Navigation – Plan du site

AccueilNuméros22Comptes rendusF. Massa, N. Belayche (éd.), Les ...

Comptes rendus

F. Massa, N. Belayche (éd.), Les Philosophes et les mystères dans l’empire romain

Liège, Presses Universitaires de Liège (Religions, 11), 2021, 252 p., ISBN : 978-2-87562-268-6
Miriam Cutino
Référence(s) :

F. Massa, N. Belayche (éd.), Les Philosophes et les mystères dans l’empire romain, Liège, Presses Universitaires de Liège (Religions, 11), 2021, 252 p., ISBN : 978-2-87562-268-6.

Texte intégral

1Issu d’une journée d’étude organisée le 12 septembre 2017 à la Fondation Hardt pour l’étude de l’Antiquité classique, ce volume embrasse, à travers des contributions constituant autant de touches successives, la diversité des discours et pratiques philosophiques inspirés par le langage des cultes à mystères sous l’Empire romain. À cette époque, comme l’a montré la célèbre étude de Pierre Hadot (Exercices spirituels et philosophie antiques, Paris 1987), la spéculation philosophique est étroitement liée au « mode de vie » qui caractérise les modes d’action, de construction discursive et de pensée des philosophes : ceux-ci participent activement aux rites civiques, dont les cultes à mystères (à Éleusis ou Éphèse, par exemple) sont une composante importante.

2Avec le mérite de vouloir tout d’abord prendre en compte les divers aspects qui ont jusqu’à présent rendu problématique la compréhension du binôme « discours et pratiques » dans l’appréhension des cultes à mystères par les philosophes du monde romain, ce volume réunit les travaux de six spécialistes de domaines différents sur trois aspects décisifs : (1) une problématisation de l’historiographie des cultes à mystères ; (2) un regain d’intérêt pour les discours visuels comme offrant un accès pertinent aux rituels – l’étude des représentations figuratives, à partir des images dionysiaques, éleusiniennes et mithriaques, est ainsi proposée dans l’introduction par F. Massa et N. Belayche (p. 7-29) comme un mode d’accès aux rituels qui peut être différent et complémentaire de celui permis par la documentation textuelle – ; (3) un nouvel accent sur la littérature chrétienne antihérétique afin de montrer comment elle inclut une utilisation polémique du vocabulaire des mystères contre les païens. Il faut alors à juste titre souligner l’étroite relation entre la philosophie, les cultes à mystères et les auteurs chrétiens : d’abord parce que la pensée platonicienne est un socle commun qui, sous l’Empire, imprègne les discours philosophiques indépendamment de toute appartenance religieuse ; ensuite parce que les auteurs chrétiens s’inspirent largement de l’imagerie des mystères (probablement parce qu’ils considéraient les cultes à mystères comme leurs plus dangereux rivaux) pour des raisons de similitude de représentations des dieux ; enfin, et c’est un phénomène que F. Massa et N. Belayche encadrent précisément à partir de la fin du IIe siècle, les auteurs chrétiens réfléchissent de manière générale à la question des mystères, d’une part en condamnant et en ridiculisant les pratiques païennes, créant ainsi une catégorie cohérente et générale de « mystères païens », qui n’existait pas dans les sources non chrétiennes ; d’autre part en fondant l’image de nouveaux et véritables « mystères chrétiens ».

3La problématique historiographique recouvre deux des axes principaux du volume, à savoir (1.1) les lectures philosophiques des mystères, des discours aux pratiques ; (1.2) la thématique mystérique dans les discours et pratiques des penseurs chrétiens et païens. Dans cette première problématique, les deux études de Pierre Vesperini visent, d’une part, à clarifier la terminologie des mystères dans une perspective historique (p. 29-58), en proposant tout d’abord une détermination du sens majoritaire des « cultes aux mystères » sur la base des conceptions anciennes des différents types de savoir, retraçant ainsi une véritable histoire de la philosophie des mystères ; d’autre part, dans sa deuxième contribution (p. 127-147), à développer ainsi le concept fondamental de « confluence pragmatique » pour souligner comment les relations entre les philosophes et les cultes à mystères ne seraient pas un phénomène inattendu, mais au contraire, naîtraient d’une série de confluences-concurrences entre philosophia et les cultes à mystères, commencée à partir de l’âge classique de la philosophie antique, qui voit la fondation des quatre grandes écoles athéniennes, qui sont aussi des associations « religieuses », au sens où elles s’instituent autour de cultes. La contribution de Philippe Hoffmann (p. 193-203) porte sur un autre concept fondamental que l’on peut appliquer aux cultes à mystères à l’époque impériale, à savoir celui du rôle structurant qu’ils jouent dans l’organisation des écoles philosophiques néoplatoniciennes conçues comme une voie efficace de perfectionnement. L’étude de Philippe Hoffmann rejoint ainsi la réflexion de P. Vesperini, sur le caractère d’association « religieuse » que l’on peut reconnaître aux écoles philosophiques à partir d’un tournant décisif, le IIe siècle. À ce propos F. Massa et N. Belayche, dans l’introduction du volume, mettent en évidence des tendances assez répandues chez les philosophes de l’époque impériale, dont Épictète et Théon de Smyrne représentent un exemple frappant et non isolé : les philosophes de l’époque impériale, à l’instar de Platon, reproduisent en effet le modèle de l’initiation aux cultes à mystères pour théoriser l’accès au savoir et la formation philosophique. La contribution de Fabienne Jourdan (p. 59-89) s’inscrit justement dans cette démarche. Son étude porte sur l’un des représentants de la constellation du platonisme au Haut-Empire, Numénius (dont elle présente une étude du fr. 1 dP du Περὶ τἀγαθοῦ), qui est aussi un exemple instructif de la manière dont la tradition platonicienne et pythagoricienne se mêle aux sagesses d’origine orientale (brahmanes, juifs, magiciens, égyptiens). Dans la construction du profil hymnique de la déesse Némésis, que Daniela Bonanno (p. 149-169) privilégie pour son enquête (elle fait également référence à deux représentations « emblématiques » de Némésis, tirées de l’Emblematum Liber de Andrea Alciato (1531 et 1534)), émergent deux aspects d’un intérêt considérable : d’une part la réélaboration de la réflexion platonicienne, d’autre part la continuation de la tradition sapientielle grecque, ses préceptes étant déterminants pour la bonne réussite du parcours initiatique philosophique.

4Le deuxième thème abordé par le volume concerne une question également importante au plan méthodologique. Dans cette perspective s’inscrit l’étude de Dominique Jaillard (p. 171-191), qui analyse les références à la ritualité de Proclus (V siècle après J.-C.), contenues dans la biographie retracée par son élève Marinus, comme des « documents » attestant d’un contenu de théologie fondamentale qui accompagne le « faire rituel ». Champ d’investigation anthropologique exceptionnel, ces documents, selon l’analyse réalisée par D. Jaillard, mettraient ainsi en évidence les interrelations entre ritualisme et spéculation dans le néoplatonisme tardif. Ces « documents » témoignent de la manière dont, malgré la difficulté de continuer à célébrer publiquement les rites traditionnels dans une société fortement christianisée, le rituel est perçu comme un impératif irréductible, à accomplir conformément à un nomos divin et avec le soutien d’une théologie structurée. C’est dans ce cadre que Helmut Seng (p. 91-126) met en évidence un effet important de l’introduction des cultes à mystères dans la philosophie néoplatonicienne : le franchissement d’une dimension secrète, au-delà même du silence. Dans son enquête sur les Oracles Chaldaïques, texte devenus « canonique » dans le néoplatonisme, H. Seng examine leur relation avec les pratiques théurgiques, qui visaient à approcher le divin par la pratique du silence et du secret. D’autre part, dans un effort de systématisation théologique, les néoplatoniciens, en canonisant les cultes à mystères et leur langage dans le cadre de l’apprentissage philosophique, cherchent à exprimer ce même contenu divin indicible et inconnaissable. Dans la perspective qui se dégage des études de D. Jaillard et H. Seng, cette canonisation des mystères répond à un objectif (implicitement antichrétien) et constitue un moyen d’affirmation fondamentale de la théologie néoplatonicienne. La tradition des mystères dans la pratique et les discours philosophiques emprunte donc deux voies : celle du silence et celle de la structuration systématique de la théologie, qui se révèle, à travers tous ses instruments de vérification (l’effet d’autorité permis par le recours au lexique des mystères, la validation logique et la persuasion rhétorique), scientifique.

5Cette recherche collective dirigée par Nicole Belayche et Francesco Massa met ainsi brillamment en évidence, dans une synthèse aussi exhaustive que possible du lexique, des conceptions et des pratiques mettant en relation « cultes à mystères » et « philosophies », l’existence d’un « tournant mystérique » au IIe siècle. C’est un siècle marqué, comme le soulignent les contributions de ce volume, par deux tendances : une mystérisation du savoir dans la sphère de la philosophie médio-platonicienne, et, d’autre part, la diversification progressive des représentations et des discours sur les mystères, des pratiques et des rituels, mais aussi des sphères même du savoir, comme la médecine et la rhétorique qui utilisent, sous les Antonins, le vocabulaire des mystères. Pour cette raison, ce volume s’inscrit de manière originale dans une série de travaux parallèles : le volume dirigé par M.J. Martín-Velasco, M.J. García Blanco (Greek Philosophy and Mystery Cults, Newcastle upon Tyne 2016), qui a privilégié les éléments dionysiaques et orphiques dans les mystères de Platon à Proclus ; ou encore, l’étude de W. Burkerts (Ancient Mystery Cults, Cambridge, 1987) qui, comme le souligne également J.N. Bremmer (Initiation into the Mysteries of the Ancient World, Berlin-Boston, 2014), joue un rôle fondamental dans l’historiographie récente des cultes à mystères grecs et romains. Ces travaux constituent le point de départ des problématiques dont les contributions rassemblées ici tirent les conclusions.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Miriam Cutino, « F. Massa, N. Belayche (éd.), Les Philosophes et les mystères dans l’empire romain »Philosophie antique [En ligne], 22 | 2022, mis en ligne le 27 avril 2022, consulté le 18 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/philosant/5474 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/philosant.5474

Haut de page

Auteur

Miriam Cutino

Université de Salerne - Dipartimento di Scienze del Patrimonio Culturale/DISPAC - RAMUS, Ricerche e studi sull’Antichità, il Medioevo e l’Umanesimo

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search