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DOSSIER : « "DIAIRESIS" : LA DIVISION CHEZ PLATON ET ARISTOTE »

Comment Aristote intègre la méthode de division dans l’analytique

Zoé McCONAUGHEY
p. 146-167

Résumés

Aristote entretient un rapport complexe avec la méthode de division qu’il hérite de Platon : tantôt il la critique en la taxant d’inefficace et la compare à un syllogisme « sans force », tantôt il affirme qu’il s’agit d’une « petite partie » de la méthode analytique qu’il avance (APr. I, 31). Un parcours dans le « pont aux ânes » des Premiers Analytiques (I, 27‑31) montrera d’une part comment Aristote intègre une grande partie de la division à l’analytique, à savoir les principes de la division (découvrir les différences, percevoir les similitudes) déjà très présents dans les Topiques, ainsi que les « paliers » de division permettant de constituer des listes de termes, et d’autre part comment il réduit le reste de la division à des déductions à partir d’hypothèse (I, 29), ce qui lui permet de maintenir la prétention d’exhaustivité de sa méthode analytique.

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Texte intégral

1. Introduction

  • 1  La syllogistique assertorique est développée en APr. I 2‑7, puis vient la syllogistique modale (I  (...)

1Dans les Premiers Analytiques (abrégés APr. dans la suite du texte), Aristote présente les différentes figures déductives de la syllogistique1, puis insiste sur le besoin d’être en mesure d’effectivement produire ces syllogismes : en plus de connaître théoriquement les types de déduction qui existent, il faut être en mesure de trouver les termes adéquats pour tout problème donné. C’est l’objet du passage appelé le « pont aux ânes » par les scolastiques, un passage bien balisé par deux transitions, une transition d’ouverture (fin de APr. I 26) et une de fermeture (fin de APr. I 31). Dans ce passage, Aristote expose sa méthode de listes permettant de découvrir, pour tout problème donné, un moyen terme approprié (APr. I 27‑28) ; il soutient que sa méthode analytique est exhaustive au sens où toute déduction peut être produite de cette façon, et où toute autre méthode peut se réduire à celle-ci. Pour justifier l’exhaustivité de cette méthode, Aristote montre que les déductions à partir d’hypothèse, y compris les réductions à l’impossible, s’y réduisent effectivement (APr. I 29). Il examine ensuite le cas de la déduction scientifique, qui exige des prémisses d’un type particulier puisqu’elles doivent être vraies et nécessaires (APr. I 30), avant de terminer sur une critique de la méthode platonicienne de division, qu’il dit être une « petite partie » de sa propre méthode, tout en la comparant à une déduction « sans force » et en la taxant d’inefficace (APr. I 31).

  • 2  Voir aussi H. Cherniss, Aristotle’s Criticism of Plato and the Academy, Baltimore, The Johns Hopki (...)
  • 3  Thèses encore non publiées, soutenues lors de deux conférences, à Toronto (11 mars 2023) et à Lill (...)

2Ce rapport ambivalent à la division, entre intégration et discrédit, sera étudié dans le contexte du « pont aux ânes » et de son intertextualité avec les Topiques (abrégés Top. dans la suite du texte). Colin G. King soutient l’idée selon laquelle Aristote oscillerait dans les Top. entre le fait de tantôt prendre la méthode de division comme base pour en extraire des règles générales de prédication2, tantôt prendre sa propre théorie de la prédication comme base pour critiquer, voire rejeter, des règles de la méthode de division3. J’étendrai aux Premiers Analytiques cette idée selon laquelle l’héritage de la méthode de division est posé comme élément incontournable de la pensée logique d’Aristote, héritage qui façonne sa manière de penser, y compris lorsqu’il la discute, la critique et l’absorbe dans sa propre théorie de la prédication et dans sa méthode analytique.

3Afin de parler avec plus de précision de ce rapport complexe qu’Aristote entretient avec la méthode de division, il s’agira, dans un premier temps, de distinguer les trois niveaux dont il peut s’agir lorsque l’on parle de division. Un second temps permettra de reprendre brièvement les éléments de la critique qu’Aristote adresse à la méthode de division en APr. I 31. Il s’agira toutefois de montrer que cette critique repose sur une adoption profonde des pratiques utilisées au sein de la division : un troisième temps se concentrera sur leur adoption au sein de la méthode de recherche du moyen terme du « pont aux ânes » et un quatrième temps esquissera les éléments d’intertextualité avec les Top. qui mettent au cœur de l’activité du dialecticien les principes fondamentaux de la division (découvrir les différences, percevoir les similitudes). Il s’agira enfin, dans un cinquième et dernier temps, de montrer comment Aristote réduit la partie argumentative de la division aux syllogismes hypothétiques dans un effort de justifier l’exhaustivité de sa propre méthode analytique. Ce parcours vise à donner plus de corps à la critique ambivalente d’Aristote mentionnée ci-dessus selon laquelle la division est une « petite partie » de sa propre méthode, tout en étant comparée à un syllogisme « sans force ».

2. Trois niveaux de division

4Lorsqu’il est question de la division chez Platon, il peut s’agir de trois choses distinctes, quoique liées, trois niveaux composant la méthode globale de division : (1) la méthode de division par genre prise dans son ensemble, l’arbre complet de division ; (2) un « palier » de division qui n’est qu’une étape de la division complète ; (3) le principe de la division, la capacité permettant d’effectuer des divisions (palier ou arborescence complète).

2. 1. Les niveaux de division chez Platon

5(1) Le premier niveau est celui de la méthode de division par genre, méthode explicitement identifiée comme méthode de division. Il s’agit de la méthode qu’on trouve tout particulièrement dans le Sophiste et le Politique. Il s’agit de définir quelque chose (d’en déterminer l’essence) en identifiant d’abord le genre auquel cette chose appartient, puis les formes (espèces) différentes que revêt le genre, ce qui permet alors de déterminer à quelle forme la chose considérée correspond ; on identifie ensuite les formes de cette forme, et ainsi de suite jusqu’à obtenir une caractérisation unique de la chose considérée. On obtient un arbre de division complet, allant du genre jusqu’à la chose considérée.

6(2) Le second niveau est ce que nous appellerons, faute de mieux, un « palier » de division. Il s’agit du moment où l’on divise une forme en toutes ses formes spécifiques. C’est le cas, par exemple, de la division du bien au début de République II (357b) en trois formes : (a) ce qui est bien en soi-même (comme le contentement et tout autre plaisir innocent) ; (b) ce que l’on aime en soi, mais aussi pour ce qui en découle (comme voir clair ou être en bonne santé) ; (c) ce qui est pénible en soi, mais que l’on aime pour les bénéfices apportés (comme la gymnastique, les médicaments ou le travail). Les exemples d’un simple palier de division sont abondants chez Platon. Il s’agit de diviser quelque chose, disons X, en toutes ses formes, par exemple en disant qu’il y a trois formes, X1, X2 et X3. Une fois toutes les formes identifiées, on regarde ce que l’on cherche, Y, pour déterminer à quelle forme Y correspond. Si Y ne peut être ni dans X1 ni dans X2, c’est qu’il est nécessairement dans X3. Dans de tels cas, nous ne procédons pas à un arbre complet de division à partir du genre (niveau 1), mais nous n’effectuons qu’un seul palier de division pour préciser ce que nous cherchons. Comme la division est le nom à la fois du tout (la méthode de division dans son ensemble) et de la partie (le palier de division), le terme est ambigu, et nous parlerons de méthode de division ou d’arbre de division (niveau 1) et de palier de division (niveau 2) pour distinguer ces deux niveaux.

  • 4  Cf. M. Crubellier, Aristote. Premiers Analytiques, Paris, GF-Flammarion, 2014, p. 28.

7Une analogie peut aider à préciser le rapport entre ces deux niveaux : la méthode de division (niveau 1) est au palier de division (niveau 2) ce que la démonstration des Seconds Analytiques est au syllogisme des Premiers Analytiques. La démonstration est un tout constitué d’une série ordonnée de syllogismes, tandis que les Premiers Analytiques s’intéressent à ce qui se passe à chaque étape, à la « cellule déductive » composée seulement de deux prémisses et d’une conclusion4. La cellule déductive, le syllogisme simple, peut se comprendre tout seul, sans être prise au sein d’une démonstration. De la même manière, la méthode de division (niveau 1) est constituée d’une série ordonnée de paliers de division (niveau 2), mais un palier de division peut être utilisé sans être pris au sein d’un arbre de division complet – et Platon utilise très souvent des paliers de division dans ses dialogues, beaucoup plus que des arbres complets (niveau 1).

  • 5  On peut ainsi penser que ce serait parce qu’il s’agirait du mouvement du logos, donc de l’activité (...)

8(3) Le troisième niveau de division correspond au principe sous-jacent aux deux autres niveaux. Il s’agit de la capacité à diviser (ou multiplier) l’unité et à rassembler (ou unifier) le multiple. Nous mettons ces deux capacités au sein du principe de division puisqu’elles sont toutes deux nécessaires pour diviser au sens des niveaux 1 et 2 : la capacité à unifier est nécessaire pour repérer ce qui est commun, la capacité à diviser est nécessaire pour repérer ce qui diffère. C’est de plus en ces termes que Platon parle de l’activité du dialecticien dans le Phèdre (266b). D’après Monique Dixsaut et Létitia Mouze, Platon considère que la multiplication de l’unité et l’unification du multiple ‒ donc le principe de division tel que nous l’envisageons ici – est le mouvement même du logos5.

9Dès lors, si la division chez Platon s’articule selon ces trois niveaux – méthode, palier, principe de division –, lorsque l’on s’intéresse à la division chez Aristote et son rapport critique à la division platonicienne, il est nécessaire de déterminer de quel niveau il est question.

2. 2. Les niveaux de division chez Aristote

10Aristote envisage lui aussi les trois niveaux de la division. Un aperçu des textes relatifs à ces trois niveaux chez Aristote permettra de préciser ce qui est contenu dans chacun d’eux et certains développements qu’il a effectués.

11(1) Aristote est connu pour ses critiques ou réformes de la méthode de division (niveau 1). Il s’agit notamment des Premiers Analytiques I 31 (dont il sera question par la suite), des Seconds Analytiques II 5‑6 et 13, des Parties des Animaux I 2‑4 et de Métaphysique Z.

  • 6  Qu’Aristote ajoute des conceptions possibles que personne n’aurait soutenues (e.g. Physique III 4 (...)

12(2) Le « palier » de division est utilisé dans le « pont aux ânes » (APr. I 26‑31), comme on le verra, mais aussi dans les passages doxographiques dans lesquels Aristote ordonne les conceptions possibles sur un sujet donné selon les positions effectivement soutenues par ses prédécesseurs6, ou pour diviser les possibilités concernant un sujet, indépendamment de passages doxographiques, comme en Physique IV 1‑4. Par ailleurs, l’efficacité rhétorique du palier de division est identifiée en Rhétorique II 23 (1398a30‑32).

13(3) Comme nous le verrons plus en détail dans la suite, l’aspect fondamental pour la pensée du principe de division (niveau 3) est clairement énoncé par Aristote dans les Top. : deux des quatre instruments du dialecticien concernent directement ce principe, puisque les deux derniers instruments concernent la découverte des différences et la perception des similitudes. De plus, en Top. VIII 14 (164b1‑7), Aristote définit l’activité du dialecticien de façon tout à fait platonicienne, comme le fait d’unifier le multiple et de multiplier l’unité.

3. Critique de la méthode de division (APr. I 31)

14La critique qu’Aristote adresse à la méthode de division en APr. I 31 s’ouvre de la façon suivante :

  • 7  ῞Οτι δ διὰ τῶν γενῶν διαίρεσις μικρόν τι μόριόν ἐστι τῆς εἰρημένης μεθόδου, ῥᾴδιον ἰδεῖν· ἔστι (...)

Que la division par les genres n’est qu’une petite partie de la méthode que nous exposons ici, il est facile de le voir. Car la division est en quelque sorte une déduction sans force. En effet, ce qu’il faut montrer, elle le demande ; et ce qu’elle déduit, c’est toujours l’un des termes supérieurs (APr. I 31, 46a31‑34)7.

  • 8  Dans son commentaire aux Premiers analytiques, Alexandre d’Aphrodise comprend cette comparaison à (...)

15Cette critique est ambivalente. Selon les trois niveaux définis ci-dessus, Aristote écarte la méthode de division complète (niveau 1), car ce que l’on peut conclure avec cette méthode n’a aucune force contraignante ; il faut même se faire concéder l’hypothèse sur laquelle la déduction repose (cf. Seconds analytique II 5 et section 5 ci-dessous)8. Mais comme il s’agira de le montrer dans les parties suivantes, il intègre à sa propre méthode analytique les niveaux 2 et 3.

16Aristote se concentre sur un palier de division pour expliquer que la division ne démontre pas la conclusion, mais la demande. Supposons en effet que le problème à résoudre est de savoir ce qu’est un « homme » ; il s’agit de déterminer sa définition. Si l’on prend « animal » comme genre de ce qui est à définir, et qu’on distingue le genre en deux espèces grâce à la différence « mortel » et « immortel », on n’obtient pas une démonstration de la définition d’« homme », comme « animal mortel », mais on demande d’admettre qu’« homme » est « mortel ». La conclusion nécessaire serait au contraire : « homme » est un « animal mortel ou immortel ». Aristote fait alors un deuxième palier de division : si l’on prend comme genre « animal mortel » et qu’on le divise en « pédestre » et « sans pieds », on n’obtient pas une démonstration de la définition d’« homme ». On pose que « homme » est « pédestre », on démontre qu’il est un « animal pédestre ou sans pieds ». Aristote conclut de la façon suivante :

  • 9  τέλος δέ, ὅτι τοῦτἔστιν ἄνθρωπος τι ποτἂν τὸ ζητούμενον, οὐδὲν λέγουσι σαφὲς ὥστἀναγκαῖ (...)

Mais ce qui est le but, à savoir de montrer que c’est cela qui est un homme (ou quel que soit l’objet de notre recherche), [ceux qui divisent toujours de cette façon] ne disent rien de clair d’où il résulterait que ce soit nécessaire (APr. I 31, 46b22‑24)9.

  • 10  Aristote semble alors faire une remarque contre Speusippe : pour pallier ce défaut de nécessité, l (...)
  • 11  Cf. Alexandre, op. cit., 338, 25.

17La division utilisée pour démontrer la définition de quelque chose ne conclut rien de façon nécessaire, elle est ainsi comme un sullogismos sans force10. Deux arguments viennent soutenir ce rejet de la méthode (niveau 1). Le premier reprend la théorie des prédicables énoncée dans le premier livre des Top., divisant toutes les manières de dire quelque chose de quelque chose en quatre (Top. I 4‑5) : la définition (on indique l’essence de la chose et d’elle uniquement), le genre (on indique l’essence de la chose, mais aussi d’autres choses tombant sous le même genre), le propre (on indique seulement la chose, mais pas son essence), l’accident (on indique la chose, mais ni dans sa singularité ni dans son essence). Comme Aristote a démontré l’exhaustivité de cette division en Top. I 8 (il intègre les différences dans le genre), il considère ce résultat acquis dans les APr. Par conséquent, montrer que la division est inefficace pour prouver une conclusion, quel que soit le prédicable utilisé, revient à montrer que la division est complètement inefficace (c’est un syllogisme sans force)11.

18Le second argument consiste en une surenchère : Aristote soutient en plus que la division est inefficace lorsqu’on ne connaît pas déjà la solution : si l’on cherche un résultat en géométrie, par exemple si la diagonale est commensurable ou non, la division ne nous permettra pas de résoudre le problème.

Et il est clair que par cette voie il n’est pas possible de réfuter ni de déduire quelque chose à propos du propre ou de l’accident, ni à propos du genre, ni non plus dans les matières où l’on ignore s’il en est ainsi ou bien ainsi, par exemple si la diagonale est incommensurable.

  • 12  Φανερὸν δὅτι οὔτἀνασκευάσαι ταύτῃ τῇ μεθόδῳ ἔστιν, οὔτε περὶ συμβεβηκότος ἰδίου συλλογίσασθα (...)

En effet, si l’on pose que toute grandeur est soit commensurable, soit incommensurable, et que la diagonale est une grandeur, on aura déduit que la diagonale est soit commensurable, soit incommensurable. Si l’on postule qu’elle est incommensurable, on aura postulé ce qu’il fallait déduire. Il n’est donc pas possible de le montrer (APr. I 31, 46b26–34)12.

19Aristote peut alors conclure en reprenant son jugement énoncé au début du passage, à savoir que la division est inappropriée aux buts de ses partisans, mais il maintient également son utilité dans un contexte approprié :

  • 13  φανερὸν οὖν ὅτι οὔτε πρὸς πᾶσαν σκέψιν ἁρμόζει τῆς ζητήσεως τρόπος, οὔτἐν οἷς μάλιστα δοκεῖ πρ (...)

On voit donc que cette façon d’examiner n’est pas appropriée à toute recherche, et que, pour celles auxquelles on croit qu’elle est plus particulièrement appropriée, elle est inefficace (APr. I 31, 46b35‑37)13.

  • 14  La question de savoir si c’est Platon lui-même qui est visé ou plutôt Speusippe ou tout autre plat (...)
  • 15  Pour une autre approche, dont cet article s’est beaucoup inspiré, voir M. Crubellier, art. cit., p (...)

20Aristote est critique vis-à-vis de la méthode de division telle qu’elle est pratiquée14, mais il accorde qu’elle peut avoir son utilité, pourvu que celle-ci soit bien identifiée. Comme on le verra, cette utilité est mise à profit dans le « pont aux ânes », où la pratique de division est présente dans la phase de collecte des données en vue de la découverte du moyen terme permettant de déduire la conclusion recherchée15.

4. Intégration des « paliers » de division à la recherche du moyen terme (APr. I 27‑28)

  • 16  La parenté entre la méthode des listes du « pont aux ânes » et la méthode de division a été soulig (...)

21Dans le passage de transition de la fin de APr. I 26 déjà mentionné, Aristote affirme qu’il n’est pas suffisant de connaître de façon théorique les combinaisons syllogistiques ni de savoir quel type de problème (à savoir les problèmes affirmatifs universels ou particuliers, négatifs universels ou particuliers) se déduit dans quelle figure, il affirme qu’il faut en plus être capable de produire des déductions sur un sujet donné. La machine qu’il décrit alors pour trouver les prémisses permettant de déduire de façon nécessaire la conclusion recherchée repose sur la division comprise comme des paliers de division (niveau 2). Il s’agit de construire des listes de termes reprenant sensiblement ce qui peut être lu dans un arbre de division (niveau 1), mais sans les données intégrées dans l’arborescence16.

22En effet, il s’agit de partir des termes du problème (c’est-à-dire de la conclusion recherchée) et d’établir trois listes de termes relatifs à chacun d’eux, sujet et prédicat. Même si Aristote ne les présente pas de cette manière, ces listes sont comme des paliers de division puisque, pour le prédicat du problème, on va faire la liste de termes qui sont impliqués par lui, c’est-à-dire ceux qui seraient au-dessus de lui dans un arbre de division ; on va ensuite faire la liste des termes qui impliquent le prédicat, c’est-à-dire ceux en dessous dans un arbre ; puis on va faire la liste de ceux qui sont incompatibles, c’est-à-dire de ceux qui se trouvent dans des branches différentes.

23Aristote nomme le prédicat de la conclusion recherchée A et le sujet E, et il constitue pour chacun de ces deux termes trois listes de termes, nommées B, C, D pour le prédicat et F, G, H pour le sujet :

  • 17  ἔστω γὰρ τὰ μὲν ἑπόμενα τῷ Α ἐφ' ὧν Β, οἷς δ' αὐτὸ ἕπεται, ἐφ' ὧν Γ, δὲ μὴ ἐνδέχεται αὐτῷ ὑπάρχε (...)

Appelons B les termes impliqués dans A, C ceux qui l’impliquent, et D ceux qui sont incompatibles avec lui ; et pour E, maintenant, appelons F ceux qui sont le cas pour lui, G ceux qui sont impliqués par lui, et H ceux qui sont incompatibles avec lui (APr. I 28, 44a13‑17)17.

24Afin de gagner en clarté et de bien montrer la parenté entre ces listes et la méthode de division, il convient de changer la notation dans ce qui suit : P désigne le prédicat et S le sujet (de la conclusion recherchée ou problème), et les listes seront indexées au prédicat ou au sujet et seront identifiées par leur position dans un arbre de division : TOPP désignera la liste de termes impliqués dans P (donc la liste B d’Aristote) et TOPS, la liste des termes impliqués dans S ; BOTP désignera la liste de termes que P implique (ou ceux que S implique pour BOTS) ; NEGP (resp. NEGS) désignera la liste de termes incompatibles avec P (resp. S).

25Ainsi, pour chacun des deux termes du problème, à savoir le sujet S et le prédicat P, on établit trois listes de termes, comme dans le tableau sur la gauche de la Figure 1.

Les trois listes de termes pour le prédicat et le sujet (gauche) et leur positionnement dans un arbre de division (droite)
  1. TOPP (resp. TOPS) rassemble tous les termes que le prédicat (resp. le sujet) implique, c’est-à-dire tous ceux qui se disent universellement de P (S). On met ainsi tous les termes qui se trouvent au-dessus de P si l’on faisait des divisions pour arriver à P, comme dans l’arbre sur la droite de Figure 1. Par exemple, si P est « pédestre », « animal » et « mortel » seront dans la liste TOPP, car tout ce qui est « pédestre » est un « animal » et est « mortel ».

    • 18  L’inverse est vrai seulement dans le cas de termes coextensifs, comme « triangle » et « avoir la s (...)

    BOTP (resp. BOTS) rassemble tous les termes qui impliquent le prédicat (resp. le sujet), c’est-à-dire tous ceux dont le prédicat (sujet) se dit universellement. Il s’agit donc, dans un arbre de division, de toutes les branches qui se situeraient au-dessous du terme en question. C’est le cas, par exemple, de « bipède » pour le prédicat P « pédestre » : tout ce qui est « bipède » est « pédestre »18.

  2. NEGP (resp. NEGS) rassemble tous les termes incompatibles avec P (resp. S), par exemple « sans pieds » ou « immortel » pour P = « pédestre ». Il s’agit donc de tous les termes pouvant se trouver sur des branches d’une division différente de celle du terme étudié.

26En mettant en parallèle les trois listes de termes du « pont aux ânes » (TOP, BOT et NEG) et un arbre de division (niveau 1), la Figure 1 souligne à la fois la proximité des deux méthodes et la perte, dans les listes, des données liées à l’arborescence de la division. En écrasant l’arborescence pour ne garder que ce qui se trouve au-dessus ou au-dessous d’un terme en question, Aristote écarte la méthode de division (niveau 1) pour ne garder que ce qui s’apparente au palier de division (niveau 2), comme si tous les termes d’une liste (TOP, BOT ou NEG) étaient sur le même plan. Ce qui ressemble à une perte nette de données peut toutefois être vu comme un avantage si l’on prend en compte la critique de la dichotomie que fait Aristote dans les Parties des animaux I et le besoin parfois de diviser selon plusieurs plans (par exemple, selon les parties des animaux et leur mode de vie). Dans ce genre de cas, plus besoin d’essayer de mettre ensemble des divisions incompatibles, il suffit d’enregistrer les données pertinentes dans le même tableau.

27Ces listes établies, la tâche consistant à trouver une solution au problème, c’est-à-dire un moyen terme permettant de déduire nécessairement la conclusion recherchée (le problème), se trouve grandement facilitée. Il suffit en effet de repérer les termes identiques entre les deux séries de listes, ces termes devenant alors des candidats pour être moyen terme. La combinatoire syllogistique utilisée en APr. I 28 permet de réduire les combinaisons de termes pertinentes, montrant notamment que les cas où NEGP = NEGS sont inutiles, tout comme TOPP = TOPS (rien ne peut être déduit de ces configurations).

28Prenons un exemple inventé, mais tiré de données figurant dans l’Histoire des animaux. Les listes proposées ne sont bien sûr pas exhaustives. Supposons que notre problème consiste à prouver que « tous les cétacés respirent ». C’est la conclusion que l’on souhaite obtenir. Elle nous donne immédiatement deux termes : le sujet « cétacé » et le prédicat « respire ». Pour trouver le moyen terme approprié afin de l’établir, on cherche les termes en haut de n’importe quelle division du prédicat (cf. Figure 2) : tout ce qui « respire » est un « animal », est « sanguin », a des « poumons ». On cherche la même chose pour le sujet : tous les « cétacés » sont des « animaux », sont « aquatiques », ont des « poumons », sont « sanguins », sont « vivipares », ont un « évent ». On cherche ensuite les termes impliquant le prédicat, donc ce qui serait dans une branche au-dessous du prédicat dans une division : « respire » se dit de tout ce qui a un « évent », un « cou », des « poumons », tous les « oiseaux », « chevaux » et « cétacés ». On procède de la même manière pour le sujet : être un « cétacé » se dit de tous les « dauphins », « baleines », « marsouins » et de tout ce qui a un « évent ». Enfin, on cherche ce qui est incompatible avec le prédicat : « respirer » est incompatible avec le fait d’avoir des « branchies ». De même pour le sujet : « cétacé » est incompatible avec le fait d’avoir des « branchies », des « plumes » et « pondre des œufs ».

Figure 2 : Exemple de trois listes de termes pour le prédicat et le sujet de la conclusion recherchée

29Une fois les listes de termes assez avancées, on regarde s’il y a un terme commun entre les listes du prédicat et celles du sujet. Comme on a vu, les termes identiques dans les listes NEGP et NEGS ne nous intéressent pas, tout comme ceux entre TOPP et TOPS. Il nous reste alors deux candidats : « avoir un évent » et « avoir des poumons ». Dans ces deux cas, on a BOTP = TOPS. Comme Aristote le montre en APr. I 28, le moyen terme issu de BOTP = TOPS permet de construire un syllogisme de la première figure, Barbara. On a une première prémisse (majeure) avec le prédicat de la conclusion P = « respire » ; ce prédicat est prédiqué universellement du moyen terme M = « avoir un évent ». La seconde prémisse (mineure) est construite avec le sujet de la conclusion S = « cétacé » ; le moyen terme M = « avoir un évent » se prédique universellement du sujet. Une fois les prémisses posées, la conclusion recherchée se déduit de façon nécessaire.

Prémisse 1 : « Respire » se prédique de tous [les animaux qui] « ont un évent » ;

Prémisse 2 : « Avoir un évent » se prédique de tous les « cétacés » ;

Conclusion : « Respire » se prédique de tous les « cétacés ».

30La méthode des listes du « pont aux ânes » est ainsi une méthode permettant de trouver le moyen terme approprié pour tout problème donné, ou pour déterminer qu’il n’y en a pas. Il s’agit de la méthode analytique : le problème de départ est la conclusion que l’on cherche à établir ; pour l’établir, il faut chercher des termes supplémentaires communs aux termes du problème (il faut donc être en mesure de trouver des termes pertinents) ; la syllogistique (partie théorique sur la déduction) fournit des guides permettant de faire le tri parmi les termes communs pour dégager les meilleurs candidats (notamment ceux produisant la conclusion au moyen de la première figure, ou produisant une conclusion universelle). L’étape de cette méthode analytique qui consiste à collecter des termes pertinents repose sur l’utilisation de paliers de division avec des données très proches de celles des arbres de division, mais sans conserver l’ordre et les liens de prédication entre les termes d’une même liste (TOP, BOT ou NEG).

31Il est à noter que cette étape de recherche de moyens termes est compatible avec toutes les critiques ou réformes qu’Aristote apporte par ailleurs à la méthode de division : il ne s’agit pas de construire la définition de quelque chose, donc les problèmes d’unité de la définition centraux à Métaphysique Z ou ceux d’exhaustivité de Seconds Analytiques II 13 ne posent pas de problème ici. Il ne s’agit pas non plus de construire un seul arbre de division, donc les critiques faites à la dichotomie en Parties des animaux I 2 ne posent pas non plus problème. Enfin, il ne s’agit pas de démontrer quoi que ce soit, donc les critiques de APr. I 31 sur les quatre prédicables ne posent pas de problème ; il ne s’agit pas non plus de découvrir quelque chose que l’on ignore, comme savoir si la diagonale est commensurable ou non : en effet, ici, l’étape de constitution de listes de termes part de ce que l’on connaît des termes du problème, et cela nous permet de découvrir des candidats pour être moyen terme.

32En somme, le « pont aux ânes » utilise la division sans constituer une méthode de division. En ce sens, nous disons qu’il repose sur les paliers de division (niveau 2) et ne suppose pas la méthode de division complète (niveau 1). Ce qui distingue fondamentalement l’utilisation de la division dans le « pont aux ânes » de la méthode de division par les genres est qu’Aristote, dans le « pont aux ânes », part de la conclusion à établir pour chercher des termes dans les listes (paliers de division concernant seulement le terme en question, sans se poser de question sur l’ordre, les branchements, l’unité), et de là, trouver un moyen terme qui permette de déduire la conclusion avec nécessité. La division, pour Aristote, à savoir établir les listes de termes, ne prétend rien déduire, elle est une étape vers la déduction nécessaire, c’est une étape de recherche des termes pertinents et d’organisation des données. La méthode de division par les genres, au contraire, prétend démontrer la définition. Comme on l’a vu, Aristote la critique en disant qu’elle n’a pas les moyens d’arriver à ses fins, qu’elle demande ce qu’elle doit montrer (APr. I 31). En cela, la division est bien une petite partie de la méthode analytique du « pont aux ânes » : il s’agit d’une étape préliminaire à la résolution d’un problème, celle qui permet de faire surgir des candidats pour être moyen terme ; la découverte du bon moyen terme constitue en même temps la découverte de la solution au problème : le moyen terme est la clef des prémisses permettant d’établir avec nécessité la conclusion. Dans le cadre d’une démonstration, on prendrait les prémisses ainsi obtenues et l’on chercherait un bon moyen terme permettant de les déduire à leur tour. Ce type de recherche au moyen des listes peut ainsi être réitéré.

33Aristote critique donc la méthode de division (niveau 1), mais non l’utilisation des paliers de division (niveau 2) sur lesquels sa méthode repose. Tournons-nous maintenant vers les principes de division (niveau 3) afin de montrer qu’ils jouent eux aussi un rôle central pour Aristote.

5. L’adoption des principes de division (Top. I 14‑18)

34Il y a une intertextualité forte entre le « pont aux ânes » et le premier livre des Top. Comme on le verra, cette intertextualité est explicitée à la fin de APr. I 30 par un renvoi au premier instrument du dialecticien des Top., mais des renvois non explicités sont aussi présents : les prédicables sont tenus pour acquis et le but des quatre instruments du dialecticien est le même que celui du « pont aux ânes ».

35À la fin de APr. I 30, lorsqu’il récapitule l’ambition d’exhaustivité de la méthode analytique du « pont aux ânes » (les listes couplées à la syllogistique), Aristote fait un renvoi explicite aux Top., ayant certainement en vue le premier instrument du dialecticien, l’instrument relatif à la collecte des prémisses.

  • 19  Καθόλου μὲν οὖν, ὃν δεῖ τρόπον τὰς προτάσεις ἐκλέγειν, εἴρηται σχεδόν· διἀκριβείας δὲ διεληλύθαμ (...)

On a donc dit de façon à peu près complète comment il faut choisir les prémisses (τὰς προτάσεις ἐκλέγειν) ; et nous l’avons exposé en détail dans notre traité sur la dialectique (APr. I 30, 46a28‑30)19.

  • 20  « Il faut faire la liste, non pas de ce qu’implique telle chose particulière, mais bien [4] la cho (...)

36Le parallèle avec le premier instrument du dialecticien en Top. I 14 ci-dessous est renforcé par l’emploi du même vocabulaire [1]. Aristote donne des conseils sur la manière de collecter des prémisses en Top. I 14 : [2] il s’agit d’établir des listes de termes selon des tableaux organisés au moyen d’en-têtes, méthode de listes développée en APr. I 27‑28 ; [3] il faut distinguer ce qui est dit selon la vérité et selon l’opinion, chose répétée en APr. I 30 ; et [4] il faut prendre la chose dont on parle dans toute son étendue (et non juste un cas particulier ou un aspect), injonction reprise en APr. I 27 (43b11‑13) pour la construction des listes20. Les conseils donnés en Top. I pour collecter les prémisses sont ainsi repris dans le « pont aux ânes » et adaptés à l’analytique (recherche du moyen terme).

[1] Il existe autant de manières de recueillir des prémisses (τὰς... προτάσεις ἐκλεκτέον) que d’espèces distinguées dans le chapitre que nous avons consacré à la prémisse […].

[2] Il faut encore recueillir des prémisses dans les livres, et dresser des tableaux pour chaque catégorie de sujets, avec des têtes de rubriques séparées, par exemple « le bien », ou « l’animal », « bien » devant être entendu dans toute son ampleur, en commençant par l’essence […]

[3] Ces questions doivent être traitées, au niveau philosophique, selon la vérité, mais dialectiquement au niveau de l’opinion.

  • 21  Τὰς μὲν οὖν προτάσεις ἐκλεκτέον ὁσαχῶς διωρίσθη περὶ προτάσεως […] ἐκλέγειν δὲ χρὴ καὶ ἐκ τῶν γεγρ (...)

[4] Il faut prendre toutes les prémisses sous la forme la plus générale possible ; et il faut d’une seule en faire plusieurs […] (Top. I 14 105a34‑35 ; b12‑15 ; 30‑33)21.

37En plus de reprendre ce premier instrument du dialecticien, le « pont aux ânes » reprend les quatre prédicables de Top. I introduits plus haut : Aristote ne juge pas nécessaire de les présenter à nouveau dans les APr. Les quatre prédicables (la définition, le genre, le propre et l’accident) sont aussi pertinents pour parler de la méthode de division : Aristote précise que la différence est intégrée au genre dans sa typologie, preuve qu’il est bien un héritier de cette méthode, mais qu’il la discute.

  • 22  M. Crubellier, art. cit., p. 119.

38À cela, une parenté par omission peut être ajoutée entre le « pont aux ânes » et les Top. : si, dans le « pont aux ânes », Aristote dit comment trouver un moyen terme approprié une fois les listes construites, et s’il définit de façon générale les types de termes à mettre dans chaque liste (ceux qui sont impliqués par, ceux qui impliquent, ceux qui sont incompatibles), il ne dit rien sur la manière de construire effectivement ces listes. Or comme le remarque Michel Crubellier, les lieux des Top. constituent une batterie de tests permettant de déterminer quels termes mettre dans quelles listes22. La constitution des listes du « pont aux ânes » serait ainsi grandement facilitée par une bonne maîtrise des Top.

39Enfin, la présentation du but des quatre instruments des Top. est identique à celle du but du « pont aux ânes », à savoir être capable de disposer en abondance de déductions (εὐπορήσομεν συλλογισμῶν).

  • 23  πῶς δ’ εὐπορήσομεν αὐτοὶ πρὸς τὸ τιθέμενον ἀεὶ συλλογισμῶν, καὶ διὰ ποίας ὁδοῦ ληψόμεθα τὰς περὶ ἕ (...)

Mais comment nous pourrons nous-mêmes disposer facilement de déductions en vue d’une conclusion donnée, et par quelle méthode nous poserons les principes pour chacune, c’est ce qu’il nous reste à dire désormais (APr. I 26, 43a19‑24)23.

  • 24  τὰ δ’ ὄργανα δι’ ὧν εὐπορήσομεν τῶν συλλογισμῶν ἐστὶ τέτταρα.

Pour ce qui est des instruments grâce auxquels nous ne serons jamais à court d’arguments déductifs, ils sont au nombre de quatre (Top. I 13, 105a21‑25)24.

  • 25  En ce qui concerne la découverte des différences, Aristote dit en Top. I 16 qu’il faut s’entraîner (...)

40Cette parenté de but suggère que le « pont aux ânes » ne reprend pas seulement le premier instrument (la collecte des prémisses), mais aussi les trois autres instruments du dialecticien : savoir distinguer les divers sens d’un terme, découvrir les différences et percevoir les similitudes. Les deux derniers instruments se trouvent être au principe de la méthode de division (niveau 3)25. De nouveau, Aristote est l’héritier de cette méthode, il l’a intégrée à sa manière de penser alors même qu’il cherche à supplanter la méthode (niveau 1) par sa propre méthode analytique.

41L’utilité des instruments est explicitée en Top. I 18. Les deux derniers instruments sont particulièrement utiles pour faire connaître l’essence des choses (nous utilisons les différences caractéristiques pour dire ce qu’est la formule propre de son essence, ton idion tès ousias ekastou logon) et pour les questions d’identité et de différence. L’observation des similitudes est utile « aux inductions, aux raisonnements hypothétiques [voir ci-dessous pour une discussion de APr. I 29] et pour répondre aux questions de définition » (c’est ce qui permet de trouver le genre ; Top. I 18, 108b7‑9).

42Comme dit plus haut, Aristote critique certes la méthode de division (niveau 1), mais cette critique se fonde sur un usage abondant des paliers de division (niveau 2) dans le « pont aux ânes », méthode de recherche du moyen terme qui repose grandement sur les instruments au service des déductions (τὰ μὲν οὖν ὄργανα διὧν οἱ συλλογισμοὶ ταῦτἐστίν, Top. I 18 108b32), dont les deux derniers constituent les principes de division (niveau 3). Le « pont aux ânes » repose donc sur Top. I à deux titres : au titre d’une intertextualité, d’une part, qui utilise tout en le développant ce qui a été dit en Top. I, et au titre d’un fondement théorique, d’autre part, puisqu’il utilise la division dont le principe se trouve dans les instruments 3 et 4 de Top. I.

6. La division n’apporte rien de plus que l’analytique (APr. I 29)

43Aristote insiste à plusieurs reprises dans le « pont aux ânes » sur ceci que la méthode avancée est exhaustive : toute déduction peut se faire au moyen de cette méthode, et toute autre méthode peut se réduire à celle-ci. Avec une telle revendication d’exhaustivité, Aristote se doit d’écarter toute objection possible, ou du moins les objections les plus évidentes. Selon notre interprétation, c’est ce qu’il fait en APr. I 29, en réduisant à son analytique différents cas de déductions à partir d’hypothèses.

  • 26  APr. I 44 insiste sur le fait que la partie déductive est analysable, mais qu’on ne pourra analyse (...)

44L’idée est la suivante : Aristote soutient haut et fort que sa méthode analytique (syllogistique et listes du « pont aux ânes ») est exhaustive et que toute autre méthode s’y réduit. Pour un adepte de la méthode de division, cela revient à dire soit que la division est inefficace, soit qu’elle est intégrée à la méthode analytique d’Aristote (deux choses qu’Aristote affirme explicitement en APr. I 31). Un tel adepte pourrait très bien protester en pointant du doigt le fait que les listes du « pont aux ânes » écrasent la plupart des données que l’on obtient dans l’arborescence d’une division complète, comme vu précédemment, ce qui empêcherait d’établir certaines conclusions pourtant bien lisibles dans les arbres ; ainsi la méthode de division (niveau 1) serait en mesure de déduire certaines conclusions qui échapperaient à la méthode analytique. Un court passage de APr. I 29 montre, selon l’interprétation proposée ici, que ce cas précis se réduit en fait à une déduction à partir d’hypothèse et se trouve donc pris en charge par la méthode analytique. Aristote insisterait à nouveau, mais explicitement cette fois, en APr. I 31, sur l’intégration de la division à la méthode analytique, estimant que la division (niveaux 2 et 3) est une « petite partie » de sa méthode et que la division complète (niveau 1) est comme une déduction « sans force », c’est-à-dire, en ayant APr. I 29 en tête, est une déduction à partir d’hypothèse, où toute la force de la conclusion réside dans l’hypothèse et non dans la déduction26.

45Le passage de APr. I 29 qui va nous intéresser est bref et demande d’être interprété. Juste avant, Aristote a soutenu que les réductions à l’impossible, qui sont une sorte de déduction à partir d’hypothèse, suivent la même méthode analytique que les déductions directes, puis a généralisé en disant que toute déduction à partir d’hypothèse se réduit à sa méthode. Aristote étudie ailleurs les déductions à partir d’hypothèse, en particulier APr. II 11‑14 pour la réduction à l’impossible ; ce qui l’intéresse à ce moment est de montrer que ces types de déduction se réduisent effectivement à sa méthode. Vient ensuite notre passage, suivi d’une remarque sur l’examen des propositions nécessaires et contingentes (qui suivent la même méthode) et enfin le chapitre se clôt sur la récapitulation de l’ambition d’exhaustivité de la méthode analytique. Notre passage, que voici, se trouve donc pris dans le contexte d’une justification de cette exhaustivité :

Chacune des conclusions proposées, donc, se démontre de cette façon ; mais il est possible de déduire certaines d’entre elles encore autrement : ainsi on peut déduire les universelles à partir de la considération du particulier moyennant une supposition.

  • 27  Δείκνυται μὲν οὖν ἕκαστον τῶν προβλημάτων οὕτως, ἔστι δὲ καὶ ἄλλον τρόπον ἔνια συλλογίσασθαι τούτω (...)

Si en effet les C [BOTP] et les G [BOTS] sont la même chose, et si l’on pose que E [S] est le cas seulement pour les G [BOTS], alors A [P] sera le cas pour tout E [S]. Et encore, si les D [NEGP] et G [BOTS] sont identiques et si E [S] se prédique seulement des G [BOTS], il s’ensuit que A [P] n’est le cas pour aucun des E [S]. On voit donc qu’il faut considérer les choses aussi de cette façon (APr. I 31, 45b21‑28)27.

46Aristote introduit deux cas de déductions possibles sans dire d’où proviennent ces cas. Comme indiqué plus haut, nous proposons de comprendre ces deux cas comme ce qui peut être lu sur un arbre de division. Aristote ne le mentionne pas explicitement, mais il dit que certaines conclusions peuvent être déduites « encore autrement », référence à une autre méthode que nous estimons être celle de la division. Aristote doit montrer que ces cas peuvent se réduire à sa méthode analytique, ce qu’il fait moyennant une hypothèse (il intègre alors ces cas aux déductions à partir d’hypothèse qu’il vient d’envisager). Sa méthode des listes est donc complète, elle peut tout faire. Il s’agit ici de comprendre le cas 1 comme étant celui où le sujet S est subordonné au prédicat P dans un arbre de division, et le cas 2 comme celui où S est subordonné à une différence de P dans un arbre.

47Le premier cas pose, dans les termes du « pont aux ânes », une identité entre les BOTP et les BOTS. Il a envisagé ce cas en APr. I 28 pour montrer que la troisième figure peut être utilisée afin d’obtenir une conclusion particulière. Or ici, en APr. I 29, Aristote affirme qu’on obtient une conclusion universelle, non une particulière. Ce n’est donc pas une déduction syllogistique directe qui est utilisée, mais une déduction à partir d’une hypothèse. À titre d’illustration, cela revient dans un arbre au cas (fictif) suivant, représenté en Figure 3 : supposons un arbre de division pour « animal », qui se diviserait en deux formes : (animal) « mortel » et (animal) « immortel ». Prenons la première forme, que l’on divise en deux formes : « pédestre » et « sans pieds ». « Pédestre » peut à son tour être divisé en ses différentes formes, dont « bipède » fait partie. Si le prédicat qui nous intéresse est « animal », alors tout ce qui se trouve en dessous dans l’arbre fera partie de la liste BOTP=animal. Et si le sujet qui nous intéresse est « pédestre », on aura tous les termes qui se situent sous « pédestre » dans la liste BOTS=pédestre, on aura les termes « mortel » et « animal » dans la liste des TOPS=pédestre, et on aura « sans pieds » et tous les termes qui seront en dessous, ainsi que « immortel » et tous les termes à sa suite qui seront dans la liste des NEGS=pédestre.

Figure 3 : Exemple de division avec les indications pour les listes BOTP=BOTS (P = « animal » et S = « pédestre »)

48Dans cet arbre, nous pouvons voir que tout ce qui est « pédestre » est « animal », parce qu’il n’y a rien sous « pédestre » qui ne soit pas « animal ». Cette conclusion est universelle, comme l’affirme Aristote, mais la conclusion que l’on obtient grâce à la syllogistique est une conclusion particulière (APr. I 28). L’arbre de division (niveau 1) semble donc permettre une déduction que la méthode analytique ne peut produire, réfutant l’ambition d’exhaustivité de cette dernière.

49Aristote intègre cette déduction à sa méthode analytique en introduisant une hypothèse : « si l’on pose que E [S] est le cas seulement pour les G [BOTS] » (APr. I 29, 45b24‑25). La supposition ici tient à la restriction monon : Aristote ajoute que tout ce qui implique S (BOTS) doit se trouver dans la liste BOTP, sinon la subordination ne serait pas stricte, il y aurait un cas à l’extérieur de cette subordination. L’introduction de cette hypothèse permet de conclure de façon universelle et non plus seulement de façon particulière. L’universalité de la conclusion dépendra toutefois de l’hypothèse et non de la déduction ; au vu de la syllogistique du début des APr., cette déduction est comme « sans force ».

50Le second cas identifie les NEGP et les BOTS et ajoute l’hypothèse d’une stricte inclusion des BOTS dans les NEGP afin de conclure l’universelle négative : « si les D [NEGP] et G [BOTS] sont identiques et si E [S] se prédique seulement des G [BOTS], il s’ensuit que A [P] n’est le cas pour aucun des E [S] » (APr. I 29, 45b26‑27). L’identité entre NEGP et BOTS est ici interprétée non comme une véritable identité où les deux listes seraient strictement identiques, mais comme l’inclusion de BOTS dans NEGP (les deux listes sont partiellement identiques, et le sont pour tout ce qui concerne BOTS). De plus, que le sujet ne se prédique que des BOTS signifie qu’il ne se prédique que des termes identifiés dans la liste NEGP; autrement dit, S et tous les BOTS sont dans NEGP. Ce cas est simple à lire sur un arbre de division, comme en Figure 4.

Figure 4 : Exemple de division avec les indications pour les listes NEGP=BOTS (P = « immortel » et S = « pédestre »)

51Dans la division décrite précédemment, si le prédicat est « immortel », tout ce qui se trouve dans la branche « mortel » fera partie de la liste NEGP. Donc le sujet « pédestre » sera dans la liste NEGP, ainsi que tout ce qui se trouve sous « pédestre » (à savoir la liste BOTS). On se trouve bien dans le cas où BOTS se retrouve strictement dans NEGP et où S se dit seulement de BOTS. L’arbre de division de Figure 4 permet de conclure l’universelle « aucun “pédestre” n’est “immortel” ». Aristote maintient l’exhaustivité de sa méthode analytique en exhibant l’hypothèse qui se trouve dans l’arbre de division : pour conclure l’universelle négative, il faut que le sujet « pédestre » ne se dise que de BOTS, qui se trouve strictement inclus dans NEGP.

52Dans ces deux cas, qui sont parfaitement intelligibles avec un arbre de division sous les yeux, Aristote explique l’universalité de la conclusion obtenue grâce à l’introduction d’une hypothèse. Aristote peut ainsi réduire à sa méthode analytique ce cas de déduction grâce à une division, tout en préparant le terrain pour sa critique de la division en APr. I 31 : cette déduction dépend d’une hypothèse, elle est comme une déduction « sans force ».

7. Conclusion

53Dans ce parcours au travers du « pont aux ânes » (APr. I 27‑31) et des instruments du dialecticien (Top. I 13‑18), il est apparu qu’Aristote entretient un rapport complexe à son héritage de la méthode de division : il reprend à son propre compte presque tout de la pratique de cette méthode dans le « pont aux ânes », à savoir ses principes et la constitution de paliers de division (niveaux 2 et 3), mais rejette l’usage principal de la division comme outil permettant de classifier, de définir ou de déduire quelque chose (niveau 1). Comme il le soutient avec force, sa méthode analytique (syllogistique complétée par les listes du « pont aux ânes ») est exhaustive, tout peut être déduit grâce à elle et toute autre méthode déductive pourrait s’y réduire. Un passage de APr. I 29 peut ainsi être lu comme la réponse à une objection possible d’un partisan de la méthode de division (niveau 1), réduisant deux déductions que l’on peut tirer d’un arbre de division à deux types de déduction à partir d’une hypothèse qu’Aristote explicite. En réduisant les possibilités déductives de la méthode de division à des déductions à partir d’hypothèse, Aristote peut du même coup maintenir le caractère exhaustif de sa méthode analytique et comparer la division à un syllogisme « sans force », à savoir dont toute la force repose sur une hypothèse admise.

  • 28  Cet article a grandement bénéficié des questions des participants, que je remercie, à la journée d (...)

54En cela, Aristote récupère les principes de la méthode de division pour produire sa méthode analytique visant à supplanter la première. Les passages critiques de la méthode de division et la dimension heuristique du « pont aux ânes » laissent entendre qu’Aristote a développé cette méthode analytique suite aux déficiences pratiques de la méthode de division et afin de pouvoir effectivement utiliser sa méthode dans ses enquêtes scientifiques. Un des enjeux du « pont aux ânes » consiste donc à soutenir la supériorité de la méthode analytique en montrant qu’elle est exhaustive et que la méthode de division s’y réduit28.

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Bibliographie

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Wallies, M. (éd.), Alexandri in Aristotelis analyticorum priorum librum i commentarium, Berlin, Reimer, 1883.

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Notes

1  La syllogistique assertorique est développée en APr. I 2‑7, puis vient la syllogistique modale (I 8‑22). APr. I 23 justifie l’exhaustivité de la syllogistique à partir de considérations sur la prédication ; APr. I 29, dont il sera question ci-dessous, justifie l’exhaustivité de la méthode analytique dans son ensemble, incluant la syllogistique, mais aussi la méthode de découverte du moyen terme. Nous comprenons en effet la méthode analytique comme regroupant à la fois la syllogistique du début des Premiers Analytiques et la méthode des listes du « pont aux ânes » (voir ci-dessous), qui permet de mettre la syllogistique en pratique sur un problème donné (heuristique du moyen terme).

2  Voir aussi H. Cherniss, Aristotle’s Criticism of Plato and the Academy, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1944, e.g. p. 27 ; H. Maier, Die Syllogistik des Aristoteles, II. 2, Tübingen, H. Laupp, 1900, e.g. p. 75.

3  Thèses encore non publiées, soutenues lors de deux conférences, à Toronto (11 mars 2023) et à Lille (22 mai 2023) : C.G. King, « Rules of genus predication in Topics Δ ».

4  Cf. M. Crubellier, Aristote. Premiers Analytiques, Paris, GF-Flammarion, 2014, p. 28.

5  On peut ainsi penser que ce serait parce qu’il s’agirait du mouvement du logos, donc de l’activité fondamentale du dialecticien et du philosophe, que la méthode de division (niveau 1) serait une méthode appropriée pour l’enquête dialectique. Cf. M. Dixsaut, Métamorphoses de la dialectique dans les dialogues de Platon, Paris, Vrin, 2001, e.g. p. 104‑132 ; L. Mouze, Chasse à l’homme et faux-semblants dans Le Sophiste de Platon, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 101.

6  Qu’Aristote ajoute des conceptions possibles que personne n’aurait soutenues (e.g. Physique III 4 à propos de l’infini) montre qu’il s’intéresse davantage aux possibilités qu’aux thèses effectivement soutenues. Cf. C. Louguet, « Les usages de l’infini chez les penseurs présocratiques », Université de Lille III, thèse doctorale, 2004, p. 48‑49 ; J. Mansfeld, « Doxography and dialectic : the Sitz im Leben of the Placita », in W. Haase (dir.), Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt Band II. 36. 4, 1990, p. 3056‑3230 ; S. Mansion, « Le rôle de l’exposé et de la critique des philosophies antérieures chez Aristote », in S. Mansion (dir.) Aristote et les problèmes de méthode, Louvain, Publications universitaires, 1961, p. 55‑76.

7  ῞Οτι δ διὰ τῶν γενῶν διαίρεσις μικρόν τι μόριόν ἐστι τῆς εἰρημένης μεθόδου, ῥᾴδιον ἰδεῖν· ἔστι γὰρ διαίρεσις οἷον ἀσθενὴς συλλογισμός· μὲν γὰρ δεῖ δεῖξαι αἰτεῖται, συλλογίζεται δἀεί τι τῶν ἄνωθεν. – Les traductions citées sont de Michel Crubellier pour les Premiers Analytiques (op. cit.) et de Jacques Brunschwig pour les Topiques, Paris, Les Belles Lettres, t. I, 1967. Le texte grec cité est celui de J. Brunschwig, ibid. et de W. D. Ross, Aristotelis analytica priora et posteriora, Oxford, Clarendon Press, 1964.

8  Dans son commentaire aux Premiers analytiques, Alexandre d’Aphrodise comprend cette comparaison à un syllogisme « sans force » comme indiquant que le syllogisme manque son but, qu’il ne prouve pas la conclusion souhaitée (334, 10). M. Crubellier, « Platon et le pont aux ânes », Revue de Philosophie ancienne, 35, 2017, p. 112‑113 signale les passages des Seconds Analytiques II 5 et II 13, qui reviennent sur ce point. Nous insisterons sur la réduction des divisions à des déductions utilisant des hypothèses en nous attardant dans la section 5 sur un passage de APr. I 29. Notons qu’Aristote subsume les prémisses que l’on obtient au moyen d’un accord sous la classe des hypothèses dès APr. I 23 (41a40). Voir M. Crubellier, ibid., p. 114 sur la déduction des « termes supérieurs » ; cf. H. Cherniss, op. cit., p. 29.

9  τέλος δέ, ὅτι τοῦτἔστιν ἄνθρωπος τι ποτἂν τὸ ζητούμενον, οὐδὲν λέγουσι σαφὲς ὥστἀναγκαῖον εἶναι.

10  Aristote semble alors faire une remarque contre Speusippe : pour pallier ce défaut de nécessité, les partisans de la méthode de division cherchent à tout diviser pour que de l’exhaustivité apparaisse une forme de nécessité : « Et de fait, ne voyant pas les solutions aisées qui sont possibles, ils parcourent en entier l’autre voie » (APr. I 31, 46b24‑25).

11  Cf. Alexandre, op. cit., 338, 25.

12  Φανερὸν δὅτι οὔτἀνασκευάσαι ταύτῃ τῇ μεθόδῳ ἔστιν, οὔτε περὶ συμβεβηκότος ἰδίου συλλογίσασθαι, οὔτε περὶ γένους, οὔτἐν οἷς ἀγνοεῖται τὸ πότερον ὡδὶ ὡδὶ ἔχει, οἷον ἆρ διάμετρος ἀσύμμετρος σύμμετρος. ἐὰν γὰρ λάβῃ ὅτι ἅπαν μῆκος σύμμετρον ἀσύμμετρον, δὲ διάμετρος μῆκος, συλλελόγισται ὅτι ἀσύμμετρος σύμμετρος διάμετρος. εἰ δὲ λήψεται ἀσύμμετρον, ἔδει συλλογίσασθαι λήψεται. οὐκ ἄρα ἔστι δεῖξαι· μὲν γὰρ ὁδὸς αὕτη, διὰ ταύτης δοὐκ ἔστιν.

13  φανερὸν οὖν ὅτι οὔτε πρὸς πᾶσαν σκέψιν ἁρμόζει τῆς ζητήσεως τρόπος, οὔτἐν οἷς μάλιστα δοκεῖ πρέπειν, ἐν τούτοις ἐστὶ χρήσιμος.

14  La question de savoir si c’est Platon lui-même qui est visé ou plutôt Speusippe ou tout autre platonicien sera laissée ouverte.

15  Pour une autre approche, dont cet article s’est beaucoup inspiré, voir M. Crubellier, art. cit., p. 99‑136.

16  La parenté entre la méthode des listes du « pont aux ânes » et la méthode de division a été soulignée par M. Crubellier, art. cit., p. 111, où il présente le « pont aux ânes » comme une méthode de division réformée. Nous ne pensons toutefois pas qu’il s’agisse d’une méthode, mais d’une utilisation du palier de division (niveau 2), ce qui laisse complètement ouverte la question de ce à quoi ressemblerait une méthode de division (niveau 1) réformée, bien qu’on trouve des éléments de réponse en Seconds Analytiques II 13 et Parties des animaux I 2‑3.

17  ἔστω γὰρ τὰ μὲν ἑπόμενα τῷ Α ἐφ' ὧν Β, οἷς δ' αὐτὸ ἕπεται, ἐφ' ὧν Γ, δὲ μὴ ἐνδέχεται αὐτῷ ὑπάρχειν, ἐφ' ὧν Δ· πάλιν δὲ τῷ Ε τὰ μὲν ὑπάρχοντα, ἐφ' οἷς Ζ, οἷς δ' αὐτὸ ἕπεται, ἐφ' οἷς Η, δὲ μὴ ἐνδέχεται αὐτῷ ὑπάρχειν, ἐφ' οἷς Θ.

18  L’inverse est vrai seulement dans le cas de termes coextensifs, comme « triangle » et « avoir la somme de ses angles internes égale à deux droits ».

19  Καθόλου μὲν οὖν, ὃν δεῖ τρόπον τὰς προτάσεις ἐκλέγειν, εἴρηται σχεδόν· διἀκριβείας δὲ διεληλύθαμεν ἐν τῇ πραγματείᾳ τῇ περὶ τὴν διαλεκτικήν.

20  « Il faut faire la liste, non pas de ce qu’implique telle chose particulière, mais bien [4] la chose dont on parle dans toute son étendue : rechercher, par exemple, non pas ce qui est impliqué dans tel homme, mais ce qui est impliqué dans tout homme ».

21  Τὰς μὲν οὖν προτάσεις ἐκλεκτέον ὁσαχῶς διωρίσθη περὶ προτάσεως […] ἐκλέγειν δὲ χρὴ καὶ ἐκ τῶν γεγραμμένων λόγων, τὰς δὲ διαγραφὰς ποιεῖσθαι περὶ ἑκάστου γένους ὑποτιθέντας χωρίς, οἷον περὶ ἀγαθοῦ περὶ ζῴου, καὶ περὶ ἀγαθοῦ παντός, ἀρξάμενον ἀπὸ τοῦ τί ἐστιν. […] Πρὸς μὲν οὖν φιλοσοφίαν κατἀλήθειαν περὶ αὐτῶν πραγματευτέον, διαλεκτικῶς δὲ πρὸς δόξαν. ληπτέον δὅτι μάλιστα καθόλου πάσας τὰς προτάσεις καὶ τὴν μίαν πολλὰς ποιητέον.

22  M. Crubellier, art. cit., p. 119.

23  πῶς δ’ εὐπορήσομεν αὐτοὶ πρὸς τὸ τιθέμενον ἀεὶ συλλογισμῶν, καὶ διὰ ποίας ὁδοῦ ληψόμεθα τὰς περὶ ἕκαστον ἀρχάς, νῦν ἤδη λεκτέον.

24  τὰ δ’ ὄργανα δι’ ὧν εὐπορήσομεν τῶν συλλογισμῶν ἐστὶ τέτταρα.

25  En ce qui concerne la découverte des différences, Aristote dit en Top. I 16 qu’il faut s’entraîner en faisant des comparaisons au sein d’un genre et en passant d’un genre à un autre (des genres très éloignés sont évidemment différents). Ensuite, pour la perception des similitudes, il est dit en Top. I 17 qu’il faut utiliser l’analogie pour percevoir les similitudes entre ce qui appartient à des genres distincts, et qu’il faut s’entraîner avec des genres très différents (la similitude n’est pas simple à trouver), ainsi qu’avec des termes au sein d’un même genre pour vérifier qu’ils ont bien quelque chose d’identique, donc une similitude.

26  APr. I 44 insiste sur le fait que la partie déductive est analysable, mais qu’on ne pourra analyser le tout au-delà de l’hypothèse, qui est posée ou demandée (APr. I 23) sans être déduite.

27  Δείκνυται μὲν οὖν ἕκαστον τῶν προβλημάτων οὕτως, ἔστι δὲ καὶ ἄλλον τρόπον ἔνια συλλογίσασθαι τούτων, οἷον τὰ καθόλου διὰ τῆς κατὰ μέρος ἐπιβλέψεως ἐξ ὑποθέσεως. εἰ γὰρ τὸ Γ καὶ τὸ Η ταὐτὰ εἴη, μόνοις δὲ ληφθείη τοῖς Η τὸ Ε ὑπάρχειν, παντὶ ἂν τῷ Ε τὸ Α ὑπάρχοι· καὶ πάλιν εἰ τὸ Δ καὶ Η ταὐτά, μόνων δὲ τῶν Η τὸ Ε κατηγοροῖτο, ὅτι οὐδενὶ τῷ Ε τὸ Α ὑπάρξει. φανερὸν οὖν ὅτι καὶ οὕτως ἐπιβλεπτέον.

28  Cet article a grandement bénéficié des questions des participants, que je remercie, à la journée d’études de décembre 2022 et des discussions qui ont suivi. Je remercie particulièrement Michel Crubellier et Claire Louguet pour des lectures attentives de versions antérieures de cet article, le ou la reviewer pour ses remarques constructives, ainsi que les éditeurs Ulysse Chaintreuil et Marion Pollaert pour leur patience et leur disponibilité.

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Table des illustrations

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Légende Figure 2 : Exemple de trois listes de termes pour le prédicat et le sujet de la conclusion recherchée
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Légende Figure 3 : Exemple de division avec les indications pour les listes BOTP=BOTS (P = « animal » et S = « pédestre »)
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Légende Figure 4 : Exemple de division avec les indications pour les listes NEGP=BOTS (P = « immortel » et S = « pédestre »)
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Pour citer cet article

Référence papier

Zoé McCONAUGHEY, « Comment Aristote intègre la méthode de division dans l’analytique  »Philonsorbonne, 18 | 2024, 146-167.

Référence électronique

Zoé McCONAUGHEY, « Comment Aristote intègre la méthode de division dans l’analytique  »Philonsorbonne [En ligne], 18 | 2024, mis en ligne le 30 mai 2024, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/philonsorbonne/3555 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11rzf

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Auteur

Zoé McCONAUGHEY

(Université de Lille)

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Droits d’auteur

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