomène évidemment rare, et qui concerne peu de collectionneurs.
11Installé à Paris, le photographe Fabien Breuvart (1961-2023) compta parmi les premiers marchands de photographies anonymes à exercer cette activité à temps plein vers 2003. Au-delà des nombreuses colères qui pouvaient l’envahir, il n’acceptait absolument pas que d’autres puissent utiliser les photographies anonymes qu’il collectait sur les marchés aux puces, pour ensuite se les réapproprier en les exposant ou en les publiant en faisant disparaître son nom, lui qui combattait depuis tant d’années pour faire reconnaître l’importance de la photographie anonyme dans l’histoire du médium. La question qu’il posait sans cesse indirectement me semble être la suivante : de quel droit l’acquéreur d’une photographie pourrait-il dissoudre le travail de recherche du marchand – travail fatigant et éprouvant sur la durée – et omettre son nom dans le processus de réappropriation ?
12Vous l’aurez sans doute compris, ce n’est pas forcément simple de démêler l’ensemble des postures. J’éprouve moi-même des difficultés pour me définir. J’aime la lettre A comme Anonyme, Archiviste, Amateur, Amoureuse, Artiste. Ma place est entre ces mots. J’ai toujours tout fait pour brouiller les pistes, voire me cacher derrière le monde marchand qui ne bénéficie pas toujours d’une excellente réputation, je vous l’accorde. Et c’est souvent justifié. Mais c’est en même temps réjouissant de pouvoir emprunter des chemins détournés et de côtoyer des figures singulières, en marge, des esthètes déconnectés de la sphère traditionnelle du monde de l’art.
13J’ai travaillé pendant quinze ans exclusivement comme iconographe dans les archives d’agences photographiques, dans l’édition, avant de créer ma propre entité en 2006. J’ai toujours envisagé Un livre - une image comme une zone libre de connaissances, un espace pour étudier un pan de l’histoire de la photographie [Fig. 2]. J’ai la chance de pouvoir consulter quotidiennement des images, les classer, les toucher et les archiver.
14J’ai établi une typologie me semblant correspondre à la dimension factuelle et sérielle de la photographie de famille : le photographe amateur enregistre des instants « bruts » et concrets qu’il prélève dans son quotidien. Par conséquent, j’ai inscrit sur chaque boîte d’archive un minimum de mots dont la fonction est de simplifier l’accès aux images : Transport, Portrait, Photo floue, Photo découpée, Bords de mer, Funéraire, Travail, Religion, Sport, Travaux ménagers, etc.
15Le volume d’images produit par les photographes amateurs, professionnels ou les artistes est vertigineux. Comme tout collectionneur, j’ai donc dû fragmenter des ensembles, n’ayant ni les moyens ni la place d’acquérir toutes les caisses ou tous les albums rencontrés en plus de vingt ans de travail.
16Je n’ai cessé de faire glisser ces images produites par des inconnus vers une archive dont je suis devenue avec le temps l’auteure, un témoin discret. Procéder à des coupes plus ou moins aléatoires à l’intérieur de cette immense production d’images pourrait paraître vain et dépourvu de sens, mais l’accumulation de tous les regards portés sur cette production fait que nous commençons enfin à mieux identifier les pratiques qui l’animent ainsi que ses enjeux. Les travaux des historiens, des sociologues, des philosophes, des psychanalystes, des anthropologues, des ethnologues, des historiens de la sensibilité et des artistes s’enchâssent aujourd’hui pour rendre les pratiques photographiques moins muettes et produire des analyses plus justes de l’immense diversité des différents corpus d’images produits.
- 6 Arlette Farge, « L’histoire ébruitée », dans Christiane Dufrancastel et al., L’Histoire sans quali (...)
17Chiner des photographies anonymes était resté jusqu’à récemment un terrain peu exploré où tout était à découvrir. Très souvent, les marchands qui se sont intéressés aux photographes anonymes souhaitaient se défaire des étiquettes et des choix imposés. Quant aux amateurs de photographies, ils ont sans doute une chose en commun : une immense liberté d’acquisition. Les premiers collectionneurs ont rassemblé des images loin des stratégies financières et du monde de la spéculation. C’est pour cette raison bien précise que j’ai choisi au début des années 2000 de travailler avec les anonymes – au sens où Arlette Farge les entend, ceux qui ne sont guère touchés par la lumière médiatique et dont les vies sont vite oubliées ou à demi effacées6 – et d’inventer avec Un livre - une image mon propre outil de travail.
Mise en spectacle des archives photographiques
18Le marché de la photographie amateur est né au début des années 1990 en France. Je me suis donc inscrite dans ce mouvement où nous étions assez peu à exercer à temps plein cette activité. Il s’agissait alors d’un marché de niche. Certains grands galeristes étaient d’ailleurs persuadés que nous n’avions rien compris au médium, considérant que la photographie anonyme était de faible intérêt artistique et de faible valeur monétaire. À partir de cette même période, les institutions multiplient les expositions réalisées à partir de collections privées et le nombre de collectionneurs s’intéressant exclusivement à la photographie anonyme s’intensifie également. Aujourd’hui, le flot des manifestations consacrées à des archives photographiques, à des fonds de studios de photographes ou encore à la photographie brute semble intarissable, soulevant de nombreuses questions sur leur réappropriation, sur leur récupération parfois, et presque toujours, sur leur monstration.
19Sur cette vue de l’exposition intitulée « Épinglés » [Fig. 3], nous pouvons découvrir une installation présentée du 15 octobre 2023 au 15 janvier 2024 par un marchand d’objets, Pierre Nicolas. Elle réunit des photographies chinées sur plusieurs années et des assemblages réalisés par ses soins. Cette pièce me semble tout à fait symptomatique de la réappropriation de l’archive. Pierre Nicolas, grand esthète, est par ailleurs auteur de sculptures. Si vous entrez dans la Galerie 7, qu’il tient rue Charlemagne, non loin de la Galerie Binôme, il ne se présentera pas en vous déclarant haut et fort qu’il est un artiste. Bien au contraire, comme les collectionneurs, il insistera sur ses nombreuses difficultés à se définir lui-même.
Fig. 3 Emmanuelle Fructus, Vue de l’exposition « Épinglés » présentée par Pierre Nicolas à la Galerie 7, Paris, du 15 octobre 2023 au 15 janvier 2024.
20La pertinence de ce marchand, collectionneur, artiste est indéniable. Derrière de grands collectionneurs, il y a souvent de très grands marchands. Chacun choisit de se positionner soit par nécessité, soit par choix. Dans sa façon plurielle de se réapproprier des objets, voire de les transformer, Pierre Nicolas illustre la porosité des frontières entre le marchand, le collectionneur et l’artiste.
21Sophie Calle s’est installée au musée Picasso pour une période d’environ trois mois (du 3 octobre 2023 au 7 janvier 2024). Intitulée « À toi de faire, ma mignonne » – titre inspiré du polar Your Deal, My Lovely (1941) de Peler Cheyney et publié en français sous le titre À toi de faire, ma mignonne chez Gallimard en 1948 –, son exposition occupe tous les étages du musée à l’exception du sous-sol. Tout en haut, Sophie Calle constitue une vente spectaculaire et fictionnelle en empruntant les modalités d’exposition de l’Hôtel Drouot en associant certaines de ses œuvres à des objets chinés au fil du temps, des œuvres signées ou anonymes [Fig. 4].
Fig. 4 Vue de l’exposition de Sophie Calle, « À toi de faire, ma mignonne », au Musée national Picasso-Paris, du 3 octobre 2023 au 7 janvier 2024.
© Vinciane Lebrun/Voyez-Vous.
- 7 Extrait d’une interview donnée sur France Info et publiée le 5 octobre 2023 sur le site : <https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/a-toi-de-faire-ma-mignonne-la-nouvelle-exposition-de-sophie-calle-au-musee-picasso_6103314.html>.
- 8 Philippe Ancelin, « Incroyable Sophie Calle », Aladin, no 147, octobre 2023, p. 28.
22Lors d’une interview télévisée, Sophie Calle explique : « Ces objets sont exposés hors contexte. C’est-à-dire qu’ils ont perdu un petit peu leur relation à moi, et la relation que peuvent avoir des objets entre eux dans une maison. Il y a de tout, ce que j’ai sur mes murs, mes vêtements, mes objets, des choses un peu précieuses, et puis des petits riens7. » Dans un autre entretien, accordé au journal Aladin, elle déclare avoir été influencée par son père. Je cite : « Il a toujours mêlé le précieux et le mineur, voire l’anecdotique, parce que cela avait du sens pour lui. » Et, plus loin d’ajouter : « Lorsque j’achète tel cadre, tel miroir, je ne sais pas forcément s’il va devenir une œuvre ou un simple objet de décoration. »8
23En associant des créations personnelles à différents types d’objets lui appartenant, Sophie Calle fait œuvre à partir de tout ce qu’elle possède, excepté son électroménager et la paperasserie, interrogeant ainsi la valeur des choses, leur statut et leur devenir. Ici l’intention du mélange fait œuvre et revendique une liberté de lecture et de mise en scène. Ce cabinet d’amateur ou cabinet de curiosité questionne sur les intentions et la réappropriation d’objets trouvés ou signés soit par elle soit par des personnes connues ou inconnues.
24Quant à l’artiste conceptuel Philippe Thomas, il fonde en 1987 à New York l’agence de publicité Readymades belong to everyone® (Les ready-made appartiennent à tout le monde) et l’année suivante sa filiale française. Sa structure fictionnelle produit non seulement un ensemble de formes concrètes qui occupent l’espace du musée (mobilier de bureau, cartes de visite, supports éditoriaux, boîtes de conditionnement, etc.), mais génère aussi du récit [Fig. 5].
Fig. 5 Readymades belong to everyone ®, L’Agence, 1993.
Installation comprenant l’ensemble du matériel de l’agence (affiches, photographies, cartons d’emballage, rayonnages…) et un ensemble de 48 photographies noir et blanc représentant des façades de musées français et 10 photographies noir et blanc en réserve, réunies sous la mention « La Collection Georges Venzano ».
Coll. MAMCO. Photographie : Annik Wetter.
25Le travail de cet artiste ne serait-il pas l’une des clés nous permettant d’interroger la figure de l’artiste ou tout du moins celle de l’auteur ? En effet, il propose à tout acquéreur d’une pièce, autrement dit au collectionneur, d’endosser le rôle de l’artiste faisant ainsi disparaître le nom de ce dernier.
26Si nous interrogeons cette pratique du côté de la photographie anonyme, alors tout collectionneur ou propriétaire de ce type d’objet peut-il en devenir l’artiste ? Non seulement la photographie résulte d’un enregistrement mécanique, mais de plus l’artiste, en s’intéressant aux images trouvées, laisse consciemment sa place à un opérateur anonyme. Son geste se situe, non pas dans une quelconque transformation, mais bien plutôt dans le choix de l’image et son utilisation.
27Si ces trois approches nous éclairent sur les statuts et les positions que l’on peut attribuer aux images, pour autant, elles font aussi jaillir une série de questions : est-ce que le fait de rassembler par thématiques des photographies produites par d’autres fait de nous un artiste ? Lorsque je décide d’agrandir une image ou d’articuler une suite d’images à l’intérieur d’un cadre, cet acte me permet-il d’acquérir ce statut ? Lorsque je décide de les mettre au mur, puis-je omettre que majoritairement elles ont été produites pour être mises sous enveloppe, rester dans des portefeuilles, des boîtes à chaussures ou organisées à l’intérieur d’albums ? Qu’en est-il de l’édition ? Beaucoup d’artistes aujourd’hui réalisent des objets éditoriaux dans lesquels l’archive constitue leur matière première. Réduit-on l’artiste à l’intention, au geste artistique ?
28À mes yeux, la figure de l’artiste surgit lorsqu’elle intervient sur l’archive, et absolument pas dans une mise en spectacle. Rares sont ceux qui inventent de nouveaux corpus d’images, car lorsque nous regardons ces images, les corpus énumérés sont souvent trop évidents.
29N’oublions pas que derrière toutes ces images, il y a des anonymes, il y a des professionnels, des amateurs avertis, il y a vous et moi, il y a « nous ». La photographie anonyme découle d’une histoire collective et non individuelle. C’est peut-être un brin naïf, mais toutes ces images appartiennent à notre histoire. Celles et ceux qui utilisent la photographie anonyme ont parfois tendance à se la réapproprier rapidement et à omettre son immense complexité. Elles et ils la réduisent à sa simple forme. Avec la photographie de famille, documentaire ou professionnelle, nous ne sommes pas seulement en présence d’une image ! Ses enjeux sont ailleurs.
30Pour moi, la photographie de famille, comme la photographie de presse ou n’importe quel document d’ailleurs, se consulte à plat. L’exposer m’apparaît contraire à son usage. Il est évidemment possible de la placer sur les murs des galeries, des musées, des bibliothèques à des fins didactiques, mais comment éviter de jouer avec les émotions dont sont surchargés tous ces documents ? N’est-il pas un peu facile de ne choisir que des images sensationnelles et provoquer plus ou moins habilement la compassion du spectateur ? Évidemment que la photographie est une affaire de spectacle. Mais mettre en spectacle de l’archive, c’est porter à son apogée le système d’identification psychologique du spectateur vis-à-vis de l’image regardée incarnée dans un objet, un environnement ou un être vivant. Dès lors, il est bien difficile d’échapper affectivement aux images, ou au piège de la sidération. Ne jouer que sur la dimension nostalgique, anecdotique des images et produire de l’illusion, n’est-ce pas une erreur de compréhension ?
31Pour ma part, je réfute la mise en spectacle des photographies privées au profit de l’inventaire en réduisant au maximum les artifices de sa présentation. Comment les réinscrire alors sous une forme simple dans l’histoire ? Ces fragments de vie sont des outils à manier avec précaution, car leur grande porosité au monde nous échappe en permanence. Sans obscénité, il nous faut les retenir avec justesse pour interroger le passé. Ces objets sortis de leur contexte initial ont résisté au temps. Leur donner la parole et une visibilité constitue un enjeu éthique important. Toutes ces images anonymes sont chargées d’amour, de non-dits, de conflits, alors lorsque nous attribuons à l’une d’elles une forme poster, l’agrandissons, l’affichons sur des murs, la publions, nous pouvons questionner son absurdité, sa vulgarité, sa beauté, il n’y a aucune limite ; seule notre conscience peut atténuer cette spectacularisation, car la photographie, et en particulier la photographie de famille, m’est toujours apparue comme une image extrêmement sérieuse.
32Depuis toujours, je suis convaincue que la photographie de famille est à part, elle est singulière ; la complexité de ses formes, de son contenu et de ses usages dans le temps brouille sa définition, elle nous échappe sans cesse, et c’est bien là que règne son immense richesse poétique, visuelle, politique et intellectuelle.
Gestes
33Dans mon travail personnel, je m’inspire des modes opérationnels des amateurs. Souvent en charge de la mise en forme du récit familial, les femmes ont toujours découpé des images pour les albums de famille.
34À mon tour, je découpe des petites images de famille chinées sur des brocantes, mais je ne choisis pas n’importe quelles images : celles qui représentent des personnages photographiés en entier, de face, celles qui sont parfaitement détourables, nettes, celles qui sont délaissées, car trop simples, trop banales aux yeux des amateurs de photographies de famille. Je cherche à faire remonter à la surface ces images invisibilisées que je grappille au fond des caisses, et à les faire surgir au premier plan. En rendant aveugle le contexte initial de prise de vue grâce au détourage manuel des personnages, je « sabote » volontairement des images qui sont dénuées a priori d’une quelconque valeur économique, documentaire ou artistique.
35Comme l’ouvrier, mes gestes sont minutieux, répétitifs et laborieux. Je produis peu volontairement, deux à trois tableaux par an.
36Les alignements que j’effectue sont comme des listes, des listes d’hommes, de femmes et d’enfants. La photographie ne nous dit rien, j’aligne ces personnages inconnus, minuscules et oubliés. Mon travail tente de donner une voix au silence brut de la photographie, à l’invisibilité des êtres et des images.
37Ces personnages sont aussi pour moi des prétextes pour parler du médium photographique. Je classe ces petits personnages selon leur colorimétrie, je distingue les tirages mats, brillants, blancs, gris, noirs, mélangés. J’ai toujours le sentiment de ne pas pousser assez loin mes classements. Ces dernières années, j’ai tenté de déclasser les personnages volontairement, d’alterner au maximum les tonalités. La photographie noir et blanc est en réalité en couleur ; des dominantes magenta, bleues, vertes, sépia sont visibles. La photographie en noir et blanc, comme le découpage, n’est pas neutre.
38Et pour le dire autrement, ce n’est jamais assez bien classé, découpé, collé et il n’y a jamais assez de personnages.
39Le seul point commun avec mon travail au sein d’Un livre - une image serait le classement. Même si je doute de la pertinence profonde des regroupements thématiques, j’essaye d’ordonnancer des corpus constitués de fragments hétéroclites résultant d’une succession de choix qui finissent eux-mêmes par être archivés. Cette opération de réduction produit a contrario un raisonnement dialectique entre l’histoire de la photographie, ses rites et ses usages. C’est aussi cette familiarité avec les photographies qui me laisse penser que l’intentionnalité de la photographie de famille se fonde sur la volonté de retenir des événements ou des détails de la vie quotidienne ; l’archive est actée par le désir de mémoire. Les attaches affectives se mêlent au point de vue du photographe.
- 9 Clément Chéroux, « Le degré zéro du portrait. Pourquoi le Photomaton fascine », dans Clément Chéro (...)
40Je m’intéresse également au dispositif photographique, au protocole de prise de vue des amateurs : faire poser un individu devant une maison, un arbre, un lieu souvent insignifiant, juste pour attester de sa présence, de son existence. Le portrait est sans doute la discipline la moins simple en photographie. La photographie en pied fait partie de cette complexité à mon sens. Je pourrais la comparer à ce que Clément Chéroux nommait le « degré zéro » du portrait en évoquant le Photomaton9. L’apparente simplicité de ces figures porte en elle différents degrés de lectures et d’histoires.
41Il n’y a pas de petites images ni de grandes images ; il y a des images qui se consultent au présent. La photographie de famille résulte d’un enregistrement mécanique. Cette surface plate, généralement de petit format, n’est pas un miroir, mais permet au contraire d’échapper au réel ; elle contient la marque d’une perte informe qui s’accompagne d’une nouvelle expérience : celle d’une percée dans le réel.
42Je découpe des photographies datées de 1880 à 1970 environ, ce qui couvre une part importante de l’histoire du médium. Puisant dans le répertoire stéréotypé de la photographie de famille, les personnages sont détournés de leur contexte originel d’apparition et fixés sur des cartons neutres. J’ordonne simplement la présence de ces objets photographiques pour évoquer nos habitudes, nos pratiques sociales.
43Cette énumération minimaliste a un lien avec l’histoire, la destruction humaine, les génocides. Le pouvoir de l’humain à détruire l’autre ; cette capacité à impunément l’exterminer. En jouant sur les rapports d’échelle entre les personnages découpés, photographiés de près ou de loin, je m’obstine à figurer la domination humaine. Je découpe et je dresse des listes, des listes d’hommes, de femmes et d’enfants. Mon premier tableau s’intitulait 1001. Chacun de mes tableaux répond à un autre et la fin d’une pièce annonce le début de la prochaine [Fig. 6], comme si cet ouvrage était infini. Le titre de mes expositions ou de mes tableaux résulte de la somme des personnages rassemblés. J’ai un rapport amnésique à l’histoire. Je n’ai non seulement aucun repère historique, mais en plus je ne me souviens pas des dates. Les titres évoquent des chiffres, des nombres. Ce handicap m’obsède ; je recense des corps déjà enregistrés sur du papier photographique pour les contenir dans une nouvelle archive.
Fig. 6 Emmanuelle Fructus, 368, 2023. 131,7 x 99 cm. Collection Emmanuel Roucher. Photographie © Luc Paris.
44J’aime la radicalité et l’art conceptuel. Si je devais citer un artiste en référence à mon travail, je citerais l’artiste conceptuel Roman Opalka (1931-2011). Son rapport au temps, à l’infini et à l’inscription m’a énormément marquée lorsque j’étais plus jeune. J’inscris, je colle des petits personnages comme je pourrais inscrire des chiffres. La matérialité de mes collages cache volontairement leur dimension conceptuelle. Je semble me répéter, mais chaque tableau est radicalement différent du précédent. C’est une variation autour du noir et blanc, de la couleur, des nombres, des échelles. La sérialité tente de mieux dire, de parler au plus juste de la photographie et plus précisément du photographique. C’est un afflux de nuances.
45Et depuis quelques années, je poursuis mon travail à l’intérieur de boîtes d’archive fabriquées par Laurel Parker, ma complice de toujours, lesquelles, une fois ouvertes, prennent la forme d’une sculpture. La toute dernière boîte réalisée marque le début d’une nouvelle série qui interroge autrement l’histoire de la photographie et le photographique, notamment sur le deuil de la photographie argentique associée au matériel photographique permettant de la produire. En effet, j’ai fait extraire un miroir reflex d’un appareil classique que j’ai archivé dans une boîte blanche [Fig. 7a et b]. Un texte écrit par Philippe Artières l’accompagne. J’ai souhaité passer non pas à travers l’image, mais à travers l’appareil photographique pour « dévoiler » la présence de ce petit miroir caché et produire l’expérience d’une infinité de reflets. Tous n’ont pas été enregistrés, loin de là. Pour avoir travaillé sur le miroir noir, le rapport à la vue et à l’évanouissement de l’image, je me demande s’il est nécessaire de tout fixer, de tout retenir ?
Boîte socle réalisée par Laurel Parker Book, Paris. Boîte fermée : 21,5 × 13,3 × 6 cm, boîte ouverte : 21,5 × 13,3 × 10,5 cm.
Se placer à « l’envers » ou plutôt à l’endroit
46Nous avons été différents acteurs à vouloir attirer l’attention sur la photographie anonyme et, chacun à notre manière, nous avons œuvré à sa reconnaissance institutionnelle. Devenue objet de collection, la prise de conscience de sa valeur documentaire, esthétique et pourquoi pas artistique est en marche. En revanche, j’ai le sentiment qu’une certaine confusion s’installe quant à l’appropriation de ces fonds et à leurs usages. Sans aborder leur puissance financière, certains collectionneurs sont devenus des figures muséales à part entière. En associant leur nom à la propriété de leurs œuvres, celui-ci est indiscutablement devenu un label de qualité. Face à l’absence de la figure auctoriale caractéristique de la photographie anonyme, la place vacante laissée par l’artiste ne permettrait-elle pas à tout collectionneur de s’y substituer par défaut ? Et ne trouvez-vous pas étrange que les collectionneurs aujourd’hui mis en avant soient tous des hommes, les femmes restant extérieures à cette mise en théâtre de l’archive ? Elles sont présentes sur les marchés d’antiquités, mais leurs collections sont finalement peu visibles dans les expositions. Enfin, sans doute parce que je suis habitée par ce que Hervé Mazurel, historien des sensibilités, qualifie de névrose de classe, je suis sensible à la spéculation qui est en train de s’opérer autour des archives. L’art contemporain constitue une marchandise puissante du capitalisme. Ironie du sort : cette photographie dite « pauvre » est devenue pour reprendre les termes d’un marchand de photographies anciennes un « sport de riche » ! Ne pourrait-on pas faire le parallèle à cet endroit précis avec le marché de l’art brut ?
47Aussi, comme j’ai toujours été marquée par les photogrammes de Man Ray et son idée de photographie à l’envers, j’ai donc décidé de me défaire du fonds Un livre - une image, résultat de presque vingt années d’acquisitions et de recherches photographiques. Je préfère me mettre à « l’envers » de l’engouement pour ces images mais à l’endroit de mon travail personnel. La collection Un livre - une image n’a jamais été pensée comme une œuvre d’art, ce fonds d’images s’est inscrit dans une démarche de recherche strictement documentaire, tout en interrogeant la dimension artistique de certains objets photographiques rassemblés.
48Si j’ai choisi de mettre aux enchères mon fonds d’images en 2024, c’est pour faire date. Il est encore un peu tôt, et en étant l’une des premières à le faire, j’en limiterai les effets spéculatifs. En choisissant de mettre en spectacle cet acte de vente, j’entends signifier un devenir dont les perspectives ne m’enchantent absolument pas. J’éprouve depuis toujours des difficultés à m’enrichir avec ces images, sur le dos de ces images. Je n’ai pas à me justifier, mais je dirais simplement que lorsque j’en vends une, cela me permet d’en acquérir d’autres. Ma première motivation a toujours été de constituer un fonds d’images. Décider de m’en défaire à présent est plutôt le signe d’un deuil que d’une volonté d’enrichissement ; je ne suis pas une héritière. Je souhaite juste passer la main à d’autres et m’interroger sur la destination de cette collection. J’ai contribué à fabriquer mon propre piège dont je préfère à présent me libérer. En mettant en vente ce fonds, j’interroge sa valeur patrimoniale à un moment particulier de l’histoire de ce genre de photographies. Prendre le risque de l’exploser est une manière de remettre en question mon travail. Prise au milieu de l’année 2023, cette décision est arrivée brutalement, sans préméditation. Il m’apparaît aujourd’hui vital d’abandonner le métier de marchande de photographies.
49Ceci ne m’empêchera pas de poursuivre mes recherches ; je travaille actuellement sur une exposition consacrée à la photographie ambulante. J’ai collecté pendant près de vingt ans des images réalisées entre 1900 et 1960 environ, et malgré l’absurdité de la situation, je tiens à partager ce corpus qui interroge l’histoire de la photographie au-delà de ma personne et des limites que posent toutes collections privées.
50En 2010 l’artiste dénommée « documentation céline duval » mettait le feu à son fonds d’images collectées dans des magazines depuis 1998, et filmait la destruction progressive de cette archive. Avec « Les Allumeuses », elle entamait une réflexion sur l’accumulation non nécessaire des choses et interrogeait les limites de l’archive dans son propre travail. Entendant se détacher des objets matériels, elle lègue ses archives au Musée royal de Mariemont en Belgique en 2017 et sa bibliothèque à l’école des beaux-arts de Caen-Cherbourg, pour se consacrer aujourd’hui au vivant en créant un jardin nourricier en Normandie, Le val des possibles. Dans son travail, elle n’a eu de cesse de mettre à distance la notion d’auteur. Bien avant moi, cette artiste annonçait déjà la question de la passation – voire de la destruction – d’un fonds iconographique, de son statut et de son devenir.
51Beaucoup de collectionneurs – qu’ils soient marchands, artistes, chercheurs, galeristes ou autres – se posent un jour ou l’autre la question de vendre leur collection ou d’en faire donation. L’histoire n’est faite que de fonds qui se tricotent et se détricotent, tout comme les archives et les œuvres d’artistes et d’anonymes qui se retrouvent régulièrement sur les tables des brocanteurs.
Notes
1 La galerie Un livre - une image, située au 17 rue Alexandre-Dumas, 75011 Paris.
2 Clément Chéroux, Vernaculaires. Essais d’histoire de la photographie. Cherbourg-Octeville : Le Point du Jour, 2013, p. 10.
3 Douglas Crimp, « S’approprier l’appropriation » (1982), dans id., Pictures. S’approprier la photographie, New York, 1979-1984. Cherbourg-Octeville : Le Point du Jour, 2016, p. 118.
4 Voir dans ce numéro l’article de Rose Durr, « Le snapshot sur le marché de Saint-Mandé : pratiques, circulations et attribution de valeur(s) », p. 114-138.
5 Voir l’action de La Conserverie, un lieu d’archives, une structure associative née en juillet 2008 sous l’impulsion de l’artiste Anne Delrez. Premier du genre en France, le Conservatoire national de l’album de famille met en valeur son fonds iconographique à travers des expositions, des éditions ainsi que des ateliers pédagogiques.
6 Arlette Farge, « L’histoire ébruitée », dans Christiane Dufrancastel et al., L’Histoire sans qualités. Paris : Galilée, 1979, p. 17.
7 Extrait d’une interview donnée sur France Info et publiée le 5 octobre 2023 sur le site : <https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/a-toi-de-faire-ma-mignonne-la-nouvelle-exposition-de-sophie-calle-au-musee-picasso_6103314.html>.
8 Philippe Ancelin, « Incroyable Sophie Calle », Aladin, no 147, octobre 2023, p. 28.
9 Clément Chéroux, « Le degré zéro du portrait. Pourquoi le Photomaton fascine », dans Clément Chéroux et Sam Stourdzé (dir.), Derrière le rideau. L’esthétique Photomaton. Cat. exp. (Lausanne, Musée de l’Élysée, 17 février-20 mai 2012). Arles et Lausanne : Photosynthèses et Musée de l’Élysée, 2012, p. 32.
Haut de pageTable des illustrations
Titre | Fig. 1a, b, c et d Emmanuelle Fructus, Vues du marché aux vieux papiers de Saint-Mandé, Saint-Mandé, 2023. |
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Fichier | image/jpeg, 1,8M |
Titre | Fig. 2 Emmanuelle Fructus, Boîtes d’archivage, Galerie Un livre - une image, Paris, 2023. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/photographica/docannexe/image/2274/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 3,4M |
Titre | Fig. 3 Emmanuelle Fructus, Vue de l’exposition « Épinglés » présentée par Pierre Nicolas à la Galerie 7, Paris, du 15 octobre 2023 au 15 janvier 2024. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/photographica/docannexe/image/2274/img-6.jpg |
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Titre | Fig. 4 Vue de l’exposition de Sophie Calle, « À toi de faire, ma mignonne », au Musée national Picasso-Paris, du 3 octobre 2023 au 7 janvier 2024. |
Crédits | © Vinciane Lebrun/Voyez-Vous. |
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Titre | Fig. 5 Readymades belong to everyone ®, L’Agence, 1993. |
Légende | Installation comprenant l’ensemble du matériel de l’agence (affiches, photographies, cartons d’emballage, rayonnages…) et un ensemble de 48 photographies noir et blanc représentant des façades de musées français et 10 photographies noir et blanc en réserve, réunies sous la mention « La Collection Georges Venzano ». |
Crédits | Coll. MAMCO. Photographie : Annik Wetter. |
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Titre | Fig. 6 Emmanuelle Fructus, 368, 2023. 131,7 x 99 cm. Collection Emmanuel Roucher. Photographie © Luc Paris. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/photographica/docannexe/image/2274/img-9.jpg |
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Titre | Fig. 7a et b Emmanuelle Fructus, Miroir reflex, 2023. |
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Légende | Boîte socle réalisée par Laurel Parker Book, Paris. Boîte fermée : 21,5 × 13,3 × 6 cm, boîte ouverte : 21,5 × 13,3 × 10,5 cm. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/photographica/docannexe/image/2274/img-11.jpg |
Fichier | image/jpeg, 2,1M |
Pour citer cet article
Référence papier
Emmanuelle Fructus, « Désordres dans la photographie amateur et anonyme », Photographica, 8 | 2024, 191-202.
Référence électronique
Emmanuelle Fructus, « Désordres dans la photographie amateur et anonyme », Photographica [En ligne], 8 | 2024, mis en ligne le 16 mai 2024, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/photographica/2274 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11pba
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