Navigation – Plan du site

AccueilNuméros1Socrate dans la littérature de l’...

Socrate dans la littérature de l’ancien
et du moyen stoïcisme

Francesca Alesse
Traduction de Michel Narcy
p. 119-135

Résumés

Pour souligner leur filiation socratique, les stoïciens composèrent des écrits – dialogues, recueils de sentences ou « mémorables » – inspirés de la littérature socratique ancienne, ou citèrent des mots de Socrate dans leurs propres traités moraux. Parmi leurs sources, il faut mentionner, outre, naturellement, Xénophon, les dialogues de Platon, mais aussi ceux d’Antisthène et d’Eschine de Sphettos ; des courants mineurs de la littérature socratique ancienne : Phédon, Simon ; des exemples de littérature socratique postérieure, en parti­culier Diogène de Sinope et Cratès de Thèbes.

Haut de page

Texte intégral

Cette communication résume un chapitre d’un travail plus vaste, consacré à la question des rapports entre stoïcisme et socratisme (Alesse 2000).

Introduction

  • 1  Pour Socrate dans les sources stoïciennes : SSR i c 504-549 = Giannantoni 1990, vol. i, p. 190 sqq (...)
  • 2  Cf. Sud. s.v. Ζήνων n. 78 = S.S.R. i c 505 et Sud. s.v. Θέων n. 204 = SSR i c 505.
  • 3  Cf. surtout Riley 1980, p. 55 sqq., Kleve 1983, p. 228 sqq. ; pour Hiéronymos et Aristoxène, cf. S (...)
  • 4  D.L. vii 166 = SVF i 409.
  • 5  Cicéron, De oratore, III 62 = SVF I 414 : Fuerunt etiam alia genera philosophorum, qui se omnes fe (...)
  • 6  Cf. SVF I 411, 413, 414, 417 et Ioppolo 1985, p. 61 sqq.

1On sait que les stoïciens, à partir de Zénon, ont éprouvé un grand intérêt pour le caractère exemplaire de Socrate et son enseignement moral1. Cette prédilection est confirmée par une abondante littéra­ture que nous pouvons appeler « socratique » : les anciens stoïciens composèrent en effet de nombreux écrits pour lesquels ils utilisè­rent ce qu’il est convenu d’appeler les logoi sokratikoi du IVe siècle. En dehors des œuvres les plus connues, qui mentionnent explicitement Socrate ou qui renvoient à des thèmes socratiques, et sur lesquelles je m’arrêterai surtout, on peut rappeler que déjà Zénon de Sidon et Théon d’Antioche2, disciples de Zénon de Citium ou peut-être de Cléanthe, composèrent une Apologie de Socrate. Nous ne savons rien du contenu de ces écrits apologétiques, mais nous pouvons admettre qu’ils furent une réaction à la littérature antisocratique encouragée, à la même époque, par le Jardin et par certains philosophes péripatéti­ciens, comme Hiéronymos de Rhodes et Aristoxène de Tarente3. En outre, certains stoïciens anciens écrivent des œuvres en forme de dia­logues : Hérillos de Chalcédoine composa une collection de Dialogues et un livre, qui était peut-être aussi un dialogue, intitulé Maïeutique, d’inspiration évidemment socratique4. D’autre part, Cicéron, dans le De oratore5, atteste que Hérillos et ses disciples se référaient explici­tement à Socrate : il est probable que Cicéron fait allusion à la théorie de la fin comme « vivre selon la science »6, traduction, pour ce stoï­cien, de l’identité socratique entre vertu et science.

  • 7  Athénée, XIII 607 A. Cf. IV 162 B et D.L. vii 1.
  • 8  D.L. II 61. Le passage pose beaucoup de problèmes, tant sur le plan textuel que du point de vue de (...)
  • 9  D.L. II 64.

2Persée de Citium, l’élève préféré de Zénon et son représentant de confiance à la cour de Pella auprès du roi Antigone, écrivit les célèbres Dialogues de banquets (Συμποτικοὶ διάλογοι, que nous pou­vons identifier avec les Συμποτικὰ ὑπομνήματα attestés par Athénée7), dans lesquels il recueillit des sentences, des anecdotes et des épisodes de la vie de Zénon et de celle de Stilpon de Mégare, sur le modèle des Mémorables de Xénophon ; un modèle que déjà Zénon avait imité pour composer ses Mémorables de Cratès. C’est l’occasion de rappeler, en passant, que Persée joua un rôle très important dans la transmission au Portique des doctrines de Socrate et des Socratiques : en effet, selon un passage controversé de Diogène Laërce8, Persée étudia avec soin les écrits attribués à Eschine de Sphettos et à Antisthène, cherchant à séparer les dialogues authentiques des falsifi­cations, et reconnaissant quelques apocryphes mis sous le nom d’Eschine, mis en circulation par Pasiphon d’Érétrie. À l’intérêt purement littéraire, Persée ajoute de cette façon un intérêt critique et scientifique pour les λόγοι σωκρατικοί, et donne l’impulsion à un courant de recherche qui aboutit, au siècle suivant, à la célèbre classi­fication des dialogues des Socratiques énoncée par Panétius de Rhodes – ἀληθεῖς, inauthentiques et douteux9.

  • 10  D.L. vii 178 = SVF i 620.
  • 11  Plutarque, Vita Cleomenis, 2 et 11 = SVF i 622 et 623.
  • 12  D.L. vii 178 = SVF i 620.

3À Sphairos de Borysthène, enfin, sont attribués les Dialogues éro­tiques10. Ce stoïcien fut l’ami et le conseiller du roi de Sparte Cléomène III11, et manifesta, dans son œuvre philosophique, un philolaconisme prononcé lié à son héritage socratique : il composa en effet un traité intitulé Lycurgue et Socrate12. Il est probable que Sphairos trouva son inspiration soit dans le passage des Mémorables où Socrate décerne de grands éloges au législateur de Sparte (IV 4, 14), soit dans le passage de l’Apologie de Xénophon où Socrate compare l’oracle obtenu à Delphes par Lycurgue à celui qui fut rendu à Chéréphon sur Socrate (Apologie, 15).

  • 13  Parmi les contributions les plus complètes à la recherche sur la doxographie cynico-stoïcienne, en (...)

4L’étude des éléments socratiques présents dans les ouvrages des stoïciens, ainsi que celle de leur variété, est à mon avis utile pour deux raisons : en premier lieu, on constate que, dans l’ancien et le moyen stoïcisme, l’héritage socratique a des origines diversifiées, c’est-à-dire qu’il ne suit pas une voie unique et n’est pas limité exclu­sivement à la lecture de Xénophon, ni à la ligne antisthénéo-cynique, comme on l’a parfois soutenu, en se fondant surtout sur la doxogra­phie laërtienne13. En second lieu, on entrevoit une évolution, ou au moins une modification, dans la façon dont les stoïciens se réfèrent à Socrate. Cette modification dépend en partie de la diversité des sources socratiques auxquelles il est fait référence, et en partie de la variation des intérêts intellectuels propres au philosophe stoïcien qui recourt à la littérature socratique ; avec ces intérêts intellectuels inter­fèrent en outre des polémiques extérieures avec les écoles adverses, et des polémiques à l’intérieur de l’école.

5J’examinerai trois stoïciens qui, de façons très différentes, rappellent le personnage de Socrate ou des thèmes socratiques : Zénon de Citium, Cléanthe d’Assos et Antipatros de Tarse. Naturellement les références stoïciennes à Socrate et au socratisme sont beaucoup plus nombreuses que celles qui seront considérées ici, et ne se limitent pas à la récupération d’un genre littéraire ; elles comprennent aussi et surtout la réception de doctrines importantes. Pourtant, je pense que les exemples que j’ai choisis donnent une idée suffisante aussi bien des problèmes auxquels est principalement liée l’évocation de Socrate par les stoïciens que du progrès dont elle est susceptible.

Zénon

  • 14  Cf. Baldry 1939, p. 6 sq. ; Chroust 1965, p. 176 sq. ; Schofield 1991, p. 3 sqq., 22-56 ; Vander W(...)

6Trois écrits de Zénon sont à prendre en considération : la République (Πολιτεία), les Mémorables de Cratès (Κράτητος ἀπομνημονεύματα) et les Sentences (Χρεῖαι). C’est sur la première de ces trois œuvres que nous avons le plus de renseignements. Il n’est pas pos­sible ici de présenter un tableau détaillé des problèmes d’interpréta­tion que la République de Zénon a soulevés auprès de la critique14. Il suffira de mettre en lumière certains aspects qui en font un véritable exemple de littérature socratique.

  • 15  Philodème, De stoicis, xx 7-13 Dorandi. Je renvoie à Dorandi 1982, p. 123 sqq.
  • 16  Erskine 1990, p. 27 sqq., comme, bien que de façon plus nuancée, Schofield 1991, p. 26 sqq.
  • 17  Cf. par exemple D.L. VII 32-3, 121 ; Philodème, De stoicis, XVIII sqq. ; Théophile, Ad Autolycum, (...)
  • 18  Cf. pour Zénon, D.L. VII 121 e 131 ; Philodème, De stoicis, XX 12 ; Athénée, XIII 561 C = SVF I 27 (...)
  • 19  Polit. II 1, 1261a5 sqq. et 3, 1261b21 sqq.

7Depuis l’Antiquité, grâce en particulier au De stoicis de Philodème, la dépendance de la République de Zénon par rapport à celle de Diogène de Sinope15 et en général par rapport au cynisme est amplement attestée. Cette dépendance a été récemment mise en ques­tion par Andrew Erskine16, qui en a plutôt suggéré la ressemblance avec la République de Platon. En réalité, le traité de Zénon contenait certains thèmes « scabreux », comme l’acceptation de l’inceste et de l’anthropophagie17, mais prévoyait aussi de nombreuses caractéris­tiques communes aux traités éthico-politiques des Socratiques : par exemple la communauté des femmes et des enfants ; la même éduca­tion pour les femmes et les hommes ; la finalité eugéniste du mariage ; la direction de l’État réservée aux sages ; l’eros comme seul élément de cohésion d’une société parfaite18. Il s’agit d’aspects qu’on retrouve aussi chez Antisthène et chez Xénophon, peut-être chez d’autres Socratiques, et qui, justement pour cette raison, pouvaient être attribués au Socrate historique, malgré le témoignage en sens contraire d’Aristote19.

  • 20  D.L. VII 2-3 : « Il devint donc élève (παρέβαλε) de Cratès dans les circonstances suivantes. Alors (...)
  • 21  Mem. II 1. Ce chapitre a posé plusieurs problèmes, concernant tant la date de sa composition que l (...)
  • 22  Cf. Mem. II 1 14-16.

8Diogène Laërce, au début de sa Vie de Zénon20, rapporte que la lec­ture du deuxième livre des Mémorables aurait inspiré au jeune Zénon l’amour de la philosophie, plus précisément, l’amour de la philoso­phie socratique. Nous pouvons admettre qu’il y ait, dans l’information transmise par Diogène Laërce, un élément de vérité historique, et que le deuxième livre des Mémorables soit effectivement un des principaux textes de référence, même s’il n’est pas le seul, de la République et de la pensée éthico-politique de Zénon. Xénophon21, en effet, oppose Socrate et Aristippe en ce qu’ils entendent de façon très différente l’ ἐλευθερία : alors que le philosophe de Cyrène préfère le désenga­gement civil et politique et la condition d’« étranger partout », Socrate devient le partisan de l’ ἐλευθερία qui découle de l’ ἄσκησις, de la capacité de commander (ἄρχειν) et de faire du bien à sa famille, à ses amis, à la patrie (ἵνα [...] ἑαυτῶν οἶκον καλῶς οἰκῶσι καὶ τοὺς φίλους εὖ ποιῶσι καὶ τὴν πατρίδα εὐεργετῶσι, cf. Mem. II 1, 19). La séquence οἶκος-φίλοι-πατρίς sera reprise par Zénon, avec quelques modifications, dans la République, comme on le voit chez Diogène Laërce (VII 33) : ... πολίτας καὶ φίλους καὶ οἰκείους καὶ ἐλευθέρους τοὺς σπουδαίους μόνον. La prétendue équidistance d’Aristippe vis-à-vis de l’ ἀρχή et de la δουλεία, pour Socrate, est illusoire et se révèle un état d’esclavage à l’égard de ses propres besoins et de conflit avec les autres hommes22.

  • 23  Cf. D.L. VII 32 et Cicéron, Pro Murena, 61 = SVF I 226-227.
  • 24  Cf. Philodème, De stoicis, XX 6 sqq. Dorandi. Cf. aussi Schofield 1991, p. 20 sqq.

9Or, un des traits les plus caractéristiques de la pensée politique de Zénon était justement la théorie des deux classes de σοφοί et de φαῦλοι, qualifiés respectivement à l’aide des couples d’opposés « libres-esclaves » (ἐλεύθεροι-δοῦλοι), « citoyens-étrangers » (πολῖται-ξένοι) et « amis-ennemis » (φῖλοι-ἐχθροί23) ; cette séparation nette entre sages et insensés, caractérisés de cette façon, a certainement fait son apparition dans la République, comme on le comprend à partir de Diogène Laërce, VII 32, et d’un passage du De stoicis de Philodème, où subsiste la trace du concept d’« ennemi » (ἐχθρός) dans le sens d’« étranger à la constitution parfaite que forment les sages »24. Il est permis de supposer que Zénon s’est inspiré aussi de l’entretien entre Socrate et Aristippe rapporté par Xénophon.

  • 25  Aelius Aristide, De rhetorica, I 61-62 = SSR VI A 53.

10Le texte des Mémorables peut avoir ouvert la voie à la lecture des dialogues d’Antisthène et d’Eschine de Sphettos ; le premier des deux Socratiques, en effet, est nommé au chapitre cinq du deuxième livre pour la valeur politique de la φιλία, un thème que Zénon conserve et développe dans son œuvre, tandis que, s’il n’est jamais fait mention d’Eschine, est évoquée l’expression θείᾳ μοίρᾳ (Mem. II 3, 18) que ce Socratique avait utilisée pour décrire le sentiment amou­reux de Socrate envers le jeune Alcibiade25.

  • 26  Stobée, Eclogae, iv 32, 21, p. 786 Hense = SVF i 273 = fr. 1 Ross. Le fragment est communément att (...)
  • 27  Cf. D.L. ii 105 = SSR iii a 1 et D.L. ii 122 = SSR vi b 87.
  • 28  Selon Wilamowitz-Mœllendorff, p. 187-193 = Kleine Schriften, iii, p. 41-47, le socratique Simon, c (...)
  • 29  Cf. Wilamowitz-Mœllendorff 1879, p. 190 = Kleine Schriften iii, 1969, p. 47-48 ; Hirzel 1895, p. 1 (...)

11Passons aux Mémorables de Cratès. L’ouvrage évoque, sans aucun doute, les Mémorables de Xénophon. On en possède un fragment, conservé par Stobée26, dans lequel est décrite une situation typique­ment socratique : une conversation de Cratès avec un cordonnier, dans la boutique duquel le philosophe cynique a lu le Protreptique d’Aristote. La scène rappelle une tradition de dialogues attribués à Simon et à Phédon (ou encore à Eschine)27, ces dialogues qu’on appelle διάλογοι σκυτικοί ou « dialogues de cuir ». La conversation entre le philosophe et le cordonnier, absorbé par son travail mais capable en même temps de suivre un enseignement philosophique, est un thème qui pourrait trouver son origine précisément dans le Simon attribué à Phédon28. La référence, de la part de Zénon, à cette veine de la littérature socratique a été mise en rapport avec la caracté­risation du personnage de Simon qui, selon Hirzel et Wilamowitz29, est une des premières figures emblématiques du genre de vie cynique.

  • 30  Cf. D.L. vii 2 & 24.

12Il est nécessaire de souligner que l’œuvre de Zénon a donné nais­sance dans l’école à une production biographique consacrée à la vie du fondateur et dans laquelle transparaît le désir de rivaliser avec la littérature socratique. Les deux ouvrages de ce genre sur lesquels on a le plus d’information sont les Souvenirs ou Dialogues de banquets compo­sés par Persée, et l’écrit biographique intitulé Zénon, d’Apollonius de Tyr30, qui dépend dans une certaine mesure de l’ouvrage de Persée.

13L’ouvrage de Persée révèle son style socratique déjà par sa forme narrative, qui mélangeait probablement dialogues et récits d’épisodes de la vie du maître, exactement comme les Mémorables de Xénophon. Il contenait aussi des sentences du mégarique Stilpon, et représente par conséquent une tentative très ancienne de mettre l’école en rela­tion avec une tradition née de Socrate mais différente du cynisme.

  • 31  D.L. VII 24.
  • 32  Cf. Gigon 1946, p. 3 sqq.
  • 33  Philodème, De stoicis, ix 19-22 Dorandi.

14La Vie rédigée par Apollonius de Tyr met elle aussi en rapport Zénon et Stilpon, en soulignant le fait que Zénon abandonna Cratès – c’est-à-dire le genre de vie cynique – après avoir entendu le maître de Mégare31. L’ouvrage d’Apollonius fournit en outre un autre élé­ment caractéristique de la tradition biographique de Socrate : la consultation de l’oracle32. Zénon demanda à l’oracle ce qu’il devait faire de sa vie et l’oracle lui répondit de « fréquenter les morts » (συγχρωτίζειν τοῖς νεκροῖς, D. L. VII 2). Cette réponse fut inter­prétée par le philosophe comme le conseil d’étudier les Anciens (ὅθεν ξυνέντα τὰ τῶν ἀρχαίων ἀναγιγνώσκειν, « c’est pourquoi, ayant compris, il lut les ouvrages des Anciens ») ; elle est donc la métaphore de la distance prise par Zénon par rapport à ses contemporains et du désir de renouer avec le véritable socratisme. « Fréquenter les morts » peut signifier, en effet, la volonté d’imiter un homme qui n’est plus de ce monde, et par conséquent l’insatisfac­tion à l’égard des contemporains, surtout de ceux qui s’estiment les héritiers et les vrais dépositaires de l’enseignement socratique. L’épisode de la réponse delphique est à mettre en rapport avec l’observation de Philodème, que déjà dans la République Zénon se définissait comme un « admirateur des Anciens » (θαυμαστὴς τῶν ἀρχαίων) et, selon l’épicurien, se montrait préoccupé de favoriser les idées des morts plutôt que celles des vivants33.

  • 34  D.L. vi 91 = SVF i 272 = SSR v h 40.
  • 35  Marc Aurèle, xi 28 = SSR i c 544.

15Aux ouvrages biographiques s’ajoutent les recueils d’aphorismes ; Zénon composa un livre de Χρεῖαι dans lequel il décrivait un com­portement étrange de son maître. Cratès, rapporte Zénon, cousait sur son propre manteau une peau de mouton (κῴδιον)34. Or ce com­portement singulier est attribué à Socrate lui-même dans un passage de Marc-Aurèle35. Entre le récit de Zénon et celui de Marc-Aurèle, il y a pourtant une différence qui mérite quelque attention : Socrate endosse une peau de mouton seulement après que Xanthippe lui ait dérobé son manteau ; Cratès coud la peau de mouton sur le manteau (προσράψαι τῷ τρίβωνι), c’est-à-dire fait une chose qui n’est pas nécessaire. La singularité de Socrate est donc le signe d’une véritable indifférence aux usages conventionnels, celle de Cratès semblerait plutôt de l’affectation.

  • 36  Athénée, V 220 A = SSR VI A 84.
  • 37  Giannantoni 1990, iv p. 228 et 499 sqq.

16La distinction entre la vraie « désinvolture » de Socrate et l’affecta­tion du Cynique suggère un modèle précis, le dialogue Télaugès d’Eschine de Sphettos36. Le pythagoricien Télaugès était caricaturé par Eschine à cause de son habillement extravagant qui comportait, entre autres choses, une « peau de mouton », un κῴδιον, en plus de son manteau. Le personnage du dialogue socratique rappelle la paro­die des « pythagoriciens mendiants » ou « pythagoristes » donnée par la comédie, parodie qui ouvre la voie à la caricature du genre de vie cynique37 dont nous apercevons encore les traces chez Zénon. Mais Aristophane aussi joue un rôle très important dans la formation de cette tradition : en effet, le Socrate de Marc-Aurèle (à la différence du Télaugès d’Eschine et du Cratès de Zénon) endosse le κῴδιον parce que Xanthippe lui a dérobé son manteau, ce qui est un rappel assez évident des deux premières scènes de l’Assemblée des femmes.

17Si la différence entre le Cratès de Zénon et le Socrate de Marc-Aurèle n’est pas due au hasard, alors on doit admettre que Zénon a voulu non seulement représenter en Cratès un émule de Socrate mais aussi faire ressortir la différence entre le modèle et la copie : cela explique la consultation de l’oracle rapportée par Apollonius de Tyr, à savoir le conseil de « passer par dessus » les contemporains pour remonter à Socrate et aux écrits des premiers Socratiques.

Cléanthe d’Assos

18Une notable contribution à la littérature d’inspiration socratique a été fournie par Cléanthe d’Assos, dont il est nécessaire de prendre en considération deux écrits, le traité Περὶ ἡδονῆς et un autre qui devrait être identifié avec le Περὶ παιδείας.

  • 38  Clément d’Alexandrie, Stromateis, ii, xxi p. 131 [Stählin] = S.V.F. i 558 = S.S.R. i g 25 : Κλεάνθ (...)
  • 39  Xénophon, Mem. iv 4, 16.

19Dans le Περὶ ἡδονῆς, Socrate soutenait que l’homme juste est identique à l’homme heureux et que seul un impie sépare le juste de l’utile. Impies sont donc ceux qui séparent l’utile de l’observance de la loi38. Cléanthe s’inspire certainement de la littérature socratique dans laquelle sont documentées les réflexions de Socrate sur le concept de « juste » et son attitude vis-à-vis du νόμος ; nous devons penser, par conséquent, au Criton de Platon et au chapitre 4 du Livre IV des Mémorables39 ; nous verrons cependant que Platon et Xénophon ne sont pas les seules autorités du stoïcien.

  • 40  Aelius Aristide, De quattuor, 575 et 348-349 = SSR vi a 46 et 50.

20Un thème particulièrement significatif est celui de l’impiété, qui permet de délimiter les textes socratiques de référence. Ces textes sont à identifier dans deux passages du Criton, 51a-b et 51c 2-3, dans lesquels Socrate dit que la patrie est « chose plus sacrée et plus sainte » (σεμνότερον καὶ ἁγιώτερον) que sa propre famille, parce qu’elle est mise au rang le plus élevé par les hommes sages et les dieux ; par conséquent elle « doit être honorée » (σέβεσθαι δεῖ), puisqu’il n’est ni juste ni saint de faire violence à l’État et à ce que prescrivent les lois. Mais une autre source importante de Cléanthe est représentée par l’Alcibiade d’Eschine. Par un fragment de ce dialogue on apprend en effet qu’Alcibiade y était décrit comme un jeune homme très arrogant, dépourvu du respect convenable à l’égard des divinités. Dans le même dialogue, Socrate, après avoir exalté la gran­deur de Thémistocle, ajoute que la ruine du célèbre homme d’État fut causée par sa négligence à l’égard de son âme et des dieux40.

21L’intérêt de Cléanthe pour la figure d’Alcibiade est confirmé aussi par deux textes qui proviennent, selon toute probabilité, du Περὶ παιδείας et sont conservés respectivement par la Vie d’Alcibiade de Plutarque et les Tusculanes.

  • 41  Cf. SSR VI A cit.
  • 42  Cf. Épictète, Dissertationes, IV 6, 20, D.L. VI 3, Marc Aurèle, VII 36, D.L. VI 5, Gnomologium Vat (...)
  • 43  Cf. par exemple Xénophon, Mem. I 2, 13 sqq. ; Platon, Resp. 375b, 416a sqq.
  • 44  Aelius Aristide, De quattuor, 576 = SSR vi a 51.
  • 45  Platon, Symp. 215e.

22Le chapitre 6 de la Vie d’Alcibiade commence par la description du caractère du jeune athénien, doué des meilleures aptitudes mais, mal­gré cela, dépourvu de modération, ce qui permettait à ses adulateurs de séduire le jeune homme, en flattant son ambition. Nous recon­naissons ici certains traits propres à la démarche protreptique de Socrate : l’amour comme instrument d’éducation à travers le discours, thème particulièrement développé par Eschine41 ; l’opposition entre le flatteur et le φίλος, thème de prédilection d’Antisthène42 ; le conflit entre la propension naturelle à l’excellence et la tendance à favoriser le désir de pouvoir dans toute grande personnalité qui n’est pas bien éduquée, conflit auquel font référence aussi bien Platon que Xénophon43. Socrate, dit Plutarque, avec ses questions incessantes, réussissait à faire pleurer le jeune Alcibiade, qui comprenait combien il était éloigné du véritable bien moral. Les pleurs d’Alcibiade appa­raissent dans les fragments de l’Alcibiade d’Eschine44 et dans le Banquet de Platon45.

  • 46  Plutarque, Vita Alcibiadis, 6, 1-5, 194 b-d = SSR i c 26 : Κλεάνθης ἔλεγε τὸν ἐρώμενον ὑφ ̓ ἑαυτοῦ (...)
  • 47  Symp. 216a : « Encore aujourd’hui je dois m’avouer à moi-même que, si je consentais seulement à lu (...)
  • 48  Cf. Xénophon, Mem. ii 6, 31.
  • 49  D.L. VII 24 : Φησὶ δ᾿  ̓Απολλώνιος ὁ Τύριος, ἕλκοντος αὐτὸν (scil. Ζήνωνα) Κράτητος τοῦ ἱματίου ἀπ (...)

23C’est à ce moment que Plutarque introduit le nom du stoïcien : « Cléanthe disait que Socrate “faisait une prise d’oreille” au jeune homme qu’il aimait, laissant à ses rivaux d’autres prises, comme on dirait dans le langage de la palestre, auxquelles lui ne voulait pas recourir : le ventre, le sexe, le gosier. »46 L’image de la « prise d’oreille », pour expliquer qu’il faut, par le discours, persuader les jeunes gens, et non les attirer ou les corrompre par la flatterie – cette image appartient à la littérature socratique la plus ancienne : nous la trouvons dans un passage de l’éloge de Socrate prononcé par Alcibiade, maintenant adulte, dans le Banquet de Platon47, et dans un passage des Mémorables48, où cependant c’est Critobule qui tient la place d’Alcibiade. Il vaut la peine de rappeler que l’image est utilisée aussi par Apollonius de Tyr pour rapporter l’éloignement progressif du jeune Zénon vis-à-vis de Cratès au profit de Stilpon49, et cette adaptation aura été favorisée par le fait que l’image apparaissait dans un écrit de Cléanthe.

24Mais le stoïcien reprenait aussi l’anecdote des pleurs, à laquelle fait allusion Plutarque. C’est ce qu’on peut déduire du témoignage des Tusculanes, III 77 (SVF i 576 e 577 = SSR i c 29 et VI A 52) sur la conception propre à Cléanthe de la thérapie des passions. Cléanthe y est critiqué pour avoir formulé une théorie consolatrice qui ne pro­fite qu’à celui qui a déjà atteint la sagesse : le stoïcien soutient qu’il faut persuader l’affligé que le vrai mal est le mal moral ; mais Cléanthe ne s’est pas aperçu, selon ses critiques, que souvent l’afflic­tion est provoquée justement par le discours éducatif, ou par la conscience que le mal dont nous souffrons est moral ; c’est ce qui est arrivé au jeune Alcibiade qui, précisément au moment où il apprit de Socrate la vraie nature du mal qui l’affligeait – le manque de vertu –, éclata en larmes. Il est vraisemblable que l’exemple rapporté par Cicéron est tiré de Cléanthe lui-même (lequel rappelait l’elenchos socra­tique), même s’il est retourné contre lui.

  • 50  Cf. Giannantoni 1990, IV p. 586 sqq. et Giannantoni 1997, p. 356-363.

25Nous pouvons donc conclure, en ce qui concerne Cléanthe, que, dans les trois cas parvenus à notre connaissance où il cite le nom de Socrate, il se réfère à la littérature sur Alcibiade ; que le deuxième et le troisième cas, ceux de la « prise d’oreille » et des pleurs, sont insé­rés dans un contexte où il s’agit directement du jeune âge d’Alci­biade, et cela nous rappelle le dialogue d’Eschine – au moins selon la reconstruction de Dittmar, que partagent aussi de nombreux inter­prètes récents50 – plutôt que le Banquet de Platon, où c’est un Alcibiade maintenant adulte qui évoque les traits caractéristiques de son rapport avec Socrate.

Antipatros de Tarse

26Le portrait de Socrate dessiné par Antipatros de Tarse revêt des traits particuliers qui nous éloignent du genre d’intérêts que nous avons envisagés jusqu’ici.

  • 51  Cf. Cicéron, De divinatione, i 39 et ii 144.
  • 52  Le dernier épisode peut être inspiré de Platon, Apol. 40ab ; celui de la bataille de Délium est re (...)

27Au livre I du De divinatione (I 123), Cicéron nous informe sur un ouvrage d’Antipatros dans lequel le stoïcien avait rassemblé une série de prédictions faites par Socrate (SVF iii Antip. T. 38 = SSR i c 408). L’ouvrage, déjà mentionné dans le De divinatione (I 6 et 39), ras­semblait plusieurs cas de capacité divinatoire, et un développement spécifique relatif aux songes prémonitoires51. En de div. I 123, le nom d’Antipatros est inséré dans le compte rendu de la capacité divina­toire dont Socrate aurait fait preuve : sont rappelés certains épisodes au cours desquels le philosophe déclare avoir reçu un signe de son « démon » : il s’agit d’un accident survenu à Criton après qu’il se fut rendu à la campagne malgré l’avertissement contraire de Socrate ; du refus de Socrate, après la défaite de Délium, d’emprunter la même route que le gros de la troupe, laquelle, peu après, se heurta à la cava­lerie ennemie ; enfin, de l’attitude sereine conservée par Socrate au tribunal après le verdict de culpabilité, attitude motivée par le fait que son démon, dans une circonstance apparemment si funeste pour lui, ne l’avait averti d’aucun mal. Ces épisodes ne trouvent que peu de confirmations dans la littérature antérieure à Cicéron52, bien que le « démon » soit un des éléments les plus caractéristiques de la tradi­tion biographique relative à Socrate.

28Que ce rapide compte rendu dépend de l’ouvrage d’Antipatros, c’est ce que suggèrent les paroles de Quintus : « Antipatros a recueilli de très nombreux cas dans lesquels Socrate donna des preuves mer­veilleuses de sa capacité de prévoir l’avenir : je les laisse de côté, puisque tu les connais ».

  • 53  Cf. Cicéron, De divinatione, i 5.
  • 54  Cicéron, De divinatione, i 122 : Hoc nimirum est illud, quod de Socrate accepimus, quodque ab ipso (...)
  • 55  Cf. Narcy 1997, p. 13 sqq.

29Quelles sont les sources d’Antipatros ? Cicéron atteste l’existence d’une littérature socratique qui, non seulement est favorable à la divi­nation, mais attribue à Socrate une confiance assurée dans la man­tique : presque tous les philosophes, en effet, ont cru en la divination traditionnelle, y compris Socrate et ses disciples53 ; en outre, beau­coup d’écrits socratiques (libri socraticorum) parlent de la confiance mise par Socrate dans les qualités divinatoires de son δαίμων54. De cette littérature, cependant, Cicéron n’évoque que la réponse donnée par le philosophe à son disciple Xénophon qui lui demandait s’il fai­sait bien en se mettant à la suite de Cyrus : l’épisode rappelle un pas­sage de l’Anabase (III 1, 5) qui, pourtant, ne contient pas de prémoni­tion et montre plutôt le grand respect de Socrate pour l’oracle de Delphes et pour les usages religieux. Aux livres I et IV des Mémorables (I 1, 6-8 et IV 7, 10), Xénophon dit que Socrate recourait de façon habituelle à la divination, qui constitue une aide nécessaire à la sagesse humaine (ἀνθρωπίνη σοφία). Xénophon ajoute (IV 8, 1) que Socrate affirmait savoir d’avance ce qu’il devait faire ou ne pas faire, grâce à son démon55. Ces passages sont à placer sans aucun doute parmi les sources d’Antipatros qui, en effet, souligne l’interprétation « divinatoire » du démon.

  • 56  Cf. Centrone 1997, p. 329 sqq.

30Cependant, Antipatros doit avoir lu aussi d’autres textes dans les­quels sont rapportés divers cas dans lesquels Socrate faisait une pré­diction et l’attribuait au démon. Un exemple de cette littérature nous est fourni par la dernière partie du dialogue pseudo-platonicien Théagès (128c sqq.), où Socrate admet qu’il reçoit des « avertissements » de son démon, avertissements qui regardent surtout les amis de Socrate, plus que lui-même56. C’est là un détail qui rappelle les exemples de prédictions énumérés dans le De divinatione et empruntés à Antipatros.

  • 57  Xénocrate identifiait l’âme individuelle à un être démonique, cf. Isnardi Parente 1978, p. 209 sq.
  • 58  Cf. SVF ii frr. 1101-1105.

31Le thème du démon est donc à l’origine du développement com­pliqué de théories démonologiques qui, à travers l’Académie post-pla­tonicienne et l’influence qu’a exercée sur elle le pythagorisme57, se sont transmises au stoïcisme58. Déjà le Socrate platonicien parle de démons dans le Cratyle (398a-c) où, paraphrasant Hésiode (Op. 121-123 et 174 sqq.), il explique qu’ils sont la première génération d’êtres, constitués par Moira comme « défenseurs des maux et gardiens des hommes », hommes morts qui ont été vertueux de leur vivant. Socrate corrige en partie cette tradition en disant que tout homme vertueux est δαιμόνιος, divin et « démonique », aussi bien vivant que mort (Crat. 398c2-3) ; la légende hésiodique est reprise au livre X de la République (617d sqq.), au sein du mythe d’Er, tandis que dans le Timée (90a) Platon soutient que l’espèce la plus élevée de l’âme humaine (τὸ κυριώτατον παρ ̓ ἡμῖν ψυχῆς εἶδος), qui a son siège à la cime du corps, est une sorte de δαίμων que le dieu a assigné à l’homme – une idée qui, dans une certaine mesure, anticipe la conception du νοῦς ou ἡγεμονικόν comme ἀπόρροια divine, qui deviendra fondamentale dans le stoïcisme tardif, de Posidonius à Marc Aurèle.

  • 59  Cf. Xénophon, Mem. i 3, 5 et Thucydide, ii 64, 2.
  • 60  Fr. 187 Edelstein-Kidd.
  • 61  Frr. 33, 150 B, 152 Edelstein-Kidd.
  • 62  Cf. fr . 85 et 86 c Edelstein-Kidd.
  • 63  Cf. D.L. VII 151 = SVF II 1102 ; pour Marc-Aurèle, cf. Pensées, II 1, 3, III 13, V 27, XII 1.

32Bien que dans ces passages de Platon il ne soit pas fait mention de facultés divinatoires des démons, il est pourtant significatif que Socrate utilise l’adjectif δαιμόνιος qui, au moins à partir d’Hérodote et de Pindare, revêt le sens de « envoyé par Dieu » ou « voulu par Dieu » ; dans deux passages différents du livre VII des Helléniques de Xénophon (VII 4, 3 et 5, 10), par exemple, la forme δαιμονιώτατα est une expression synonyme de θείᾳ μοίρᾳ, qui décrit, chez Platon et chez Eschine, la nature divine de l’eros éprouvé par Socrate59. Il est donc probable que déjà chez certains Socratiques on ait vu dans le δαίμων de Socrate un δαιμόνιος, c’est-à-dire un être qui joue un rôle d’intermédiaire et qui permet aux dieux d’adresser des messages aux hommes. Les stoïciens acceptent l’identification du δαίμων avec la ψυχή individuelle en précisant qu’est un δαίμων celui qui vit un état de parfait « sympathie » avec le cosmos. Avec Posidonius nous avons l’identification de la partie rationnelle de l’âme avec le δαίμων60, une identification qui est à mettre en rapport avec un changement radical dans la psychologie de l’école. Pour Posidonius, en effet, l’âme humaine est constituée de facultés irrationnelles qui ne peuvent être ramenées à l’hégémonique61 ; la récupération du pla­tonisme, chez ce stoïcien, s’accompagne d’une exégèse du Timée et peut-être aussi du Phèdre qui contribue à donner à la psychologie de l’école une orientation très précise62. À l’époque impériale, avec Marc-Aurèle, le δαίμων devient une entité inhérente à l’homme, dont elle constitue la « particule divine »63.

33La tradition relative aux rêves prémonitoires s’accorde avec le thème du démon. Nous pouvons en saisir une origine chez Platon qui, dans le Criton (44a-b), fait raconter à Socrate le rêve prémonitoire de sa mort : un épisode qui se diffuse aussi sous d’autres formes, comme le montre le fait que Cicéron (De div. I 52) le rapporte suivant le récit platonicien, alors que Diogène Laërce (II 35) semble suivre la tradition transmise par Idoménée, faisant d’Eschine l’interlocuteur de Socrate à la place de Criton. Xénophon revient sur les rêves prémo­nitoires dans l’Anabase, cependant que Platon lui-même suggère un rapport entre le démon et le rêve prémonitoire, quand il fait affirmer par Socrate, dans l’Apologie (33c), qu’il a reçu du dieu (ὑπὸ τοῦ θεοῦ), moyennant prédictions et songes, l’ordre de διαλέγεσθαι.

  • 64  Sur le sens de χράομαι + datif, cf. Platon, Leg. 686e ( ̓Απόλλωνι), Aristo-phane, Aves, 724 (μάντε (...)
  • 65  Stromateis, vi, vi 53.
  • 66  De deo Socratis, 20, 166-167.
  • 67  Fr. 12 a Ross = Sextus Empiricus, Adversus mathematicos, ix 20 sq. et Cicéron, De divinatione, i 6 (...)
  • 68  Cf. aussi Eudemus, fr. 1 Ross = Cicéron, De divinatione, I 52-53.

34Aristote semble avoir aussi contribué à cet enchevêtrement com­plexe entre le thème du démon de Socrate et sa capacité divinatoire : il aurait exposé, dans le De Pythagoreis, une conception de l’âme indi­viduelle comme un démon prophétique grâce auquel chaque homme serait en mesure de prophétiser (κεχρῆσθαι64). Dans les témoignages de Clément d’Alexandrie65 et d’Apulée66, qui constituent le fragment 3 Ross du De Pythagoreis, Aristote est en effet mis en cause pour cette conception, et chez les deux auteurs est donné l’exemple de Socrate. Il se peut que Clément et Apulée aient assemblé du matériel d’ori­gines diverses, mais puisque nous savons, par un fragment du Περὶ φιλοσοφίας67, qu’Aristote admettait une capacité prophétique de l’âme individuelle68, on ne peut pas exclure qu’il en ait donné pour exemple le δαίμων de Socrate, favorisant ainsi, en même temps que Xénophon, Platon et d’autres auteurs socratiques, une interprétation qui connut une grande fortune dans le stoïcisme.

Quelques conclusions

35La référence stoïcienne à Socrate est conditionnée, au cours du temps, par des facteurs de nature variée, philosophiques et histo­riques, apologétiques et polémiques.

  • 69  Cf. D.L. VII, 25 ; Suda s.v. Ζήνων, p. 507 Adler ; Cicéron, Academica posteriora, 35 ; Numénius, a (...)
  • 70  Cf. Isnardi Parente 1954a, p. 46 sqq. ; Isnardi Parente 1954b, p. 427 sqq. ; Ingenkamp 1967, p. 10 (...)

36Le Socrate de Zénon et de ses premiers disciples est le Socrate de la littérature éthico-politique du premier socratisme et des dialogues de jeunesse de Platon. Si nous accordons foi au témoignage de Thémistius (SVF I 9) sur l’influence exercée par l’Apologie platoni­cienne, nous pouvons imaginer que le premier portrait de Socrate à avoir attiré Zénon, et le plus suggestif, fut celui du philosophe accusé et persécuté pour son attitude à l’égard des jeunes gens, pour ses idées pédagogiques, sociales et religieuses. Et on ne doit pas oublier que Zénon trouve un terrain propice à l’approfondissement de sa connaissance de Socrate également à l’Académie, qu’il fréquenta pendant quelques années69 : là, en effet, à la grande entreprise d’exé­gèse et d’organisation du corpus platonicien qui commença vraisem­blablement avec Xénocrate, s’ajouta, vers la fin du IVe siècle et pen­dant une bonne partie du IIIe, la production d’apocryphes dans les­quels de nombreux interprètes modernes70 reconnaissent un retour marqué au socratisme des dialogues platoniciens de jeunesse.

37Il y a aussi des facteurs extérieurs qui poussent les stoïciens à par­ler de Socrate : il y a par exemple les traités écrits par les Péripatéticiens et les Épicuriens, qui peuvent expliquer l’orientation d’une bonne partie de la première littérature stoïcienne sur Socrate. La prédilection de Cléanthe pour la littérature sur Alcibiade naquit, elle aussi, de l’exigence de défendre Socrate contre l’accusation d’être un corrupteur.

  • 71  Plutarque, De stoicorum repugnantiis, 24, 1045 F = SVF II 126.

38Avec Ariston et Chrysippe nous avons, sans aucun doute, l’intro­duction d’éléments nouveaux et aussi de plus grande portée philoso­phique, mais il faut souligner que Socrate devint un terrain d’affron­tement à l’intérieur de l’école. Chrysippe, par exemple, répète que la dialectique fut recommandée aussi et surtout (μάλιστα) par Socrate71, contre une tendance de l’école, dont le promoteur fut Ariston de Chios, qui rejetait la τέχνη διαλεκτική au nom d’une prétendue fidélité à Socrate. Le refus de la logique, en même temps que de la physique, est représenté dans les termes de la lutte, plus ancienne, contre la πολυμαθία et contre l’idéal de culture « encyclopédique » : le nom d’Ariston de Chios est associé par Diogène Laërce (II 79-80) à celui d’Aristippe pour avoir comparé la philosophie à Pénélope et les autres μαθήματα à ses servantes.

  • 72  Cf. Cicéron, De finibus, II 17 et Sextus Empiricus, Adversus mathematicos, II 7.
  • 73  Sur le fait que, avec l’avènement de Chrysippe, la dialectique, dans l’école stoïcienne, n’est plu (...)

39Zénon aussi, probablement, attribuait au Socrate historique l’inté­rêt pour la dialectique entendue comme art de dialoguer par brèves questions et réponses72. Le comportement dialectique approuvé par Zénon est cependant essentiellement celui de la conversation à fina­lité éducative, réfutative, qui se revêt de l’eros tourné vers le jeune homme vertueux. À Chrysippe, on doit plutôt une entreprise de « déshabillage » des aspects érotiques de l’elenchos, aspects qui, s’ils ne disparaissent pas complètement avec lui, perdent à coup sûr de leur importance dans la réflexion des stoïciens postérieurs73.

  • 74  Cf. Cicéron, De Officiis, III 34. Le contenu de ce texte de Panétius doit être interprété en un se (...)
  • 75  Cf. Cicéron, De Officiis, I 128 et 148. Sur Apollodore de Séleucie et sa contribution au renforcem (...)

40Dans le stoïcisme du IIe siècle on assiste à la récupération de cer­tains thèmes déjà présents dans la tradition de l’école. C’est surtout l’aspect religieux et l’aspect éthico-politique qui permettent un renouvellement de l’intérêt pour Socrate. La défense de Socrate contre l’accusation d’ ἀσέβεια se transforme en la présentation d’un Socrate doté de capacités divinatoires, peut-être aussi grâce à l’apport d’idées académiques, en particulier xénocratéennes. Panétius de Rhodes, enfin, est engagé sur deux fronts polémiques : un front exté­rieur, représenté par Carnéade, qui le conduit à reprendre le thème, auparavant cher à Cléanthe, d’un Socrate défenseur du νόμος et de l’unité du juste et de l’utile74 ; un autre front, interne au stoïcisme, représenté par le courant philo-cynique qui aboutit à Apollodore de Séleucie, et qui le conduira à séparer nettement Socrate du cynisme75.

Haut de page

Bibliographie

Alesse, F. 1994 : Panezio di Rodi e la tradizione stoica, Napoli, 1994.

Alesse, F. 2000 : La Stoa e la tradizione socratica, Napoli, 2000 (Elenchos, 30).

Baldry, H. C. 1939 : « Zeno’s Ideal State », Journal of Hellenic Studies, 79 (1939), p. 6 sq.

Billerbeck, M. 1979 : Der Kyniker Demetrius. Ein Beitrag zur Geschichte der frühkaiserzeitlichen Popularphilosophie, Leiden, 1979.

Brancacci, A. 1992 : « I κοινῇ ἀρέσκοντα dei Cinici e la κοινωνία tra cinismo e stoicismo nel libro VI (103-105) delle “Vite” di Diogene Laerzio », in A.N.R.W. 36.6, Berlin/New York, 1992, p. 4049-4075.

Brancacci, A. 2000 : « Dio, Socrates and Cynicism », in Dio Chrysostom. Politics, Letters and Philosophy, ed. S. Swain, Oxford, 2000, p. 240 sqq.

Centrone, B. 1997 : « Il “daimonion” di Socrate nello pseudo-platonico Teage », in Giannantoni & Narcy 1997 p. 329-348.

Chroust, A.-H. 1965 : « The Ideal Polity of the Early Stoics : Zeno’s Republic », Review of Politics, 26 (1965), p. 176 sq.

Decleva Caizzi, F. 1977 : « La tradizione antistenico-cinica in Epitteto », in Scuole socratiche minori e filosofia ellenistica, ed. G. Giannantoni, Bologna, 1977, p. 93-113.

Dorandi, T. 1982 : « Filodemo. Gli Stoici (PHerc. 155 e 339) », Cronache Ercolanesi, 12 (1982), p. 91-133.

Döring, K. 1979 : Exemplum Socratis. Studien zur Sokrates-nachwirkung in der kynisch-stoischen Popularphilosophie der frühen Kaiserzeit und im frühen Christentum, Wiesbaden, 1979 (Hermes Einzelschriften, Heft 42).

Döring, K. 1988 : Der Sokratesschüler Aristipp und die Kyrenaiker, Stuttgart, 1988.

Döring, K. 1998: « Sokrates, die Sokratiker und die von ihnen begründeten Traditionen », in Grundriss der Geschichte der Philosophie. Die Philosophie der Antike, Bd 2.1, ed. H. Flashar, Basel, 1998, p. 139-364.

Düring, I. 1941: Herodicus the Cratetean. A Study in Anti-platonica Tradition, Stockholm, 1941.

Emeljanow, V. 1965 : « A Note on the Cynic Short Cut to Happiness », Mnemosyne, n.s. XVIII (1965), p. 182-184.

Erbse, H. 1980 : « Aristipp und Sokrates bei Xenophon (Bemer-kungen zu Mem. 2.1) », Würzburger Jahrbücher für die Altertumswissenschaft, VI B (1980), p. 7-19.

Erskine, A. 1990 : The Hellenistic Stoa. Political Thought and Action, London, 1990.

Frede, M. 1974 : Die stoische Logik, Göttingen, 1974.

Fritz, K. von 1938 : s.v. Phaidon, in RE, xix 2, 1938, coll. 1538-1542.

Fritz, K. 1965 : « Der erste Kapitel des zweiten Buches von Xenophon ‘Memorabilien’ und die Philosophie des Aristipp von Kyrene », Hermes, XCIII (1965), p. 257-279.

Fuentes Gonzales, P. P. 1998 : Les diatribes de Télès, Paris, 1998.

Giannantoni, G. 1958 : I Cirenaici, Firenze, 1958.

Giannantoni, G. 1990 : Socratis et Socraticorum Reliquiae [ = SSR], Napoli, 1990, 4 vol. 

Giannantoni, G. 1997 : « L’“Alcibiade” di Eschine e la letteratura socratica su Alcibiade », in Giannantoni, G. & Narcy, M. 1997, p. 349-373.

Giannantoni, G. & Narcy, M. 1997 : Lezioni socratiche, edd. G. Giannantoni & M. Narcy, Napoli, 1997.

Gigon, O. 1946: « Antike Erzählungen über die Berufung zur Philosophie », Museum Helveticum, III (1946), p. 1-21.

Gigon, O. 1956 : Kommentar zum zweiten Buch von Xenophons « Memorabilien », Basel, 1956.

Gould, J. B. 1975: The Philosophy of Chrysippus, Leiden, 1975.

Goulet-Cazé, M.-O. 1986 : L’ascèse cynique. Un commentaire de Diogène Laërce VI 70-71, Paris, 1986.

Goulet-Cazé, M.-O. 1997 : « Les titres des œuvres d’Eschine chez Diogène Laërce », in J.-C. Fredouille, M.-O. Goulet-Cazé, Ph Hoffmann, P. Petitmengin (edd.), Titres et articulations du texte dans les œuvres antiques, Paris, 1997, p. 167-190.

Goulet-Cazé, M.-O. 1999 : Diogène Laërce. « Vies et doctrines des philosophes illustres ». Traduction française sous la direction de M.-O. Goulet-Cazé ; introductions, traductions et notes de J.-F. Balaudé, L. Brisson, J. Brunschwig, T. Dorandi, M.-O. Goulet-Cazé, R. Goulet et M. Narcy, Paris, 1999.

Graeser, A. 1975: Zenon von Kition. Positionen und Probleme, Berlin/New York, 1975.

Hahm, D. A. 1992: « Diogenes Laertius VII: On the Stoics », in A.N.R.W. 36.6, Berlin/New York, 1992, p. 4076-4182.

Hirzel, R. 1895: Der Dialog. Ein literarischer Versuch, Leipzig, 1895.

Hock, R. F. 1976: « Simon the Shoemaker as an Ideal Cynic », Greek, Roman and Byzantine Studies, 17 (1976), p. 41-53.

Ingenkamp, H. G. 1967: Untersuchungen zu den pseudoplatonischen Definitionen, Wiesbaden, 1967.

Ioppolo, A. M. 1985: « Lo Stoicismo di Erillo », Phronesis, XXX (1985), p. 58-78.

Isnardi Parente, I. 1954a: « Una nota al Minosse pseudo-platonico », La Parola del Passato, 9 (1954), p. 43-53.

Isnardi Parente, I. 1954b : « Sugli apocrifi platonici Demodoco e Sisifo », La Parola del Passato, 9 (1954), p. 425-431.

Isnardi Parente, I. 1978: Studi sull’Accademia antica, Napoli, 1978.

Jagu, A. 1946 : Epictète et Platon. Essai sur les relations du stoïcisme et du Platonisme à propos de la morale des « Entretiens », Paris, 1946.

Jöel, K. 1893-1901 : Der echte und der xenophontische Sokrates, Berlin, 1893-1901.

Kleve, K. 1983 : « Scurra Atticus. The Epicurean View of Socrates », in ΣΥΖΗΤΗΣΙΣ. Studi sull’Epicureismo greco e romano offerti a Marcello Gigante, Napoli, 1983, p. 227-253.

Mansfeld, J. 1986 : « Diogenes Laertius on Stoic Philosophy », Elenchos, VII (1986), Diogene Laerzio storico del pensiero antico, p. 295-382.

Müller, C. W. 1975 : Die Kurzdialoge der « Appendix platonica ». Philologische Beiträge zur nachplatonischen Sokratik, München, 1975.

Münscher, K. 1920 : Xenophon in der griechisch-römischen Literatur, Leipzig, 1920 (Philologus, Supplband xiii 2).

Narcy, M. 1995 : « Le choix d’Aristippe (Xénophon, ‘Mémorables’ II 1) », in G. Giannantoni et al., La tradizione socratica, Napoli, 1995, p. 71-88.

Narcy, M. 1997 : « La religion de Socrate dans les Mémorables de Xénophon », in Giannantoni, G. & Narcy, M. 1997, p. 13-28.

Pohlenz, M. 1959 : Die Stoa. Geschichte einer geistigen Bewegung, Göttingen, 1959.

Riley, M. T. 1980 : « The Epicurean Criticism of Socrates », Phoenix, 34 (1980), p. 55-68.

Rossetti, L. 1973 : « “Socratica” in Fedone di Elide », Studi Urbinati, 47 (1973), p. 364-381.

Schofield, M. 1991 : The Stoic Idea of the City, Cambridge, 1991.

Schweingruber, F. 1943 : « Sokrates und Epiktet », Hermes, 78 (1943), p. 52-79.

SSR : Giannantoni, G. 1990

Thompson, D. B. 1960 : « The House of Simon the Shoemaker », Archaeology, 13 (1960), p. 235-240.

Wilamowitz-Mœllendorff, U. von 1879 : « Phaidon von Elis », Hermes, 14 (1879), p. 187-193 = Kleine Schriften, iii, Berlin, 1969, p. 41-48.

Woodbury, L. 1971 : « Socrates and Archelaus », Phoenix, 25 (1971), p. 299-309.

Haut de page

Notes

1  Pour Socrate dans les sources stoïciennes : SSR i c 504-549 = Giannantoni 1990, vol. i, p. 190 sqq. Pour la représentation de l’image de Socrate dans la littérature stoïcienne d’époque impériale, cf. Döring 1979 ; Döring 1998, notamment p. 166-171 (pour la Nachwirkung de Socrate), 198-199, 235, 245, 315-321 (pour celles des Socratiques dont est exclu, comme d’habitude, Platon). Pour Socrate chez Épictète : Schweingruber 1943, p. 52-79 ; Jagu 1946 ; Decleva Caizzi 1977, p. 93 sqq. Pour la transmission de l’image cynico-stoïcienne de Socrate à la Seconde Sophistique, cf. Brancacci 2000, p. 240 sqq.

2  Cf. Sud. s.v. Ζήνων n. 78 = S.S.R. i c 505 et Sud. s.v. Θέων n. 204 = SSR i c 505.

3  Cf. surtout Riley 1980, p. 55 sqq., Kleve 1983, p. 228 sqq. ; pour Hiéronymos et Aristoxène, cf. SSR i b 41-51 et 57-58 ; I. Düring 1941, p. 132 sqq. et L. Woodbury 1971, p. 302 sqq.

4  D.L. vii 166 = SVF i 409.

5  Cicéron, De oratore, III 62 = SVF I 414 : Fuerunt etiam alia genera philosophorum, qui se omnes fere Socraticos esse dicebant, Eretricorum, Erilliorum, Megaricorum, Pyrrhoneorum.

6  Cf. SVF I 411, 413, 414, 417 et Ioppolo 1985, p. 61 sqq.

7  Athénée, XIII 607 A. Cf. IV 162 B et D.L. vii 1.

8  D.L. II 61. Le passage pose beaucoup de problèmes, tant sur le plan textuel que du point de vue de sa signification ; pour une revue de ces problèmes, je renvoie à M.-O. Goulet-Cazé in Goulet-Cazé 1999, p. 362 sq. (Notes complémentaires 4-7).

9  D.L. II 64.

10  D.L. vii 178 = SVF i 620.

11  Plutarque, Vita Cleomenis, 2 et 11 = SVF i 622 et 623.

12  D.L. vii 178 = SVF i 620.

13  Parmi les contributions les plus complètes à la recherche sur la doxographie cynico-stoïcienne, en particulier celle que fournit Diogène Laërce, je signale : Goulet-Cazé 1986 ; Mansfeld 1986, p. 291 sqq. ; Brancacci 1992, p. 4068 sqq. ; Hahm 1992, p. 4126 sqq.

14  Cf. Baldry 1939, p. 6 sq. ; Chroust 1965, p. 176 sq. ; Schofield 1991, p. 3 sqq., 22-56 ; Vander Waerdt 1994, p. 286.

15  Philodème, De stoicis, xx 7-13 Dorandi. Je renvoie à Dorandi 1982, p. 123 sqq.

16  Erskine 1990, p. 27 sqq., comme, bien que de façon plus nuancée, Schofield 1991, p. 26 sqq.

17  Cf. par exemple D.L. VII 32-3, 121 ; Philodème, De stoicis, XVIII sqq. ; Théophile, Ad Autolycum, 3, 5.

18  Cf. pour Zénon, D.L. VII 121 e 131 ; Philodème, De stoicis, XX 12 ; Athénée, XIII 561 C = SVF I 270 et 263. Pour la littérature socratique, cf. par exemple Xénophon, Mem. II 2, 4-5 et Oeconom. 3, 14 ; Platon, Resp. 458d-460a ; Antisthène : D.L. VI 11 et Xénophon, Mem. I 6, 13 e IV 1, 3. Xénophon condamne durement l’inceste, cf. Mem. IV 4, 33, Cyrop. V 1, 10, Anab. II 6, 28 ; Platon se préoccupe de l’éviter, cf. Resp. 461c-e ; Antisthène aussi a fait allusion à l’inceste dans Κῦρος ἢ περὶ βασιλείας, cf. Athénée, V 220 C = SSR v a 141.

19  Polit. II 1, 1261a5 sqq. et 3, 1261b21 sqq.

20  D.L. VII 2-3 : « Il devint donc élève (παρέβαλε) de Cratès dans les circonstances suivantes. Alors qu’il importait de la pourpre de Phénicie, il fit naufrage (ἐναυάγησεν) près du Pirée. Étant monté à Athènes, déjà âgé de trente ans, il s’assit chez un libraire. Comme celui-ci faisait lecture du deuxième livre des Mémorables de Xénophon, charmé, il demanda où vivaient de tels hommes. Cratès se trouva à passer juste au bon moment. Le libraire le lui désigna et dit “C’est lui qu’il te faut suivre” » (traduction R. Goulet in Goulet-Cazé 1999). Par certains aspects, le lexique de ce passage reflète des lieux communs des biographies de philosophes, par exemple l’emploi de παραβάλλω (cf. R. Goulet, ad loc. p. 790 n. 9), pour lequel on peut renvoyer à titre d’exemple à D.L. VII 32, VI 21, et l’épisode du naufrage, qui parfois sert de marque distinctive à la vie d’un philosophe (cf. D.L. VII 2 et 4, D.L. I 86 [Bias], II 71 [Aristippe], IX 68 [Pyrrhon]). On notera en outre que παραβάλλω peut signifier « naviguer vers… » ou « aborder » (cf. Hérodote, VII 179, Thucydide, III 32, Aristophane, Ranae, 180, 269, Equites, 762), ce qui a pu encourager le recours au thème du naufrage comme métaphore de l’abandon de la vie pré-philosophique.

21  Mem. II 1. Ce chapitre a posé plusieurs problèmes, concernant tant la date de sa composition que la prédilection pour l’ ἄρχειν que Xénophon attribue à Socrate, et qui ne correspond pas aux idées exprimées par Socrate dans le Gorgias de Platon. Parmi les principales contributions, voir Fritz 1965, p. 265 sqq. ; Gigon 1956 ; Giannantoni 1958, p. 80 sqq. ; Erbse 1980, p. 7 sqq. ; Döring 1988, p. 163 sq. ; Narcy 1995, p. 71-88.

22  Cf. Mem. II 1 14-16.

23  Cf. D.L. VII 32 et Cicéron, Pro Murena, 61 = SVF I 226-227.

24  Cf. Philodème, De stoicis, XX 6 sqq. Dorandi. Cf. aussi Schofield 1991, p. 20 sqq.

25  Aelius Aristide, De rhetorica, I 61-62 = SSR VI A 53.

26  Stobée, Eclogae, iv 32, 21, p. 786 Hense = SVF i 273 = fr. 1 Ross. Le fragment est communément attribué aux Mémorables de Cratès, cf. Fuentes Gonzales 1998, p. 438 sq. Sur le rapport de cet ouvrage avec les Mémorables de Xénophon, cf. Münscher 1920, p. 49 et Giannantoni 1990, iv p. 566.

27  Cf. D.L. ii 105 = SSR iii a 1 et D.L. ii 122 = SSR vi b 87.

28  Selon Wilamowitz-Mœllendorff, p. 187-193 = Kleine Schriften, iii, p. 41-47, le socratique Simon, cordonnier de son métier, dont Diogène Laërce nous rapporte le catalogue, n’est pas un personnage historique, mais la personnification des cordonniers avec lesquels Socrate avait coutume de s’entretenir, et c’est le dialogue Simon de Phédon (authentique, pour Wilamowitz) qui serait à l’origine de cette littérature. Selon Hirzel 1895, I, p. 102-104, le dialogue de Phédon représentait une conversation entre Simon et Socrate. Voir en outre Fritz 1938, n. 3, coll. 1541-1542 ; Rossetti 1973, p. 364-381. Sur les σκυτικοὶ διάλογοι, cf. Giannantoni 1990, iv p. 120 ; sur l’historicité de Simon, cf. Thompson 1960, p. 235 sqq.

29  Cf. Wilamowitz-Mœllendorff 1879, p. 190 = Kleine Schriften iii, 1969, p. 47-48 ; Hirzel 1895, p. 104 n. 4 ; Jöel 1893-1901, ii 1, p. 307 ; Hock 1976, p. 41-53.

30  Cf. D.L. vii 2 & 24.

31  D.L. VII 24.

32  Cf. Gigon 1946, p. 3 sqq.

33  Philodème, De stoicis, ix 19-22 Dorandi.

34  D.L. vi 91 = SVF i 272 = SSR v h 40.

35  Marc Aurèle, xi 28 = SSR i c 544.

36  Athénée, V 220 A = SSR VI A 84.

37  Giannantoni 1990, iv p. 228 et 499 sqq.

38  Clément d’Alexandrie, Stromateis, ii, xxi p. 131 [Stählin] = S.V.F. i 558 = S.S.R. i g 25 : Κλεάνθης ἐν τῷ δευτέρῳ Περὶ ἡδονῆς τὸν Σωκράτην φησὶ παρ ̓ ἕκαστα διδάσκειν ὡς ὁ αὐτὸς δίκαιός τε καὶ εὐδαίμων ἀνὴρ καὶ τῷ πρώτῳ διελόντι τὸ δίκαιον ἀπὸ τοῦ συμφέροντος καταρᾶσθαι ὡς ἀσεβές τι πρᾶγμα δεδρακότι· ἀσεβεῖς γὰρ τῷ ὄντι οἱ τὸ συμφέρον ἀπὸ τοῦ δικαίου τοῦ κατὰ νόμον χωρίζοντες.

39  Xénophon, Mem. iv 4, 16.

40  Aelius Aristide, De quattuor, 575 et 348-349 = SSR vi a 46 et 50.

41  Cf. SSR VI A cit.

42  Cf. Épictète, Dissertationes, IV 6, 20, D.L. VI 3, Marc Aurèle, VII 36, D.L. VI 5, Gnomologium Vaticanum, 743 n. 9, D.L. VI 8 = SSR V A 86, 88, 89.

43  Cf. par exemple Xénophon, Mem. I 2, 13 sqq. ; Platon, Resp. 375b, 416a sqq.

44  Aelius Aristide, De quattuor, 576 = SSR vi a 51.

45  Platon, Symp. 215e.

46  Plutarque, Vita Alcibiadis, 6, 1-5, 194 b-d = SSR i c 26 : Κλεάνθης ἔλεγε τὸν ἐρώμενον ὑφ ̓ ἑαυτοῦ μὲν ἐκ τῶν ὤτων κρατεῖσθαι, τοῖς δ ̓ ἀντερασταῖς πολλὰς λαβὰς παρέχειν ἀθίκτους ἑαυτῷ, τὴν γαστέρα λέγων καὶ τὰ αἰδοῖα καὶ τὸν λαιμόν.

47  Symp. 216a : « Encore aujourd’hui je dois m’avouer à moi-même que, si je consentais seulement à lui prêter l’oreille, je ne résisterais pas [...] me faisant violence, lui refusant mes oreilles comme aux Sirènes, je prends la fuite... ».

48  Cf. Xénophon, Mem. ii 6, 31.

49  D.L. VII 24 : Φησὶ δ᾿  ̓Απολλώνιος ὁ Τύριος, ἕλκοντος αὐτὸν (scil. Ζήνωνα) Κράτητος τοῦ ἱματίου ἀπὸ Στίλπωνος, εἰπεῖν, “ὦ Κράτης, λαβὴ φιλοσόφων ἐστὶν ἐπιδέξιος ἡ διὰ τῶν ὤτων· πείσας οὖν ἕλκε τούτων· εἰ δέ με βιάζῃ, τὸ μὲν σῶμα παρὰ σοὶ ἔσται, ἡ δὲ ψυχὴ παρὰ Στίλπωνι”.

50  Cf. Giannantoni 1990, IV p. 586 sqq. et Giannantoni 1997, p. 356-363.

51  Cf. Cicéron, De divinatione, i 39 et ii 144.

52  Le dernier épisode peut être inspiré de Platon, Apol. 40ab ; celui de la bataille de Délium est repris dans Plutarque, De genio Socratis, 11, 581 d-e = S.S.R. i c 411.

53  Cf. Cicéron, De divinatione, i 5.

54  Cicéron, De divinatione, i 122 : Hoc nimirum est illud, quod de Socrate accepimus, quodque ab ipso in libris socraticorum saepe dicitur : esse divinum quiddam, quod daimovnion appellat, cui semper ipse paruerit numquam impellenti, saepe revocanti.

55  Cf. Narcy 1997, p. 13 sqq.

56  Cf. Centrone 1997, p. 329 sqq.

57  Xénocrate identifiait l’âme individuelle à un être démonique, cf. Isnardi Parente 1978, p. 209 sq.

58  Cf. SVF ii frr. 1101-1105.

59  Cf. Xénophon, Mem. i 3, 5 et Thucydide, ii 64, 2.

60  Fr. 187 Edelstein-Kidd.

61  Frr. 33, 150 B, 152 Edelstein-Kidd.

62  Cf. fr . 85 et 86 c Edelstein-Kidd.

63  Cf. D.L. VII 151 = SVF II 1102 ; pour Marc-Aurèle, cf. Pensées, II 1, 3, III 13, V 27, XII 1.

64  Sur le sens de χράομαι + datif, cf. Platon, Leg. 686e ( ̓Απόλλωνι), Aristo-phane, Aves, 724 (μάντεσι) ; Xénophon, Mem. I 1, 3 (οἰωνοῖς).

65  Stromateis, vi, vi 53.

66  De deo Socratis, 20, 166-167.

67  Fr. 12 a Ross = Sextus Empiricus, Adversus mathematicos, ix 20 sq. et Cicéron, De divinatione, i 63.

68  Cf. aussi Eudemus, fr. 1 Ross = Cicéron, De divinatione, I 52-53.

69  Cf. D.L. VII, 25 ; Suda s.v. Ζήνων, p. 507 Adler ; Cicéron, Academica posteriora, 35 ; Numénius, apud Eusèbe de Césarée, Praeparatio evangelica, XIV 5, 11 sq.

70  Cf. Isnardi Parente 1954a, p. 46 sqq. ; Isnardi Parente 1954b, p. 427 sqq. ; Ingenkamp 1967, p. 109 sqq. ; Müller 1975, p. 18 sqq.

71  Plutarque, De stoicorum repugnantiis, 24, 1045 F = SVF II 126.

72  Cf. Cicéron, De finibus, II 17 et Sextus Empiricus, Adversus mathematicos, II 7.

73  Sur le fait que, avec l’avènement de Chrysippe, la dialectique, dans l’école stoïcienne, n’est plus entendue comme une technique défensive mais aussi comme un apprentissage positif et scientifique, il y a parmi les spécialistes un large consensus. Voir par exemple Pohlenz 1959 ; Gould 1975, p. 66 sqq. ; Frede 1974, p. 12 sqq. ; Graeser 1975, p. 12 sqq.

74  Cf. Cicéron, De Officiis, III 34. Le contenu de ce texte de Panétius doit être interprété en un sens hostile à Carnéade : cf. Alesse 1994, p. 95 sqq.

75  Cf. Cicéron, De Officiis, I 128 et 148. Sur Apollodore de Séleucie et sa contribution au renforcement de tendances philo-cyniques dans le Stoïcisme, cf. D.L. VII 121 et 129, à propos de la définition du κυνισμός comme « un raccourci vers la vertu (σύντομον ἐπ ̓ἀρετὴν ὁδόν) » ; cf. Emeljanow 1965, p. 182 sqq. ; Billerbeck 1979, p. 3 ; Goulet-Cazé 1986, p. 22 sqq.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Francesca Alesse, « Socrate dans la littérature de l’ancien
et du moyen stoïcisme »
Philosophie antique, 1 | 2001, 119-135.

Référence électronique

Francesca Alesse, « Socrate dans la littérature de l’ancien
et du moyen stoïcisme »
Philosophie antique [En ligne], 1 | 2001, mis en ligne le 23 juin 2024, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/philosant/8058 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11vss

Haut de page

Auteur

Francesca Alesse

Centro di Studio del Pensiero Antico, CNR, Rome

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search