Liminaire
Texte intégral
1Ce n’est pas tout à fait un hasard si le premier numéro de Philosophie antique est entièrement dédié à Socrate ou, pour être plus prudent, à plusieurs des figures qu’il a prises ou qui lui ont été données au cours de l’histoire. 2001, l’année de naissance du premier périodique français spécialement consacré à la philosophie de l’Antiquité, est aussi celle du vingt-quatrième centenaire de la mort de Socrate : même si cet événement n’est pas aussi fondateur qu’on s’est parfois plu à le croire, il n’est pas inopportun, pour une revue dont l’ambition affichée est de manifester la vitalité des études de philosophie ancienne en France, d’associer ainsi notre pays aux commémorations du maître de Platon qui auront eu lieu en d’autres contrées.
- 1 Socratis et Socraticorum reliquiae, collegit, disposuit, apparatibus notisque instruxit Gabriele G (...)
2L’ensemble des contributions à ce numéro est issu des rencontres organisées, au cours des années 1998-2000, dans le cadre du Programme International de Coopération Scientifique (PICS) « Figures de Socrate », dont les initiateurs furent le regretté Gabriele Giannantoni (Université La Sapienza – Centro di Studio del Pensiero Antico, Rome) et moi-même, et auquel fut associé Alonso Tordesillas (Université de Provence Aix-Marseille I). G. Giannantoni, il est bien inutile de le rappeler, était la figure centrale des études socratiques ; de ces études, après l’immense travail dont les Socratis et Socraticorum reliquiae1 sont le fruit, ce programme aurait dû et pu, sous son impulsion, marquer le renouveau. Outre qu’elle affecta naturellement la participation romaine, sa disparition prématurée au mois de décembre 1998 empêcha certainement le programme « Figures de Socrate » de tenir toutes ses promesses. Il n’en fut pas moins mené à son terme et suscita suffisamment d’intérêt pour bénéficier, comme en témoignent les études ici rassemblées, d’une large participation internationale.
- 2 Cf. G. Giannantoni, Che cosa ha veramente detto Socrate, Roma, Ubaldini, 1971.
- 3 Lezioni socratiche, a cura di Gabriele Giannantoni e Michel Narcy, Napoli, Bibliopolis (« Elenchos (...)
3Depuis la moitié environ du siècle dernier (entendons le XXe), la critique historique semblait avoir abouti définitivement à des résultats négatifs quant à la possibilité d’une connaissance de Socrate et de sa philosophie. G. Giannantoni, comme on le sait, se distingua par son refus de céder à ce pessimisme, au point d’oser consacrer un volume à Socrate dans une série intitulée « Ce qu’a vraiment dit… »2. Aussi n’y a-t-il pas à s’étonner qu’il fût à l’initiative, tout d’abord de la collaboration qui produisit les Lezioni socratiche3, puis du programme « Figures de Socrate » dont les principaux résultats sont publiés ici : deux publications qui ont pour ambition d’ouvrir des voies nouvelles dans la recherche sur Socrate sans se laisser intimider par les conclusions négatives de la critique historique. La valeur, en effet, des témoignages dont nous disposons ne saurait être mesurée à leur seule historicité : si mince que soit la possibilité d’atteindre à travers eux le Socrate historique, ces témoignages nous livrent en tout cas la figure, ou mieux, la diversité des visages de Socrate retenus par les Anciens, visages multiples qui n’ont pas moins contribué que le Socrate historique lui-même à façonner l’histoire ultérieure de la philosophie. Diversité qui n’a évidemment fait que s’amplifier au cours de l’histoire, cependant que le personnage, ou plutôt l’interprétation du personnage de Socrate, devenait, suivant les époques et les lieux, le prétexte ou l’instrument d’attaques ou de défenses de la philosophie, l’illustration de ses mérites ou de ses dangers.
4Personnage perpétuellement en procès, Socrate se prête ainsi on ne peut mieux à illustrer le programme de Philosophie antique, tel que le résume le sous-titre de la revue : « Problèmes, renaissances, usages ». À supposer même, en effet, que la « question socratique » doive être tenue pour définitivement insoluble et que nous n’ayons jamais affaire qu’à des images d’un original effacé sous ses représentations, reste à comprendre et si possible à faire l’histoire du milieu socratique et de la concurrence que se livrèrent les disciples, à qui saurait imposer son image du maître. Impossible, évidemment, dans la variété des interprétations qui virent ainsi le jour parmi les élèves mêmes de Socrate, de distinguer l’attachement à sa mémoire, source du désir de prolonger ou faire renaître son enseignement, et l’utilisation de son personnage, comme on le voit clairement chez Platon, à des fins d’exposition philosophique personnelle ; impossible, à plus forte raison encore, évidemment, d’opérer pareille distinction chez tous ceux à qui, au fil des temps et pour les raisons les plus diverses, vint l’idée de rappeler le souvenir du philosophe au nez camus : dans le destin philosophique de Socrate, renaissance et usage sont indissociables.
Notes
1 Socratis et Socraticorum reliquiae, collegit, disposuit, apparatibus notisque instruxit Gabriele Giannantoni, Napoli, Bibliopolis (« Elenchos » 18), 4 vol. , 1990 (couramment cité sous le sigle SSR).
2 Cf. G. Giannantoni, Che cosa ha veramente detto Socrate, Roma, Ubaldini, 1971.
3 Lezioni socratiche, a cura di Gabriele Giannantoni e Michel Narcy, Napoli, Bibliopolis (« Elenchos » 26), 1997.
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Référence papier
Michel Narcy, « Liminaire », Philosophie antique, 1 | 2001, 9-10.
Référence électronique
Michel Narcy, « Liminaire », Philosophie antique [En ligne], 1 | 2001, mis en ligne le 25 juin 2024, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/philosant/8095 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11vsn
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