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Sarah Broadie, Plato’s Sun-Like Good: Dialectic in the Republic

Cambridge University Press; 2021, 240 p., ISBN : 9781316516874
Marion Pollaert
Référence(s) :

Sarah Broadie, Plato’s Sun-Like Good: Dialectic in the Republic, Cambridge University Press; 2021, 240 p., ISBN : 9781316516874

Texte intégral

1La présente recension ne saurait formuler l’hommage dû à l’auteure regrettée, que l’on trouvera notamment publié par l’University of St Andrews, où Sarah Broadie a longtemps exercé avant de nous quitter très peu après la publication de cet ouvrage (PSG) en 2021. Le temps qui nous en sépare a déjà confirmé à quel point il fait date pour toute étude de la République de Platon. Tout le propos de B. est de s’appuyer sur l’analogie du Bien avec le Soleil au livre VI pour donner une interprétation de la dialectique qu’exercent les gardiens de la Callipolis. La thèse principale procède d’un retournement : la fonction endossée par la Forme du Bien dans l’exercice de la dialectique prime sur la connaissance de sa nature. Plus exactement, le Bien endosse une fonction interrogative comme pierre de touche mise en œuvre par la dialectique pour réaliser de bonnes actions, sans que cet « outil » soit connaissable en tant que tel comme objet d’étude.

2PSG se compose de cinq parties inégales qui abordent la fonction épistémologique puis ontologique du Bien, complétées par « diverses autres questions ». La dernière, « Winding Up », fait le sommaire des arguments défendus, avant une bibliographie, un index locorum et un index nominum et rerum.

3Une première partie préliminaire (« Approaching the Sun-Good Analogy ») donne le contexte de l’analogie avec le Soleil en restituant les grandes articulations de la République et formule la difficulté de savoir en quoi consiste exactement la « méthode rationnelle » mobilisée par les gardiens (7). En s’appuyant sur l’analogie, l’examen s’attache à saisir la relation exacte du Bien aux « choses justes et belles » (506a) — tout comme le Soleil éclaire le visible sans se confondre avec lui. Cette clarification explicite par là en quoi consiste la « route la plus longue » (VI, 504c).

4La deuxième partie, « The Form of the Good and Knowledge » (13-135), est la plus longue et la plus dense. Elle met en rapport les trois images des livres centraux : le Soleil, la Caverne et la Ligne (dans leur ordre d’apparition dans PSG), pour étayer en quoi consiste la spécificité de la dialectique.

5B. distingue un « modèle prémisse », qui déduit les « conséquences » d’une connaissance du Bien qui fonctionne comme « prémisse ultime », d’un « modèle interrogatif » qui met en œuvre une « G-question », « test additionnel » appliqué à des définitions putatives de vertus (51). La capacité à appliquer cette « méthode » rigoureusement mobilise une capacité cognitive à considérer une proposition sans préjugés (telle que notamment l’enseignement mathématique y prépare) et la rectitude morale d’un individu vertueux (que l’éducation garantit). La route la plus courte empruntée par les livres précédents de la République a consisté selon B. à établir que la justice comme disposition est bonne, la plus longue établit « les résultats multiples de cette disposition » (48). « Bonne » en ce sens se dit sur un mode « prédicatif » et non « attributif », qui permet de dire qu’une chose constitue « un bien », sans spécification, contrairement au fait de dire qu’une voiture est une bonne voiture. De là, B. avance que « la Forme du Bien est l’équivalent ontologique d’une fonction propositionnelle interrogative ou d’une phrase ouverte » (50) du type ‘— est-il bon ?’. La Forme intelligible consiste ainsi dans une formule générique (comme ‘4(x)’) applicable à tout contexte de manière à donner des résultats toujours différents et qui ultimement doivent passer le test de la « G-question » (119). Par différence avec les mathématiques, la dialectique mobilise ainsi un principe « an-hypothétique » que B. interprète comme la qualité de ce qu’il est « inévitable » de ne pas présupposer (37), et dans le sens où la « G-question » est la question ultime sur la valeur et ne saurait à son tour faire l’objet d’une question (51). La dialectique permet ainsi la prise en compte du caractère infiniment changeant des situations concrètes auxquelles une décision politique doit répondre.

6Une distinction directrice lui permet de rendre compte de la caractérisation excessivement allusive de la Forme du Bien : notre point de vue tend à s’assimiler à celui de Socrate et de ses interlocuteurs, qui conversent à propos du Bien, à un niveau « méta », tandis que les philosophes-rois en usent comme d’un « outil » (41, 55). Non seulement PSG donne une portée véritablement pratique à la dialectique, et établit l’utilité politique d’une activité avant tout comprise comme théorique par la réception, mais cette portée pratique même rend compte des difficultés posées par le texte et son caractère allusif. Parce que « l’implémentation » du Bien de façon concrète implique une variabilité infinie de contextes, Socrate ne saurait donner d’explicitation de l’efficacité causale du Bien, compréhensible seulement comme efficacité ad hoc, par rapport à un hic et nunc (109-111, 117-118). Même si elle reconnaît qu’il n’y a « aucune preuve explicite en faveur de l’interprétation interrogative » (66) et que PSG bute sur tous les passages qui mentionnent une contemplation du Bien, B. se confronte au texte dans le détail, souvent à l’aide de telles distinctions stimulantes.

7PSG défend une définition de la dialectique déflationniste ou « minimaliste » (222), qui l’identifie au « raisonnement pratique d’un individu vertueux en langage ordinaire » (214), et passe ainsi par une discussion efficace de toutes les interprétations qui, selon B., outre l’École de Tübingen (105-106, 216-217), soit reconnaissent dans la Forme du Bien la « perfection » ou l’idéalité qu’ont en commun toutes les Formes intelligibles telles qu’elle en est la cause (155-159), soit identifient le Bien au « système » harmonieux de tous les biens que sont par exemple les vertus (159-162). Néanmoins, B. établit la portée pratique de la dialectique et la possibilité d’une efficacité pratique du gouvernement des philosophes en maintenant le caractère an-empirique des Formes et surtout des « raisons » que donne le raisonnement dialectique, quand bien même la réponse donnée à la « G-question » dépend chaque fois du « contexte » et consiste dans une « décision raisonnée sur quoi faire ici et maintenant » (87). Elle reconnaît également qu’un tel platonisme « minimaliste » demeure suspendu à une forme de « réalisme », qui pose l’unicité et le caractère inaltérable des Formes comme normes objectives à titre de « présupposé » (222-223). Pour autant, B. reconduit une forme de dualité dans la distinction qu’elle opère entre cette « dialectique » pratiquée par les dirigeants politiques et la « philosophie » renvoyée aux autres dialogues ou à la retraite de ces gardiens.

8En partant d’un examen très informé, dans la partie 3, en particulier du passage de Rep. 509, Broadie compare deux interprétations possibles de la causalité ontologique du Bien (140-154). La première rapproche le supplément d’être que la Forme acquiert avec sa réalisation empirique et contextuelle, grâce au test de la « G-question ». Cette « actualité » aux résonances ouvertement aristotéliciennes (143-144) met en évidence une difficulté importante de la lecture de B., dont le défaut fait pendant à ses qualités : la portée pratique évidente que PSG garantit à la dialectique implique de faire d’un contexte empirique sensible la condition de ce qui est véritablement et plus pleinement que l’intelligible. L’avantage réel d’une lecture très attentive des seuls livres centraux de la R. rend plus discrète la possible contradiction de ses implications avec l’ontologie platonicienne.

9La deuxième option avance que le Bien causerait le caractère vertueux de « types d’action » initialement « moralement neutres » de sorte que le Bien est cause de leur « réalité » uniquement quand la bonté de la chose s’y « ajoute ». F. Leigh a montré, dans des actes parus au sujet de PSG dans le British Journal for the History of Philosophy (31, 6, 2023), que la bonté, si elle était condition nécessaire, ne saurait être suffisante pour faire exister, par exemple, la justice (1276).

10L’argumentation de B. ne laisse pas, néanmoins, d’anticiper de nombreuses objections possibles, et distingue, en ce sens, deux « fonctions » du Bien sans pour autant scinder l’unité de la Forme ni impliquer un raisonnement circulaire (168-176) : il est à la fois cause de la vertu en tant qu’opérateur de sa bonté et « participé » par telle action vertueuse. Ces deux fonctions, qui sont comme deux « modes, ou aspects, ou flexions », correspondent aux modes respectivement interrogatif et déclaratif du Bien : le mode interrogatif est prioritaire (173-174), épistémologiquement comme ontologiquement, et c’est là ce qui fait l’originalité de PSG.

11La lecture de cette interprétation originale est devenue indispensable. On peut néanmoins regretter sa bibliographie quasi entièrement anglophone : pour étayer ce point, pensons à l’utilité qu’aurait représentée l’article de T. Bénatouïl & D. El Murr, « L’ Académie et les géomètres » (Philosophie antique, 2010, 41-80) sur la question des mathématiques pour la deuxième partie, ou encore, quand B. distingue un type de causalité différent de la participation (169), la distinction que formule A. Macé (Platon, philosophie de l’agir et du pâtir, Academia Verlag, 2006) entre causalité « homonymique » et causalité démiurgique médiée par l’implémentation d’un ordre. La notion de démiurgie mobilise celle de « paradigme », que B. évacue rapidement (53, 57, 61) alors même qu’elle recouvre, dans l’Euthyphron, 6e3-6, un usage interrogatif critique de la Forme. B. a souvent recours aux notions de modèle, d’ordre, pourtant exclues de son interprétation (59, 128-132, 146, 197-202), et surtout qualifie d’« implémentation » ce qui est avant tout une fonction cognitive critique, dont on peut se demander si elle suffit à épuiser la causalité pratique de la dialectique. La dernière section porte de manière révélatrice sur la cosmologie du Timée (195), mais le rapprochement est abusivement tronqué sous prétexte que le démiurge divin, lui, organiserait le cosmos « from scratch » (184, 202). L’ouvrage de B. sur le Timée révèle une option interprétative déflationniste du rôle des Formes qu’il serait intéressant de comparer à PSG.

12Une dernière remarque sur le reproche répété d’un vocabulaire ou d’une conceptualité limités de la part de Platon (97, 107, 135) : dommage de faire courir le risque de l’anachronisme à une étude si attentive. On pourrait imaginer au contraire, par exemple sur l’idée que la notion de « perspective » aurait fait défaut à Platon (218), une lecture approfondie d’autres passages de la République, comme 488a-489a, qui montrent bien que d’une compréhension du Bien dépendent toute une vision du monde et le sens même des mots.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marion Pollaert, « Sarah Broadie, Plato’s Sun-Like Good: Dialectic in the Republic  »Philosophie antique [En ligne], Comptes rendus en pré-publication, mis en ligne le 10 mars 2025, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/philosant/9622

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Auteur

Marion Pollaert

Revue Hermès CNRS - Centre Jean Pépin UMR8230 CNRS

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