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AccueilNuméros1Socrate et la connaissance de soi

Socrate et la connaissance de soi

Quelques interprétations
Voula Tsouna
Traduction de Michel Narcy
p. 37-64

Résumés

La connaissance de soi est au centre de la pensée des socratiques. Tout en en faisant la marque propre du personnage de Socrate et de sa recherche de la vie bonne, Platon développe pour son propre compte les idées de Socrate sur la connaissance de soi, et ce, de plu­sieurs façons. un trait commun à ses analyses est l’intuition que notre conscience de nous-même est déterminée, au moins en partie, par des facteurs extérieurs à l’individu. Cet article apporte des arguments précis à l’appui de cette thèse.
La première partie esquisse une interprétation de certains aspects de l’Apo­logie, où Platon paraît convaincu de ce qu’une pleine connais­sance de soi inclut des éléments d’objectivité. La deuxième et la troi­sième partie sont consacrées respectivement au Charmides et au Premier Alcibiade, qui impliquent tous les deux que l’individu, pour acquérir une compréhension complète de lui-même, a besoin de se détour­ner de lui-même vers des faits et des valeurs objectifs. La quatrième partie applique cette conclusion à une difficulté soulevée par l’allégo­rie de la Caverne au livre VII de la République, et propose un essai de solution de cette difficulté. La dernière partie compare l’analyse platonicienne avec celle des cyrénaïques, qui soutiennent que la connaissance de soi se réalise de manière introspective grâce au sens intime. L’article s’achève sur quelques remarques concernant l’impor­tance de la connaissance de soi pour la moralité, et la pertinence de l’analyse platonicienne pour l’éhique et la philosophie de l’esprit contemporaines.

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Texte intégral

1Je vais discuter ici différentes façons dont Platon développe pour son propre compte les idées de Socrate sur la connaissance de soi. La structure de mon exposé est la suivante. Premièrement, j’esquisserai une interprétation de certains traits de l’Apologie et je soutiendrai que, dès cet ouvrage, Platon semble convaincu qu’une authentique conscience de soi inclut des éléments d’objectivité. Dans les deuxième et troisième sections, je parlerai de deux dialogues dans lesquels Platon examine deux conceptions différentes de la connaissance de soi en termes objectifs, le Charmide et l’Alcibiade. Dans le Charmide, mon hypothèse est que Platon aborde la connaissance de soi dans le contexte d’une enquête intellectualiste sur la nature de la sophrosune, la tempérance. Il considère la possibilité que la sophrosune, définie comme connaissance de soi, soit une sorte de connaissance, neutre du point de vue éthique, qui a soi-même pour objet et qui gouverne toutes les autres formes de savoir ou de science.

2L’argumentation dans l’Alcibiade prend un tour assez différent. Elle établit des liens entre le concept ordinaire de connaissance de soi comme prise de conscience de ce qu’on est et de la place qu’on occupe dans la société d’une part, et une conception philosophique selon laquelle la connaissance de soi revient à connaître et prendre réellement soin de son âme, d’autre part. Ces deux approches, sou­tient Platon, requièrent que l’individu se détourne de lui-même, vers des faits et des valeurs objectifs.

3La quatrième partie de mon exposé étudie l’achèvement de cette ligne de pensée dans le livre VII de la République, et notamment dans la métaphore de la Caverne. En conclusion, je comparerai l’analyse de Platon à celle d’un autre groupe de Socratiques, les Cyrénaïques, dont la thèse est que c’est par le moyen du sens intime qu’on parvient à la connaissance de soi. Enfin, je situerai ces deux approches concur­rentes dans un contexte plus large et j’expliquerai pourquoi elles ont pour nous un intérêt philosophique.

I

  • 1  Voir North 1966.
  • 2  Là-dessus, voir les remarques extrêmement utiles de Annas 1985, pp. 118-121.

4Pour commencer, j’aimerais faire quelques observations générales qui peuvent se révéler utiles tout au long de cette discussion. Le concept général de connaissance de soi que partagent pratiquement tous les Socratiques, c’est la conscience que l’on a de son propre savoir aussi bien que de son ignorance. On peut tout à fait l’attribuer au Socrate historique, bien qu’aucun témoignage indépendant ne vienne le confirmer. Selon chaque philosophe ou école philoso­phique, la conscience de ce que l’on connaît ou non peut coïncider en partie avec le concept ordinaire de sophrosune (tempérance). Elle peut inclure la saisie correcte de ce que l’on est et de ce que l’on peut faire ou ne pas faire en société (connaissance de soi), ainsi que la maîtrise, nécessaire à la réussite et au bonheur, de ses impulsions et de ses désirs (contrôle de soi)1. Ces deux aspects de la vertu de sophro­sune valent pour l’époque de Socrate et sont traités par ses compa­gnons, quoique de différentes manières. Dans les écrits des Socratiques, cependant, notamment ceux de Platon et des Cyrénaïques, le premier aspect prend le pas sur le second2. Et la recherche en est placée parmi les soucis éthiques les plus fondamen­taux, comme nous allons le voir en commençant par l’Apologie platonicienne.

5La connaissance de soi est la seule sagesse que Socrate, dans ce dia­logue, prétend posséder, et nous devons le croire quand il dit qu’il n’en possède aucune autre. Au début, Socrate la définit comme sagesse humaine (20d), et l’oppose à « cette sorte de sagesse humaine et sociale » (20b) que professent des savants comme les sophistes et qu’ils enseignent contre salaire (19e-20c). Cela suggère que, quel que soit le genre de savoir auquel revienne la connaissance de soi, ce n’est ni la techne de la politique et de l’activité civique que revendiquent des professionnels comme Gorgias et Evénos, ni plus généralement, une techne livrant des vérités en matière de moralité. En fait, il semble que la connaissance de soi n’est absolument pas une techne. Car si elle en était une, elle permettrait à Socrate d’instruire les autres, alors que, en réalité, il affirme qu’il n’est en mesure d’instruire personne (20c).

6C’est l’histoire de l’oracle qui fournit la clé pour déterminer la nature exacte de la connaissance de soi. À la réponse de la Pythie, qu’aucun homme n’est plus sage que lui, la première réaction de Socrate est un sentiment d’embarras, aporia (21a). « Que peut bien vouloir dire le dieu ? Quelle est cette énigme ? Car, en réalité, je suis conscient (xunoida) de n’être pas sage du tout, ni peu ni beaucoup. Donc, que peut-il bien vouloir dire quand il dit que je suis le plus sage ? Il ne peut certainement pas mentir, puisque cela ne lui est pas permis. Et pendant longtemps je fus dans l’embarras (eporoun) sur ce qu’il voulait dire. Puis, bien à contrecœur, j’entrepris de le soumettre à une enquête à peu près de la façon suivante. » (21b) Il a été peu remarqué, dans le commentaire moderne, que, d’après ce passage, c’est justement la conscience qu’a Socrate de sa propre ignorance qui le pousse à tester la nature et les limites de sa sagesse. C’est parce qu’il possède une connaissance de soi du genre approprié, c’est-à-dire la connaissance qu’il n’a pas la moindre sagesse, qu’il se sent perplexe vis-à-vis du verdict d’Apollon et qu’il est motivé à commencer son enquête. La question est alors de savoir en quoi la compréhension de soi obtenue au terme de l’enquête est différente de celle qui provoque les premières tentatives de Socrate.

« J’allai trouver l’un de ces hommes qui passaient pour des sages, dans l’idée que, s’il y avait un endroit où je devais examiner la pro­phétie et dire à l’oracle “ cet homme est plus sage que moi, bien que tu aies dit que c’est moi le plus sage ”, c’était bien là. Alors, quand j’examinai cet homme (il n’est pas besoin de vous dire son nom, mais c’est un de nos hommes politiques), et quand je conversai avec lui, les constatations que je fis à son sujet furent à peu près les suivantes. J’eus l’impression que cet homme paraissait sage à beaucoup de gens et surtout à lui-même, mais qu’il ne l’était pas. Puis j’essayai, à vrai dire, de lui montrer qu’il se croyait sage, mais ne l’était pas. Le résultat fut qu’il en vint à me prendre en aversion, ainsi que beaucoup des témoins de la scène. Et ainsi, en m’en allant, je me dis à moi-même : “ Cet homme-là, en tout cas, je suis plus sage que lui. Car il est vrai­semblable qu’aucun de nous deux ne sait rien qui en vaille la peine. Cependant, lui pense savoir quelque chose alors que ce n’est pas le cas, tandis que moi, je ne crois pas savoir quoi que ce soit, et c’est en fait le cas. C’est donc en cette seule petite chose que je semble être plus sage que lui : je ne crois pas savoir ce que je ne sais pas. ” Après lui, j’abordai un autre homme, parmi ceux qui avaient la réputation d’être encore plus sages que le premier, et les mêmes observations me semblèrent se vérifier. De sorte que celui-là et beaucoup d’autres me prirent en aversion. » (21 b-e)

7C’est sur la base de ces rencontres, suivies par d’autres, à l’occasion desquelles Socrate interroge des gens réputés sages en matière poli­tique et morale, qu’il finit par comprendre la vérité de l’oracle et, à partir de là, la valeur de la connaissance qu’il a de lui-même. Avant de commencer ses investigations, il était conscient de son ignorance, mais il ne comprenait pas à quel point il était important d’en être conscient. Maintenant il le comprend. Il la reconnaît comme la marque distinctive de la personne qui possède une sagesse humaine et qui, à ce titre, est supérieure aux autres hommes aux yeux du dieu.

8En outre, il n’atteint que progressivement ce niveau de compré­hension de soi, en examinant plusieurs personnes qui appartiennent à trois groupes différents et qui représentent trois sortes différentes de savoir. Après avoir parlé à plusieurs hommes politiques, il constate que « ceux qui avaient la plus grande réputation étaient presque les plus démunis, alors que d’autres, tenus pour inférieurs, étaient meil­leurs en matière de sagesse pratique » (22a). Il passe ensuite aux poètes, pour les questionner dans l’idée qu’ils doivent être mieux informés que lui sur le sens de leurs propres créations (22b). Cependant, dit-il,

« je sus (egnon) bientôt que ce n’est pas en vertu d’une sagesse que les poètes composent ce qu’ils composent, mais en vertu d’une disposition naturelle et grâce à une inspiration, comme les devins et les prophètes. Car ceux-là aussi disent beaucoup de belles choses, mais ils ne savent rien de ce qu’ils disent. Les poètes me parurent avoir eu une expérience du même genre. Et en même temps je compris (esthomen) que, justement au titre de leur poésie, ils se croyaient les plus sages des hommes, même en d’autres domaines où ils ne l’étaient pas. Je les quittai donc avec l’idée que je leur étais supérieur dans le même sens où je l’emportais sur les hommes poli­tiques. » (22c)

  • 3  Voir R. Woolf 1997.

9L’examen des poètes affine la compréhension qu’a de soi-même Socrate à deux points de vue. Il apprend que l’imitation poétique peut être réalisée sans aucun savoir quel qu’il soit, ce qui implique que le contenu d’un poème peut n’avoir aucun lien d’ordre cognitif ou moral avec le poète, mais être le résultat d’une intervention divine. Et par ailleurs il identifie l’inspiration artistique comme une importante source d’erreur en ce qui concerne la connaissance de soi. Les poètes croient qu’ils savent des choses qu’ils ne savent pas, ce qui vraisem­blablement inclut des vérités morales, parce qu’ils croient, à tort, contrôler eux-mêmes le contenu de leurs poèmes, et, à partir de là, d’autres choses également. Leur manque de connaissance de soi est lié à leur ignorance concernant la vraie nature de leur art, et en parti­culier à leur ignorance de la façon dont naît un poème et des condi­tions à remplir pour s’en voir reconnaître la paternité3. Les conversa­tions qu’a eues jusque-là Socrate font penser que l’ignorance dans les matières qui supposent une compétence et l’ignorance de soi s’im­pliquent mutuellement, et que la même chose vaut pour la connais­sance. Les hommes politiques ne possèdent pas la compétence morale et politique appropriée à leur métier, et ils ne se connaissent pas non plus eux-mêmes. Les poètes ne contrôlent pas les éléments constitutifs de leur art, et ils n’ont pas non plus conscience de leur ignorance. À l’étape finale de cette enquête, cependant, Socrate va comprendre qu’une personne peut posséder une certaine sorte de savoir et pourtant ne pas se connaître soi-même ; pire encore, qu’une personne peut échouer à se connaître soi-même, aveuglée par la compétence qu’elle possède.

« Finalement, je me tournai vers les artisans. Car j’avais conscience (xuneide) que je ne savais (epistamenos) pratiquement rien, et je savais (eide) aussi que je les trouverais compétents (epistamenous) en beaucoup de belles choses. En cela je ne fus pas déçu. Le fait est qu’ils savaient (epistanto) des choses que je ne savais pas et, de ce point de vue, ils étaient plus sages que moi. Mais, messieurs les juges, les bons artisans aussi me parurent avoir le même défaut que les poètes. Parce qu’il faisait bien son métier (techne), chacun d’eux se croyait très sage aussi sur les choses les plus importantes, et cette erreur de leur part éclip­sait la sagesse qu’ils possédaient. Résultat : je me demandai, de la part de l’oracle, si je préférerais être tel que je suis, dépourvu de leur sagesse et de leur ignorance, ou avoir les deux. Et, à moi-même et à l’oracle, je répondis qu’il valait mieux pour moi être tel que je suis. » (22c-e)

10C’est seulement parvenu à ce point que Socrate comprend la pleine valeur attachée au fait de savoir qu’il ne sait pas : quand il compare ce savoir à d’autres formes de savoir et à la prétention qui en dérive, et qu’il décide que ce savoir-là est préférable. Il est maintenant en mesure de comprendre la pleine signification de l’oracle. « Ce qui semble probable, messieurs, c’est que le dieu est vraiment sage et que dans cette prophétie il dit ceci : que la sagesse humaine n’a que peu de valeur, ou aucune. Et il semble que ce n’est pas proprement de Socrate qu’il dit cela, mais qu’il utilise simplement mon nom à titre d’exemple, comme s’il disait : “le plus sage parmi vous, mortels, c’est celui qui, comme Socrate, en est venu à savoir (egnoken) qu’en vérité il ne vaut rien pour ce qui est de la sagesse” » (23a-b). La reconnaissance de la valeur de la connaissance de soi va de pair avec celle de ses limites. Cette reconnaissance est la marque distinctive de la sagesse humaine, et elle est de ce fait préférable à toute autre sorte de savoir à la portée de l’homme. Mais elle n’est rien en comparaison du savoir divin de ces « choses les plus importantes ». Il nous faut maintenant préciser ce que sont ces dernières.

  • 4  Le point n’est pas que la phronesis soit un faux prétendant au titre de sophia, qui se révèle n’êt (...)

11Je commencerai par dire ce que, selon moi, elles ne sont pas. Il ne s’agit pas de « la sorte humaine et sociale d’excellence », de la politike techne enseignée par les sophistes et revendiquée par les hommes politiques. Cette sagesse-là inclut le bon jugement dans l’administra­tion des affaires privées et publiques (Prot. 318 e), aussi bien que la capacité de bien parler et de persuader les juges, les membres du Conseil ou de l’Assemblée dans les réunions publiques (Gorg. 452 e). Une description plus poussée (Gorg. 456a-457c) la présente comme un art d’ordre deux qui déborde et se subordonne des arts d’ordre un comme la médecine et la construction navale, faisant de ceux qui y sont compétents des esclaves qui travaillent pour le compte d’autrui (Gorg. 452 e). Et beaucoup des praticiens de cette sagesse-là affirment qu’elle est moralement neutre, négligeant le fait qu’elle est supposée rendre les gens capables de parler de façon persuasive du juste et de l’injuste (Gorg. 454 b). Cependant, l’interrogatoire auquel ont été soumis les hommes politiques dans l’Apologie suggère qu’ils ne possèdent pas l’excellence humaine et politique à laquelle ils prétendent, et que leur phronesis n’est en réalité pas du tout de la sagesse. S’il existe une telle excellence, elle n’est pas du domaine de la politike techne telle qu’on la pratique et la comprend couramment4.

12« Les choses les plus importantes » ne sont pas non plus affaire de techniques et de métiers. Il ne s’agit pas de savoirs spécialisés qui nous rendent capables de composer un bon poème, de dresser un cheval ou de faire de la poterie. Quand il rapporte ses conversations avec les poètes, Socrate sous-entend que, quelle que soit l’habileté qu’ils possèdent, elle a affaire avec la forme poétique, non avec le contenu, et que leur ignorance du sens de leurs poèmes est liée à leur manque de savoir concernant ce qui n’est pas poiesis, c’est-à-dire ce qui ne touche pas aux aspects formels de la poésie. Quant aux arti­sans, leur habileté dans leurs technai, leurs métiers, implique bien un savoir technique « en beaucoup de belles choses » (22d), mais ce n’est pas là la sorte de savoir qui préoccupe Socrate. En fait, il distingue nettement l’habileté artisanale de la connaissance des « choses les plus importantes ». Car, remarque-t-il, les artisans possèdent la première et non la seconde, et à cet égard ils sont plus sages que lui, mais ils croient à tort posséder aussi la seconde sorte de savoir, et de ce point de vue ils sont moins sages que Socrate lui-même. Ainsi, il s’avère que la sagesse humaine que Socrate décrit en termes de connaissance de soi ne coïncide avec aucun des trois types de sagesse illustrés par ces trois groupes de citoyens. Ce n’est ni la phronesis politique, ni la poiesis, ni même la techne qui produit les biens extérieurs et qui a pour carac­téristique de comporter de l’habileté manuelle.

13Ces oppositions, cependant, n’ont pas seulement une valeur néga­tive. Elles donnent aussi quelques indications sur ce à propos de quoi Socrate sait qu’il est ignorant. Les praticiens de l’art politique revendi­quent une compétence, qu’en fait ils n’ont pas, concernant ce qui est juste ou injuste, bénéfique ou nuisible, opportun ou non, etc., pour les individus comme pour la cité. Ils sont donc inconscients de leur ignorance concernant les catégories morales qu’ils utilisent pour per­suader et pour agir. La référence aux poètes va dans la même direc­tion. À commencer par Homère et les tragédiens, les poètes sont couramment considérés comme sages dans « tous les arts et toutes les choses humaines ayant affaire à la vertu et au vice, et toutes les choses divines » (Resp. 598e) ; précisément à cause du contenu de leurs écrits. Mais quand on les interroge, il s’avère qu’ils sont ignorants de cela même, c’est-à-dire de la signification morale de leurs poèmes.

14Les artisans sont dans une meilleure position que les deux autres catégories. Car, alors que les hommes politiques et les poètes se croient compétents sur tout ce qu’ils ne savent pas et seulement sur cela, la croyance des artisans, qu’ils sont sages dans leur domaine de compétence, cette croyance-là est exacte. Ils ont un certain savoir, mais pas celui des « choses les plus importantes » qui sont, dans mon hypothèse, les questions morales qui affectent la vie publique et pri­vée. Pour soutenir cela, on peut s’appuyer sur l’Apologie, où Socrate nous dit que « les bons artisans paraissaient avoir le même défaut que les poètes » (22d). En admettant que mon interprétation du passage concernant les poètes est en gros exacte, la déclaration de Socrate implique que les artisans, comme les poètes, transféraient leur conviction de savoir des questions techniques aux questions morales. Des arguments supplémentaires sont fournis par d’autres dialogues : Lachès est un expert dans les questions militaires et, à ce titre, il croit savoir ce qu’est le courage ; Euthyphron connaît à fond les rituels de la prière et du sacrifice et, pour cette raison, il se prétend expert en matière de piété.

  • 5  Voir là-dessus Rappe 1995.

15Ces remarques établissent le fait que la connaissance de soi socra­tique concerne principalement les constituants de la vie morale, et en particulier les vertus. À condition de la posséder, on doit être capable d’identifier la présence ou l’absence de connaissance morale, qui inclut la connaissance définitionnelle des vertus, à la fois en soi-même et chez les autres. L’implication est que le moi est étroitement lié à l’aptitude à connaître qui nous est essentielle. Et cette aptitude est améliorée par l’elenchos, dans la mesure où l’elenchos amène l’âme à « la condition la meilleure possible et la plus sage » (36c)5.

  • 6  Comparer avec Rappe 1995, passim.

16Maintenant, c’est une erreur, à mon avis, d’identifier ce qui dans l’âme aspire à la sagesse avec un moi simplement épistémique, ou de considérer la connaissance qu’en a l’agent comme relevant du seul registre épistémique6. Car dans l’Apologie Socrate donne l’impression d’être quelqu’un pour qui la poursuite de la connaissance de soi représente une tâche absolument centrale dans son existence. Il est authentiquement embarrassé au sujet du sens de l’oracle et il décide d’en pousser l’investigation plus avant (21b), parce qu’il est convaincu que ce genre de compréhension est terriblement important pour notre existence et notre bonheur. Il s’aperçoit, avec tristesse et inquié­tude, que l’examen auquel il soumet ses concitoyens le rend impopu­laire (21e), pourtant il continue à œuvrer au service du dieu (22a). Même après avoir tiré au clair ce que voulait dire le dieu, il va de côté et d’autre « s’adressant à quiconque, citoyen ou étranger », pourvu seulement qu’il le croie sage, afin de découvrir s’il l’est réellement (23b). Il ressent son impopularité croissante comme quelque chose de « difficile à supporter et un pesant fardeau » (23a), mais cela ne l’arrête pas non plus. Il n’hésite pas non plus à se tenir à l’écart des affaires publiques, ni même à négliger les siennes propres, ce qui l’amène à vivre dans une grande pauvreté (23b), pour pouvoir servir le dieu et trouver la sagesse qu’il sait ne pas posséder. À ceux qui pourraient lui reprocher d’avoir poursuivi une tâche qui l’a conduit à être maintenant en danger de mort, il répond qu’« aucun homme de quelque valeur ne doit prendre en compte ses chances de vie ou de mort, mais doit considérer seulement, dans ses actions, si ce qu’il fait est juste ou injuste, s’il agit comme un homme bon ou mauvais » (28b). Sa position vis-à-vis de la connaissance de soi, il la conçoit comme « une position qu’il tient pour la meilleure », ou comme un poste qu’il a reçu l’ordre de tenir et qu’il doit défendre face au dan­ger sans penser au risque que cela implique (28d). Et il est convaincu que rien n’aurait été pour lui plus déshonorant que de renoncer à la vie d’un philosophe qui examine lui-même et les autres, par crainte de la mort ou de quoi que ce soit d’autre (28e). De plus, il est essen­tiel à sa quête de la connaissance de soi d’aider les autres à l’atteindre.

« Si l’un d’entre vous prétend qu’il s’en soucie (scil. de la sagesse et de la vérité), je ne le laisserai pas partir ni ne le quitterai, mais je le questionnerai, l’examinerai et le mettrai à l’épreuve, et si je ne crois pas qu’il a atteint la sagesse qu’il dit posséder, je lui reprocherai d’attacher peu d’importance aux choses les plus importantes et plus d’importance aux choses inférieures. » (29e-30a)

  • 7  Par conséquent, à mon avis, la conception socratique de la connaissance de soi n’inclut pas la con (...)

17Donc, le moi dont Socrate presse les Athéniens de se préoccuper n’est pas simplement l’âme connaissante, mais l’âme tout entière vertueuse – l’âme qui possède l’arete. La conscience de ce qu’on sait et de ce qu’on ne sait pas, si on y parvient, implique la connaissance du genre de personne que l’on est, et non seulement de la sagesse que l’on a ou dont on est dépourvu7. Persévérer, comme l’a fait Socrate, dans le genre d’enquête qui vous révèle ce que vous savez sur vous-même, cela demande des qualités morales. Et il faut beaucoup de courage, de piété, de dévouement et de souci des autres pour les entraîner dans des conversations qui font apparaître leur ignorance aussi bien que leurs vices, et qui peuvent vous les rendre à jamais hostiles.

II

18Quand nous passons au Charmide, nous rencontrons la connais­sance de soi dans le contexte d’une enquête sur la nature de la vertu, plus précisément de la tempérance, sophrosune. Critias, qui est le second interlocuteur dans ce dialogue, et qui est un intellectuel rompu au jeu de la dialectique, évoque l’inscription delphique « Connais-toi toi-même » et, en accord avec elle, définit la tempé­rance, sophrosune, comme la connaissance de soi (164c-165b). À partir de là, l’argumentation devient un examen soutenu de cette définition de la sophrosune : cet examen met en évidence les hypothèses et les présupposés que Critias fait entrer dans le concept de connaissance de soi, indique les problèmes que pose ce concept, en tire les prin­cipales implications, et aboutit à montrer pourquoi la connaissance de soi, telle que l’entend Critias, ne peut refléter adéquatement l’essence de la vertu.

19La scène d’ouverture rattache la discussion de la sophrosune comme connaissance de soi au souci du bien-être de l’âme. Socrate propose de traiter le mal de tête de Charmide en lui administrant le charme de Zalmoxis, un remède qui opère une cure complète du malaise physique à condition que soit traitée d’abord l’âme du patient. Le trai­tement consiste à instiller de la tempérance dans l’âme, ou sinon à s’assurer que la tempérance y est déjà présente. Charmide doit donc exposer son âme pour que le charme opère sur elle, c’est-à-dire pour qu’elle soit examinée quant à sa tempérance, et seulement après cela voir appliquer à sa tête le remède de Zalmoxis (155e-157c). Si la vertu réside dans l’âme, Charmide doit être capable de dire qu’elle y est et d’avoir quelque idée du genre de chose qu’elle est (159a). Les tenta­tives de Charmide, puis de Critias, de définir la vertu sont donc ins­crites dans le cadre d’un effort thérapeutique : découvrir si l’âme est en bonne santé et veiller à ses besoins avant toute autre chose. Prises ensemble, les affirmations selon lesquelles (a) l’âme a priorité sur le corps, (b) il dépend de la présence en elle de la sophrosune qu’elle soit en bonne condition, et (c) la sophrosune est identique à la connaissance de soi, suggèrent un lien étroit entre l’âme et le moi, non sans res­semblance avec celui qu’indique l’Apologie.

20D’autres liens avec l’Apologie sont noués par la référence à l’oracle de Delphes et par le fait que la connaissance de soi est initialement caractérisée dans une large mesure comme conscience de l’igno­rance. L’homme tempérant de Critias « sera capable de discerner ce que réellement il sait et ne sait pas, et il aura la capacité de juger de la même façon ce que les autres savent ou croient savoir, et encore une fois ce qu’ils croient savoir sans le savoir » (167a). Il se révèle ainsi comme le plus sage des hommes, précisément dans le sens impliqué par la réponse d’Apollon dans l’Apologie. Comme Socrate, l’homme tempérant a connaissance de lui-même au sens où il est conscient de la nature et des limites de sa sagesse ; il peut découvrir si les autres possèdent aussi cette conscience ; et il est le seul à pouvoir le faire : « tout autre sera incapable d’agir ainsi » (ibid.).

21Il y a cependant des différences importantes entre les qualités de l’homme tempérant et celles que manifeste Socrate dans l’Apologie. Elles émergent si nous étudions de plus près la notion de connais­sance de soi à laquelle donnent corps les interlocuteurs du Charmide, et elles indiquent de nouvelles lignes d’interprétation du concept que Platon met à l’essai dans ce dialogue. Aussi bien la personne qui se connaît elle-même, comme Socrate, que l’homme tempérant tel que le décrit Critias représentent des positions intellectualistes. Ce qui ne veut pas dire que dans chacun des deux dialogues Platon propose une théorie générale ou un ensemble cohérent de croyances logi­quement liées entre elles. Je veux dire seulement que chaque ouvrage met en avant un certain nombre de croyances relatives à la bonté morale qui attachent une importance primordiale aux états de connaissance, et en particulier à la connaissance de soi, et qui lient d’une certaine façon la vertu morale à ces états cognitifs. Socrate découvre que la conscience de sa propre ignorance est ce qui le dis­tingue comme plus sage que les autres hommes. Et Critias affirme que la connaissance de ce qu’on sait et ne sait pas, et de ce que les autres savent et ne savent pas, est la caractéristique définitionnelle du tempérant. D’autre part, soutiendrai-je, l’intellectualisme présente dans le Charmide des différences frappantes et a des implications très différentes de la position exposée dans l’Apologie. Une esquisse de l’argumentation concernant la connaissance de soi doit suffire à établir ce point.

  • 8  Voir Tsouna 1997, p. 66-69, 74.

22La première chose à remarquer, c’est que Critias commence l’exa­men de la tempérance comme connaissance de soi dans l’idée qu’il la possède lui-même amplement. Tout au long de l’argument, il n’y a pas la moindre allusion au fait qu’il pourrait avoir jamais douté de connaître son propre moi, et il y a la preuve qu’en vérité il n’en a pas douté8. Sa conviction se révèle être fausse. Non seulement il échoue à fournir une notion de la connaissance de soi qui puisse servir de définition adéquate de la vertu, mais en outre il se révèle intempérant dans sa conduite pendant la conversation. C’est ainsi que, à l’opposé de Socrate dans l’Apologie, Critias croit qu’il sait ce qu’il ne sait pas ; et l’idée qu’il a de lui-même est celle d’un type de personne qu’en fait il n’est pas. Bref, il manque de connaissance de soi dans le sens appro­prié et c’est dans cet état mental qu’il s’expose lui-même à l’elenchos.

23Sa conception intellectualiste de la tempérance comme une forme de connaissance prend forme progressivement dans la deuxième par­tie du dialogue. En réaction à son affirmation que « la tempérance, c’est se connaître soi-même » (165b), Socrate souligne (165c) que, si la tempérance est une certaine façon de connaître (gignoskein ti), alors elle doit être une certaine sorte de savoir ou de science (episteme tis) et elle doit être science de quelque chose (episteme tinos). Résultat : l’affirma­tion initiale de Critias est reformulée dans la définition de la vertu comme « science de soi-même » (episteme heautou : 165d). Notez que, d’ores et déjà, la connaissance de soi est traitée à peu près de la même façon que d’autres formes de connaissance : elle est considérée comme une science (episteme) en vertu du fait qu’elle comporte une certaine façon de connaître ; et elle est dite avoir un objet, comme ce serait le cas des autres sciences. À ces deux points de vue, la connais­sance de soi est, pour ainsi dire, objectivée. Car elle est souvent décrite, non comme un état cognitif, mais comme un corps de connaissance constitué de croyances reliées entre elles et organisé selon des principes régulateurs ; non comme une sorte particulière de conscience personnelle, mais comme une discipline à comparer avec d’autres disciplines d’ordre un.

24Une différence importante entre la science de soi et les autres sciences, remarque Critias (166c), c’est que « toutes les autres sont des sciences de quelque chose d’autre, tandis que celle-ci est la seule qui soit à la fois science des autres sciences et d’elle-même (episteme heautes) ». Deux nouveaux éléments s’ajoutent maintenant au concept : la réflexivité et la vague idée que les autres sciences sont d’une cer­taine façon les objets de la science de soi, c’est-à-dire qu’elles lui sont d’une certaine façon subordonnées. Ces deux éléments se révéleront problématiques, quoique pour des raisons différentes. Mais il me faut d’abord éclairer chacune de ces caractéristiques et faire un bref commentaire sur leurs implications pour notre façon de com­prendre la connaissance de soi.

  • 9  J’ai emprunté cette troisième voie dans Tsouna 1997.
  • 10  Voir Annas 1985, p. 134.

25La réflexivité apparaît comme le résultat de ce qui a tout l’air d’une transition injustifiée de la « science de nous-même (episteme heautou) » (165d) à la « science d’elle-même (episteme heautes) » (166c). Les com­mentateurs interprètent ce glissement de différentes façons. Certains soutiennent que Platon, tout simplement, s’embrouille dans ce pas­sage, d’autres suggèrent qu’il voit le sophisme mais continue de toute façon, dans le but de démontrer la folie de Critias, d’autres encore établissent un certain lien entre connaissance de soi et science de la science, et tentent de justifier le glissement de cette façon9. De quelque façon qu’on l’interprète, il est clair que la réflexivité en ques­tion ici n’appartient pas au sujet connaissant prenant connaissance de son propre moi, mais à une science prenant pour objet elle-même plutôt que quelque chose de distinct d’elle-même. En d’autres termes, la réflexivité dont il s’agit ici n’est pas, à proprement parler, celle qui distingue la connaissance de soi, mais plutôt la réflexivité inhérente au concept de science de science, dont la discussion a remplacé à ce moment du dialogue celle qu’on attendait, sur la définition de la tempérance comme connaissance de soi-même. Et symétriquement, l’argumentation ne porte plus sur l’explication de la tempérance dans les termes d’un savoir dont l’objet est notre moi, mais sur la défini­tion de la vertu comme (corps de) connaissance qui a la connaissance pour objet. L’affirmation supplémentaire, que la science de la science est science à la fois d’elle-même et des autres sciences, déplace encore une fois l’attention, de ce que le sujet sait et ne sait pas, à la capacité du sujet de détecter ce que les autres savent et ne savent pas, c’est-à-dire à la connaissance de la connaissance des autres, et non simplement de la nôtre10.

  • 11  En ce sens, Annas 1985, p. 135.

26La question que nous devons affronter maintenant est de savoir pourquoi Platon déroule son argumentation de cette façon inatten­due. Une réponse possible est qu’il trouve la connaissance de la connaissance plus claire et plus facile à discuter que la connaissance du moi, justement parce qu’il est conscient des problèmes qui obs­curcissent le concept du moi réel11. Mais cela n’explique pas pour­quoi Platon se sentirait autorisé à opérer ce glissement. De plus, cela implique qu’il n’y a pas de rapport du tout entre connaissance de soi et science de science. Je suggère une autre façon d’aborder la ques­tion : c’est de supposer qu’il y a un tel rapport, et de considérer la science de la science comme une interprétation possible de la connaissance de soi qui est mise à l’essai et réfutée dans ce dialogue. Dans cette perspective, se connaître soi-même revient précisément à posséder la connaissance de la connaissance et de ce fait à être capable de juger ce que réellement on sait et ne sait pas, ainsi que ce que les autres savent ou croient savoir, et encore une fois ce qu’ils croient savoir sans le savoir (167a). Dans ce cas, la connaissance de soi n’est pas la conscience d’un insaisissable moi, mais une connaissance substantielle qui nous rend capable de détecter la présence ou l’absence d’un tel savoir en nous-mêmes et chez les autres.

  • 12  Il y a matière à discussion sur la question de savoir si l’homme tempérant a le même savoir que le (...)
  • 13  Voir à ce sujet Levine 1984 et Tsouna 1997.

27L’effort pour objectiver la connaissance de soi est complété par le second élément mentionné ci-dessus, à savoir l’affirmation que la science de la science régit non seulement elle-même mais aussi les autres sciences. Les branches du savoir en question couvrent des dis­ciplines d’ordre un et englobent un savoir d’ordre épistémique et factuel, avec des sous-entendus technocratiques. Ainsi, telle que la voit Critias, la connaissance de soi comprise comme la science de la science est tout entière un domaine objectif. Elle comporte l’acquisi­tion d’une compétence extrêmement vaste12, en raison de laquelle l’homme tempérant s’assure une position d’autorité non seulement cognitive mais aussi politique13 sur les autres.

  • 14  Voir Rosenmeyer 1957.

28À la fois la réflexivité de la connaissance de soi et son statut d’ordre deux retrouvent une place centrale au moment de réfuter l’affirmation de Critias, que la tempérance, c’est la connaissance de soi comprise comme science de science. Tout d’abord, Socrate conteste la possibilité même d’une connaissance de soi en ce sens, en souli­gnant qu’il y a des catégories de termes qui excluent toute réflexi­vité14. De même que se révèle improbable la suggestion qu’il y ait une vision qui ne soit pas vision de ses objets mais vision de soi-même et des autres visions, ou qu’il y ait un désir qui ne soit pas désir de plaisir mais désir de soi et des autres désirs, etc., de même il peut paraître tout aussi étrange qu’il y ait une science de ce genre, qui ne soit pas science de ses propres objets mais science de soi-même et des autres sciences (167b-168a). Des considérations similaires s’appliquent aux cas de termes relatifs, qui n’admettent aucune réflexivité (168b sqq.) et, de façon générale, aux termes qui désignent des choses « qui ont une certaine faculté d’être “de quelque chose” » (168b). Car il semblerait qu’aucun d’entre eux ne peut appliquer sa propre faculté (dunamis) à lui-même, mais seulement à un objet dis­tinct de lui-même ; ou du moins que certains le peuvent et d’autres non (169a). Et même dans ce dernier cas, il n’est toujours pas évident que la science en question fasse en vérité partie des choses qui peuvent appliquer réflexivement leur propre faculté à elles-mêmes (ibid.). Selon cette argumentation, donc, la connaissance de soi inter­prétée comme connaissance d’elle-même est, au mieux, probléma­tique et, au pire, inconcevable.

  • 15  Les commentateurs ont souvent été embarrassés par le fait que Socrate semble contester ici l’une d (...)
  • 16  Il doit être évident que, d’après moi, Socrate ne conteste pas ici, comme l’ont cru plusieurs aute (...)

29Encore plus dévastatrice est la critique concernant la nature d’ordre deux de la connaissance de soi. Socrate, cette fois, admet la réflexivité ; à la place, il conteste l’hypothèse que la science de science conduise au bonheur, comme sans aucun doute doit le faire la vertu (169d sqq.)15. Je n’ai pas le temps d’entrer dans les complica­tions de cette argumentation extraordinairement serrée ; il est suffi­sant pour mon propos de mentionner l’intuition sous-jacente : que la connaissance de soi, analysée en termes de science de science, n’a aucun rapport avec la moralité et que, par conséquent, elle ne peut être une définition adéquate de la tempérance. La neutralité morale de la science de science apparaît au grand jour dans la société uto­pique du rêve. Car, bien que, dans cette société, toutes choses soient faites avec connaissance de connaissance, cela ne semble pourtant pas garantir le bien-être des citoyens16. Quand Critias est pressé de préci­ser de quoi est la connaissance grâce à laquelle, si nous la possédons et vivons en conformité avec elle, nous vivrons bien et serons heureux, il déclare que c’est la connaissance du bien et du mal (174b). Et c’est à ce point qu’il en appelle à la nature d’ordre deux de la connaissance de soi, telle qu’il l’a définie auparavant. Car il soutient que puisque la science de science régit non seulement elle-même mais aussi les autres sciences, elle régira aussi la science du bien et du mal, et de ce fait présentera l’avantage moral de nous rendre heureux (174d-e). L’implication est que la science de science conserve ses rapports avec la moralité précisément en raison de son statut d’ordre deux. Si la réponse de Critias était acceptée, sa conception intellectualiste de la connaissance de soi resterait intacte ; la tempérance serait définie comme la science de la science et l’autorité de l’homme tempérant sur les autres serait garantie.

30Socrate, cependant, ne concède pas ce point. La cible ultime de l’elenchos, c’est précisément l’idée que la science de science possède en fait un statut d’ordre deux en vertu duquel elle présiderait aux autres formes de savoir, y compris la connaissance du bien et du mal. Les choses utiles, soutient Socrate, sont obtenues grâce aux disciplines particulières, et non grâce à la science de la science (174e-175a). Plus précisément, le bonheur s’obtient grâce à une forme particulière de connaissance, la connaissance du bien et du mal, et non par le moyen de la science de la science (174c) ; on en conclut que la science de la science ne régit pas les disciplines particulières, y compris la connaissance du bien et du mal, pour autant qu’il s’agit des avantages qu’elles procurent. Cela implique que la science de science (qui, ne l’oublions pas, est le développement donné par Critias à la définition de la tempérance comme connaissance de soi) n’a rien à voir avec la vie bonne. De fait, à partir du moment où elle paraît ne procurer aucun avantage qui lui soit propre, elle risque de n’être d’absolument aucune utilité.

31Cette conclusion est évidemment inacceptable pour nos intui­tions, et il est raisonnable de vouloir découvrir ce qui est allé de tra­vers. J’esquisserai une réponse en mentionnant tout d’abord certaines caractéristiques de la connaissance de soi qui ont été perdues de vue au cours du dialogue, puis en commentant la tentative de Critias, d’analyser la connaissance de soi en termes objectifs. Dans la scène d’ouverture du Charmide, la recherche de la définition de la tempé­rance a pour motif le souci socratique du soin de l’âme, laquelle, est-il suggéré, est identique au moi. Cette idée est sous-jacente à la défini­tion initiale de la tempérance comme connaissance de soi aussi bien qu’au développement de ce concept dans celui de la science du moi (165d). Mais quand Critias transforme ce concept en celui d’une science qui serait science d’elle-même et des autres sciences (166c), les thèmes du soin de l’âme et de l’identification de l’âme avec le moi disparaissent, ainsi que toutes les dimensions morales de la connais­sance de soi en tant que notre capacité de détecter l’ignorance en nous-même et chez les autres. Ainsi le pivot de l’argument, tel que je le lis, est indiqué par les affirmations que la connaissance de soi est réflexive au sens où elle se prend elle-même, et non le moi, pour objet, et aussi que d’une certaine façon elle règne sur les autres formes de savoir.

32J’ai soutenu précédemment que ces affirmations sont faites dans un effort pour fonder la connaissance de soi dans quelque chose d’objectif et d’impersonnel, plutôt que dans la notion subjective de moi. Cet effort échoue, et l’argumentation finale du dialogue explique jusqu’à un certain point pourquoi. La réflexivité pourrait arriver à objectiver la connaissance de soi sur le plan épistémique, bien que même sur ce plan elle pose de sérieux problèmes ; mais elle n’a absolument aucune implication de ce type sur le plan moral. Le fait que la science de la science se prend elle-même pour objet se révèle absolument sans rapport avec le projet de nous détacher de nos intérêts personnels et d’acquérir un point de vue moral objectif. En fait, la science de la science semble n’avoir absolument aucun rapport avec des préoccupations morales. Ces critiques laissent Platon, et nous avec lui, chercher s’il y a d’autres façons, meilleures, de fonder la connaissance de soi sur une certaine forme d’objecti­vité. C’est une telle possibilité qui est discutée dans l’Alcibiade.

III

33L’Alcibiade est un dialogue énigmatique, en partie parce qu’il semble consister en deux sections différentes et sans lien entre elles. La première est sur un modèle rendu familier par les autres dia­logues aporétiques. Socrate entreprend le jeune Alcibiade, qui a des ambitions politiques, et lui montre que la connaissance morale et l’expérience nécessaires pour réussir une carrière politique lui font complètement défaut : il est ignorant en matière de justice, de pru­dence et d’utilité, alors qu’il a l’intention d’instruire les Athéniens sur ces questions ; et il ne sait pratiquement rien de ses futurs adversaires politiques ni de la position où sa propre éducation, ses capacités et son statut social le placent vis-à-vis d’eux (104e-127e). Une fois qu’il lui a fait comprendre l’ignorance qui est la sienne, Socrate le presse de prendre soin de lui-même (128a) et lui dit que la manière de le faire est de rechercher la sophrosune, la connaissance de soi (128e sqq.). Non seulement cette recommandation est loin d’être évidente, elle conduit également à une enquête qui n’a rien à voir avec ce qui se passait dans la première partie de l’ouvrage : un examen de la struc­ture la plus profonde du moi, qui comporte une analyse du vrai moi comme de quelque chose de complètement différent de ce que nous croyons ordinairement être notre moi (129b sqq.).

  • 17  Voir Annas 1985.

34Il a déjà été remarqué, dans la littérature récente17 que, en fait, la connaissance de soi est le fil rouge qui relie les deux moitiés appa­remment disjointes du dialogue. Pendant la première moitié, Alcibiade est amené à reconnaître qu’il ne se connaît pas lui-même, au sens assez ordinaire où il n’a pas conscience de qui il est, de ce que sont les rôles qu’il peut jouer dans la société, et de la position qui est la sienne relativement aux autres. Dans la seconde moitié, il est amené à voir ce que supposerait l’acquisition de la connaissance de soi en un sens plus profond, philosophique, du terme. Dans cette partie, l’argumentation problématise le concept de moi, rejette des hypothèses concernant son individualité, et avance l’idée que le moi est quelque chose d’objectif et d’impersonnel et que, par conséquent, le connaître implique une compréhension de la réalité prise comme un tout.

  • 18  Voir, pour une position contraire, Annas 1985 et Brunschwig 1996.
  • 19  Il doit être clair que, selon mon interprétation de l’argumen­tation, l’individualité ne disparaît (...)

35Le premier pas accompli par Socrate en direction d’une définition du moi comme quelque chose d’objectif, au moins en partie, consiste à identifier le moi et l’âme et à soutenir que la connaissance de soi, c’est la connaissance de l’âme, non du corps (128a-130c). Une façon de déterminer ce que nous-mêmes pouvons bien être (ti pot’ esmen autoi : 128e), propose-t-il, est la suivante. Quand lui et Alcibiade sont en conversation, ce sont seulement leurs âmes qui com­muniquent l’une avec l’autre. Car une personne utilise ou gou­verne son corps comme un artisan ses outils : ainsi le corps ne peut prendre aucune part à sa propre conduite et, par conséquent, la per­sonne ou le moi (qui, dans cet exemple, conduit une conversation avec quelqu’un d’autre) ne peut être un composé d’âme et de corps (129b-c). Ensuite, en se fondant sur cette conception du moi, sont éliminés les éléments liés à l’individualité d’une personne, dans la mesure où ce sont son apparence et sa constitution physique qui permettent de la reconnaître. Il me semble cependant que l’individua­lité est conservée dans une certaine mesure18. D’abord, je peux encore parler d’âmes individuelles, de l’âme de Socrate en tant qu’elle est distincte de l’âme d’Alcibiade. Deuxièmement, on peut affirmer que c’est mon âme qui fait de moi un objet animé, et non l’âme de quelqu’un d’autre. Et troisièmement, la connaissance que j’ai de moi-même comporte au moins un élément de connaissance de soi individuelle, à savoir que je sais que je suis mon âme, ce qui dans la suite de l’argumentation va devenir savoir que je suis un être rationnel et que par conséquent je possède un élément divin commun à tous les êtres rationnels et à Dieu19.

36Parvenu à ce point, Socrate note que, même si la démonstration de l’identité de l’homme et de l’âme n’est pas la plus claire possible, et même si la conclusion n’en a été établie que de façon imprécise et dans certaines limites, elle suffit cependant pour le but poursuivi présentement (130c). Et il ajoute :

« Nous connaîtrons (eisometha) cette question avec précision quand (tote… hotan) nous aurons découvert ce que maintenant (nun) nous avons laissé de côté parce qu’il impliquerait une longue enquête. » (130d)

37Ce qu’ils ont négligé, il le précise de la façon suivante :

« C’est ce qui a été d’une certaine façon indiqué il y a un moment, à savoir que l’on doit examiner d’abord le moi lui-même (auto to auto). Maintenant (nun) cependant, à la place du moi, nous nous sommes enquis de chaque moi individuel pour déterminer ce qu’il est. Et peut-être cela sera-t-il suffisant (exarkesei). Car nous ne dirions certainement pas qu’il y a en nous quelque chose de plus dominant que l’âme, en quelque sens que ce soit. » (130d)

  • 20  Comme le souligne Annas 1985, p. 131.

38Tous les interprètes de l’Alcibiade considèrent ces passages comme un tournant du dialogue. Il y a consensus sur l’idée que Socrate a fourni jusque-là une argumentation provisoire d’où il résulte que le moi, c’est l’âme, mais qu’ensuite il va nous donner une démonstration claire et précise concernant la vraie nature du moi. Et bien qu’il y ait une controverse sur le point de savoir si l’expression « le moi lui-même » fait référence aux Formes ou si elle désigne l’âme rationnelle conçue de façon impersonnelle20, tous les commentateurs admettent que l’argumentation qui suit concerne le moi lui-même, non chaque moi individuellement.

39D’un autre côté, je voudrais proposer une façon entièrement dif­férente de comprendre ce passage, qui a des implications importantes pour la façon de comprendre la connaissance de soi recherchée dans ce dialogue. Ma thèse est que l’enquête sur le moi lui-même inclut les Formes et n’est jamais entreprise dans l’Alcibiade. Socrate la mentionne en passant, de façon à situer l’argumentation du dialogue dans sa juste perspective, et aussi dans le but d’alerter le lecteur d’une autre méthode, qui est préférable, pour analyser la nature du moi. Cela fait, il entreprend d’explorer plus avant la conclusion de l’examen provisoire du moi, à savoir la thèse selon laquelle le moi, conçu individuellement, c’est l’âme.

40Le texte me semble soutenir cette interprétation, si nous le lisons d’assez près. Socrate demande à Alcibiade s’il voit une quelconque nécessité de démontrer plus clairement que l’homme, c’est l’âme, et Alcibiade répond que, au contraire, il se satisfait de la présente argu­mentation telle quelle (130c). À quoi Socrate donne son assentiment : « même si la conclusion a été établie, il est vrai, sans précision et seu­lement à titre provisoire, cela nous suffit (exarkei) » (ibid.). Notez l’emploi du présent, exarkei : le type de démonstration provisoire qu’ils ont recherché jusque-là est encore suffisant pour le but qu’ils poursuivent dans leur discussion. Socrate et Alcibiade sont tous les deux d’accord là-dessus et ni l’un ni l’autre ne voient la nécessité d’une autre démonstration, plus définitive. D’autre part, poursuit Socrate, « nous connaîtrons (eisometha) cette question avec précision quand (tote… hotan) nous aurons découvert ce que maintenant (nun) nous avons laissé de côté parce qu’il impliquerait une longue enquête » (130d). Ici aussi, le temps du verbe ainsi que les adverbes de temps qui modifient les verbes de la phrase sont significatifs : nous connaî­trons (eisometha) une autre fois ce que nous avons maintenant (nun) omis d’examiner, parce que cela demanderait beaucoup d’efforts et parce que, de toute façon, la preuve que nous avons suffit à l’objectif que nous poursuivons. Quel serait cet autre type, plus clair, de démons­tration ? Elle inclurait la considération du moi lui-même (auto to auto : ibid.) : c’est là ce qu’il nous faut examiner (skepteon eie : ibid.), dit Socrate, si jamais nous voulons obtenir une connaissance vraie sur le moi. Maintenant cependant (nun de), poursuit le texte, « à la place du moi, nous nous sommes enquis de chaque moi individuel, et peut-être cela sera-t-il suffisant (isos exarkesei) » (ibid.). Socrate suggère donc que l’argumentation telle qu’elle a été conduite jusqu’ici sera adé­quate pour ce qui va suivre. Pourquoi pense-t-il que la démonstration provisoire qui identifie le moi et l’âme constitue un fondement approprié pour ce qui vient ensuite ? Il en donne lui-même la raison dans la dernière phrase du passage : puisque l’âme est certainement en nous l’élément le plus important (ibid.), peu importe la façon dont nous considérons la question.

41Ainsi le texte me semble-t-il aller résolument dans le sens de mon interprétation. De plus il y a des raisons philosophiques contrai­gnantes pour l’accepter. Telle qu’elle se développe à partir de 130d, l’argumentation se réfère avec constance au moi conçu individuelle­ment. Socrate entreprend d’expliquer plus avant de quelle façon Alcibiade peut prendre soin de son âme. Il y parvient en analy­sant la nature de l’âme d’un individu quelconque, non en considérant l’âme de façon impersonnelle et abstraite. En fait, il n’est plus fait mention nulle part du moi lui-même (auto to auto) dans la partie du dia­logue dont il est question. Il n’est pas fait mention non plus des Formes, bien qu’elles soient requises par l’enquête sur le moi lui-même. Ces consi­dérations n’impliquent pas que le moi soit subjectif ; au contraire, Socrate soutient que sa partie la plus profonde, c’est-à-dire ce qu’il y a en lui de plus divin, fait partie de la réalité ultime des choses. Ce qu’impliquent mes observations, c’est que c’est en consi­dérant le moi individuellement (auto hekaston), et non en lui-même (auto to auto), que Socrate parvient à décrire le moi en termes objec­tifs. Je vais mainte­nant fournir des preuves à l’appui de mes sugges­tions, et aussi don­ner plus d’explications sur le concept de connais­sance de soi qui se dégage de l’Alcibiade, en commentant la dernière partie du dialogue (132d sqq.).

  • 21  L’une des meilleures discussions se trouve dans Brunschwig 1973. Voir aussi Soulez 1974 et Vernant (...)
  • 22  Voir Brunschwig 1996, p. 73. La question de savoir si la pupille est une meilleure ou plus mauvais (...)
  • 23  Tous les manuscrits portent la leçon theon kai ten phronesin, et je ne vois aucune raison d’en fai (...)

42Je ne m’arrêterai pas sur les détails et les problèmes du célèbre passage qui assimile se connaître soi-même à se voir soi-même (132d-133c)21. L’analogie est en gros la suivante. Un œil, pour se voir soi-même, doit regarder un miroir, et on peut trouver une sorte de miroir dans un autre œil (en supposant qu’il appartient à une autre personne), et en particulier dans sa partie la meilleure, la pupille. Une âme, de la même façon, pour se connaître elle-même, doit regarder une autre âme, et en particulier sa partie la meilleure, la sagesse. Comme avec n’importe quel miroir, l’œil voit à la fois un objet, c’est-à-dire l’œil d’une autre personne, et lui-même reflété dans cet objet22. L’âme aussi connaît simultanément la partie d’elle-même qui est la meilleure et la plus divine, c’est-à-dire le siège du savoir et de la rai­son, et la partie la meilleure et la plus divine d’une autre âme à partir de laquelle la première âme obtient son propre reflet. Puisque Dieu incarne la rationalité et la sagesse, et puisque la région de l’âme dans laquelle ces dernières sont localisées ressemble à Dieu (133c), le reflet de soi-même que l’on reçoit en regardant la région divine de l’âme d’un autre procure la connaissance de toutes les choses divines, Dieu et la sagesse23. C’est cela qu’est, en dernière instance, la connais­sance de soi.

43Les concepts qui sont au centre de l’analogie sont ceux du miroir et aussi de cette sorte particulière de miroir qu’est l’œil. Quand une personne regarde un miroir, ce qui est réfléchi vers elle est quelque chose qu’en un sens elle est ou qu’elle possède, c’est-à-dire sa propre image. Et c’est aussi ce qu’est ou possède le miroir aussi longtemps que dure la réflexion dans le miroir. C’est ce concept de réflexivité que Platon utilise ici pour expliquer la nature de la connaissance de soi. L’âme acquiert la connaissance de sa nature essentiellement cognitive en regardant une autre entité, numériquement distincte. Celle-ci est ou a la même nature essentiellement cognitive et, en rai­son de ce fait, constitue un miroir qui renvoie à l’âme sa propre image, c’est-à-dire l’image d’elle-même comme chose connaissante et divine.

44Je conclus, premièrement, que, dans ce dialogue aussi, la connais­sance de soi est conçue comme le savoir d’un savoir, précisément en raison de sa réflexivité. Deuxièmement, la description finale de la connaissance de soi en termes objectifs est liée à cette réflexivité. La connaissance la plus pure de lui-même, l’homme l’acquiert, non pas en regardant un autre être humain, mais en regardant l’élément divin dans l’âme d’une autre personne et, selon certaines interprétations, aussi en regardant la divinité dans le monde en général. La sagesse qui lui est renvoyée comme un reflet est quelque chose d’objectif au sens où elle est la même dans toute âme individuelle aussi bien que dans l’âme rationnelle identique à Dieu, et aussi au sens où, en tant que telle, la sagesse constitue un ultime constituant de la réalité.

45À ces deux points de vue, à savoir la réflexivité et le souci d’objec­tivité, la conception de la connaissance de soi proposée dans l’Alci­biade est comparable à celle du Charmide. D’importantes différences doivent cependant être mentionnées. Premièrement, l’effort de Platon pour objectiver la connaissance de soi prend dans ce dialogue un nouveau tour. Il n’essaye plus d’atteindre son but en définissant la connaissance de soi sans référence au moi. Au lieu de cela, il prend une direction plus prometteuse, qui consiste à se concentrer sur le concept de moi et à le décrire en termes objectifs, c’est-à-dire comme une partie de la structure globale de l’univers. Deuxièmement, l’idée que la connaissance de soi est réflexive n’en­traîne ici aucun lien avec le fait qu’elle serait un savoir d’ordre deux, régissant soi-même et les autres sciences, comme dans le Charmide. La connaissance de soi est connaissance d’elle-même au sens où elle est connaissance de son propre reflet, non au sens où elle se prendrait elle-même pour objet, ainsi que les autres formes de connaissance. Il est vrai que Socrate semble considérer la connaissance de la sagesse et de Dieu comme la chose la plus importante qu’une personne puisse posséder. Mais c’est parce qu’il croit que seul ce type de connaissance nous rend capables de prendre soin de notre âme, identique à notre moi, et par conséquent de nous donner du mal pour arriver à la vertu. Par opposition, Critias attribue une importance suprême à la science de la science, principalement à cause de ses prétentions à régir les autres disciplines. Et il soutient que la science de la science assure le bonheur en régissant pour les mêmes raisons la connais­sance du bien et du mal.

  • 24  Socrate souligne aussi l’infériorité d’Alcibiade par rapport à ses adversaires en ce qui concerne (...)

46Troisièmement, l’objectivation de la connaissance de soi dans l’Alcibiade s’inscrit dans le contexte éthique du soin de l’âme. Si, en même temps qu’Alcibiade, nous comprenons que nous ne pouvons nous connaître nous-mêmes qu’en nous détachant de notre person­nalité et de nos intérêts propres et en nous tournant vers la sagesse universelle, alors, suggère Socrate, nous serons vraiment capables de prendre soin de nous-mêmes et de vivre la vie bonne. D’autre part, même si nous acceptions la suggestion de Critias, que la connaissance de soi se ramène à la science de la science, on peut douter que cela nous rapproche du bonheur. Finalement, le but même de la connais­sance de soi est différent dans les deux dialogues. Alors que dans le Charmide il englobe des matières principalement technocratiques, théoriques et politiques, dans l’Alcibiade l’insistance porte sur des questions morales. Pendant la confrontation initiale entre Socrate et le jeune homme, ce dernier se montre ignorant en fait de justice, de prudence et de sens politique, inférieur à ses adversaires pour l’édu­cation et les vertus24, et aussi incohérent dans ses idées sur les carac­téristiques éthiques du bon gouvernement. Si la connaissance de soi doit l’aider à résoudre ses problèmes, il est raisonnable de supposer qu’elle doit comporter, pour une part importante, la connaissance des matières sur lesquelles Alcibiade ne sait rien pour le moment, comme les vertus, l’amitié et les conditions morales de la concorde et de l’harmonie entre citoyens. C’est ce qu’indique aussi la fin du dialogue, où Alcibiade annonce qu’il va « commencer dès maintenant à faire effort en vue de la justice » (135e).

47À la fin de l’Alcibiade, il est probable que nous restons avec l’idée que regarder hors de nous, vers les réalités, est un meilleur moyen d’acquérir la connaissance de soi que d’essayer de localiser en nous un moi insaisissable. Il se peut aussi que nous ayons le pressentiment croissant que nous connaître nous-mêmes a beaucoup à voir avec la bonté, et pas seulement avec la vérité. Du point de vue de Platon, cela semble un excellent état d’esprit pour entrer dans la caverne de République VII.

IV

48Ma contribution à l’énorme littérature concernant ce texte célèbre est liée à un détail dans la description de la caverne qui a échappé à la plupart des commentateurs, bien qu’il soit énoncé sans ambiguïté dans le grec et rendu correctement par toutes les traductions. Ce détail concerne les types d’ombres que les prisonniers de la caverne peuvent voir, et mon argumentation avance une interprétation de ce détail en rapport avec le problème de la connaissance de soi.

  • 25  Les commentateurs prennent des orientations très différentes dans leur façon de représenter la cav (...)

49Très en gros, la caverne est disposée comme suit25. C’est un antre souterrain avec des prisonniers à l’intérieur, portant des liens aux jambes et au cou et assis face au mur du fond de la caverne. À partir de leurs sièges, à un niveau un peu plus élevé, il y a un mur bas, ou parapet, qui s’étend sur toute la largeur de la caverne. Derrière ce mur il y a une petite route, le long de laquelle cheminent des hommes qui ne sont pas décrits, et qui portent des marionnettes de diverses formes sur leurs épaules. Les hommes sont moins hauts que le para­pet, de sorte que seuls les profils des marionnettes dépassent le sommet du parapet. Plus en arrière dans la caverne, et encore plus haut, brûle un grand feu. Derrière le feu il y a une pente escarpée qui conduit à l’orifice de la caverne (514a-515a). À l’extérieur s’étend le monde réel tout entier, avec les ombres et les reflets des hommes et des choses dans les eaux, avec les hommes et les choses eux-mêmes, avec les cieux et ce qu’il y a dans les cieux, avec les étoiles et la lune, et leur pâle lumière la nuit, avec le soleil et sa lumière resplendis­sante qui règne sur le monde visible (516a-b).

50Maintenant, les hommes enchaînés ne peuvent pas voir les équi­pements de la caverne, sans parler de la réalité au dehors. Comme ils sont incapables de mouvoir la tête et qu’ils sont obligés de regarder devant eux, les seules choses qu’ils peuvent voir sont les formes qui apparaissent sur le mur en face d’eux et, étant donné la disposition de la caverne, ces formes ne peuvent être que des ombres. C’est ce qu’affirment normalement les commentateurs et, jusque-là, ils ont parfaitement raison. Cependant, la plupart des commentateurs suppo­sent que le seul type d’ombre que voient les prisonniers sont les ombres projetées par les marionnettes qui dépassent du parapet (permettez-moi de les appeler ombres-O, ombres d’objets). Mais cette supposition est erronée. Car dans la suite du passage, Platon déclare noir sur blanc que les prisonniers voient aussi une autre sorte d’ombres.

« Cela (scil. la caverne) est une étrange image, dit Glaucon, et ce sont d’étranges prisonniers. – Ils nous ressemblent, répondis-je. Car ne crois-tu pas, pour commencer par là, que de telles gens ne voient rien d’eux-mêmes ni l’un de l’autre (heauton te kai allelon), si ce n’est les ombres que le feu projette sur la partie de la caverne qui leur fait face ? – Comment pourraient-ils voir quoi que ce soit d’autre, dit-il, si vraiment ils ont été contraints de maintenir leurs têtes sans mouvement tout au long de leur vie ? » (515a)

  • 26  Pour une discussion extraordinairement subtile et originale de ce point, voir Brunschwig 1999.

51Le détail qui est passé largement inaperçu est donc un détail significatif : à part les ombres des marionnettes, les ombres-O, chaque prisonnier voit aussi sur la partie inférieure du même mur26 des ombres de personnes, à savoir lui-même et des autres prisonniers. Appelons-les ombres-P.

  • 27  Notamment Carrive 1975, p. 387-397 ; Dixsaut 1980, p. 103. Toutes deux sont mentionnées et leurs c (...)
  • 28  Par exemple, pour Brunschwig 1999, le fait que l’histoire des ombres-P paraît isolée dans le texte (...)

52Maintenant, l’existence des ombres-P n’est pas quelque chose d’entièrement original. En fait, même s’il y en a peu, il y a des com­mentateurs qui remarquent que la première chose que dit Socrate à propos des hommes enchaînés, c’est qu’ils ne voient rien d’eux-mêmes ni l’un de l’autre excepté leurs reflets sur le fond de la caverne27. Leurs interprétations de ce passage crucial diffèrent, mais tous admettent que le point soulevé à cet endroit, à savoir la connais­sance de soi-même et des autres, est complètement abandonné dans le reste du texte28. C’est cette supposition que je voudrais contester. Je vais soutenir que, en fait, le sujet de la connaissance de soi demeure central jusqu’à la fin de la comparaison, et je vais expliquer pourquoi il semble abandonné, alors qu’en fait il ne l’est jamais.

  • 29  Voir ici encore Brunschwig 1999.

53Pour commencer, j’aimerais attirer l’attention sur certains traits de la présentation de la caverne. Comme vous vous le rappelez peut-être, l’affirmation de Socrate, que les prisonniers, en fait, nous res­semblent, est avancée en réponse à Glaucon, qui a remarqué l’étran­geté de la caverne et de ses habitants. La déclaration concernant les ombres-P est la première façon29 d’expliquer de façon précise en quoi les hommes enchaînés nous ressemblent : « pour commencer par là (proton men), de telles gens ne voient rien d’eux-mêmes ni l’un de l’autre (heauton te kai allelon), si ce n’est leurs ombres » (515a). Il y a une seconde façon dont ces gens nous ressemblent, qui est en rap­port avec les ombres-O et qui est présentée immédiatement après. « La même chose ne serait-elle pas vraie des objets qui sont transpor­tés ? » (515b) C’est-à-dire, ne serait-ce pas le cas, que les prisonniers ne voient rien des objets, mais seulement leurs reflets sur le mur ? « Oui, ce serait vrai. » (ibid.) Ces deux observations comportent de sérieuses implications concernant la référence linguistique et la communication. « S’ils pouvaient parler entre eux, ne croiraient-ils pas, quand ils nomment ce qu’ils voient (scil. les ombres-P et les ombres-O) qu’ils nomment des entités réelles ? – C’est vrai. » (ibid.) Ainsi notre condition humaine est comparable à celle de prisonniers entravés, eu égard à notre ignorance de nous-mêmes et des autres aussi bien qu’à notre ignorance des choses réelles. De plus, le fait que nous ne percevons que des ombres implique que les désignations à l’aide de noms sont systématiquement liées entre elles et se trouvent éloignées de plusieurs degrés de la réalité. Dans la perspective de Platon, cela implique probablement que les significations des termes dénotatifs sont aussi systématiquement faussées, et que de ce fait le cœur de la rationalité humaine est affecté.

  • 30  Je dois indiquer que l’opposé aussi a été soutenu, c’est-à-dire que les prisonniers ne sont pas en (...)
  • 31  Je ne suis pas sûre du degré de rigueur avec lequel l’analogie peut s’appliquer ici. Les ombres-O (...)
  • 32  Sur ce point, ma position est plus faible que Carrive 1975 (p. 393 sqq.), qui affirme que les pris (...)

54Supposant que les prisonniers peuvent parler séparément des ombres-P et des ombres-O30, je vais essayer maintenant de tirer au clair en quoi consiste exactement leur ignorance de soi (et la nôtre). Premièrement, chaque prisonnier ne peut éviter de s’identifier lui-même de façon erronée, de la même façon qu’il identifie les objets de façon erronée : il prend son ombre pour lui-même, tout comme il prend les ombres des marionnettes pour des objets réels31. Il s’en­suit qu’aucun habitant de la caverne ne peut s’attribuer à lui-même une désignation correcte de son essence. Quand il désigne quelque chose en déclarant « Je suis cette chose », c’est son ombre qu’il désigne, pas lui-même. Et quand il s’exprime à la première personne, le pronom « je » identifie par erreur son ombre, non lui, comme l’auteur de la déclaration. Deuxièmement, il semble que le prisonnier peut (mais n’a pas besoin de) se tromper quand il détermine si une ombre-P est lui-même ou quelqu’un d’autre32. Bien qu’il soit en mesure de faire des distinctions provisoires parmi les autres prison­niers de manière à leur attribuer des prix, etc., ce fait n’établit pas qu’il a de bons critères pour distinguer ses compagnons et les nom­mer sans les confondre l’un avec l’autre ni avec lui-même.

  • 33  En ce sens, Dixsaut 1980.
  • 34  Brunschwig 1999.

55Troisièmement, les échecs des hommes enchaînés en matière de référence linguistique et de reconnaissance individuelle suggèrent qu’ils ne peuvent avoir un sentiment de soi comme l’aurait une per­sonne qui se connaîtrait elle-même. Car il semblerait qu’une ombre ne peut pas être un moi dans le même sens où une personne iden­tique à soi en est un. Les opinions diffèrent à nouveau quand on en vient à préciser davantage ce point. D’un côté, on a soutenu que les prisonniers ne peuvent voir eux-mêmes et les autres comme des individus dont l’identité persiste dans le temps. D’eux-mêmes, ils ne peuvent percevoir qu’une série d’apparences disjointes qui ne donnent aucune sorte d’unité, pas plus ontologique que psycholo­gique33. De l’autre côté, on a répliqué que les prisonniers sont suppo­sés « nous ressembler », et qu’en fait nous nous percevons bien nous-même comme des personnes unifiées, sur une certaine durée34.

56Ma propre opinion se situe quelque part entre les deux. Chaque homme enchaîné a bien, je crois, un sentiment de lui-même et de ses compagnons comme des « quelque chose » persistant dans le temps. Jour après jour, il voit sur le mur les mêmes ombres-P sans mouve­ment. Il peut de façon répétée désigner l’une d’entre elles et déclarer (à tort ou à raison) « C’est moi ». En choisissant l’ombre qui va rece­voir un prix, il suppose que la personne qui a été identifiée comme le candidat choisi et celle qui va être honorée dans un avenir proche sont la même personne. Et en faisant office de juge, il présuppose qu’une seule et même personne, sur une certaine durée, a montré qu’elle méritait particulièrement récompenses et pouvoir, alors que les autres, non. D’autre part, il semblerait qu’aucun prisonnier ne peut attribuer à son ombre le degré d’unité et d’identité dans le temps qu’implique un solide sentiment de soi. C’est la métaphore de la caverne elle-même qui suggère la raison pour laquelle cela serait impossible. Comme je vais le soutenir plus loin, l’idée de Platon est que la conscience que j’ai de qui je suis et de ce que je suis doit être ancrée dans ma connaissance des faits et valeurs réels. Si c’est exact, alors c’est cela qui manque aux prisonniers. Car ils vivent dans une illusion continuelle sur les gens et les choses, en prenant des images pour des originaux. « Cette chose là-bas » que chaque prisonnier considère comme étant lui-même est, pour ainsi dire, sans épaisseur. Métaphysiquement, nous pourrions dire qu’elle n’a pas d’essence ou pas d’âme. Dans les termes de la métaphore, ce n’est qu’une ombre sans aucune épaisseur.

  • 35  Sur la conception platonicienne de la compréhension et sa relation à la bonté, voir Annas 1981, p. (...)

57Permettez-moi maintenant de défendre ma thèse, que l’ignorance de soi des prisonniers est étroitement liée à leur ignorance factuelle et morale35. La raison principale pour laquelle ils considèrent leurs ombres comme étant eux-mêmes, c’est la position dans laquelle ils sont contraints de rester. Le fait qu’ils ne peuvent pas tourner la tête ou mouvoir leur corps veut dire qu’ils ne peuvent observer ni eux-mêmes ni les autres prisonniers ; ils ne peuvent situer ni eux-mêmes ni leurs compagnons par rapport aux équipements de la caverne ; ils ne peuvent pas voir le feu derrière eux ni les marionnettes et ceux qui les manipulent ; ils ne peuvent donc comprendre comment les ombres en face d’eux sont liées à ces autres caractéristiques de leur monde souterrain. En outre, la lumière est faible dans la caverne ; et même après qu’un prisonnier a été délivré de ses chaînes, il continue à ne pas pouvoir bien distinguer les objets dont il voyait jusque-là les ombres et il n’est pas disposé à admettre qu’il voit maintenant mieux qu’avant (515c-d). Ce n’est pas de parler avec les autres qui va lui don­ner davantage d’informations sur qui il est et où il se trouve par rap­port au monde qui l’entoure : car la parole aussi porte sur les ombres, non sur les gens et les choses. Considérez pour finir sur quelles bases il accorde ou retire éloges et avantages à ses compagnons. Il éva­lue leur agilité à reconnaître les ombres quand elles passent, leur capacité de se les rappeler dans l’ordre, et de prévoir quelle est la prochaine qui va surgir (516c-d). Ce sont des qualités non morales, et elles comportent des associations avec le genre d’ingéniosité que le Gorgias et la République attribuent aux hommes politiques qui ont du succès. Elles ne représentent pas le type de savoir qui seul constitue une base adéquate pour l’éloge et le blâme, à savoir la connaissance du bien et du mal.

58Il me semble que la connaissance de soi qui est celle des prison­niers s’accroîtra dans la mesure où ils acquerront quelque compré­hension de la vérité et du bien. Leur vision complètement aliénée d’eux-mêmes comme des ombres sera dissipée quand ils verront les objets dont les ombres sont les reflets et quand ils comprendront comment ces images sont projetées sur le mur. Ils arriveront à se connaître encore davantage quand, à la fin, ils sortiront de la caverne et qu’ils contempleront les réalités de l’univers. Car quand ils seront en mesure de placer dans une juste perspective leur première habita­tion et ce qui y passe pour sagesse et réussite, ils acquerront les atti­tudes correctes envers leur prison d’autrefois et ses prisonniers, et ils détermineront avec exactitude quelle est leur position par rapport à la totalité des choses.

  • 36  La connaissance de soi est aussi discutée dans le Phèdre, mais le genre de problèmes soulevés dans (...)

59Pour reprendre les termes de la métaphore, cela implique que la montée hors de la caverne est l’ascension de l’âme vers la région intelligible, et en particulier vers la vérité et l’idée du Bien (517b sqq.). Le moi libéré se détourne maintenant de ses intérêts propres et de façon générale des affaires humaines, et se tourne vers la contempla­tion des réalités objectives, c’est-à-dire de « l’être et de la région de l’être la plus brillante » (518c). C’est seulement quand cet acte de periagoge (518d), de conversion complète, est accompli, que l’âme par­vient pleinement à se connaître elle-même. Ainsi, d’après mon ana­lyse, le thème de la connaissance de soi dans la métaphore de la caverne n’est pas une remarque isolée, et il n’est jamais abandonné. La montée hors de la caverne représente à la fois la connaissance que prend progressivement le prisonnier de la réalité et sa croissante conscience de soi. Le problème de la réflexivité est écarté et la connaissance de soi du prisonnier est maintenant décrite en termes purement objectifs : c’est la connaissance de la structure rationnelle de l’univers, qui culmine dans la Forme du Bien36.

V

  • 37  Sur la conception grecque du moi, voir J.-P. Vernant 1989.

60Les recherches de Platon sur l’affaire en question le mènent loin au-delà de ce qu’on comprend d’ordinaire comme étant la connais­sance de soi. Néanmoins le philosophe appartient au courant domi­nant de la pensée grecque en vertu du fait que, dans les dialogues que nous avons examinés, il discute le moi et la connaissance que nous en avons de façon radicalement non introspective : non comme un monde intérieur clos que l’on doit d’une certaine façon pénétrer, mais comme un élément rationnel qui appartient à l’ordre objectif des choses37. Platon rejoint également les discussions qui sont les nôtres, comme un partisan d’une certaine forme d’externalisme. Car dans ses argumentations, il incorpore l’idée que les contenus de nos attitudes propositionnelles sont déterminés, au moins en partie, par des facteurs extérieurs à la personne. Et il assume des positions raisonnablement externalistes à propos de l’autorité de la première personne, de l’auto-attribution et de l’identification de soi-même.

  • 38  Sur les conceptions épistémologiques des cyrénaïques, voir, en dernier lieu, Tsouna 1998.

61Il vaut la peine de mentionner que l’internalisme est également représenté dans le mouvement socratique, par les cyrénaïques. Par opposition à Platon, ils interprètent l’inscription de Delphes comme la recommandation de se retirer en soi-même et d’être conscient de soi comme sujet de l’expérience. D’une façon qui fait penser à Kant, ils soutiennent que la connaissance de soi revient à l’appréhension de ce que j’éprouve, des pathe, par le moyen d’une certaine forme de perception sensible, à savoir un toucher intérieur (Cicéron, acad. prior., 24, 76). Ils considèrent les affirmations à la première personne au sujet des pathe comme infaillibles et non sujettes à correction (Sextus Empiricus, M. VII, 191), tout en niant qu’elles puissent servir pour fonder la connaissance empirique. Selon eux, la conscience intros­pective du moi est certaine mais limitée : elle n’est une condi­tion ni nécessaire ni suffisante pour acquérir la connaissance du monde qui, en fait, est hors de notre portée38.

  • 39  Il y a un lien évident entre la thèse éthique que les seules choses qui importent sont les pathe, (...)

62Bien que Platon et les cyrénaïques représentent des traditions rivales en ce qui concerne leurs conceptions respectives de la connaissance de soi, il y a un aspect sous lequel leurs approches se ressemblent et peuvent être ramenées à la philosophie de Socrate. Pour les cyrénaïques, comme pour Platon, la connaissance de soi est importante, en fin de compte, parce qu’elle nous mène à vivre bien et à être heureux. Selon les cyrénaïques, elle parvient à ce résultat en assurant les fondements épistémiques de nos choix moraux39. Dans la conception platonicienne, cependant, les liens entre la connaissance de soi et la moralité sont plus profonds et plus complexes. Ses dia­logues suggèrent que nous devons savoir ce que nous croyons, res­sentons, désirons, etc., vraiment, de façon à pouvoir l’exprimer avec sincérité et exactitude. Et il est terriblement important d’être en posi­tion de faire ainsi, pour toutes sortes de raisons, tant prudentielles que morales.

  • 40  Voir Tsouna 1997.
  • 41  Naturellement, l’elenchos peut échouer aussi à cause d’une inaptitude intellectuelle. Mon idée est (...)
  • 42  Ce point est discuté de façon merveilleuse dans Falvey 1999 (inédit). Je suis particulièrement rec (...)

63Mais ce n’est pas quelque chose de facile. Nous pouvons nous faire une idée de l’immensité du défi que cela représente, en obser­vant le contraste que trace Platon entre la figure de Socrate et celles de ses interlocuteurs, et aussi si nous considérons les raisons pour lesquelles aucun d’eux ne tire profit de l’elenchos. Les hommes politiques refusent de reconnaître leur ignorance, parce qu’ils sont trompés par leur réputation de sagesse et qu’ils répugnent à s’en défaire. Mélétos est insolent, violent et incapable de se maîtriser (26e-27a), un calomniateur frivole et irresponsable (24b), et aussi ignorant des questions à propos desquelles il porte des accusations. C’est son inaptitude morale, plutôt qu’intellectuelle, qui fait de l’elenchos une parodie et lui rend impossible de comprendre qu’il a commis une faute. Pensez à Critias, un homme intelligent mais intempérant et arrogant, dont la capacité dialectique de suivre les détours de l’argu­mentation est anéantie par son souci de protéger son image de soi et par son amour du pouvoir40. Enfin, considérez les obstacles en rai­son desquels Gorgias n’admet pas que l’orateur ignore ce qui est juste, admirable ou bon, et que néanmoins il enseigne à ses étudiants comment parler de façon persuasive sur ces sujets : ses handicaps sont la honte et la crainte de la désapprobation des autres (482c-d) et, une fois de plus, ce sont des caractéristiques morales plutôt qu’intel­lectuelles41. À la différence de Socrate, tous ces gens se trompent sur la nature de leurs opinions et la force de leurs engagements. Résultat : ils soutiennent des opinions incohérentes, dont ils sont incapables de tirer toutes les implications. C’est en ce sens que leurs échecs à vivre au niveau de leurs propres prétentions sont des échecs dans la connaissance de soi42. Et c’est à cause du personnage qu’ils jouent, plus qu’à cause de leur cerveau, qu’ils refusent d’admettre la vérité sur eux-mêmes révélée grâce à l’elenchos.

64À cet égard, je crois que les philosophes analytiques qui travaillent aujourd’hui sur la connaissance de soi ont beaucoup à apprendre des socratiques, et en particulier de Platon. Car il met en évidence d’une façon extraordinaire le fait que la connaissance de soi est un résultat pratique, et non pas seulement épistémique, et il éclaire de beaucoup de façons différentes la pertinence de la connaissance de soi pour la vie morale.

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Notes

1  Voir North 1966.

2  Là-dessus, voir les remarques extrêmement utiles de Annas 1985, pp. 118-121.

3  Voir R. Woolf 1997.

4  Le point n’est pas que la phronesis soit un faux prétendant au titre de sophia, qui se révèle n’être légitimement conféré qu’à la connaissance de soi, comme le suggère Rappe 1995, p. 7. Le point est plutôt que les hommes politiques n’ont pas la phronesis qu’ils croient eux-mêmes avoir, d’où le fait qu’ils n’ont pas le savoir de ce qu’ils savent et de ce qu’ils ne savent pas.

5  Voir là-dessus Rappe 1995.

6  Comparer avec Rappe 1995, passim.

7  Par conséquent, à mon avis, la conception socratique de la connaissance de soi n’inclut pas la connaissance que je suis par nature une chose connaissante.

8  Voir Tsouna 1997, p. 66-69, 74.

9  J’ai emprunté cette troisième voie dans Tsouna 1997.

10  Voir Annas 1985, p. 134.

11  En ce sens, Annas 1985, p. 135.

12  Il y a matière à discussion sur la question de savoir si l’homme tempérant a le même savoir que les gens dont il constate qu’ils ont un savoir sur un sujet déterminé, ou s’il peut seulement reconnaître sur quoi porte leur savoir. Voir là-dessus, par exemple, Dyson 1974, p. 106-111 ; Santas 1973, p. 124-129 ; Taylor 1929, p. 54-57 ; Tuckley 1968, p. 49 sqq. ; Wellman 1964, p. 108-113. Dans les deux cas, les exemples de science de science suggèrent que le savoir de l’homme tempérant est le type de savoir auquel peuvent aspirer hommes politiques, technocrates et autres théoriciens. Voir Tsouna 1997, p. 75.

13  Voir à ce sujet Levine 1984 et Tsouna 1997.

14  Voir Rosenmeyer 1957.

15  Les commentateurs ont souvent été embarrassés par le fait que Socrate semble contester ici l’une de ses propres croyances, à savoir que la vertu est l’élément central du bonheur. En fait, ce que Socrate conteste, c’est l’hypothèse de Critias, que la tempé­rance, conçue comme science de science, a quelque chose à voir avec le bonheur.

16  Il doit être évident que, d’après moi, Socrate ne conteste pas ici, comme l’ont cru plusieurs auteurs, sa propre croyance que la connaissance ou la vertu, correctement interprétée et comprise, suffit au bonheur.

17  Voir Annas 1985.

18  Voir, pour une position contraire, Annas 1985 et Brunschwig 1996.

19  Il doit être clair que, selon mon interprétation de l’argumen­tation, l’individualité ne disparaît jamais complètement, pas même à travers l’identification du moi avec la sagesse et avec Dieu. Voir de nouveau la position opposée d’Annas 1985 et de Brunschwig 1996.

20  Comme le souligne Annas 1985, p. 131.

21  L’une des meilleures discussions se trouve dans Brunschwig 1973. Voir aussi Soulez 1974 et Vernant 1989 et 1993.

22  Voir Brunschwig 1996, p. 73. La question de savoir si la pupille est une meilleure ou plus mauvaise sorte de miroir que les miroirs ordinaires est sujette à controverse. Mais le point qui semble valide est le suivant. Dans le cas de deux personnes, A et B, Platon n’insiste pas sur le fait que l’œil de B est un œil qui se voit lui-même dans l’œil de A, de la même façon que A, ni sur le fait que l’âme de B regarde l’âme de A pour se connaître elle-même, exactement comme fait l’âme de A. Brunschwig me semble par conséquent avoir raison quand il soutient que cette asymétrie indique que l’analogie ne vise pas prioritairement à attirer l’atten­tion sur le tête à tête qui forme le contexte dialectique dans lequel on parvient à la connaissance de soi ; elle suggère plutôt que l’âme de A, grâce à son interaction avec l’âme de B, dépasse l’individu et entre dans une relation asymétrique avec la sagesse divine (p. 73 sqq.). Cependant, il ne me semble pas résulter de là que la connais­sance de soi obtenue par le moyen de cette relation soit entière­ment dépersonnalisée, puisque ce que A arrive à savoir en regar­dant Dieu inclut le savoir du fait que lui, ou plutôt son âme, est une chose connaissante et divine.

23  Tous les manuscrits portent la leçon theon kai ten phronesin, et je ne vois aucune raison d’en faire l’athétèse, comme certains édi­teurs.

24  Socrate souligne aussi l’infériorité d’Alcibiade par rapport à ses adversaires en ce qui concerne les choses extérieures, par exemple la naissance, la richesse et le pouvoir ; de façon générale, dans la première partie du dialogue, il place la discussion de la connaissance de soi dans un contexte agonistique. Cependant, il me semble que l’argumentation met l’accent sur l’ignorance d’Alcibiade à l’égard de lui-même et des autres, principalement pour ce qui concerne les vertus, et pas tellement pour ce qui concerne les données factuelles se rapportant à ses rivaux poli­tiques.

25  Les commentateurs prennent des orientations très différentes dans leur façon de représenter la caverne. Je suis de près Brunschwig, avec la différence négligeable que j’appelle les ombres des marionnettes ombres-O (au lieu de ses ombres-A) et les ombres des prisonniers ombres-P (au lieu de ses ombres-B). En outre, je distingue entre chaque ombre P(S), qui fait référence à l’ombre propre de chaque prisonnier, et les ombres P(O), qui sont les ombres des autres prisonniers. P(S) est l’ombre que chaque pri­sonnier prend pour son propre moi, tandis que les ombres P(O) sont celles qu’il identifie au moi des autres.

26  Pour une discussion extraordinairement subtile et originale de ce point, voir Brunschwig 1999.

27  Notamment Carrive 1975, p. 387-397 ; Dixsaut 1980, p. 103. Toutes deux sont mentionnées et leurs conceptions sont dis­cutées en détail dans Brunschwig 1999.

28  Par exemple, pour Brunschwig 1999, le fait que l’histoire des ombres-P paraît isolée dans le texte doit nous pousser à l’examiner comme un trait qui a sa propre signification et sa propre impor­tance.

29  Voir ici encore Brunschwig 1999.

30  Je dois indiquer que l’opposé aussi a été soutenu, c’est-à-dire que les prisonniers ne sont pas en mesure de distinguer entre les deux sortes d’ombres. Cependant, comme le souligne Brunschwig 1999, il y a au moins deux raisons pour lesquelles les prisonniers doivent pouvoir identifier les deux sortes d’ombres. Premièrement, étant donné les positions respectives du parapet et des prisonniers, les ombres-O doivent apparaître sur la partie supérieure du mur, les ombres-P, sur la partie inférieure. Deuxièmement, les ombres-O bougent, alors que les ombres-P sont immobiles.

31  Je ne suis pas sûre du degré de rigueur avec lequel l’analogie peut s’appliquer ici. Les ombres-O sont les ombres de marion­nettes qui représentent des objets réels ; ainsi ce que voit le pri­sonnier, c’est, par exemple, l’ombre de la marionnette d’un cheval réel. Si nous devions pousser l’analogie, alors ce que voit le pri­sonnier quand il voit une ombre-P, à savoir lui-même, est l’ombre d’un moi qui se trouve éloigné d’un degré de la réalité, exactement comme les marionnettes. Ma tendance est, il est vrai, de pousser l’analogie. L’ombre que voit le prisonnier est celle de son corps, et cela n’est pas, à proprement parler, le moi réel du prisonnier qui est identique à l’élément rationnel de l’âme.

32  Sur ce point, ma position est plus faible que Carrive 1975 (p. 393 sqq.), qui affirme que les prisonniers, de façon générale, échouent à identifier leurs ombres comme les leurs. Je trouve inté­ressante la suggestion de Brunschwig (Brunschwig 1999), selon laquelle, en fait, chaque prisonnier peut identifier son ombre sur le mur en faisant des gestes des mains. Mais même si on l’accepte, il ne s’ensuit pas que le prisonnier peut sans risque d’erreur dire « C’est moi » ou « Ce n’est pas moi mais quelqu’un d’autre ». Par exemple, un de ses compagnons pourrait aussi faire le même geste et ainsi projeter une ombre tout à fait semblable sur le mur.

33  En ce sens, Dixsaut 1980.

34  Brunschwig 1999.

35  Sur la conception platonicienne de la compréhension et sa relation à la bonté, voir Annas 1981, p. 242-271.

36  La connaissance de soi est aussi discutée dans le Phèdre, mais le genre de problèmes soulevés dans ce dialogue dépassent l’enver­gure de cette étude. Ils sont discutés tout à fait en détail dans Griswold 1986.

37  Sur la conception grecque du moi, voir J.-P. Vernant 1989.

38  Sur les conceptions épistémologiques des cyrénaïques, voir, en dernier lieu, Tsouna 1998.

39  Il y a un lien évident entre la thèse éthique que les seules choses qui importent sont les pathe, sources de plaisir ou de dou­leur, et la thèse épistémologique que l’on ne peut connaître que les pathe. Notre but ultime est d’atteindre le plaisir et d’éviter la dou­leur, et ce but est parfaitement à notre portée justement parce que plaisir et douleur, comme les autres pathe qui mènent indirecte­ment au plaisir ou à la douleur, peuvent être saisis avec une certitude absolue.

40  Voir Tsouna 1997.

41  Naturellement, l’elenchos peut échouer aussi à cause d’une inaptitude intellectuelle. Mon idée est que, néanmoins, ce n’est pas la principale raison pour laquelle les interlocuteurs de Socrate ne parviennent pas à la connaissance de soi. Remarquez, sous ce rapport, l’importance philosophique du portrait des inter­locuteurs.

42  Ce point est discuté de façon merveilleuse dans Falvey 1999 (inédit). Je suis particulièrement reconnaissante à l’auteur pour avoir mis à ma disposition son manuscrit, ainsi que pour d’utiles discussions en plusieurs occasions.

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Pour citer cet article

Référence papier

Voula Tsouna, « Socrate et la connaissance de soi »Philosophie antique, 1 | 2001, 37-64.

Référence électronique

Voula Tsouna, « Socrate et la connaissance de soi »Philosophie antique [En ligne], 1 | 2001, mis en ligne le 23 juin 2024, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/philosant/7988 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11vsp

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Auteur

Voula Tsouna

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Traducteur

Michel Narcy

Université de Californie, Santa Barbara

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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