Navigation – Plan du site

AccueilNuméros8Actualités scientifiquesPoivert, Michel. Contre-culture d...

Actualités scientifiques

Poivert, Michel. Contre-culture dans la photographie contemporaine

Nathalie Delbard
p. 210-211
Référence(s) :

Poivert, Michel. 2022. Contre-culture dans la photographie contemporaine. Paris : Textuel.

Texte intégral

1Si Michel Poivert a publié ces dernières années plusieurs ouvrages d’envergure consacrés à la photographie – on pense par exemple à sa Brève histoire de la photographie (Hazan, 2015) ou encore aux 50 ans de photographie française, de 1970 à nos jours (Textuel, 2019) –, il semble vouloir avec cette nouvelle parution reprendre son analyse des pratiques photographiques là où il les avait laissées avec son livre de référence La photographie contemporaine (Flammarion, 2002 et 2018), à l’orée du xxie siècle. Contre-culture dans la photographie contemporaine couvre en effet principalement la période de ces deux voire trois dernières décennies, puisqu’il s’agit d’envisager une histoire de la photographie « depuis que la technologie numérique s’est imposée » (p. 7), pour toute une génération d’artistes.

2L’enjeu, qui consiste à caractériser des pratiques en cours avec ce qu’elles comportent d’immédiateté et d’apparente disparité, n’est pas sans risque. À ce titre, le premier grand mérite de cet ouvrage est de réunir le corpus en question et de l’instaurer comme tel, pour lui donner à la fois consistance – les très nombreuses reproductions couleur y contribuent fortement – et cohérence d’ensemble. C’est là tout autant le travail de l’historien de l’art que celui du commissaire d’exposition qui se voit mobilisé, attestant d’une remarquable connaissance de la scène artistique actuelle – complétée par quelques figures plus historiques ici ou là –, pour une large part française mais pas seulement, et qui se fait la contributrice inventive du renouvellement des usages photographiques d’aujourd’hui.

3Précieux recueil d’images donc autant qu’essai théorique, Contre-culture dans la photographie contemporaine se divise en une introduction et sept chapitres regroupant les pratiques concernées autour de processus communs et de concepts clés proposés par l’auteur, à chaque fois suivis d’un ensemble iconographique conséquent illustrant directement le propos. À travers ce montage, le lecteur ou la lectrice découvre les œuvres par le texte, grâce à des descriptions que Michel Poivert prend soin de mener scrupuleusement, condensant l’essentiel en quelques très belles formules, avant de voir ces œuvres reproduites dans le feuillet qui suit. On ne peut que saluer la méthode adoptée, celle de l’observation rapprochée comme préalable à toute analyse, dont la systématisation – fait suffisamment rare pour être signalé – confirme l’attention permanente de l’auteur portée aux œuvres et à leurs singularités concrètes. En revanche, le revers probablement inévitable d’une telle entreprise d’écriture tient peut-être à la succession de ces synthèses descriptives égrainées au fil des chapitres, qui tendent, à force d’accumulation, à réduire ou distendre en partie la démonstration.

4Sur le fond, Contre-culture dans la photographie contemporaine s’emploie pourtant à donner sens à un corpus hétérogène de pratiques, dont le dénominateur commun consisterait à prendre « le contre-pied des nouveaux standards de l’image » (p. 7). Il s’agirait alors de se placer du côté de l’objet photographique, du matériau et du geste, selon une économie parfois rudimentaire, sollicitant volontiers les procédés « anténumériques » ou les images vernaculaires dans une logique d’hybridation et de reconfiguration des usages, et dont l’horizon éthique s’affirmerait de manière nouvelle.

5Afin d’y voir plus clair, Michel Poivert – nous l’avons dit – examine précisément les manières de faire des artistes, qu’il décline de la sorte : reconfiguration des archives et datas visuelles pour produire un « reflux » salvateur (« La photographie surcyclée ») ; recours aux procédés élémentaires du médium et à la manipulation directe du papier sensible, du sténopé en passant par l’anthotype (« Archaïsme et survivalisme ») jusqu’aux techniques anciennes les plus délicates, à distance du formatage industriel (« Anténumérique : archéologie du médium ») ; broderie ou tissage à même l’image et autres pratiques « photomanuelles » pour un « retournement des travaux de dames » (p. 133), à l’instar de la couverture du présent ouvrage (« Manufacture photographique ») ; mais encore déploiement de l’image au-delà de la bidimensionnalité du support (« Amplification : performer le photographique »), explorations des liens au vivant et collaborations avec les sciences (« Reconnexion : fables écosophiques »), et enfin mises en récit et fictions photographiques (« Photographie des mondes possibles »). Une telle typologie est éclairante, au sens où elle permet de mesurer la richesse des démarches en cours et d’en circonscrire les grandes tendances, à travers certaines figures déjà bien installées dans le paysage photographique contemporain et d’autres montantes, et pour lesquelles on peut noter la contribution substantielle des artistes femmes.

6Mais Michel Poivert vise au-delà, en cherchant à dessiner un nouveau paradigme photographique répondant aux bouleversements du temps présent, fondé sur une « libération de l’imaginaire » (p. 255), et dont la perspective écosophique devient le fil rouge incandescent. « Alors que l’on cultive autrement, que l’on circule autrement, que l’on consomme autrement, ne peut-on pas photographier autrement ? » (p. 10) s’interroge-t-il explicitement. Un tel projet réflexif est nécessaire, et il importe qu’il soit engagé par l’auteur comme par d’autres historiens ou théoriciens de l’art. Pour autant, nos modes de vie sont loin d’être déjà tous et suffisamment transformés, et certainement pas uniformément. D’une autre manière, les pratiques photographiques ici réunies s’exposent sans doute, à force de volonté de convergences, à une forme de nivellement qui risque de gommer les écarts pourtant significatifs de leurs projets respectifs en termes d’éthique ou de portée politique, que seule une analyse critique approfondie parviendrait à mieux distinguer.

7Avec Contre-culture dans la photographie contemporaine, Michel Poivert décrit un modèle photographique alternatif sur la base d’un corpus solide, remarquablement riche (180 œuvres, 130 artistes), et dont les processus de création sont identifiés dans toute leur variété. Il est fondamental qu’un tel « droit d’inventaire » (p. 10) de ces pratiques, pour reprendre les mots de l’auteur, ait pu s’exercer, et ce d’autant plus qu’il permet à d’autres de s’en saisir à leur tour. L’absence de conclusion de l’ouvrage n’est peut-être pas autre chose, à cet égard, qu’une invitation à poursuivre désormais la réflexion critique.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Nathalie Delbard, « Poivert, Michel. Contre-culture dans la photographie contemporaine »Photographica, 8 | 2024, 210-211.

Référence électronique

Nathalie Delbard, « Poivert, Michel. Contre-culture dans la photographie contemporaine »Photographica [En ligne], 8 | 2024, mis en ligne le 16 mai 2024, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/photographica/1847 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11pbg

Haut de page

Auteur

Nathalie Delbard

Université de Lille / CEAC

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search