Levin, Boaz, Ruelfs, Esther et Beyerle, Tulga (dir.). Mining Photography : The Ecological Footprint of Image Production
Levin, Boaz, Ruelfs, Esther et Beyerle, Tulga. 2022 (dir.). Mining Photography : The Ecological Footprint of Image Production. Leipzig : Spector Books.
Texte intégral
1Sur la couverture noire de Mining Photography : The Ecological Footprint of Image Production, catalogue de l’exposition qui s’est tenue au Museum für Kunst und Gewerbe Hamburg de juillet à octobre 2022 avant une itinérance à Vienne (2023) et à Winterthur (2023-2024), une mosaïque d’images de différentes époques, qui évoquent la production industrielle, l’extraction minière, la pollution environnementale ou encore la matière photographique. Ce sont là les thématiques traitées par l’ouvrage, organisé en deux parties : un corpus reprenant les œuvres et documents présentés dans l’exposition (p. 25-120) et un recueil de cinq textes et trois entretiens qui viennent compléter et discuter ce corpus (p. 121-173). Suivant le fil de la notion d’extraction (mining), amenée dès le titre, les œuvres, documents et textes qui composent le volume se penchent sur le rapport entre photographie et changement climatique. Il ne s’agit pourtant pas ici de regarder par la photographie les effets ou les résultats de celui-ci, mais bien d’envisager la photographie comme l’une de ses causes. Partant de divers points de vue (artistique et esthétique, histoire et histoire de l’art, recherches en littérature, etc.) et prenant différentes formes (photographie, vidéo, installation, sculpture, poème, entretien, etc.), l’ensemble des contributions est finement tenu au sein de l’ouvrage et présente une intéressante pluralité d’approches autour d’une question commune. Ces contributions, dans leur diversité formelle et paradigmatique, visent à montrer et à faire prendre conscience de la manière dont nos moyens de représentation, et en particulier la photographie, sont impliqués dans le changement climatique, et ne sont pas écologiquement neutres.
- 1 Les citations sont traduites par l’autrice de la recension.
2En introduction, les enjeux sont posés : cherchant à s’éloigner d’une « esthétique du sublime » qui caractérise les représentations des dites « catastrophes naturelles »1 (p. 13), les questions de l’anthropocène et du capitalocène sont abordées, distinguant les deux notions pour rejeter l’aspect déresponsabilisant de la première : « Décrire le changement climatique comme faisant d’une manière ou d’une autre partie de la destinée humaine collective absout ceux qui en sont le plus responsable. » (p. 14) Il s’agit alors d’insister sur le rôle central du capitalisme extractiviste et sur la responsabilité humaine dans cette nouvelle ère géologique, ce que le terme de capitalocène semble mieux à même de porter pour les commissaires de l’exposition, Boaz Levin (écrivain et commissaire indépendant) et Esther Ruelfs (directrice du fonds photographique et nouveaux médias au Museum für Kunst und Gewerbe Hamburg). Si, au fil de l’ouvrage, l’anthropocène est remis en avant – le terme est plus commun –, cette distinction posée en introduction vient affirmer la position des directeur et directrice de l’ouvrage.
3Mining Photography permet ainsi de mettre en lumière et de présenter la grande diversité et la complexité des enjeux attachés à la question de l’empreinte écologique de la photographie. C’est par l’entrée de la matérialité et du matériau que le livre est structuré, organisé à la manière d’un tableau périodique et dont les couleurs des pages évoquent, dans la partie textes, les matériaux traités : le cuivre, le charbon et le bitume, le papier avec son coton et sa gélatine, l’argent, les terres rares et les déchets du numérique. Il vient inscrire la photographie dans une histoire longue et globale du xixe au xxie siècle, du capitalisme, de la colonisation, de l’exploitation et de l’extractivisme. Il s’agit ici de pointer les enjeux écologiques mais aussi politiques des matériaux photographiques, avec une volonté affichée – même si parfois feutrée – de repolitiser l’histoire du médium.
4Si les techniques et matériaux analogiques, bien connus et étudiés, sont très détaillés, l’ouvrage reste cependant plus faible sur la question, beaucoup plus complexe et matériellement composite, du numérique. Certains textes rééquilibrent néanmoins cette lacune, en entrelaçant les enjeux matériels des deux techniques, autour du cuivre ou de l’argent par exemple, que l’on retrouve aussi bien dans la photographie analogique que dans nos smartphones. Cependant, avec le numérique, les enjeux se déplacent et se multiplient, et la photographie y est de moins en moins spécifique. Nadia Bozak souligne bien le danger de cette fusion qui déspécifie le geste photographique, le rendant banal et difficilement perceptible comme polluant (p. 151-160).
5Mais c’est bien alors le rôle des œuvres de l’exposition que d’inscrire la matérialité photographique dans les enjeux contemporains, et c’est ce qui fait sa force. Mêlant documents historiques, photographies anciennes et œuvres contemporaines, le corpus iconographique très riche et bien cadré permet de tisser des liens entre les époques photographiques et les techniques, démontrant la vitalité des interrogations analogiques chez les artistes contemporains. En proposant un corpus resserré, les commissaires mettent l’accent sur les questionnements ayant trait aux matérialités photographiques dans un rapport écologique et politique à celles-ci. C’est en effet sur les impacts néfastes de la photographie, sur l’environnement et les êtres vivants humains et non humains, que se penchent les œuvres présentées ici. L’approche historique, qui caractérise le corpus, fait également partie du travail de plusieurs artistes, également chercheurs et chercheuses, comme Ignacio Acosta, Tobias Zielony ou Daphné Nan Le Sergent. Le regard documenté qu’ils et elle portent sur leur sujet, mêlant subjectivité artistique et données issues de la recherche, paraît pouvoir synthétiser la démarche même de Mining Photography. La photographie y apparaît comme un objet transversal, non réductible à une histoire de l’art, mais dont les multiples facettes peuvent être saisies par différentes approches, qu’elles soient scientifiques ou artistiques, et différentes disciplines.
6L’ouvrage vise alors, à grand renfort de chiffres qui permettent de prendre la mesure, à révéler ce qui, dans la production photographique, est invisibilisé et caché, en particulier par l’industrie. La technique photographique est en effet souvent présentée comme transparente, discrète voire virtuelle, phénomène qui trouve un apogée avec le numérique. Mining Photography propose de regarder derrière l’image pour voir de quoi elle est faite. Voir apparaît en effet comme un enjeu fondamental, bien souligné par Nadia Bozak : « Il est vital de voir l’image numérique comme un produit dérivé d’une culture gourmande en énergie, basée sur l’extraction. Il est vital de voir. Après cela, nous pourrons agir. » (p. 160) Ce livre s’inscrit ainsi dans une écriture, non pas de l’histoire (history), mais d’une histoire (story) de la photographie (p. 9) en articulant art et science, histoire et création contemporaine, exposition et projet de recherche, dans une approche pluridisciplinaire. Si un catalogue plus fourni aurait pu être souhaité, Mining Photography vient pourtant ouvrir un champ d’études photographiques encore peu traité, a fortiori en France. Les enjeux sont posés, il reste maintenant à creuser.
Pour citer cet article
Référence papier
Rose Durr, « Levin, Boaz, Ruelfs, Esther et Beyerle, Tulga (dir.). Mining Photography : The Ecological Footprint of Image Production », Photographica, 8 | 2024, 207-208.
Référence électronique
Rose Durr, « Levin, Boaz, Ruelfs, Esther et Beyerle, Tulga (dir.). Mining Photography : The Ecological Footprint of Image Production », Photographica [En ligne], 8 | 2024, mis en ligne le 16 mai 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/photographica/1809 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11pbh
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