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Comptes rendus

Adam Drozdek, In the Beginning was the Apeiron: Infinity in Greek Philosophy

Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2008 (Klassische Philologie, Palingenesia, 94), 173 p. ISBN 978-3-515-09258-6
Claire Louguet
p. 271-274
Référence(s) :

Adam Drozdek, In the Beginning was the Apeiron: Infinity in Greek Philosophy, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2008 (Klassische Philologie, Palingenesia, 94), 173 p. ISBN 978-3-515-09258-6.

Texte intégral

  • 1  L’auteur remercie les éditeurs de ces revues à la fin de la préface (p. 8), mais ne donne nulle pa (...)

1Cette monographie présente une étude de l’infini dans la philosophie grecque, d’Anaximandre à l’ancien stoïcisme. Elle comporte une table des matières, une préface de deux pages, seize chapitres organisés de façon chronologique, un index des noms propres, et un index des sources anciennes. Il n’y a pas de bibliographie (les références aux auteurs modernes sont données en notes). Cinq chapitres sont des reprises (modifiées le cas échéant) d’articles publiés dans Hermes, Diálogos et Eos1.

  • 2  Les livres de T.G. Sinnige (Matter and Infinity in the Presocratic Schools and Plato, 1971) et de (...)
  • 3  Expression bien malencontreuse, à moins de donner à « monde » un sens qu’il n’a pas dans la philos (...)

2Disons-le d’emblée : cet ouvrage est décevant. Étant donné le nombre de critiques dont il peut faire l’objet, nous n’en présenterons pas le contenu chapitre par chapitre. La déception saisit le lecteur dès la préface. La thèse de Drozdek (D.) est énoncée ainsi : « Greek intellectual history clearly shows that the Greeks had none of the horror infiniti that sometimes is ascribed to them » (p. 8). Cependant, D. ne prend pas la peine de mettre en évidence l’originalité de son travail par rapport aux études existantes2. En des termes très généraux, voire généralisateurs, il se contente de mentionner l’omniprésence de l’infini dans la philosophie grecque en faisant une liste de « problèmes » (« the problem of the infinite size of the world 3 and of its eternal existence, the problem of the infinity of the worlds, of the infinite divisibility of matter, of the infinity of attributes or attribute modes (e.g. infinity of atom shapes), the problem of the infinity of nonphysical entities such as mathematical constructs », p. 8) ; il ne présente en revanche nulle distinction conceptuelle. L’objet n’ayant pas été clairement défini, ce flou initial permet à D. d’inclure dans son étude (qui utilise l’infini comme un fourre-tout) des auteurs (Héraclite, Théophraste) ou des thèmes (les lekta des stoïciens) qui ne devraient pas y avoir leur place.

3Le flou conceptuel s’accompagne de graves problèmes de méthode. D. a beaucoup lu. Cela dit, il fait moins mention de débats interprétatifs qu’il ne compile les interprétations modernes, qui sont très souvent citées comme argu­ments d’autorité. Mais le plus choquant est la façon dont il lit les auteurs an­ciens. On ne peut qu’être étonné qu’un ouvrage si peu soucieux de philologie soit édité dans une collection intitulée « Klassische Philologie ». Cette absence de rigueur se manifeste sur divers plans.

4D’abord, les références ne sont pas explicites. Les fragments et/ou témoi­gnages des auteurs dont les œuvres sont perdues sont désignés au moyen de la numérotation de leurs éditions de référence respectives (p. ex. A14 pour Anaximandre, F30 pour Speusippe, fr. 16 pour Xénocrate, fr. 85 pour Eudème, etc.) ; dans l’index des sources anciennes – mais ni dans le corps du texte, ni en notes –, les noms des auteurs des éditions correspondantes sont cités (Diels-Kranz, Tarán, Heinze, Wehrli, etc.) mais nulle part n’apparaissent les références (titre et année) de ces éditions !

  • 4  « Since, as rhetorically asked by Philoponus, for what reason a world would exist in one part of t (...)
  • 5  « Numbers after equal sign refer to Hans von Arnim, Stoicorum veterum fragmenta, v. 1-4, Leipzig: (...)

5Les sources ne sont pas hiérarchisées. Ainsi, p. 13 sq., l’entrée A17 (DK) d’Anaximandre est citée huit fois sans que l’auteur précise à chaque fois les références de la citation (il donne seulement celles des deux extraits de Simplicius), ce qui est fâcheux étant donné que cette entrée comporte huit té­moignages d’auteurs différents (Cicéron, Aétius, Augustin et Simplicius). Dans le même ordre d’idées, pourquoi citer Philopon et passer sous silence Aristote si le commentaire de Philopon n’apporte rien au texte d’Aristote4 ? En outre, les sources sont très souvent « anonymées ». Citons un exemple parmi tant d’autres : Xénophane A33 (DK) est cité sept fois aux p. 29-32 sans que le nom d’Hippo­lyte y apparaisse une seule fois ; les deux index ne renvoient à Hippolyte qu’une fois (p. 14, à propos d’Anaximandre) ! Le chapitre sur les stoïciens est également édifiant : cette fois, l’édition de référence est citée5, mais l’utilisation qui en est faite est confuse (voir p. ex. cette série de références p. 142, qui ren­voient toutes, contrairement aux apparences, à des textes cités par von Arnim : 2.505 ; DL 7.140, 2.504, SE 10.3, 2.547, 1.95 ; DL 7.140). Autre point : l’étymologie fantaisiste aurait-elle désormais sa place en « Klassische Philologie » ? Qu’on en juge en lisant ce commentaire à propos de l’adjectif ἄπαυστος (Parménide B8, 27 DK) : « The word stems from the adjective παυστός, which is nowhere attested and as such is coined by Parmenides from παύω, to stop, to bring to an end. » (P. 45.)

  • 6  D. n’utilise pas l’expression, mais c’est ce qu’il a en tête (« Because the world is presumably wi (...)

6D. pose très souvent de fausses questions (ex : Combien y a-t-il de limitants et d’illimités chez les pythagoriciens ? p. 23). Il se livre à des extrapolations injustifiées. Prenons par exemple le chapitre sur Platon. D’après D., « The Demiurge has to possess an infinite cognitive capacity to choose from an infinity of possibilities the one which is best » (p. 87) ; il doit y avoir une infinité d’Idées (D. évoque l’idée d’un dinosaure, et celle de la vie sur la Lune), qui ont été (ou seront) un jour instanciées en vertu du Principe de plénitude6 (p. 88) ; la connaissance de l’infini est nécessaire dans l’éducation de la Cité idéale, et les mathématiques sont un moyen d’actualiser cette connaissance (p. 98). Aristote aurait succombé à l’horror infiniti pour deux raisons : « his displeasure with the highly abstract and “unearthly” system of Plato, and Zeno’s paradoxes » (p. 114). Les lekta des stoïciens sont analo­gues à l’interlingua moderne ; « it may be assumed that the Stoic Logos-God is capable of holding all possible statements expressing all possible lekta in his mind, in his divine hege­monikon, and thus all the corresponding lekta timelessly subsist » (p. 153). D. critique volontiers les anciens en des termes qui révèlent son incompréhension. Pour critiquer la Flèche de Zénon, il fait appel à l’expérience commune : même si le coureur est immobile lorsqu’il est représenté sur un vase, on voit bien qu’il court (p. 51). Empédocle a beau jeu de critiquer Xénophane sous prétexte que celui-ci n’a pas pu constater que la terre plonge ses racines à l’infini : « the very same criti­cism can be directed back at Empedocles who hardly saw everything in the vastness of the universe during the eternal changes resulting from the conflict of love and strife » (p. 59). Certains énoncés sont tout simplement faux : « Infinity by addition has a prominent position in Eleatic ontology » (p. 55) ; à propos des atomistes : « The macro level was, as it were, emptied and only the void was retained on that level. On the other hand, the micro level was populated with atoms beyond counting » (p. 76) ; « They proposed atoms as building blocks, but could not decide what shapes would account for the phenomena best, so they decided that all the shapes have their embodiment in some atoms » (p. 77) – D. ne mentionne pas le principe d’isonomie (il n’en parle qu’à propos d’Épicure, p. 135). La distinc­tion conceptuelle établie par Aristote entre contigu, contact, continu n’est pas comprise, et cela donne lieu à des développements extravagants (ex. : p. 82 sq. à propos des atomistes ; p. 108 à propos d’Aristote). L’ensemble du chapitre sur Aristote révèle une incompréhension profonde. D. ne voit pas – et ne men­tionne pas – la contradiction conceptuelle entre « tout » et « infini » sur laquelle repose tout l’argument d’Aristote. Il en vient ainsi à des énoncés comme celui-ci (p. 105) : « But only hypothetically, he agreed that infinity might exist if it were somehow possible (e.g., if his God, the UM, were powerful enough to actualize infinity), since he said that if bisection could have been carried out indefinitely, “nothing impossible will have resulted if it [a body] has actually been divided - not even if it has been divided into innumerable parts, themselves divided innumerable times” (De gen. et corr. 316a21-23). »

7Sans parler des anachronismes et de l’exploitation contestable des sciences modernes (les mathématiques contemporaines, l’informatique, le traitement automatique des langues). L’auteur est manifestement plus à l’aise avec les ma­thématiques qu’avec l’histoire de la philosophie. Cependant, même dans ce domaine, il n’est pas à l’abri des erreurs. Il formalise la proposition 7.12 d’Euclide ainsi : « if A:B = C:D, then (A+C) = (B+D) » (p. 156) ! Euclide ne dit pas une telle horreur, mais que si A:B = C:D, alors A:B = (A+C):(B+D)…

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Notes

1  L’auteur remercie les éditeurs de ces revues à la fin de la préface (p. 8), mais ne donne nulle part la référence exacte de chaque article.

2  Les livres de T.G. Sinnige (Matter and Infinity in the Presocratic Schools and Plato, 1971) et de L.S.J. Sweeney (Infinity in Presocratics: a Bibliographical and Philosophical Study, 1972) sont cités en notes pour des points particuliers dans le corps de l’ouvrage. Curieusement, nulle mention n’est faite de l’ouvrage de R. Mondolfo, L’Infinito nel pensiero dell’antichità classica, 1956.

3  Expression bien malencontreuse, à moins de donner à « monde » un sens qu’il n’a pas dans la philosophie grecque !

4  « Since, as rhetorically asked by Philoponus, for what reason a world would exist in one part of the void and not in the other? » (p. 79, à propos des atomistes). D. n’a pas l’air de savoir que Philopon ne fait ici que citer Aristote (Physique, III, 4, 203b25-27) !

5  « Numbers after equal sign refer to Hans von Arnim, Stoicorum veterum fragmenta, v. 1-4, Leipzig: Teubner 1903-1924 » (n. 2, p. 142). Malheureusement, dans tout ce chapitre, seules deux références sont précédées d’un « signe égal » (p. 151 et p. 154), la deuxième étant donnée sous la forme « (SR 1054b = 2.539) », sans que l’abréviation SR soit explicitée – il faut entendre De Stoicorum repugnantiis de Plutarque. D. utilise volontiers des abréviations qu’il n’explicite pas (SE pour Sextus Empiricus, DL pour Diogène Laërce, UM pour le moteur immobile d’Aristote).

6  D. n’utilise pas l’expression, mais c’est ce qu’il a en tête (« Because the world is presumably without end with respect to duration, each of the ideas may have a chance to be instantiated, at least once »).

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Pour citer cet article

Référence papier

Claire Louguet, « Adam Drozdek, In the Beginning was the Apeiron: Infinity in Greek Philosophy »Philosophie antique, 10 | 2010, 271-274.

Référence électronique

Claire Louguet, « Adam Drozdek, In the Beginning was the Apeiron: Infinity in Greek Philosophy »Philosophie antique [En ligne], 10 | 2010, mis en ligne le 11 juillet 2019, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/philosant/2357 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/philosant.2357

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Auteur

Claire Louguet

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