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Le Socrate de Dion Chrysostome

Aldo Brancacci
Traduction de Michel Narcy
p. 167-182

Résumés

Socrate est le philosophe le plus souvent mentionné dans les écrits de Dion Chrysostome : il paraît avoir eu plus d’influence sur sa personnalité intellectuelle qu’on ne l’a supposé jusqu’ici. Pour tracer le portrait de Socrate, Dion emprunte, non à Platon ou à la tradition académique, mais à la tradition cynico-stoïcienne dérivée d’Antis­thène : à l’encontre de l’éternel questionneur platonicien, le Socrate de Dion professe des doctrines « positives ». Ce choix de la part de Dion peut s’expliquer par les motivations qui inspirèrent, pour l’essentiel, son activité littéraire et politique sous Nerva et Trajan, et par sa vision du philosophe en conseiller du prince.

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Texte intégral

Une version élargie de cet article est parue sous le titre « Dio, Socrates, and Cynicism » dans Simon Swain (ed.), Dio Chrysostom. Politics, Letters, and Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 2000, pp. 240-260.

I

1Littérairement et philosophiquement, la présence de Socrate est importante dans les écrits de Dion Chrysostome. Il suffit pour s’en rendre compte de feuilleter n’importe quelle édition moderne des Discours. Parmi tous les philosophes mentionnés par Dion, Socrate est celui qui est cité le plus souvent : plus que Platon, plus qu’Aristote, plus que les stoïciens ou que les cyniques, plus que Diogène lui-même. Et si le cynique, en revanche, le surpasse avec les cinq dis­cours dont il est le protagoniste, Socrate soutient la comparaison avec les deux écrits spécifiques (orat. liv, Sur Socrate ; orat. lv, Sur Homère et Socrate) qui lui sont dédiés, le nombre élevé des citations dédiées aux socratiques en tant que groupe, et la longueur notable de la plupart d’entre elles. Non moins important : le nom du philosophe revient dans un très grand nombre d’écrits, qui correspondent en outre à des périodes chronologiques différentes de la production de leur auteur. Cela prouve que l’intérêt de Dion Chrysostome pour Socrate fut non seulement profond, mais que, loin de ne représenter qu’un épisode, aussi significatif fût-il, de son activité littéraire et intellectuelle, il en fut une constante. Une des raisons de cette présence résolue de Socrate dans les discours de Dion, il faut le supposer, est le caractère résolument fonctionnel du modèle, dans sa valeur hautement et indiscutablement paradigmatique, et surtout dans la possibilité qu’il offrait d’établir une identification efficace entre le philosophe antique et son émule moderne : une possibilité que l’éloquence douce mais étudiée de Dion, toujours plus attentif à la dimension communicative de ses discours, ne manque pas d’exploiter habile­ment, comme le mettent en évidence de nombreuses déclarations disséminées dans le corpus. Le Socrate qui se dégage des pages de Dion, cependant, n’est pas seulement un modèle littéraire, ni même seulement un garant prestigieux de l’identité grecque de Dion. C’est un philosophe et, d’une certaine façon, le propre père de la philoso­phie antique, selon les schèmes doxographiques élaborés à l’époque hellénistique : un philosophe dont Dion montre qu’il a connu la pensée par l’intermédiaire d’une trame serrée de traditions, et qui pourrait avoir exercé sur sa personnalité intellectuelle une influence plus grande et plus profonde qu’on ne l’a cru jusqu’ici. Surtout, Socrate offre une clé d’interprétation privilégiée pour situer Dion dans une perspective philosophique et pour expliquer les particulari­tés de son approche des traditions philosophiques que la doxogra­phie antique a considérées comme dérivées directement de Socrate – en premier lieu le cynisme, mais aussi le stoïcisme. Dans ce qui suit, je me propose d’examiner les passages relatifs à Socrate et aux socratiques que l’on trouve dans le corpus des écrits de Dion. Je cher­cherai ensuite à mettre en lumière la matrice des traditions utilisées par Dion, afin de comprendre quelle est celle qu’il a principalement suivie et adoptée. Dans ce contexte, je chercherai aussi à vérifier si, à côté du Socrate que Dion reçoit de la tradition, il a aussi le sien propre, philosophiquement significatif. Enfin je procéderai à une brève comparaison avec les écrits consacrés à Diogène, pour essayer de montrer que, dans le cynisme tel que le restitue Dion, sont pré­sents certains éléments importants qui sont d’origine socratique.

II

2Un témoignage de Synésius, d’interprétation très discutée, semble contredire immédiatement ma thèse. Dans Dion, ou Du type de formation conforme à son modèle, le philosophe néoplatonicien rappelle que dans certains de ses écrits Dion avait lancé des pointes comiques contre Socrate et Zénon, tenant leurs disciples pour dignes d’être chassés « de la surface entière de la mer et de la terre, en tant que ruine de la cité et de l’État ». Il n’est cependant pas difficile de remarquer que, dans ce passage, Socrate et Zénon ne sont pas mis sur le même plans que leurs actuels disciples supposés, et qu’une plaisanterie, si mor­dante soit-elle, n’est pas la même chose qu’une attaque violente. Il faut ajouter que Synésius se réfère ici aux écrits de jeunesse de Dion et que celui auquel il pense est, très probablement, l’essai perdu Contre les philosophes. En ce sens, son observation trouve son explication dans le cadre de l’opposition, qui fut aussi d’ordre politique, à l’activité des philosophes cyniques et stoïciens développée par Dion sous le règne de Vespasien, et elle doit être replacée dans la perspective du sévère réquisitoire qu’on trouve chez l’Alexandrin à l’encontre des « prétendus philosophes » et des « prétendus cyniques ». L’observation de Synésius est atténuée, enfin, par sa propre notation concomitante, pour nous facile à vérifier, que, dans d’autres écrits, Dion exaltait ces mêmes philosophes, les donnant en exemple de vie noble et sage. Le philosophe néoplatonicien finit ainsi lui-même par souligner, plus loin, que précisément Socrate et Diogène ressortent des nombreux discours que leur consacre Dion comme les modèles de la vraie et parfaite vie selon la philosophie, jusqu’à laquelle ne peuvent se hausser tous les hommes.

3L’interprétation de la philosophie de Diogène et de Socrate lui-même que Dion propose pour son propre compte est en réalité dif­férente. Sur le plan historique et culturel, la récupération de Socrate à laquelle procède Dion correspond à la remise en circulation de λόγοι Σωκρατικοί, plus générale et massive, qui caractérise le début de la période impériale et au retour marqué à Socrate qui, sur le plan philosophique, sous-tend ce phénomène. Il y a en outre dans cette récupération une réaction face à la réduction de Socrate au rang de πρόσωπον, simple porte-parole de la philosophie de Platon, qui s’exprimait dans les milieux scolaires platoniciens : c’est ce qui explique le regain d’intérêt, de la part de philosophes et d’hommes de lettres, pour les images de Socrate véhiculées par d’autres tradi­tions socratiques. Que Dion ait eu connaissance de cette littérature, c’est ce qui ressort clairement des déclarations nombreuses et expli­cites disséminées dans ses discours, et c’est sur elles qu’il conviendra, à titre préliminaire, de fixer l’attention.

4Conformément à la pratique de la citation et à l’attitude courantes dans l’Antiquité, la production littéraire des socratiques, aux yeux de Dion, reflète fidèlement les λόγοι de Socrate, qui à son tour ne se distingue pas du protagoniste de cette littérature : la distinction entre le Socrate « historique » et le Socrate « littéraire », qui représente pour les modernes un difficile problème herméneutique et historiogra­phique, est absente de la littérature antique, ou n’y apparaît que de façon épisodique et exceptionnelle. Ainsi, dans le discours Sur Homère et sur Socrate, où la thèse est que le vrai maître du philosophe ne fut pas Archélaos mais Homère, parce qu’ils se sont occupés autant l’un que l’autre des mêmes problèmes moraux, Dion note que la modestie particulière de Socrate est prouvée par le fait que

  • 1  οὐδὲ τοὺς λόγους αὐτὸς κατέλιπε γράψας, καὶ ταύτῃ γε ὑπερέβαλε τὸν Ὅμηρον. σπερ γὰρ τὸ ὄνομα τὸ ἐ (...)

[1] « il ne permit même pas que l’on mît ses discours par écrit, et en cela il surpassa Homère. En effet, de même que nous connaissons le nom du poète parce que nous l’avons entendu prononcer par d’autres, de même nous connaissons les discours de Socrate parce que d’autres nous les ont transmis. »1

5La situation des sources socratiques accessibles à Dion est illustrée de façon plus précise par un passage du discours Sur Socrate où, après avoir esquissé un parallèle entre le philosophe et les sophistes ses contemporains, l’auteur observe :

  • 2 λλὰ δὴ τῶν μὲν θαυμαζομένων ἐκείνων σοφιστῶν ἐκλελοίπασιν οἱ λόγοι καὶ οὐδὲν ἢ τὰ ὀνόματα μόνον ἔσ (...)

[2] « Mais, alors que les discours (λόγοι) de ces sophistes, objets d’admiration pour les Anciens, ont disparu, et qu’il n’en est rien resté hormis le nom de leurs auteurs, ceux de Socrate, je ne sais comment, subsistent et subsisteront en tout temps, bien que cet homme n’ait pas écrit et n’ait laissé derrière lui ni œuvres ni testament, et que même il soit mort sans avoir légué ni sa sagesse ni ses biens. Socrate, d’ailleurs, ne possédait aucun bien qui pût être confisqué par l’État, comme il arrive d’ordinaire aux condamnés : ce sont ses discours qui, de fait, ont été confisqués, non certes par ses ennemis, mais par ses amis. Et néanmoins, bien qu’aujourd’hui ces discours soient à la disposition de tous et loués de tous, bien peu sont ceux qui les comprennent et entrent dans leur secret. »2

6Que Dion ait eu à sa disposition les écrits des socratiques, c’est ce que confirme le fait qu’il peut en faire l’objet de prescriptions et de jugements d’ordre spécifiquement littéraire. Dans un passage de la lettre Sur l’apprentissage de l’éloquence, où est rédigée une sélection et un classement des auteurs les plus importants et des principaux modèles de style proposés par Dion à son correspondant, on lit en effet :

  • 3 τρέψομαι δὲ ἤδη ἐπὶ τοὺς Σωκρατικούς, οὓς δὴ ἀναγκαιοτάτους εἶναί φημι παντὶ ἀνδρὶ λόγων ἐφιεμένῳ. (...)

[3] « Je me tournerai à présent vers les socratiques, que je considère comme absolument nécessaires à quiconque s’oriente vers l’éloquence. De même en effet qu’aucun plat n’est plaisant au goût s’il manque de sel, de même, à mon avis, aucun genre littéraire ne parvient à se rendre agréable à l’audition s’il est dépourvu de la grâce socratique. »3

7Panétius, certainement sur la base d’analyses philologiques pré­cises, n’avait considérés comme authentiques que les dialogues socra­tiques de Platon, Xénophon, Antisthène et Eschine, tenant pour dou­teux ceux de Phédon et d’Euclide et rejetant tous les autres : et c’est probablement justement en raison de son jugement que les quatre plus grands socratiques avaient été pris, dans les milieux littéraires et savants, sans parler des écoles de rhétorique, comme modèles de style. Tous les quatre sont cités par Dion, qui montre par là qu’il avait une vaste et sûre connaissance de la philosophie socratique et des diverses traditions qui s’y rattachaient. Un examen des témoignages relatifs à Socrate montre cependant que ce n’est pas vers Platon que Dion s’est tourné pour tracer son image du philosophe antique. Les motifs fondateurs et les thèmes les plus caractéristiques de l’interpré­tation platonicienne – le principe fondamental selon lequel nul ne se trompe volontairement (οὐδείς ἑκὼν ἐξαμαρτάνει) ; le thème de l’ἐξετάζει entendu en un sens « aporétique » et non pas « dogmatique », c’est-à-dire comme un examen incessamment repris et non pas comme la détermination positive d’une signification objective supposée des mots ; l’idéal du διαλέγεσθαι comme μέγιστον ἀγαθόν ; la négation de la sagesse des poètes ; l’ironie ; le principe du βέλτιστος λόγος – sont, de façon significative, entiè­rement absents des Discours. Au contraire, Dion souligne une série de motifs opposés : la connaissance que possède son Socrate est positive et déterminée ; Socrate est assimilé au plus grand des poètes, Homère ; il fait preuve de sa volonté de répandre son enseignement parmi les hommes, et perd presque complètement cette atopia, qui fait partie intrinsèque de la représentation platonicienne de Socrate. Naturellement, il ne manque pas chez Dion d’échos du Socrate pla­tonicien, et il ne pourrait en être autrement, étant donné l’importance de la représentation platonicienne de Socrate dans la littérature antique, étant donné aussi que Dion fut un lecteur assidu de Platon. Ce que je voudrais souligner, c’est que si, philosophiquement, le Socrate de Dion a une consistance doctrinale et une physionomie originale précise et cohérente, c’est parce qu’il est modelé sur le Socrate d’Antisthène. La radicalité du choix de Dion ressort d’une comparaison avec son contemporain Épictète, lequel, tout en accueil­lant une image de Socrate passée, en substance, par le filtre antisthé­nien et cynique, fait une large place, au fil des pages, à la citation des textes et déclarations platoniciens bien connus, même si, à y regarder de plus près, ces textes et déclarations se révèlent soigneusement réglés sur le climat stoïcien des Diatribes.

8Xénophon est cité dans la lettre Sur l’apprentissage de l’éloquence, dans le passage relatif aux socratiques. Là, après avoir dit qu’il serait trop long de faire l’éloge de chacun d’eux, Dion déclare que les ouvrages historiques de Xénophon sont parfaitement adaptés aux buts que poursuivent les hommes politiques. Ensuite, il s’étend sur les mérites stylistiques de Xénophon, dont il est clair qu’il le tient essentielle­ment pour un historien et pour un guide à l’usage du commandant et de l’homme d’État, cependant que même son allusion aux προτρεπτικοῖς Ξενοφῶντος λόγοις n’a aucun rapport avec Socrate et s’achève sur la confession, de la part de Dion, qu’il fut ému aux larmes par le récit de tant d’actions valeureuses. Antisthène est cité de nombreuses fois dans les Discours. Le socratique, on le sait, fut l’auteur d’une production littéraire particulièrement vaste, compre­nant des traités de dialectique et de rhétorique, des ouvrages d’éthique, de politique, de critique homérique et, du point de vue formel, de nombreux λόγοι Σωκρατικοί. Cette œuvre s’impose, à l’époque impériale, dans les milieux littéraires, dans les écoles de rhé­torique, dans le sillage de la tradition cynique et peut-être surtout dans le milieu du stoïcisme. Le stoïcisme, comme nous le savons, est particulièrement intéressé à soutenir sa provenance de l’école de Socrate, et à se rattacher ainsi à Antisthène, dont la philosophie morale pleine de dignité permettait de contrebalancer l’embarrassant intermédiaire qu’était le cynisme de Diogène, tenant de thèses philo­sophiques extrémistes et source de malaise pour la Stoa. Pour la connaissance que Dion avait d’Antisthène, sont particulièrement importants 1) un passage du discours Sur Homère relatif à la distinction antisthénienne entre δόξα et ἀλήθεια, qui présuppose une connais­sance générale des écrits du philosophe sur Homère ; 2) un passage de la Harangue sur la patrie, qui restitue un fragment tiré du Cyrus ou De la Royauté ; 3) un passage du huitième discours, Diogène ou De la Vertu ; 4) un long texte compris dans le discours À Athènes, sur son exil, et cer­tains passages du troisième et du quatrième discours De la Royauté, sur lesquels nous nous arrêterons plus loin.

9De nombreux autres passages confirment que Dion avait accès à un nombre assez vaste de λόγοι Σωκρατικοί, dont la plupart ne nous ont pas été transmis ou dont la paternité ne nous est connue que de façon exceptionnelle, grâce à des traditions parallèles. C’est une tradition qu’on peut identifier comme socratique en général qu’invoque un passage du discours Sur Homère et Socrate, où est mis en lumière le fait que le magistère de Socrate comportait un contenu positif, aussi bien lorsque Socrate s’exprimait dans le λέγειν à propos des πάθη ou quand il se proposait d’en détourner (ἀποτρέπειν) les hommes. Passage précieux, entre autres choses, pour l’écho que l’on y recueille d’un débat qui n’est pas attesté dans d’autres sources, à propos de la signification et de la fonction des discours prononcés par les interlocuteurs mêmes de Socrate :

  • 4  οἱ δὲ πολλοὶ μάτην οἴονται τὰ τοιαῦτα λέγεσθαι καὶ ὄχλον ἄλλως καὶ φλυαρίαν ἡγοῦνται. Σωκράτης δὲ (...)

[4] « La plupart pensent que les paroles prononcées par ces personnages n’ont pas d’importance réelle, et ils trouvent leurs discours fastidieux et vains. Socrate au contraire, chaque fois qu’il introduisait un personnage de charlatan, pensait parler de la charlatanerie (περὶ ἀλαζονείας) ; quand c’était un homme effronté et impudent, il pensait parler de l’effronterie et de l’impudence (περὶ ἀναιδείας καὶ βδελυρίας) ; quand il donnait la parole à un homme stupide et coléreux, il cherchait à détourner les hommes de la stupidité et de la colère (ἀγνωμοσύνης καὶ ὀργῆς ἀποτρέπειν). De la même façon, dans tous les autres cas, il mettait plus clairement en lumière la vraie nature des passions et des maladies humaines en faisant parler juste-ment ceux qui en étaient affligés, sans recourir à un dévelop-pement en prose. »4

10Un passage du même discours est particulièrement important : introduisant le problème de la signification profonde qu’avait pour Socrate le choix de ses interlocuteurs, Dion y relève :

  • 5  οὐ τοίνυν οὐδὲ τοὺς περὶ Γοργίαν ἢ Πῶλον ἢ Θρασύμαχον ἢ Πρόδικον ἢ Μένωνα ἢ Εὐθύφρονα ἢ Ἄνυτον ἢ Ἀ (...)

[5] « ce n’est certes pas un hasard s’il donna la parole à Gorgias, Polos, Thrasymaque, Prodicos, Ménon, Euthyphron, Anytos, Alcibiade et Lachès, alors qu’il aurait très bien pu taire leurs noms. Mais il savait que c’était le moyen de se rendre au plus haut point utile aux hommes, s’ils le comprenaient. Car comprendre les hommes d’après leurs discours et d’après les hommes leurs discours, ce n’est facile pour personne à part les philosophes et les hommes parfaitement éduqués. »5

11Il serait certainement hâtif de conclure, du seul fait que ces noms nous sont familiers du fait de la représentation platonicienne, que Dion se réfère ici seulement à la tradition des Dialogues. Une pre­mière donnée rend difficile de penser que Prodicos doive être iden­tifié avec le sophiste présenté dans le Protagoras : c’est que le contexte invite à conclure que tous les personnages cités dans ce passage doi­vent être considérés comme les interlocuteurs principaux de Socrate dans un nombre correspondant de dialogues socratiques. En outre, il est certain que non seulement Platon, mais aussi Antisthène, Eschine et Euclide ont écrit des dialogues socratiques intitulés Alcibiade. La comparaison avec le passage sur lequel s’achève le discours permet ensuite de conclure que l’Anytos et le Ménon cités plus haut étaient, en réalité, les interlocuteurs de Socrate dans deux dialogues non pla­toniciens qui sont perdus et dont Dion a le mérite de nous avoir, pour ainsi dire, restitué les sous-titres : le premier, qui a été identifié avec un dialogue d’Antisthène, περὶ βυρσέων καὶ στυτοτόμων ; le second περὶ ἐραστῶν καὶ ἐρωμένων. De ce même passage, nous apprenons en outre le sujet de deux autres λόγοι Σωκρατικοί, connus de Dion mais perdus pour nous, auxquels rien ne répond ni dans la tradition platonicienne ni dans la tradition xénophontienne : l’un, dans lequel on parlait de récipients pour recueillir le sang des victimes et de leurs fourrures, et où l’interlocuteur de Socrate était Lysiclès ; l’autre, dans lequel on parlait de condamnations et de déla­tions, et où l’interlocuteur de Socrate était Lycon. Ces deux dialogues ont été identifiés par Dittmar et, plus récemment, par Giannantoni, comme deux dialogues d’Eschine :

  • 6  οὐ τοίνυν οὐδὲ Σωκράτης ἄλλως ἐχρῆτο τοῖς λόγοις οὐδὲ τοῖς παραδείγμασιν, ἀλλ’ Ἀνύτῳ μὲν διαλεγόμε (...)

[6] « Socrate [comme Homère] n’usait pas sans discernement des discours et des exemples, mais en conversant avec Anytos il faisait mention des tanneurs de peaux et des cordonniers ; avec Lysiclès, de récipients pour recueillir le sang des victimes et de fourrures ; avec Lycon, de condamnations et de délations ; avec Ménon le Thessalien, d’amants et des jeunes gens objets de leurs assiduités. »6

12Aussi bien Antisthène que Xénophon avaient mis l’accent sur le contenu positif des λόγοι de Socrate, entendant souligner par là à la fois le fait que la philosophie de leur maître possédait un contenu doctrinal bien précis, et la capacité effective de Socrate de conduire les hommes à la vertu. Se faisant l’écho fidèle de cette position, Dion est conduit par là à assimiler son propre magistère à celui de son maître antique. Après avoir admis qu’il répète à ses auditeurs les dis­cours mêmes de Socrate, antiques et un peu vieillis, dans l’espoir que l’autorité du philosophe le protège contre leurs moqueries ou lui évite de s’entendre traiter d’insensé, Dion continue ainsi :

  • 7  εἰ δὲ μή, ἕξω λέγειν ὅτι εἰσὶν οἱ λόγοι οὗτοι ἀνδρὸς ὃν οἵ τε Ἕλληνες ἐθαύμασαν ἅπαντες ἐπὶ σοφίᾳ (...)

[7] « Et si au contraire cela justement doit m’arriver, je pour-rai dire que ce sont là les discours d’un homme que tous les Grecs admirent pour sa sagesse et qui, surtout, fut tenu par Apollon pour le plus savant. Et même Archélaos, roi de Macé-doine, homme expert en de nombreux domaines et qui était en relation avec de nombreux savants, le convia à force de dons et de récompenses, pour pouvoir l’écouter quand il faisait de pareils discours. »7

13Comme on le voit, Dion ignore complètement l’interprétation platonicienne de l’oracle, selon laquelle Socrate est le plus savant des hommes uniquement parce que lui seul est conscient de ne pas savoir : au contraire, il insiste sur la σοφία de Socrate, et aligne par conséquent l’histoire de l’oracle sur la tradition dérivée de l’Archélaos d’Antisthène, d’après lequel c’est précisément pour sa science que Socrate fut invité à la cour du roi de Macédoine, et pourtant refusa. L’accent mis sur la σοφία de Socrate n’est pas dû au hasard, et rap­pelle un passage du discours Sur Homère et Socrate où Dion soutient qu’aussi bien le poète que le philosophe

  • 8 πὲρ τῶν αὐτῶν ἐσπουδαζέτην καὶ ἐλεγέτην, ὁ μὲν διὰ τῆς ποιήσεως, ὁ δὲ καταλογάδην· περὶ ἀρετῆς ἀνθ (...)

[8] « avaient les mêmes objectifs et parlaient des mêmes choses, l’un en vers et l’autre en prose : de la vertu et de la méchanceté des hommes, des erreurs et des actions droites, de la vérité et du mensonge, du fait que la masse n’a que des opinions alors que les sages possèdent la connaissance. »8

14Ce passage présuppose la connaissance de la théorie antisthé­nienne du σοφός, reprise par le stoïcisme. Cette théorie est fondée sur l’opposition entre δόξα et ἐπιστήμη, et donc sur l’opposition entre les hommes ordinaires, les φαῦλοι qui n’ont que des opinions, et les sages, les σπουδαῖοι, qui connaissent les vérités éthiques fon­damentales. Sur ce point, le Socrate d’Antisthène est fondamentale­ment différent du Socrate platonicien qui, dans l’Apologie, affirme qu’il n’a jamais été le maître de personne et qu’il ne possède aucune connaissance positive, et pour qui une distinction aussi nette entre sages et ignorants n’aurait pas eu de sens. Un examen des passages de Dion qui esquissent la profession de philosophie embrassée par Socrate confirment que la lecture que fait Dion de Socrate dépend de l’interprétation d’Antisthène et de Xénophon, d’où dérive cette image positive et dogmatique de la philosophie de Socrate qui sera reprise par les cyniques et surtout par les stoïciens. Socrate est présenté, d’une part, comme certain de pouvoir atteindre la vérité morale et d’être en ce sens σοφός, et d’autre part comme champion convaincu de la protreptique, de la réfutation et de la nécessité d’éduquer les hommes :

  • 9  κεῖνος (scil. Σωκράτης) γὰρ εἰς ἅπαντας δὴ λόγους καὶ πάσας διατριβὰς καθίει, καὶ πρὸς ῥήτορας κα (...)

[9] « Socrate en effet affrontait n’importe quel genre de discours et de conversation, contre les rhéteurs, les sophistes, les experts en géométrie, les musiciens, les maîtres de gymnastique et les artisans, et il n’avait aucune difficulté, dans les palestres, les banquets ou au marché, à philosopher de toute façon et à exhorter à la vertu ceux qui se trouvaient avec lui. »9

15L’aspect protreptique de l’enseignement de Socrate, qui deviendra plus tard une caractéristique du sage cynique, est amplement illustré dans les paragraphes 14-28 du discours d’Athènes sur l’exil, para­graphes pour lesquels Dion dépend, non pas du Clitophon, comme on l’a parfois écrit de façon superficielle, mais du Protreptique d’Antis­thène, qui à son tour est très probablement l’œuvre visée dans l’exorde du Clitophon, précisément dans le but de montrer que le Socrate d’Antisthène est certes capable d’exhorter les hommes à la vertu, mais pas d’expliquer ce qu’est la vertu et par conséquent de les y conduire. Dion lui-même, en introduisant le discours qu’il s’apprête à citer, affirme explicitement que ce logos n’est pas de lui et, par la formule ὡς ἔφη τις indique, quoique de façon allusive, l’auctoritas dont il dépend. L’exposition de l’allocution de Socrate, que Dion lui-même présente comme τινα λόγον ἀρχαῖον et à cause de laquelle il craint d’être lui aussi jugé ἀρχαῖος par ses auditeurs, a pour but de mettre en évidence l’attitude de Socrate vis-à-vis de la véritable éduca­tion (ἀληθινὴ παιδεία) et des principes qui doivent régir la conduite morale des hommes aussi bien dans la sphère publique que dans la sphère privée. À la fin de son exposé, Dion précise que, pour Socrate, la science morale n’a d’autre fin que les enseignements que l’on doit connaître pour devenir vertueux, et que pour cette raison il est nécessaire de se consacrer à la philosophie :

  • 10  καὶ οὕτως δὴ παρεκάλει πρὸς τὸ ἐπιμελεῖσθαι καὶ προσέχειν αὑτῷ τὸν νοῦν καὶ φιλοσοφεῖν· ᾔδει γὰρ ὅ (...)

[10] « Et en parlant de cette façon Socrate exhortait ses audi-teurs à prendre soin d’eux-mêmes, à prêter attention à ses paroles et à philosopher : car il savait que s’ils recherchaient cela, ils ne feraient rien d’autre que philosopher. Et philo-sopher n’est rien d’autre que chercher comment devenir un homme vertueux et en faire l’objet de ses aspirations. »10

16L’idée que la philosophie de Socrate avait un contenu positif est évidente dans quelques passages du troisième discours Sur la royauté, dans lesquels la parole est donnée à Socrate. Ces passages, qui même du point de vue formel sont notablement différents du reste du dis­cours, ont une base historique, en ce sens que Dion s’est fondé pour les écrire sur quelques doctrines caractéristiques du Socrate d’Antis­thène. Très probablement, les doctrines que Dion reprend ici étaient exposées dans l’Archelaos ou De la royauté. Dans ce dialogue socratique, Antisthène illustrait sa conception du bon roi en partant du refus de Socrate de se rendre chez le tyran Archélaos de Macédoine qui l’avait invité à sa cour en lui promettant cadeaux et récompenses. J’ai mon­tré ailleurs que le bref dialogue initial de Socrate avec Hippias, aux paragraphes 1-3 et 25-41, qui constitue un λόγος Σωκρατικός inséré pour ainsi dire comme un corps étranger dans le discours, est dérivé de l’Archélaos d’Antisthène. Ce dialogue est plein de termes tech­niques, de thèmes et de concepts caractéristiques du socratique. Mais, ce qui est encore plus important, l’opposition même entre roi et tyran qui est au centre de ce λόγος Σωκρατικός, est fondée sur les doctrines logico-linguistiques d’Antisthène. Antisthène avait dit que de toute chose il n’existe qu’un seul et unique discours définitionnel, l’οἰκεῖος λόγος, à savoir, ce discours qui, en exprimant la qualité (ποῖον τί ἐστι) appartenant en propre et exclusivement à l’objet en question, l’identifie et le définit, alors que le discours qui échoue à recueillir cette note caractéristique lui reste parfaitement étranger (ἀλλότριος). Appliquant cette théorie aux concepts moraux, Antisthène démontrait que n’est pas roi (βασιλεύς) celui qui l’est de fait, en tant qu’il est revêtu des insignes conventionnels du pouvoir, mais celui qui l’est de droit, dans la mesure où lui reviennent des attributs bien précis, parties intégrantes de la notion même de royauté (βασιλεία), à l’exclusion absolue de tous les attributs qui contredisent ou violent la cohérence logique du concept. De ce point de vue, que Dion fait sien, un individu ne peut être appelé roi, sans qu’il s’ensuive une contradiction intolérable entre le nom et la chose, que s’il est tempérant, courageux, juste et sage ; s’il est d’un caractère noble et respectueux des lois ; s’il prend soin du bien-être de ses sujets et s’il fait passer leur intérêt avant le sien propre. Au contraire, quiconque est licencieux, mène une vie déréglée, évite tout effort, même en vue d’un plaisir, se sert de ses subordonnés pour satisfaire sa convoitise ; quiconque est lâche, insensé, esclave de ses passions ; quiconque n’est pas maître de soi et ne respecte pas la loi, celui-là n’a aucun pouvoir – il faut noter que Dion ne dit pas qu’il dispose d’aucun pouvoir – et pour cette raison doit être dit τύραννος et non pas βασιλεύς.

17Le Socrate présenté dans ces paragraphes n’est donc pas un simple modèle littéraire, et encore moins une pure invention. Au contraire, telle est ma thèse, c’est un modèle philosophique dérivé de doctrines éthico-politiques qui étaient caractéristiques du Socrate d’Antisthène et que Dion pouvait facilement trouver dans les dialogues socratiques de ce dernier. Les raisons de ce choix ne sont pas seulement théo­riques ; elles renvoient aux motivations de l’activité littéraire et poli­tique de Dion dans les dernières années du Ier siècle et les premières du IIe. Le Socrate d’Antisthène était porteur d’une approche éthique et rationnelle de la politique et, en même temps, d’une série de dis­tinctions conceptuelles, de motifs théoriques, de notions et de termes techniques qui offraient une base solide à la construction par Dion de sa théorie de la royauté, exposée d’une manière plus diffuse dans la deuxième partie du troisième discours. Mais surtout, le Socrate d’Antisthène était essentiel à Dion pour élaborer, dans la période qui correspond aux règnes de Nerva et de Trajan, sa théorie du philosophe comme conseiller du prince. On a un clair témoi­gnage du fait que Dion reconnaissait et insistait sur cette relation dans le fait que les doctrines et les distinctions politiques exposées dans la deuxième partie du discours sont présentées comme conformes à l’enseignement de οἱ μετὰ Σωκράτην.

18Le deuxième trait distinctif du Socrate présenté par Dion, à savoir, son assimilation à Homère, qui pour être catégorique n’en est pas moins singulière, devient parfaitement claire dans ce contexte. Ce que Dion lui-même écrit dans son discours Sur Homère est éclairant à ce propos. Dion oppose les deux grands courants de pensée qui se sont constitués dans la philosophie antique autour de l’évaluation de la poésie homérique. D’un côté il y a Platon, qui condamne Homère sans réserve, fondamentalement pour des raisons morales qui concernent surtout la représentation des dieux, et à cause des thèmes inconvenants et des contradictions que l’on peut relever dans le texte d’Homère. De l’autre côté il y a Antisthène et les stoïciens, qui cher­cheront à expliquer et à justifier les contenus de la poésie homé­rique qui pouvaient paraître obscurs, contradictoires ou inaccep­tables, afin d’utiliser Homère à l’appui de leurs théories philoso­phiques. Bien que, d’une manière élégante et dissimulatrice, dans le sens socratique du terme, Dion observe qu’il est difficile d’arbitrer une querelle entre deux hommes qu’il aime pareillement, la plus grande partie de son œuvre montre clairement qu’il s’est rallié sans équivoque à cette seconde tradition. En faisant ce choix, en outre, il en vient à faire par­tie de ce nombre restreint de philosophes qui, dans l’Antiquité, furent en mesure d’opérer une distinction claire et consciente entre Socrate et Platon, et dont l’intention était de recons­truire et de rééva­luer un Socrate dont les idées, sur certains points théoriques déter­minants, non seulement ne coïncidaient pas avec celles de Platon, mais en différaient profondément.

III

19À la lumière de cette reconstruction de la présence de Socrate chez Dion, il est possible de rendre compte d’une série d’éléments textuels et de problèmes qui ont été jusqu’à présent négligés et insuf­fisamment expliqués. Si l’on s’en tient aux quatre discours Sur la Royauté, on observe une distinction évidente, du point de vue litté­raire, entre le troisième, dont l’exorde donne la parole à Socrate, et le quatrième, dont le protagoniste est Diogène. La présence de ces deux philosophes dans un groupe d’œuvres fondamentalement homo­gènes, même si elles ont été composées dans des périodes légère­ment différentes, peut s’expliquer par le fait que l’influence d’Antis­thène est clairement discernable aussi dans le quatrième discours, et qu’Antisthène fut comme on sait non seulement disciple de Socrate mais aussi, selon la tradition antique, le maître de Diogène. Pour être précis, l’influence d’Antisthène est visible dans deux thèmes centraux du quatrième discours Sur la Royauté : la doctrine de la « double édu­cation (διττή παιδεία) » et le motif connexe du κάλλιστα βασιλεύειν. Ces deux thèmes découlent du principe de l’unité de signification des noms et de l’interprétation restrictive des concepts moraux liée à la théorie de l’οἰκεῖος λόγος, principe et interpréta­tion qui furent propres à Antisthène et qui sont mis clairement en évidence dans le passage suivant :

  • 11  Ἀλλ’ οὐδὲ ἔστιν, ἔφη, βασιλεύειν κακῶς οὐ μᾶλλον ἢ κακῶς ἀγαθὸν εἶναι. γὰρ βασιλεὺς ἀνθρώπων ἄρι (...)

[11] « Mais il n’est pas possible, dit-il, de régner de mauvaise façon. En effet, le roi est le meilleur des hommes, parce qu’il est le plus courageux, le plus juste, le plus aimant de ses sem­blables, insensible à toute douleur et à tout désir. Ou bien crois-tu, toi, que celui qui est incapable de conduire les che­vaux soit cocher ? Ou que celui qui est inexpert dans l’art du pilotage soit pilote, ou que soit médecin celui qui ne sait pas soigner ? Ce n’est pas possible, même si tous les Grecs et tous les barbares le disent et lui confèrent maints diadèmes, sceptres et tiares. […] De même, donc, qu’il n’est pas possible de piloter d’une façon non conforme à l’art du pilote, de même il n’est pas non plus possible de régner d’une façon qui ne soit pas conforme à la notion de royauté. »11

20Le lien ainsi établi entre socratisme et cynisme apporte une justi­fication supplémentaire et plus profonde à la confusion, dans les discours de Dion, entre Socrate et Diogène, en suggérant qu’il s’agit de quelque chose de plus qu’un simple choix rhétorico-littéraire, et au fait, souvent remarqué, que sont parfois attribuées à Diogène lui-même des doctrines qui ne lui appartiennent pas mais sont de pro­venance antisthénienne. Structural chez Dion, le lien entre socratisme et cynisme est établi avec clarté dans un discours qui est probablement antérieur au quatrième discours Sur la Royauté, dans un passage très particulier qui n’a jusqu’à présent pas reçu d’explication suffisante. Ce passage constitue l’exorde du huitième discours Diogène, ou Sur la Tyrannie :

  • 12  Διογένης ὁ Σινωπεὺς ἐκπεσὼν ἐκ τῆς πατρίδος, οὐδενὸς διαφέρων τῶν πάνυ φαύλων Ἀθήναζε ἀφίκετο, καὶ (...)

[12] « Quand Diogène fut banni de sa Sinope natale, il vint à Athènes, ne différant en rien des personnes les plus pauvres, et là il trouva, encore nombreux, les compagnons de Socrate : Platon, Aristippe, Eschine, Antisthène et Euclide de Mégare ; Xénophon, au contraire, était en exil, à cause de sa campagne à la suite de Cyrus. Bientôt cependant il se mit à les mépriser tous, à l’exception d’Antisthène, qu’il fréquentait moins parce qu’il approuvait l’homme lui-même que parce qu’il appréciait les discours qu’il faisait : il les tenait en effet pour les seuls vrais, et surtout pour les seuls capables d’être utiles à l’homme. »12

21Dans ce passage, Dion affirme à tort que la raison de l’exil de Xénophon fut sa participation à l’expédition de Cyrus le Jeune contre son frère Artaxerxès. Ce faisant, il anticipe de cinq ans l’exil de Xénophon. En réalité, comme on sait, Xénophon fut banni d’Athènes à cause de son activité morale et politique en faveur de Sparte et, plus précisément, à cause de sa participation à la bataille de Coronée en 394 avant J. C. Son exil dura jusqu’à 365 av. J. C., année de son retour à Athènes. En faisant arriver Diogène à Athènes avant cette date, Dion donne une parfaite crédibilité à sa rencontre avec Antisthène, puisqu’Antisthène était encore vivant en 366 av. J. C. Dion s’aligne ainsi sur la tradition, commune dans l’antiquité et particuliè­rement accréditée par le cynisme et par le stoïcisme, qui, en asso­ciant Diogène et Antisthène, soulignait à la fois l’origine socratique du cynisme et, par voie de conséquence, l’influence cynique, et donc socratique, sur le stoïcisme. Que la stratégie de Dion soit délibérée, et même réfléchie, c’est ce que confirment deux détails. D’une part, Dion va jusqu’à supposer une rencontre directe entre Diogène et tous les disciples de Socrate, qu’il tient à énumérer. C’est là quelque chose d’unique dans toute notre tradition. D’autre part, il prend soin de souligner la différence entre Diogène et Antisthène, tout en met­tant en lumière le fait que Diogène admirait l’activité littéraire d’Antis­thène, ce qui est exactement ce que nous modernes considérons, ou devrions considérer, comme certain. Socratisme et cynisme sont ainsi étroitement liés mais, comme en témoignent de nombreux pas­sages du discours qui insistent sur la vocation éminemment pratique de la philosophie de Diogène et sur son rigorisme, ils sont aussi soi­gneusement distingués.

IV

22L’enquête menée au cours de ce travail conduit inévitablement à se demander quelle appréciation doit être donnée du rapport de Dion avec la philosophie, si toutefois l’on admet que ce rapport pré­sente un réel caractère organique et une réelle cohérence. Pour Zeller et pour les spécialistes qui, après lui, ont pris en considération son aspect philosophique, généralement négligé, Dion était un éclec­tique. Aussi insatisfaisante, impropre et générale que cette définition puisse paraître aujourd’hui, on doit admettre que Dion ne peut d’aucune façon être considéré comme un penseur systématique – comme du reste beaucoup d’autres personnalités appartenant à la période impériale – ou un philosophe qui appartiendrait pleinement à une école philosophique déterminée. Ce que, à la fin de cette recherche, je voudrais suggérer, c’est que la présence de Socrate, accueilli à travers le filtre de la tradition antisthénienne, et l’associa­tion qui s’ensuit entre socratisme et cynisme, association évidente dans de nombreux ouvrages de Dion, sont un des éléments, et peut-être non le moindre, qui permet de parler d’une profession philoso­phique de Dion. Les Anciens aussi ont discuté à propos de la profes­sion philosophique qu’on peut attribuer à Dion. Plus que le jugement de Synésius, qui rattachait Dion au stoïcisme mais en le limitant à l’éthique, il peut valoir la peine de rappeler un témoignage de Fronton, utilisé en son temps par Momigliano pour revendiquer contre Synésius (et contre von Arnim) la réalité d’une formation phi­losophique de Dion dès ses années de jeunesse. Dans une lettre adressée à Marc Aurèle, Fronton propose à son impérial disciple, pris d’enthousiasme pour Épictète que le rhéteur juge incuriosus, une sélection de modèles plus riche et plus réfléchie. Il s’agit de quatre intellectuels, aussi fameux comme philosophes que comme maîtres de style, tous élèves du stoïcien Musonius Rufus : Euphrate, Dion, Timocrate et Athénodote. Ceux-là constituent, selon Fronton, l’équi­valent moderne de quatre grands philosophes et grands lettrés du passé, tous disciples de Socrate : Xénophon, Antisthène, Eschine et Platon. Vu sous cet angle, Socrate, père de la philosophie morale grecque, est à Musonius Rufus, père du renouveau du stoïcisme à Rome, ce que sont les socratiques lettrés d’antan aux stoïciens raffi­nés d’aujourd’hui, ou – si le parallèle vaut aussi entre les membres de la série pris séparément – ce qu’est Antisthène à son moderne émule, Dion. Dans l’intention de Fronton, cette construction devait justifier la synthèse d’eloquentia et de philosophia en laquelle il croyait et qu’il mettait à la base de son programme culturel. Le retour documenté opéré par Dion à Socrate et à la tradition socratique et cynique, en même temps qu’il permet de donner une signification plus dense et plus précise au témoignage de Fronton, invite à réfléchir sur la com­plexité des trames littéraires et intellectuelles qui, bien réélaborées et assimilées, tantôt manifestes, tantôt cachées, sont à l’arrière-plan des discours de Dion.

Note bibliographique

Les citations des œuvres de Dion sont tirées de l’édition publiée dans la Loeb Classical Library, avec une traduction anglaise, de J.W. Cohoon et H. Lamar Crosby, Dio Chrysostom, 5 vol. , Cambridge (Mass.)-London, 1932-1951. Les éditions cri­tiques de H. von Arnim (Dionis Prusaensis quem vocant Chrysostomum quae extant omnia, 2 vol. , Ber-lin, 1893-1896) et de G. de Budé (Dionis Chrysostomi orationis, Leipzig, 1916-1919) sont très importantes pour l’établissement du texte de Dion. L’étude classique sur Dion de Pruse est celle de H. von Arnim, Leben und Werke des Dio von Prusa, Berlin, 1898. Les travaux de référence les plus récents sont ceux de P. Desideri, Dione di Prusa. Un intellettuale greco nell’impero romano, Firenze-Messina, 1978, et de C.P. Jones, The Roman World of Dio Chrysostom, Cambridge (Mass.)-London, 1978, tous deux d’ordre historico-politique. Pour la fortune de Dion, de l’Antiquité jusqu’au seuil de l’époque moderne, et pour le débat sur les rapports entre philosophie et rhétorique, je me permets de renvoyer à A. Brancacci, Rhetorike philosophousa. Dione Crisostomo nella cultura antica e bizantina, Napoli, 1985. La réception de Dion, de l’humanisme à nos jours, est brièvement mais efficacement retracée par S. Swain dans le chapitre d’introduction du volume Dio Chrysostom. Politics, Letters and Philosophy, Oxford University Press, 2000, pp. 13-50. Pour s’orienter dans l’immense littérature critique sur Dion, les bibliographies publiées en appendice aux volumes de Desideri, Jones et Swain sont très utiles. An Index to Dio Chrysostomus, compiled by R. Koolmeister and T. Tallmeister, edited by J.F. Kinstrand, Uppsala, 1981, est un ins­trument de travail indispensable.

Les relations de Dion avec le Cynisme ont fait l’objet de travaux nombreux et importants, parmi lesquels il faut mentionner au moins : E. Weber, « De Dione Chrysostomo Cynicorum sectatore », Leipziger Studien für classische Philologie, x, 1887, pp. 77-268 ; C. Hahn, De Dionis Chrysostomi orationibus quae inscribuntur Diogenes, Göttingen, 1896 ; K. Joël, Der echte und der xenophontische Sokrates, 2 vol. , Berlin, 1893-1901 ; H. Maier, Sokrates. Sein Werk und seine geschichtliche Stellung, Tübingen, 1913 ; K. von Fritz, Quellenuntersuchungen zu Leben und Philosophie des Diogenes von Sinope, coll. « Philologus », Suppl. Bd. 18, 2, Leipzig, 1926 ; R. Höistad, Cynic hero and Cynic King. Studies in the Cynic Conception of Man, Uppsala, 1948. Parmi les travaux plus récents, je rappelle : A. Brancacci, « Tradizione cinica e problemi di datazione nelle ora­zioni diogeniane di Dione di Prusa », Elenchos, i, 1980, pp. 92-122 ; Id., « Cinismo e predicazione popolare », in G. Cambiano, L. Canfora, D. Lanza (eds.), Lo spazio letterario della Grecia antica, vol. i : La produzione e la circolazione del testo, t. iii : I Greci e Roma, Roma, 1993, pp. 433-455 ; F. Jouan, « Le Diogène de Dion Chrysostome », in M.-O. Goulet-Cazé et R. Goulet (eds.), Le Cynisme ancien et ses prolongements, Paris, 1993, pp. 381-397. Un tableau d’ensemble de la position philosophique de Dion Chrysostome a été tracé par L. François, Essai sur Dion Chrysostome, philosophe et moraliste stoïcien, Paris, 1921. J.L. Moles a consacré plusieurs articles à la personnalité intellectuelle de Dion, au nombre desquels je rappelle « The Career and Conversion of Dio Chrysostom », Journal of Hellenic Studies, xcviii (1978), pp. 79-100. Pour l’aspect littéraire, cf. D.A. Russell, Dio Chrysostom. Orations vii, xii, xxxvi, Cambridge, 1992. L’intérêt de Dion pour Homère a été étu­dié par J.F. Kindstrand, Homer in der Zweiten Sophistik, Uppsala, 1973.

Les sources antiques relatives à Socrate et aux socratiques ont été rassemblées par G. Giannantoni, Socratis et Socraticorum reliquiae, 4 vol. , Napoli, 1990 (« Elenchos », xviii). Sur Antisthène, cf. A. Brancacci, Oikeios logos. La filosofia del linguaggio di Antistene, Napoli, 1990 (« Elenchos », xx). Sur Socrate et les socratiques, cf. G. Giannantoni et M. Narcy (eds.), Lezioni socratiche, Napoli, 1997 (« Elenchos », xxvi). Sur la présence de Socrate dans la culture de l’époque impériale, cf. K. Döring, Exemplum Socratis. Studien zur Sokratesnachwirkung in der kynisch-stoischen Popularphilosophie der frühen Kaiserzeit und im frühen Christentum, (« Hermes Einzelschriften », xlii), Wiesbaden, 1979.

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Notes

1  οὐδὲ τοὺς λόγους αὐτὸς κατέλιπε γράψας, καὶ ταύτῃ γε ὑπερέβαλε τὸν Ὅμηρον. σπερ γὰρ τὸ ὄνομα τὸ ἐκείνου παρ’ ἑτέρων ἀκούοντες ἴσμεν, οὕτω καὶ τοὺς λόγους τοὺς Σωκράτους ἄλλων καταλιπόντων (Dion Chrysost. orat. lv 8 = SSR i C 444)

2 λλὰ δὴ τῶν μὲν θαυμαζομένων ἐκείνων σοφιστῶν ἐκλελοίπασιν οἱ λόγοι καὶ οὐδὲν ἢ τὰ ὀνόματα μόνον ἔστιν· οἱ δὲ τοῦ Σωκράτους οὐκ οἶδ’ ὅπως διαμένουσι καὶ διαμενοῦσι τὸν ἅπαντα χρόνον, τούτου δὲ αὐτοῦ γράψαντος ἢ καταλιπόντος οὔτε σύγγραμμα οὔτε διαθήκας. τελεύτα γὰρ ὁ ἀνὴρ ἀδιάθετος τήν τε σοφίαν καὶ τὰ χρήματα. ἀλλὰ οὐσίαν μὲν οὐκ εἶχεν, ὥστε δημευθῆναι, καθάπερ εἴωθε γίγνεσθαι ἐπὶ τῶν καταδικασθέντων· οἱ λόγοι δὲ τῷ ὄντι ἐδημεύθησαν μὰ Δί’ οὐχ ὑπ’ ἐχθρῶν, ἀλλὰ ὑπὸ τῶν φίλων· οὐδὲν μέντοι ἧττον καὶ νῦν φανερῶν τε ὄντων καὶ τιμωμένων ὀλίγοι ξυνιᾶσι καὶ μετέχουσιν. (Dion Chrysost. orat. liv 4 = SSR i C 427)

3 τρέψομαι δὲ ἤδη ἐπὶ τοὺς Σωκρατικούς, οὓς δὴ ἀναγκαιοτάτους εἶναί φημι παντὶ ἀνδρὶ λόγων ἐφιεμένῳ. σπερ γὰρ οὐδὲν ὄψον ἄνευ ἁλῶν γεύσει κεχαρισμένον, οὕτως λόγων οὐδὲν εἶδος ἔμοιγε δοκεῖ ἀκοῇ προσηνὲς ἂν γενέσθαι χάριτος Σωκρατικῆς ἄμοιρον. (Dion Chrysost. orat. xviii 13 = SSR i H 24).

4  οἱ δὲ πολλοὶ μάτην οἴονται τὰ τοιαῦτα λέγεσθαι καὶ ὄχλον ἄλλως καὶ φλυαρίαν ἡγοῦνται. Σωκράτης δὲ ἐνόμιζεν, ὁσάκις μὲν ἀλαζόνα ἄνθρωπον εἰσάγει, περὶ ἀλαζονείας λέγειν· ὁπότε δὲ ἀναίσχυντον καὶ βδελυρόν, περὶ ἀναιδείας καὶ βδελυρίας· ὁπότε δὲ ἀγνώμονα καὶ ὀργίλον, ἀγνωμοσύνης καὶ ὀργῆς ἀποτρέπειν. καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων ὁμοίως τὰ πάθη καὶ τὰ νοσήματα ἐπ’ αὐτῶν τῶν ἀνθρώπων τῶν ἐχομένων τοῖς πάθεσιν ἢ τοῖς νοσήμασι σαφέστερον ἐδείκνυεν ὁποῖά ἐστιν ἢ εἰ τοὺς λόγους ψιλοὺς ἔλεγε. (Dion Chrysost. orat. lv 13 = SSR i C 444)

5  οὐ τοίνυν οὐδὲ τοὺς περὶ Γοργίαν ἢ Πῶλον ἢ Θρασύμαχον ἢ Πρόδικον ἢ Μένωνα ἢ Εὐθύφρονα ἢ Ἄνυτον ἢ Ἀλκιβιάδην ἢ Λάχητα μάτην ἐποίει λέγοντας, ἐξὸν ἀφελεῖν τὰ ὀνόματα· ἀλλὰ ᾔδει τούτῳ καὶ μάλιστα ὀνήσων τοὺς ἀκούοντας, εἴ πως ξυνεῖεν· ἀπὸ γὰρ τῶν λόγων τοὺς ἀνθρώπους καὶ ἀπὸ τῶν ἀνθρώπων τοὺς λόγους ξυνορᾶν οὐ ῥᾴδιον ἄλλοις ἢ τοῖς φιλοσόφοις καὶ τοῖς πεπαιδευμένοις. (Dion Chrysost. orat. lv 12 = SSR i C 444).

6  οὐ τοίνυν οὐδὲ Σωκράτης ἄλλως ἐχρῆτο τοῖς λόγοις οὐδὲ τοῖς παραδείγμασιν, ἀλλ’ Ἀνύτῳ μὲν διαλεγόμενος βυρσέων ἐμέμνητο καὶ σκυτοτόμων. εἰ δὲ Λυσικλεῖ διαλέγοιτο, ἀμνίων καὶ κωδίων· Λύκωνι δὲ δικῶν καὶ συκοφαντημάτων, Μένωνι δὲ τῷ Θετταλῷ περὶ ἐραστῶν καὶ ἐρωμένων. (Dion Chrysost. orat. lv 22 = SSR vi A 68 partim = Eschine fr. 27 Dittmar)

7  εἰ δὲ μή, ἕξω λέγειν ὅτι εἰσὶν οἱ λόγοι οὗτοι ἀνδρὸς ὃν οἵ τε Ἕλληνες ἐθαύμασαν ἅπαντες ἐπὶ σοφίᾳ καὶ δὴ καὶ ὁ Ἀπόλλων σοφὸν αὐτὸν ἡγήσατο. καὶ Ἀρχέλαος Μακεδόνων βασιλεύς, πολλὰ εἰδὼς καὶ πολλοῖς συγγεγονὼς τῶν σοφῶν, ἐκάλει αὐτὸν ἐπὶ δώροις καὶ μισθοῖς, ὅπως ἀκούοι αὐτοῦ διαλεγομένου τοὺς λόγους τούτους. (Dion Chrysost. orat. xiii 30 = SSR i C 112).

8 πὲρ τῶν αὐτῶν ἐσπουδαζέτην καὶ ἐλεγέτην, ὁ μὲν διὰ τῆς ποιήσεως, ὁ δὲ καταλογάδην· περὶ ἀρετῆς ἀνθρώπων καὶ κακίας καὶ περὶ ἁμαρτημάτων καὶ κατορθωμάτων καὶ περὶ ἀληθείας καὶ ἀπάτης καὶ ὅπως δοξάζουσιν οἱ πολλοὶ καὶ ὅπως ἐπίστανται οἱ φρόνιμοι. (Dion Chrysost. orat. lv 9 = SSR i C 444)

9  κεῖνος (scil. Σωκράτης) γὰρ εἰς ἅπαντας δὴ λόγους καὶ πάσας διατριβὰς καθίει, καὶ πρὸς ῥήτορας καὶ πρὸς σοφιστὰς καὶ πρὸς γεωμέτρας καὶ μουσικοὺς καὶ παιδοτρίβας καὶ τοὺς ἄλλους δημιουργούς, καὶ ἐν παλαίστραις καὶ ἐν συμποσίοις καὶ ἐν ἀγορᾷ οὐκ ἐκωλύετο ἐξ ἅπαντος τρόπου φιλοσοφεῖν καὶ προτρέπειν ἐπ’ ἀρετὴν τοὺς συνόντας (Dion Chrysost. orat. lx 10 = SSR i C 428).

10  καὶ οὕτως δὴ παρεκάλει πρὸς τὸ ἐπιμελεῖσθαι καὶ προσέχειν αὑτῷ τὸν νοῦν καὶ φιλοσοφεῖν· ᾔδει γὰρ ὅτι τοῦτο ζητοῦντες οὐδὲν ἄλλο ποιήσουσιν ἢ φιλοσοφήσουσι. τὸ γὰρ ζητεῖν καὶ φιλοτιμεῖσθαι ὅπως τις ἔσται καλὸς καὶ ἀγαθὸς οὐκ ἄλλο τι εἶναι ἢ τὸ φιλοσοφεῖν. (Dion Chrysost. orat. xiii 28 = SSR v A 208)

11  Ἀλλ’ οὐδὲ ἔστιν, ἔφη, βασιλεύειν κακῶς οὐ μᾶλλον ἢ κακῶς ἀγαθὸν εἶναι. γὰρ βασιλεὺς ἀνθρώπων ἄριστός ἐστιν, ἀνδρειότατος ὢν καὶ δικαιότατος καὶ φιλανθρωπότατος καὶ ἀνίκητος ὑπὸ παντὸς πόνου καὶ πάσης ἐπιθυμίας. σὺ οἴει τὸν ἀδύνατον ἡνιοχεῖν ἡνίοχον εἶναι τοῦτον ; τὸν ἄπειρον τοῦ κυβερνᾶν κυβερνήτην, ἢ τὸν οὐκ ἐπιστάμενον ἰᾶσθαι ἰατρόν ; οὐκ ἔστιν. οὐδ’ ἂν πάντες φῶσιν Ἕλληνες καὶ βάρβαροι καὶ πολλὰ διαδήματα καὶ σκῆπτρα καὶ τιάρας […] καθάπερ οὖν οὐκ ἔστι κυβερνᾶν μὴ κυβερνητικῶς, οὕτως οὐδὲ βασιλεύειν μὴ βασιλικῶς (Dion Chrysost. orat. iv 24-25 = SSR v B 582).

12  Διογένης ὁ Σινωπεὺς ἐκπεσὼν ἐκ τῆς πατρίδος, οὐδενὸς διαφέρων τῶν πάνυ φαύλων Ἀθήναζε ἀφίκετο, καὶ καταλαμβάνει συχνοὺς ἔτι τῶν Σωκράτους ἑταίρων· καὶ γὰρ Πλάτωνα καὶ Ἀρίστιππον καὶ Αἰσχίνην καὶ Ἀντισθένην καὶ τὸν Μεγαρέα Εὐκλείδην· Ξενοφῶν δὲ ἔφευγε διὰ τὴν μετὰ Κύρου στρατείαν. τῶν μὲν οὖν ἄλλων ταχὺ κατεφρόνησεν, Ἀντισθένει δὲ ἐχρῆτο, οὐκ αὐτὸν οὕτως ἐπαινῶν ὡς τοὺς λόγους οὓς ἔλεγεν, ἡγούμενος μόνους εἶναι ἀληθεῖς καὶ μάλιστα δυναμένους ἄνθρωπον ὠφελῆσαι. (Dion Chrysost. orat viii 1 = SSR v B 584).

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Pour citer cet article

Référence papier

Aldo Brancacci, « Le Socrate de Dion Chrysostome »Philosophie antique, 1 | 2001, 167-182.

Référence électronique

Aldo Brancacci, « Le Socrate de Dion Chrysostome »Philosophie antique [En ligne], 1 | 2001, mis en ligne le 23 juin 2024, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/philosant/8118 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11vsu

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Auteur

Aldo Brancacci

Université Tor Vergata, Rome

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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