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Comptes-rendus

Dmitri Panchenko, ΘΑΛΗΣ, Οι απαρχές της θεωρητικής συλλογιστικής και η γένεση της επιστήμης

Gérard Journée
p. 255-258
Référence(s) :

Dmitri Panchenko, ΘΑΛΗΣ, Οι απαρχές της θεωρητικής συλλογιστικής και η γένεση της επιστήμης, traduit en grec par Dionysios Mentzeniotis, Athènes, Eurasia publications, 2005, 196 p.

Texte intégral

1Alors qu’un certain scepticisme, pour ne pas dire plus, tend aujourd’hui à devenir majoritaire à l’égard du rôle de Thalès dans la naissance de la science et de la philosophie grecques, le livre de D. Panchenko s’efforce de prendre le contrepied de cette tendance. Son titre, Thalès, Les origines du raisonnement théorique et la naissance de la science, nous indique déjà la voie choisie par l’auteur. Selon la thèse introductive, Thalès aurait compté en adoptant « la procédure intellectuelle qui forme la base de toute connaissance théorique : ce qu’il inaugure est la tradition des propositions soumises à argumentation concernant ce qui n’est pas observable ».

2L’ouvrage est divisé en sept parties : 1/ l’eau, de quoi toutes choses émergent et en quoi toutes choses retournent ; 2/ l’explication de l’éclipse du soleil ; 3/ la prédiction d’une éclipse de soleil ; 4/ sur la grandeur du soleil et de la lune ; 5/ le fondateur de la géométrie grecque ; 6/ d’où tenons-nous notre connaissance à propos de Thalès ; 7/ connaissance théorique et « interaction interpersonnelle ».

3L’idée de Thalès selon laquelle toutes les choses proviennent de l’eau se démarque radicalement de l’esprit des théo-cosmogonies précédentes. L’eau pouvait sans doute être choisie pour des motifs traditionnels, mais l’on ne peut ignorer que la considération du cycle météorologique en faisait un bon candidat. Mais la position ne peut être tenue pour seulement empirique : l’eau n’était pas uniquement pour Thalès l’origine des choses. Elle constituait également ce à quoi les choses retournent finalement. Thalès applique ainsi la proposition rien ne vient de rien (dont l’auteur admet la présence, sans discussion, dans un célèbre vers d’Alcée, 23 Diehl), mais pose l’éternité d’une source unique pour ne pas avoir à la dériver elle aussi d’autre chose, ce qui produirait sinon une régression à l’infini. La proposition complémentaire, que tout retourne finalement à l’eau, revient à la conservation de la matière. Le postulat est théorique et se trouve atteint par voie logique.

4L’état des sources, souvent jugé médiocre, est exploité intelligemment par l’auteur pour faire valoir, contrairement à l’opinion générale des interprètes modernes, que Thalès a pu connaître la cause de l’éclipse, conformément aux indications de la doxographie. L’attribution parait bien remonter à Eudème (cf. 11 A 17 D.-K.), bien que le passage ne soit pas très explicite (« Thalès a découvert l’éclipse de soleil »), et un papyrus montre en tout cas qu’Aristarque la cautionnait en la raccordant à la connaissance du jour où se produit l’éclipse (P. Oxy. 3710 col. II, 36-43, dans Haslam (éd.), The Oxyrhynchus Papyri, vol. 53, Oxford-Londres, 1986). L’auteur critique l’attitude des modernes qui ont vu dans l’information sur la cause de l’éclipse une inférence tirée à partir de la prévision : savoir que l’éclipse se produit par interposition de la lune, remarque-t-il, ne permet pas de prédire la date d’une éclipse. On pourra cependant douter de la valeur de cette objection, puisqu’il est facile de voir pourquoi un doxographe, quel qu’il soit, a pu penser que celui qui est capable de prédire une éclipse doit connaître a fortiori sa cause. L’auteur juge lui-même douteuses certaines attributions : que, pour Thalès, la lune est terreuse et reçoit sa lumière du soleil. Sans doute n’admettrait-il pas non plus que Thalès ait su expliquer correctement l’éclipse de lune, comme l’affirme un passage d’Aétius que l’auteur ne mentionne pas, sauf erreur de notre part (cf. 59 A 77 D.-K.). Comme ces attributions font système, le rapport sur la cause de l’éclipse de soleil devient suspect d’appartenir à la même reconstruction. Il paraît toutefois difficile d’admettre que cette reconstruction ait pu tout entière être le fruit d’une conjecture d’Eudème, dont le rapport a pu se limiter à la cause de l’éclipse de soleil, et l’auteur dresse sur ce point un intéressant parallèle avec le problème de la prévision.

5D. Panchenko avait lui-même, dans ses travaux antérieurs, estimé que la date de mai 585, qui reste la plus souvent admise depuis Riccioli, n’était pas la plus favorable si Thalès travaillait sur la base d’une période de récurrence. Deux autres dates pourraient être préférées, 582 et 581, qui pouvaient être atteintes sur la base de l’exeligmos, période qui vaut trois « saros », soit environ cinquante-quatre ans. L’hypothèse est reprise, mais une autre lui est ajoutée, qui cette fois permettrait de sauver la date de 585, qui concorde mieux avec les données historiques. Si Thalès connaissait la cause de l’éclipse, il aura pu chercher un cycle luni-solaire tel que les conditions astronomiques données lors d’une éclipse antérieure se répètent. L’auteur montre que, sur la base d’un cycle de soixante-seize ans, Thalès aurait pu prédire avec une précision assez relative l’éclipse de 585. Cette seconde hypothèse prend un caractère critique qui suscitera l’intérêt : si nombre de spécialistes ont nié la possibilité de la prévision – l’autorité de Neugebauer ayant peut-être favorisé récemment la recrudescence du scepticisme –, beaucoup d’autres sont restés favorables à cette tradition. Mais si le rapport d’Hérodote et la date de 585 sont corrects, Thalès ne pouvait prédire cette éclipse au moyen d’une période de récurrence comme l’exeligmos. Dans ce cas, il faudrait faire appel à une période luni-solaire indépendante du « saros », et donc reconnaître que l’attribution concernant la cause est correcte. Autrement dit, si Hérodote est fiable, Eudème a raison, ce qui permettrait, sauf à suggérer d’autres méthodes, de dresser les possibilités suivantes pour la critique : (1) Thalès n’a jamais prédit d’éclipse (par ex. Neugebauer) ; (2) Thalès a prédit une éclipse, mais non celle de 585 (par ex. Tannery (610), première hypothèse) ; (3) Thalès a prédit l’éclipse mentionnée par Hérodote, et connaissait donc la cause de l’éclipse, comme l’admettaient Eudème et Aristarque.

6Une partie de la critique moderne a surtout voulu voir en Thalès l’ « importateur » de certaines des connaissances mathématiques et astronomiques des Babyloniens ou des Égyptiens. Le fait est qu’un certain nombre des propositions géométriques attribuées à Thalès correspondent à un savoir déjà acquis dans les sociétés mentionnées. Ce qui caractérise proprement l’innovation grecque en mathématiques, selon Neugebauer, tient dans son système démonstratif. D. Panchenko met en avant, contrairement à ceux qui, comme Dicks, voudraient limiter son savoir à quelques recettes empiriques, que Thalès pourrait être à l’origine de la recherche d’une preuve mathématique, et être ainsi le vrai fondateur de la géométrie grecque dans sa spécificité. De telles preuves, estime-t-il, peuvent être demandées dans le cas des problèmes pour lesquels aucune vérification empirique n’est possible, comme c’est le cas pour les problèmes de grandeurs inaccessibles dont on attribue une solution à Thalès : la mesure de la hauteur d’une pyramide, la mesure de la distance à la rive d’un bateau en mer. Pour ce dernier problème, l’auteur revient à la fluminis varatio proposée par Tannery. Soit B le bateau et O la position initiale de l’observateur. Celui-ci marque au sol une perpendiculaire OA à BO et dresse un jalon C au milieu de celle-ci. Il trace ensuite au sol, au point A, une perpendiculaire à OA dans le sens inverse de BO jusqu’à voir le jalon C dans l’alignement du bateau B. La distance AD ainsi obtenue sera égale à BO et donnera donc la distance du bateau à la rive. L’auteur estime toutefois que la méthode serait réellement pratique si le triangle construit au sol était seulement semblable, et non égal, au triangle marin imaginaire. Proclus, qui met en rapport la méthode avec le théorème I, 26 d’Euclide, aurait pu se méprendre du fait qu’il savait que Thalès appelait « semblables » les angles égaux. Il est peut-être dommage, toutefois, de renoncer à la fluminis varatio pure. Le cas de l’égalité paraît plus favorable en effet à la thèse générale proposée que l’usage de la similitude. D’autre part, la méthode, dans le premier cas, ne paraît pas être sans rapport avec ce que l’auteur appelle la « figure basique de Thalès », le rectangle inscrit dans le cercle. Cette figure contient en puissance, pour ainsi dire, toutes les autres réalisations dont Thalès est crédité : la « démonstration » que le cercle est dichotomisé par le diamètre, l’égalité des angles opposés, le dit « théorème de Thalès » selon lequel l’angle inscrit dans le demi-cercle est rectangle, ou les questions relatives au triangle isocèle.

7La cohérence des propositions attribuées à Thalès, souvent signalée, est l’objet d’un intéressant développement concernant le rapport entre sa géométrie et son astronomie. La dite « figure basique de Thalès » peut en effet être mise en rapport avec le cercle de l’horizon et la question de la détermination des solstices attribuée à Thalès, déjà mobilisée pour le problème de l’éclipse. La géométrie théorique pourrait trouver dans ce cas, selon l’auteur, une origine dans la représentation des phénomènes astronomiques, « inaccessibles » à la mesure directe.

8Dans la dernière partie de l’exposé, D. Panchenko s’interroge sur ce qu’implique l’idée de « tradition critique », expression qu’il reprend de Popper. Dans une société où les hommes de la classe la plus élevée sont libres et relativement égaux, il est naturel que la demande d’un Thalès ou d’un Anaximandre de reconnaissance par leurs pairs, concernant des propositions qui n’étaient pas courantes, s’accompagne d’argumentation et inaugure donc la discussion critique. Toutefois, de telles discussions et la demande de propositions argumentées appartiennent également à un domaine bien spécifique de problèmes : le besoin d’arguments proviendrait de questions pour lesquelles on ne peut pas montrer immédiatement, sur pièces, la vérité d’une assertion. Plutôt qu’un transfert du schéma de discussion politique originel à un schéma de discussion scientifique, c’est le schéma général d’interaction entre les « égaux » qui ne ferait que se répéter.

9La « tradition critique » ne viendrait pas des encouragements du maître, comme le voulait un peu naïvement Popper, mais plutôt de l’agon ou de l’esprit de joute qui caractériserait les Grecs, selon la conception de Zaicev (cf. Das griechische Wunder. Die Entstehung der griechischen Zivilisation, Constance, 1993). Mais à ce point, la « tradition critique » ne peut se passer d’un premier moteur et, pour tout dire, d’un grand homme, étant admises les conditions sociologiques favorables. C’est à cause du « succès du plus ancien des présocratiques » (que l’on songe à sa prévision d’une éclipse ou à son schéma cosmogonique novateur) que la « tradition critique », dans les conditions favorables énoncées, aurait pris son essor. Thalès, par la réputation qu’il avait acquise, aurait en quelque sorte excité l’esprit de joute des Grecs sur les questions cosmogoniques, astronomiques et géométriques. Mais il a fallu pour cela qu’il ait formé lui-même le paradigme argumentatif de ces sciences.

10La thèse décidée de D. Panchenko n’intéressera pas seulement les partisans d’un Thalès savant et génial. En voulant donner crédit à la tradition ancienne (déjà établie au ve siècle, voire au vie) d’un Thalès astronome et géomètre, qui a toujours été pour les Grecs l’archétype (et donc le modèle) du savant, il fixe sur un certain nombre de points les éléments positifs dont doit tenir compte la discussion critique. Le livre étant publié en grec moderne (l’auteur nous a lui-même communiqué une version anglaise pour ce compte-rendu), signalons que certaines des thèses présentées ont été esquissées ou développées dans des articles antérieurs, en particulier dans « Thales and the Origin of Theoretical Reasoning » (Configurations, 1, [1993]).

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Pour citer cet article

Référence papier

Gérard Journée, « Dmitri Panchenko, ΘΑΛΗΣ, Οι απαρχές της θεωρητικής συλλογιστικής και η γένεση της επιστήμης »Philosophie antique, 7 | 2007, 255-258.

Référence électronique

Gérard Journée, « Dmitri Panchenko, ΘΑΛΗΣ, Οι απαρχές της θεωρητικής συλλογιστικής και η γένεση της επιστήμης »Philosophie antique [En ligne], 7 | 2007, mis en ligne le 13 mai 2022, consulté le 16 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/philosant/5834 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/philosant.5834

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